Audition de M. Manuel Gomez, président du CCFA.

Puis la commission a entendu M. Manuel Gomez, président du comité des constructeurs français d'automobiles (CCFA).

M. Manuel Gomez a débuté son intervention en revenant sur le contexte actuel du marché automobile français, en se fondant sur les résultats publiés par le CCFA au début du mois de janvier. Il a annoncé d'entrée que ces données faisaient apparaître que notre industrie traversait effectivement une période difficile.

S'agissant en premier lieu des ventes, il a indiqué que le marché des véhicules particuliers avait eu grand peine à franchir la barre symbolique des 2 millions d'immatriculations et que les marques françaises avaient continué de voir leurs parts de marché s'effriter à un rythme de deux points par an depuis 2003, le taux de pénétration du marché national étant, sur cette période, revenu de 60 % à 54 %.

De même, il a signalé qu'en Europe, où les constructeurs français, qui détenaient auparavant 25 % du marché n'en représentent plus désormais que 22 %, le seul sujet de satisfaction provenait des ventes de petits véhicules utilitaires, pour lesquels le nombre d'immatriculations a atteint le niveau record de 440.000 immatriculations, alors que deux véhicules sur trois de ce segment de marché sont de marque française.

Evoquant en second lieu le niveau de production, il a rappelé que celui des usines françaises avait fortement chu, connaissant une baisse de plus de 10 % par rapport à 2005, équivalent à une diminution de 300.000 véhicules sur l'année. Il a précisé que la production des usines situées en France, qui avaient réalisé 54 % du total de la production des constructeurs français en 2005, n'en représentait plus aujourd'hui qu'à peine 50 %.

Il a dès lors considéré que si la filière automobile française n'était pas en péril, sa situation était de nature à alerter l'ensemble des acteurs, tout en rappelant que l'automobile française avait connu, dans son histoire, des crises bien plus graves que celle traversée actuellement. Il a observé, en revanche, que ces crises passées étaient limitées dans le temps et que les causes en étaient relativement connues, alors que la situation actuelle se caractérise par un manque de visibilité.

En contrepartie de ces éléments globalement défavorables, M. Manuel Gomez a aussi tenu à mettre en avant les aspects plus positifs de la situation.

D'une part, il a fait valoir que le développement à l'international était un sujet de satisfaction pour les constructeurs, dans la mesure où les ventes de voitures particulières hors d'Europe occidentale représentaient près de 30 % des ventes totales, soit une part des exportations supérieure aux résultats enregistrés en France. Il a considéré que cette croissance à l'international était un élément extrêmement positif, dans la mesure où le marché européen était désormais adulte, les perspectives de développement se situant essentiellement en Asie, en Amérique du Sud, au Proche et au Moyen-Orient, ainsi qu'en Europe centrale et orientale.

Il a estimé que du temps serait nécessaire pour que les nouveaux marchés d'expansion arrivent à maturité, ce qui impose aux constructeurs français de rester vigilants sur les marchés matures de renouvellement en Europe.

D'autre part, il a rappelé l'importance de la filière automobile dans l'emploi national. Il a aussi rappelé que la filière représentait 11 % de la production industrielle française et 17 % des investissements industriels. Il a insisté sur le fait que l'industrie automobile contribuait à hauteur de 13 % au commerce français et rapportait 8,7 milliards d'euros de recettes pour la balance commerciale.

Sur ce dernier point, il a d'ailleurs indiqué que le secteur automobile était, il y a encore deux ans, le premier contributeur aux exportations françaises, avec un total de plus d'11 milliards d'euros, tout en notant que ces performances étaient trop méconnues, sans doute du fait d'un manque de communication.

Au vu de cette situation d'ensemble, il a considéré que si l'industrie automobile pouvait paraître puissante, elle n'était pas, pour autant, insubmersible. Il a d'ailleurs rappelé que cette industrie avait failli disparaître dans les années 80, mais que cela avait pu être évité, car les acteurs de la filière, ainsi que les pouvoirs publics, avaient contribué à son redressement. Il a fait remarquer que, dans le même temps, cette industrie avait pratiquement disparu en Grande-Bretagne.

Il a estimé que l'industrie automobile, dans son ensemble, se caractérisait toujours par des équilibres extrêmement fragiles, qu'il convenait de ne pas voir remis en cause par des modifications brutales des règles du jeu. Il a en effet rappelé que les marges opérationnelles et la rentabilité du secteur étaient modestes et que, parallèlement, ce secteur présentait la spécificité d'être à la fois un secteur de grande consommation et une industrie à très forte intensité capitalistique.

