3. Quels produits agricoles pour nos aliments de 2020 ?

Dans de nombreuses régions agricoles françaises, les agriculteurs s'organisent, en utilisant la méthode des scénarios, pour imaginer leur futur. C'est le cas dans les régions de grandes cultures, où apparaissent maintenant les usines de biocarburants. C'est le cas, par exemple, en Normandie, où des efforts sont faits depuis 5 ans à l'initiative de la chambre régionale d'agriculture pour comprendre ce que devront être les productions agricoles normandes en tentant une réponse à la question : « 2020 : Que mangerons-nous ? ». Et l'on se rend compte très vite que les réponses sont loin d'être simples. Il a d'abord fallu identifier les consommateurs « finaux », qui « détruisent » aujourd'hui les aliments dont les origines agricoles sont normandes, et ceux qui les « détruiront » demain, en 2020. Puis il a fallu rechercher les facteurs qui agissent sur l'évolution de l'alimentation, et procéder à une simplification raisonnée des explications. Deux variables majeures ont été identifiées : la croissance globale du revenu et la répartition de celui-ci dans la population. En effet, l'afflux de revenus supplémentaires n'a pas le même effet sur les dépenses alimentaires, selon qu'il s'opère vers les groupes aux revenus limités ou vers les groupes plus aisés. D'autres variables « motrices » ont été prises en compte : le mode de vie et la consommation alimentaire (composition et façon de prendre les repas, augmentation du travail salarié des femmes, diminution de la taille des ménages), la politique « nutrition-santé » (obésité, politique gouvernementale volontaire à l'image de la Finlande, recommandation du Plan national nutrition-santé), les exigences des consommateurs (sécurité et perception du risque alimentaire, qualité et demande, mais aussi essoufflement des signes de qualité, du goût, de l'éthique) ; les perspectives démographiques (vieillissement, immigration et modification des proportions ethniques) ... Le poids de certaines variables a été relativisé, telles que la part des produits agricoles dans les dépenses alimentaires, qui ne cesse de diminuer (le prix des matières premières agricoles a été divisé par 2 en 25 ans, les produits alimentaires sont plus élaborés, la restauration hors domicile se développe). Et certains comportements mal compris ont reçu des explications tout à fait intéressantes : en étudiant des « cohortes », le Crédoc a mis en évidence des effets de génération. Dans le domaine alimentaire, une génération est marquée par le comportement qu'elle adopte à 25 ans, âge moyen de la mise en couple ; la génération « privations » (1907-1916) a eu 25 ans entre 1932 et 1941 et la génération « rationnement » (1917-1926) a eu 25 ans entre 1942 et 1951. La génération « réfrigérateurs » a bénéficié d'une meilleure conservation des produits. La génération « robots ménagers » (25 ans entre 1962 et 1971) a pu profiter des gains de temps dans la préparation des repas, laquelle a encore diminué avec la génération « hypermarchés » (25 ans entre 1972 et 1981). Puis les individus de la génération « aliments services » (25 ans entre 1982 et 1991) ont pris l'habitude de consommer des plats achetés préparés, préférant consacrer leur temps libre à d'autres activités que la cuisine. Et ceux qui ont eu 25 ans entre 1992 et 2001 (la génération hard discount) sont devenus infidèles aux marques, « zappeurs », et ne respectent plus les horaires des repas.

Ces points sont loin d'être anecdotiques pour l'agriculture : après avoir été fortement structurée par la PAC, ne va-t-elle pas être davantage formatée par la combinaison consommateur-distributeur-transformateur, combinaison elle-même très marquée par l'évolution du pouvoir d'achat des groupes à faible revenu ?

Quatre scénarios à l'horizon 2020 ont été imaginés et peuvent être classés selon la croissance économique d'une part et selon l'amoindrissement ou, au contraire, l'accentuation des inégalités d'autre part. Le scénario « tendanciel » est central : il maintient le mode actuel de distribution des revenus et il est gouverné par une croissance molle de + 1,5 %. Dans le scénario « transition vers les Etats-Unis », la croissance globale est plus vive, mais les écarts se sont creusés entre catégories de population ; les classes aisées se tournent davantage vers la restauration commerciale, les plats préparés, les produits de la mer et les fruits et légumes ; les groupes aux revenus plus modestes consomment plus de produits peu coûteux comme le sucre, l'huile végétale et les volailles. La hausse des calories consommées (huile végétale, sucre et boissons sucrées) n'est combattue par aucune politique nutritionnelle. Dans le scénario de « crise », la croissance est faible et les inégalités de consommation sont amplifiées. C'est le « prêt à manger » qui se développe, plutôt que la restauration hors foyer : les industries agroalimentaires et la grande distribution s'adaptent et segmentent encore plus le marché des produits alimentaires. Le scénario « nordique » est celui où les dépenses alimentaires globales progressent le plus ; la croissance économique est importante et des politiques fortement redistributives sont à l'oeuvre. Les groupes à revenu modeste « tirent » le marché alimentaire. Les préoccupations nutritionnelles sont prises en compte par l'Etat, qui joue un rôle volontariste facilité par la croissance économique : les produits de la mer, la volaille, les fruits et légumes sont plébiscités, sous forme brute ou transformée, au détriment des matières grasses et des féculents.

Cet exercice met en lumière les capacités différentielles de réaction des régions en fonction de la structure actuelle de la production agricole. Il est évident que la marge de manoeuvre des régions viticoles est plus limitée que celle de la Normandie, caractérisée par une diversité et une robustesse capables de mieux accepter les mouvements, quelle que soit leur ampleur.

On voit en tout cas que la démarche initiée localement par les agriculteurs permet d'orienter les productions agricoles futures en fonction de l'ensemble des acteurs, même si le comportement de ces derniers est guidé par des considérations fort éloignées de l'acte de production agricole.

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