VII. L'AVENIR : CE QUE NOUS ALLONS FAIRE

« L'avenir ne sera pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire », écrivait Bergson. Il nous faut prendre l'initiative du changement dans un monde aux nombreuses interactions. Les réalités, on l'a vu, ne sont pas fragmentées et linéaires ; les images de mécanique ne sont plus suffisantes pour obtenir une représentation satisfaisante de notre monde. L'aliment n'est pas seulement le combustible qui permet à nos corps de fonctionner et les matières premières agricoles ne sont pas non plus uniquement le pétrole brut d'où on les extrait. Ce que nous allons faire ne peut donc plus ressembler à de la mécanique ; il nous faut désormais reconsidérer notre sujet dans la biosphère. Ce que nous allons faire relève du complexe et du vivant ; pour changer, il va nous falloir innover et intensifier nos recherches.

1. Le « tripode » de l'INRA : agriculture, alimentation, environnement

L'Institut national de la recherche agronomique (INRA) a été positionné pour ouvrir les portes de l'avenir à l'agriculture. Dans les années 50 et 60, il s'est agi de « moderniser l'agriculture. Puis les années 70 ont été marquées par le tournant de l'agroalimentaire. Les années 80 ont été celles de la biologie moléculaire, sous la co-tutelle des ministères en charge respectivement de l'agriculture et de la recherche. Dans les années 90, sous la pression d'événements marqués par des pollutions ou des problèmes de sécurité, le champ s'est élargi, prenant en compte la préservation des ressources naturelles et l'évolution des territoires, mais aussi les questions d'alimentation et de santé. Au début des années 2000, il convenait de faire le point et d'imaginer les scénarios possibles pour le futur. Un énorme travail a été entrepris pour tenter de maîtriser un contexte difficile à cerner ; des « météos » diverses ont été envisagées pour se préparer à prendre les bonnes postures :

- foi dans le progrès : « Gulf stream » ;

- innovations de sécurité et de confort, dans un monde réparti en blocs régionaux autonomes : « ciel de traîne » ;

- gouvernance mondiale pour le développement durable : « changement de climat » ;

- monde fragmenté tourné vers le développement durable : « microclimats ».

Les professionnels qui ont construit ces « météos » en échangeant leurs perceptions ont aussi imaginé les parcours possibles jusqu'à 2020. Il en est résulté les scénarios suivants, soulignant les caractéristiques principales qui furent retenues :

- l'INRA se spécialise dans les connaissances génériques en sciences du vivant ;

- la notion de « biens publics » a pris de l'importance et l'INRA, principalement intéressé par la zone Europe, doit se constituer en un « tripode » agriculture, alimentation, environnement ;

- la priorité est désormais donnée à l'alimentation ;

- au contraire, l'INRA se recentre sur l'agriculture française ;

- la dimension « vers le développement durable » est majeure.

Ces exercices de prospective ont permis de repenser la place relative des agricultures et des autres acteurs dans un système global d'échange mondiaux, de prendre en compte le rôle de la biodiversité, de porter attention aux attentes des citoyens envers l'alimentation, et d'envisager les risques sanitaires et les changements climatiques.

Finalement, c'est la structure du « tripode » agriculture, alimentation et environnement qui a été retenue pour établir la vision à 2020. Et six axes se sont dégagés :

- gérer durablement et améliorer l'environnement, maîtriser les impacts des changements globaux et les activités productrices, promouvoir une « éco agriculture » compétitive ;

- améliorer l'alimentation humaine, préserver la santé des consommateurs et comprendre leurs comportements ;

- diversifier les produits et leurs usages, accroître leur compétitivité ;

- développer les recherches et produire des données génériques pour la connaissance du vivant ;

- adapter les espèces, les pratiques et les systèmes de production agricoles ;

- comprendre et améliorer l'organisation des acteurs et leurs stratégies, analyser les enjeux des politiques publiques, contribuer à leur conception et à leur évaluation, anticiper leurs évolutions.

Bien évidemment, il ne peut être question ici d'aller plus dans le détail. Cependant, il faut rappeler que les orientations de l'INRA sont périodiquement ajustées et qu'il est donc possible de modifier et de diriger les pistes de la recherche publique en fonction de l'avenir que l'on souhaite éclairer et des décisions qui sont prises par ailleurs. Il est clair, par exemple, que l'INRA est un contributeur de premier ordre à de nombreux pôles de compétitivité. D'autre part, l'intensité de l'effort budgétaire n'est pas identique selon les axes : pour la période 2006-2009, par exemple, l'axe 1 (dynamiques à long terme des écosystèmes) et l'axe 5 (systèmes agricoles innovants et durables, itinéraires techniques) reçoivent chacun 1/5ème du budget ; l'axe 4 (recherches génériques) et l'axe 6 (stratégie et organisation des acteurs, politiques publiques) ont chacun environ 1/6ème du total. On peut noter que l'axe 2 (celui de l'alimentation humaine, avec en particulier l'exploration des flores intestinales) est en augmentation, tandis que l'axe 3 (chaîne production-transformation-distribution) est en diminution. Durant la même période, un accent particulier est mis sur la Chine, l'Inde et le Brésil d'une part et, d'autre part sur les pays méditerranéens.

Enfin, il faut relever que les chercheurs ne restent pas dans leur « tour d'ivoire » : l'amélioration du transfert et de la valorisation des résultats est une préoccupation constante.

L'INRA, parfois critiqué, est aussi jalousé par de nombreux pays. Il fête cette année son 60ème anniversaire et continue sa perpétuelle transformation, en utilisant la prospective. Il doit être utilisé pour faire notre avenir à tous : les uns peuvent percevoir l'environnement comme prioritaire, d'autres peuvent mettre en avant l'alimentation et certains, même, peuvent mettre loin derrière l'agriculture au sens strict. Cela serait une grave erreur que de la « sacrifier », comme d'aucuns le recommandent, par provocation pédagogique probablement (voir Olivier Pastré). Le « tripode » est une figure simple et robuste qui permet au plus grand nombre de comprendre les interrelations solidaires ; il peut aussi donner accès, à tous ceux qui auraient une conception trop exclusivement centrée sur l'agriculture, à une représentation plus riche des phénomènes naturels, économiques et sociétaux.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page