Il s'est ensuite proposé d'établir une comparaison avec le secteur automobile allemand. Il a estimé que la différence avec la France ne portait pas sur la qualité des produits, l'ensemble des études et analyses révélant que les constructeurs français n'avaient rien à envier sur ce point à leurs concurrents d'outre-Rhin. Il a plutôt considéré que la grande différence tenait à la fois au niveau de vie général dans les deux pays et à des histoires nationales, qui avaient abouti à ce que la France soit un pays où l'on vende essentiellement des véhicules de taille moyenne, alors même que les véhicules de haut de gamme principalement allemands étaient davantage susceptibles de susciter des profits.

Evoquant ensuite la question du cadre réglementaire, il a considéré que l'industrie automobile souffrait d'un discours à la fois faussement moderniste et faussement écologique.

Il a ainsi fait valoir que la réglementation européenne était la plus exigeante au monde, ce qui aboutissait à donner un avantage compétitif à ceux dont les marchés de base ne sont pas situés en Europe. Il a en effet estimé que, n'étant pas soumis aux mêmes contraintes, ces constructeurs extra-européens disposaient de moyens leur permettant de concurrencer nos entreprises sur leur marché domestique.

Il a ajouté que le secteur était confronté à une abondance de règles et à l'accélération du rythme de parution de celles-ci, alors que l'amortissement des efforts de développement et d'investissement de notre industrie nécessitait des périodes relativement longues.

Il a en outre considéré que le marché-socle de nos entreprises était régi par des mesures nationales différentes, souvent pesantes en matière de fiscalité, de protection de l'environnement ou de sécurité et que cet environnement juridique, fiscal et réglementaire manquait souvent de visibilité. Illustrant son propos par l'exemple de la fiscalité, il a fait remarquer que celle-ci était non seulement très hétérogène selon les Etats européens, mais aussi particulièrement lourde, puisqu'elle représente plus de 40 milliards d'euros en 2005. Il a fait remarquer que les prélèvements étaient bien moindres en Amérique ou en Asie, qui constituent les marchés-socle des concurrents les plus menaçants de nos entreprises.

S'agissant enfin des questions d'environnement, M. Manuel Gomez a estimé que la réglementation avait été incontestablement bénéfique au progrès, dans la mesure où elle avait stimulé les constructeurs. Il a ainsi rappelé que, depuis 1970, la filière avait intégré et appliqué huit réglementations successives, comportant pour chacune une obligation de diviser par deux le volume des émissions polluantes. Il a noté que l'industrie automobile n'avait pas seulement suivi le rythme, mais qu'elle l'avait précédé pour des raisons de concurrence. Il a ainsi pris l'exemple de la sécurité routière, pour lequel la concurrence a conduit à aller au-delà de la réglementation, notamment par des initiatives incitatives telles que l'attribution d'étoiles récompensant les véhicules les plus sûrs. Il a ensuite rappelé que la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre était actuellement en préparation au travers d'une réglementation qui devrait entrer en vigueur en 2009 et ce, alors que les émissions des véhicules à essence et à diesel devraient pourtant être proches de zéro. Il a en effet signalé que les véhicules construits aujourd'hui polluent dix fois moins que ceux fabriqués dans les années 90, notant que l'une des difficultés était que demeurent encore en circulation un grand nombre de véhicules datant des années 90. Aussi s'est-il demandé s'il ne conviendrait pas d'accélérer le rythme de disparition de ces véhicules.

M. Jean Desessard a fait observer que le discours tenu par M. Manuel Gomez au nom des constructeurs était en apparence très soucieux d'environnement en général et de la qualité de l'air en particulier.

M. Manuel Gomez a estimé que cette préoccupation était constante, en dépit d'une communication manifestement insuffisante. A ce titre, il a cité l'exemple de la qualité de l'air à Paris, dont les analyses font ressortir que 6 % de l'amélioration observée est imputable à la politique municipale et 26 % aux constructeurs d'automobiles par la diminution des émissions des véhicules, ce dont les médias se sont très peu fait l'écho.

Poursuivant sur les gaz à effet de serre, il est ensuite revenu sur l'argument selon lequel les constructeurs n'étaient pas assez imaginatifs, en déclarant que ces derniers étaient au contraire extrêmement attentifs aux avancées technologiques. Il a estimé que la priorité était de généraliser des moyens permettant de régler le plus vite possible les problèmes d'émissions, plutôt que de mettre continuellement en avant certaines technologies, qui ne concernent pour le moment qu'une infime partie du parc.

