IV. LE RALENTISSEMENT DE LA PRODUCTIVITÉ PAR EMPLOYÉ EN FRANCE DEPUIS 1995 : UNE ILLUSTRATION DU PARADIGME EUROPÉEN

Parmi les pays européens, la France est certainement celui où les politiques « d'enrichissement du contenu en emploi de la croissance », qui macroéconomiquement reviennent à freiner l'évolution de la productivité par employé, ont fait l'objet du consensus théorique et politique le plus marqué, et où elles ont donné lieu à la mise en oeuvre du dispositif le plus complet et le plus volontariste.

Certes, à partir du début des années 1990, tous les pays européens ont cherché à lutter contre la persistance du chômage au moyen de ce type de mesures.

Mais la France se caractérisait aussi par un contenu en emploi de la croissance plus faible que ses partenaires européens : pour un taux de croissance donné, elle créait moins d'emplois, non pas dans l'industrie mais surtout dans les services.

Les premières mesures d'allègement des charges sociales et d'abaissement du coût du travail se sont ainsi appuyées sur les rapports préparatoires du XIe Plan 61 ( * ) (lois du 27 juillet puis du 20 décembre 1993, instaurant une exonération totale ou partielle des cotisations familiales jusqu'à 1,3 SMIC).

Depuis, de nombreux dispositifs ont été mis en place :

- le premier type de dispositifs est celui des allègements de charges liés à la réduction du temps de travail. Leur coût pour les finances publiques est évalué à l'équivalent de 0,5 point de PIB environ et leur impact estimé à 300.000 emplois supplémentaires (fin 2002) par la Direction de la Prévision et de l'Analyse économique du Ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie (MINEFI). Ces mesures ont été réellement efficaces puisqu'elles ont permis de stabiliser la part de l'emploi non qualifié dans l'emploi total, alors que celui-ci avait baissé entre 1982 et 1992 (de 28 % de l'emploi total à 23,5 %).

Elles auraient entraîné au niveau macroéconomique une diminution de 1,23 % de la productivité par employé .

- le deuxième type de dispositifs concerne la réduction du temps de travail (RTT) . L'impact de ce dispositif fait l'objet de multiples controverses. Si l'on retient l'évaluation qui en est donnée par la Direction de la Prévision et de l'Analyse économique, soit 300.000 emplois créés (pour un coût de finances publiques équivalent à 0,8 point de PIB), il faut considérer qu'au niveau macroéconomique, la RTT a abaissé la productivité par employé de 1,25 % ;

- un troisième type de dispositif concerne les emplois aidés dans le secteur non marchand (contrats emploi solidarité - CES -, « emplois jeunes », ...). Du fait que ces emplois sont soit à temps partiel, soit rémunérés au niveau du SMIC (soit moins de la moitié du coût salarial moyen des autres emplois du secteur non marchand), ces dispositifs contribuent à abaisser comptablement la productivité par tête 62 ( * ) , d'environ 0,5 % ;

- enfin, les dispositifs de déduction fiscale pour les ménages employant des personnes à domicile ont contribué à « blanchir » des emplois auparavant non déclarés.

Les comptables nationaux prennent en compte, autant que possible, les activités non déclarées dans l'évaluation du PIB, mais peu ou pas les emplois correspondants. Le « blanchiment » d'emplois non déclarés dans le secteur des services à domicile se serait ainsi traduit, au niveau macroéconomique, par un abaissement d'environ 1 % de la productivité par employé .

Ainsi, au total, sur la période 1992-2002, le niveau de la productivité par employé aurait été abaissé de 4 % par la mise en place de ces dispositifs, soit 0,4 % par an en moyenne .

L'augmentation de la productivité par employé observée sur la période a été de 1,1 % par an. Sans les dispositifs d'enrichissement du contenu en emplois de la croissance rappelés ci-dessus, la productivité par employé aurait été, toutes choses égales par ailleurs, de : 1,1 % + 0,4 % = 1,5 %.

Ce rythme aurait toutefois traduit une inflexion par rapport à la période 1980-1992 63 ( * ) . Les dispositifs d'enrichissement du contenu en emplois de la croissance n'expliqueraient que la moitié environ du ralentissement des gains de productivité observés en France sur la décennie 1992-2002 par rapport à la période 1980-1992.

L'autre moitié du ralentissement observé de la productivité s'expliquerait par d'autres facteurs. Dans le rapport du Conseil d'analyse économique « Productivité et croissance » (2004), Gilbert CETTE conclut l'analyse de l'évolution récente de la productivité en France en émettant une hypothèse que votre rapporteur analysera ci-après (cf. Ve partie) : « Une piste qui ne peut être écartée est celle d'une contradiction croissante entre certaines rigidités structurelles, par exemple réglementaires, et le besoin plus important de flexibilité et d'adaptabilité d'une croissance profondément transformée par des mutations profondes, par exemple technologiques comme la diffusion toujours plus importante des TIC ».

* 61 « Choisir l'emploi », Rapport du groupe de travail présidé par Bernard Brunhes. 1993.

* 62 Dans les secteurs non marchands, la production étant évaluée aux « coûts des facteurs » (c'est-à-dire la rémunération des salariés), les créations d'emplois aidés entraînent une faible augmentation du PIB non marchand par emploi ainsi créé.

* 63 Source INSEE et GGDC.

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