10. Pourvu que ça dure !

Nous n'en sommes pas encore aux limites que nous percevons pour 2050. Dans les années qui viennent, certaines de ces limites seront repoussées, tandis que d'autres apparaîtront sans doute. Aussi est-ce un comportement pragmatique et réaliste que nous devons adopter. Nous devons traiter le monde comme il va ; considérer les réflexions des « oiseaux de malheur » les plus sérieux pour agir avec précaution ; inciter les plus créatifs à innover, sans tomber dans un optimisme qui conduirait à relâcher l'effort scientifique ; et rafraîchir sans arrêt nos connaissances techniques.

Au fond, à côté de nombreux mécanismes bien établis, nous découvrons que certains sont difficilement prévisibles, comme l'évolution du climat. Mais surtout, nous prenons conscience que notre monde est « fini » et qu'il constitue un gigantesque système, sur lequel la marque de l'homme est désormais significative. Si cela invite à la précaution, cela incite surtout à être responsable et à prendre sa part dans la régulation du système. Cette prise de conscience est vitale : notre système doit se renouveler. Nous devons apprendre à le connaître pour ne pas lui infliger des coups qu'il ne pourrait pas supporter ; nous devons sûrement avoir des actions réparatrices et, lorsque nous sentons que nous sommes aux frontières de la viabilité, nous devons sélectionner des actions dont les conséquences sont réversibles. Nous devenons pleinement responsables de notre écosystème planétaire.

L'agriculture est au centre de notre système vivant ; il n'y a presque plus de « nature primitive » aujourd'hui. L'agriculture apparaît donc comme déterminante dans la captation de l'énergie solaire indispensable à la biosphère que les humains marquent très significativement. Agriculteurs ou non, nous devons tous, dans l'intérêt général, prendre part aux décisions d'orientation qui influencent l'agriculture. Nous savons que nous participons tous à un système global unique, dont tous les éléments sont reliés entre eux, ce qui n'exclut pas la diversité des situations locales. Aussi, par symétrie, chaque décision locale doit-elle être prise avec un point de vue global.

Les densités de population sont très variables à la surface du globe. Leur carte ne se confond cependant pas avec celle des zones favorables à l'agriculture, ni non plus avec celle des ressources en eau ou en énergie. Cela signifie que des économies, différenciées selon la géographie, garderont leur originalité, malgré les tendances homogénéisatrices de la mondialisation. Cela implique aussi que les organisations sociales maintiendront leurs marques propres. Ici, c'est la lutte contre la pauvreté qui sera prioritaire. Là, on modifiera l'utilisation de l'eau en améliorant les techniques d'irrigation ou en modifiant les pratiques agronomiques en zone d'agriculture pluviale. Ici, les programmes scientifiques privilégieront les recherches sur la fixation de l'azote atmosphérique par les plantes. Ailleurs, ce sont les progrès sur la pédogenèse qui seront favorisés, afin de dépolluer, de réparer les sols ou même d'en générer à partir de la roche mère. Sous d'autres latitudes, ce sont les investissements en dessalement de l'eau de mer qui viendront en premier. Mais là-bas, c'est le traitement des eaux usées ou l'utilisation des déchets organiques (animaux et humains) qui auront la priorité. Dans cette zone-ci, on comprendra que c'est la forêt qu'il faut favoriser, au lieu d'y installer un système maïs-soja. Et, dans cette zone-là, c'est sur le mode d'alimentation que l'on jouera : manger des végétaux consomme moins de surface agricole que manger des produits d'origine animale.

Aussi ce n'est pas en se réfugiant dans des comportements magiques que nous trouverons les solutions : « pourvu que ça dure ! ». De même, la critique seule n'est pas suffisante : des propositions éprouvées doivent être discutées. Et des enceintes doivent être ménagées pour la confrontation et la mise en oeuvre des solutions. Ainsi seront écartées les pénuries, favorisées les innovations, orientées les croissances.

Nous ne sommes plus dans un monde bipolaire, vaste, où l'enjeu du développement agricole et alimentaire était d'éviter les révoltes, voire les révolutions, risquant de faire basculer des peuples dans l'un ou l'autre camp. Dans notre biosphère unique et finie, les régulations sont à rechercher par la discussion : à l'Organisation des nations unies (ONU) ou à l'OMC, au sein d'une organisation « régionale » comme l'Union européenne ou d'un État comme la France. Et c'est à chacun des acteurs de prendre sa part pour relever le défi d'agricultures durables.

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