Il a d'ailleurs fait état de l'existence d'une ligne de partage existant entre l'Europe du nord et celle du sud en matière d'émission de CO 2 pour les véhicules neufs. Il a ainsi noté que le niveau d'émission admis dans un pays comme la Suède, apparemment vertueux, était de 198 grammes de CO 2 au kilomètre, contre 151 grammes en France. Ainsi, la moyenne d'émission des voitures françaises neuves s'établit à 145 grammes de CO 2 au kilomètre, contre 160 grammes environ dans les pays d'Europe du nord.

Il a ensuite évoqué le cas, très souvent cité, d'une voiture concurrente qui porte un nom latin et émane d'un constructeur non européen, faisant valoir que 4.000 tonnes de CO 2 par an avaient été économisées par ce véhicule, alors que 300.000 tonnes de CO 2 l'ont été par les voitures françaises émettant en moyenne 120 grammes au kilomètre. Il a regretté que ces chiffres, provenant de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), soient insuffisamment connus.

Il s'est ensuite opposé à l'idée selon laquelle les émissions de CO 2 ne cessaient de croître, indiquant que si cela avait été vrai pendant de nombreuses années, ces émissions étaient stables depuis quatre ans. Il a estimé que les modifications de comportement, notamment en matière de limitation des vitesses, avaient certainement joué un rôle dans ce phénomène, mais aussi que la performance énergétique de nos véhicules demeurait le principal facteur de cette évolution.

Il a ensuite ajouté que le recyclage constituait l'autre sujet environnemental majeur, faisant observer que certains secteurs d'activité se présentaient comme particulièrement vertueux, dans la mesure où ils recyclaient 35 % de leurs emballages, alors que le secteur automobile recycle aujourd'hui plus de 85 % de ses productions et poursuit même un objectif de recyclage de 95 %.

M. Manuel Gomez a ensuite complété son propos en revenant sur les problèmes de concurrence au niveau international. Il a considéré que la concurrence pouvait toujours constituer un danger dès lors que l'on se trouvait en mauvaise posture, mais qu'elle constituait aussi un irremplaçable stimulus. A ce titre, il a indiqué que les entreprises chinoises représentaient des concurrents importants, venant d'ailleurs de ravir à notre pays la quatrième place des pays producteurs d'automobiles. Il a indiqué que si le potentiel de développement de ce pays était immense, sa capacité à consommer sa propre production était relativement limitée en raison de ses infrastructures.

Il a estimé que les Chinois tendraient vraisemblablement à s'inspirer des modèles japonais et coréens qui leur sont proches.

Quant à l'Inde, il a noté qu'elle connaissait aussi une croissance remarquable, qui devrait bientôt dépasser celle de la Chine.

Dans ce contexte, il a rappelé quelles avaient été les interrogations des constructeurs français sur leurs contre-performances conjoncturelles. Plutôt qu'un moindre intérêt pour les véhicules de nos constructeurs, il a attribué les difficultés rencontrées à une accélération de la segmentation de l'offre, particulièrement sensible sur les marchés de renouvellement. A titre d'illustration de ce phénomène, il a rappelé qu'il y a une vingtaine d'années, 20 modèles étaient proposés pour un même type de véhicule, alors qu'aujourd'hui ce chiffre est en moyenne compris entre 50 et 60.

Il a dès lors jugé nécessaire de promouvoir la diversité en produisant à la fois des modèles « tout technologie » très riches et des véhicules à bas coûts dits « low cost », qui constituent peut-être l'un des termes de l'alternative aux tout petits véhicules.

Enfin, M. Manuel Gomez a ajouté que, dans le pays qui avait vu naître l'automobile, cette industrie avait toujours montré sa capacité à s'adapter, au cours de son siècle d'existence. Aussi, en reconnaissant que la filière traversait un moment difficile, il a estimé qu'une façon de l'aider était de la montrer davantage en exemple, à l'instar de la façon dont elle est promue et considérée comme un motif de fierté nationale chez nos voisins allemands.

A ce propos, M. Gérard Cornu, rapporteur, a rappelé que le Sénat soutenait résolument l'industrie automobile française, à travers non seulement sa commission des affaires économiques, mais encore son groupe d'études sur l'automobile. Il a encouragé les constructeurs à continuer de valoriser les efforts accomplis en matière de qualité et de préservation de l'environnement.

M. Yves Krattinger a fait part de son sentiment selon lequel les difficultés des deux années écoulées étaient dues pour une part à un renouvellement rapide des gammes de véhicules.

Toutefois, tout en reconnaissant l'effet positif que devrait avoir le lancement de nouveaux véhicules, il a noté que les comportements attentistes des consommateurs qui conservent leur ancien véhicule dans l'attente du nouveau modèle expliquaient le faible dynamisme du marché.

Il a ensuite abordé la question des relations entre les constructeurs et les sous-traitants, en se demandant si la réduction globale du nombre des sous-traitants et leur intégration plus grande dans l'ingénierie générale du véhicule n'étaient pas à l'origine de problèmes rencontrés ces dernières années.

Il a demandé si la nécessité de réduire les coûts ne conduisait pas les constructeurs à s'ouvrir à de nouveaux sous-traitants, ce qui pourrait revenir, si tel était le cas, à opérer indirectement des délocalisations. Il s'est interrogé sur le point de savoir s'il s'agissait d'une réalité tangible ou simplement de rumeurs. Il a conclu en rappelant qu'au-delà de ces questions relatives à l'impact très important du secteur automobile sur l'activité économique générale, il convenait aussi de considérer de façon très sérieuse le sujet de la relation que les Français entretiennent avec ce produit si particulier que constitue l'automobile.

En réponse, M. Manuel Gomez est revenu sur la question du rythme d'accélération du renouvellement du parc automobile. Il a fait observer que le marché était beaucoup plus difficile qu'il ne l'avait été, du fait de la diversité des modèles ou encore de l'agressivité commerciale dont témoignent les offres pour les reprises de véhicules. Il a d'ailleurs noté que ces pratiques auraient dû disparaître, compte tenu de la plus grande flexibilité dans la production que l'industrie avait su atteindre, puisqu'il était désormais moins nécessaire qu'auparavant de procéder à des opérations de déstockage. Il a regretté que ces pratiques de remises ou de reprises perdurent, car elles participent d'une stratégie qui consiste à aller porter des attaques sur le terrain privilégié d'un concurrent afin de l'affaiblir, alors qu'en définitive, tout euro donné au client représente autant de perdu pour l'industrie.

S'agissant des causes d'insuccès des produits, il a estimé que le taux de fidélisation à une marque ayant diminué, la réaction des consommateurs apparaît dès lors moins prévisible et si l'innovation est un impératif, elle apparaît aussi parfois comme une prise de risque qui peut s'avérer de plus en plus pénalisante. Il a imputé en particulier ces changements à la multiplication de versions différentes, voire des modèles nouveaux en plus grand nombre et qui répondent aux attentes des clients tout en diversifiant ou en répartissant les risques. Il a fait valoir que ces méthodes permettaient de mieux répondre aux souhaits du consommateur sur un marché désormais très segmenté. Il a indiqué que ceci avait eu pour conséquence une nette accélération des cycles de renouvellement.

Répondant ensuite sur le thème des localisations et des délocalisations, il a tenu à préciser que la main-d'oeuvre représentait bien 10 % des coûts du seul constructeur, mais qu'il était essentiel de rappeler que 70 % du véhicule n'étaient pas fabriqués chez le constructeur lui-même et que, dès lors, le coût salarial demeurait un élément déterminant.

Il a estimé que le faible nombre de délocalisations ne devait pas pour autant occulter la question du niveau élevé du coût salarial, ce dernier tendant, en France, à se rapprocher du niveau allemand. Il a attribué le faible nombre de délocalisations stricto sensu à l'existence d'une forte contrainte de logistique qui affecte cette industrie, faisant valoir que l'absence d'obstacle logistique concernait des secteurs produisant des biens d'une valeur très élevée et d'un volume très faible, ce qui n'est pas le cas de la production automobile. D'ailleurs, il a même considéré que pour l'automobile la question des coûts de transport demeurait un élément stratégique.

Il a conclu en répondant à la question sur les robots. Il a fait valoir que ces derniers ne sauraient être regardés comme la panacée, même s'il est vrai que les usines étaient aujourd'hui largement mécanisées, la pression concurrentielle conduisant à rechercher les modes de production les plus compétitifs. Il a noté en outre que l'industrie automobile était parfois critiquée sur ce point par des acteurs qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.

M. Gérard Cornu, président, a alors remercié M. Manuel Gomez de la qualité des informations qu'il avait communiquées à la commission.

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