c) La diversification constitue la meilleure stratégie pour l'Union européenne en matière de sécurité des approvisionnements

Tout le monde s'accorde à constater que, en dépit de la multiplication des déclarations et des rapports, il n'existe pas aujourd'hui de véritable politique européenne de l'énergie et que l'Union européenne ne parvient pas à parler d'une seule voix vis-à-vis de ses partenaires extérieurs.

Dans ce contexte, la libéralisation du marché européen de l'électricité et du gaz, poussée par la Commission européenne, tend à tenir lieu d'unique politique, sans toujours tenir compte de la particularité de certains secteurs, comme celui du gaz. Le marché du gaz est, en effet, spécifique à plusieurs égards. A la différence du marché de l'électricité, il est principalement approvisionné de l'extérieur et, à la différence du pétrole, qui est mondial, le marché du gaz présente encore une forte dimension régionale, même si l'acheminement du gaz se fait de plus en plus sous forme liquide (grâce au procédé de liquéfaction), plutôt que par gazoduc. Il est donc souhaitable d'achever la réalisation du marché européen de l'énergie et de renforcer les interconnexions. Mais il est surtout indispensable d'assurer la sécurité d'approvisionnement et que l'Union européenne parle d'une seule voix vis-à-vis des pays fournisseurs.

Les contrats d'approvisionnement à long terme offrent une bonne illustration de l'approche parfois dogmatique de la Commission européenne et de ses effets négatifs sur les relations énergétiques Union européenne-Russie.

Pendant très longtemps, ces relations étaient en effet fondées sur des contrats à long terme (de 20 à 30 ans) d'approvisionnement en gaz naturel, conclus entre les entreprises de distribution européennes et les entreprises de production russes, avec un prix basé sur le cours du pétrole. Ces contrats répondent en effet à la fois aux intérêts des pays producteurs et à ceux des pays importateurs, dans la mesure où ils permettent d'assurer la sécurité des approvisionnements et des débouchés. En effet, ces contrats permettent de protéger la position des grandes entreprises européennes de distribution (contrats à long terme, clauses de destination), en contrepartie de conditions favorables aux exportateurs de gaz (clause de type « take or pay »). Ce sont ces contrats qui ont permis de financer le réseau actuel d'infrastructures de transport des hydrocarbures entre l'Union européenne et la Russie.

Mais l'approche retenue par la Commission européenne, en particulier par la direction générale de la concurrence, l'a conduite à vouloir remettre en cause ces contrats d'approvisionnement à long terme au nom du principe de la libre concurrence.

Or, cette attitude a été très mal perçue, tant par les grandes entreprises européennes, qu'à Moscou. En effet, du point de vue des producteurs de gaz, comme Gazprom, la remise en cause des contrats à long terme entraîne un risque pour leurs débouchés. Cela explique dans une certaine mesure la stratégie actuelle de Gazprom, qui cherche à accéder à la distribution de gaz dans l'Union européenne (notamment en Allemagne et en Italie) pour limiter les risques, stratégie que le porte-parole de Gazprom a résumé au cours de notre entretien par la formule « de l'extraction jusqu'à la cuisinière » .

Interrogé sur ce point, Claude Mandil, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, n'a rien trouvé à redire des contrats d'approvisionnement à long terme, contrairement aux critiques souvent entendues à Bruxelles. En effet, il a jugé parfaitement normal que des entreprises négocient entre elles des contrats, dès lors qu'elles agissent dans un environnement concurrentiel et sans intervention du pouvoir politique.


Un exemple de contrat d'approvisionnement à long terme :
L'accord entre Gaz de France et Gazprom

À l'image des accords conclus entre Gazprom et l'entreprise allemande E.ON Ruhrgas, en juillet 2006, ou entre Gazprom et l'entreprise italienne ENI, en novembre 2006, Gaz de France et Gazprom ont conclu, en décembre 2006, un accord portant sur le renouvellement de leurs contrats d'approvisionnement en gaz naturel.

Gazprom s'est engagé à fournir jusqu'en 2030 du gaz naturel à Gaz de France, sur la base d'un volume qui représente aujourd'hui environ 12 milliards de mètres cubes par an, pour un montant de 45 milliards d'euros, soit en moyenne 2 milliards d'euros par an. À partir de la fin 2010, Gaz de France recevra des volumes additionnels annuels de 2,5 milliards de mètres cubes, qui transiteront par le gazoduc de la Mer Baltique. En contrepartie, Gazprom pourra, à compter du 1 er juillet 2007, réaliser des fournitures directes de gaz russe à certains clients, comme les centrales électriques, pour un volume pouvant atteindre jusqu'à 1,5 milliard de mètres cubes par an.

De la même manière, comment expliquer l'insistance de la Commission européenne en faveur de la séparation patrimoniale entre les activités de production et les réseaux de transport, alors que cette mesure affaiblirait considérablement les grands opérateurs européens face à des géants comme Gazprom ? Ne serait-il pas plus judicieux d'encourager, au contraire, la constitution de champions énergétiques nationaux ou européens ?

Face à la Russie, il est indispensable que l'Union européenne parle d'une seule voix en ce qui concerne les principes de leurs relations dans le domaine énergétique. La France avait d'ailleurs proposé dans son mémorandum « Pour une relance de la politique énergétique européenne » de janvier 2006 , la désignation d'un représentant spécial, placé sous l'autorité conjointe du Haut représentant pour la PESC et du Commissaire européen chargé de l'énergie, qui serait chargé de négocier avec les pays tiers. Il est regrettable que cette proposition n'ait pas été retenue par la Commission européenne dans son plan d'action pour une politique énergétique de l'Europe, qui a été adopté par le Conseil européen en mars dernier. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il faille interdire aux entreprises de nouer des relations commerciales.

Trop souvent, la relation énergétique avec la Russie est présentée sous la forme d'une dépendance unilatérale de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie. Tel Ulysse, l'Union européenne se lie les mains et se place elle-même dans une situation de dépendance à l'égard de la Russie. Face à un pays qui privilégie les rapports de force, une telle stratégie ne peut être vouée qu'à l'échec. Or, l'Union européenne dispose d'atouts non négligeables dans ses relations avec la Russie, dont elle constitue le principal débouché. La dépendance est en effet réciproque: 75 % des recettes d'exportation du secteur énergétique russe proviennent de l'Union européenne et la totalité des gazoducs sont actuellement dirigés vers l'Europe.

De plus, l'Europe dispose d'une situation privilégiée puisqu'elle se situe à proximité de plusieurs réserves importantes de gaz naturel : Sibérie, Afrique du Nord, Mer Caspienne et région du Golfe. Face à la volonté de la Russie de trouver d'autres débouchés, notamment en Asie, et de constituer un cartel des pays producteurs, une sorte d'OPEP du gaz, l'Union européenne devrait donc chercher à renforcer ses liens avec d'autres pays producteurs (comme l'Algérie, le Qatar ou les républiques d'Asie centrale) et encourager la construction de voies alternatives, comme le gaz liquéfié (ce qui implique la construction de bateaux, de terminaux méthaniers et d'usines de liquéfaction) ou encore le projet de gazoduc Nabucco, qui permettrait de relier les ressources énergétiques de la Mer Caspienne et de l'Asie centrale, voire de l'Iran, à l'Europe centrale, et dont le tracé, à travers le territoire de la Turquie, contourne la Russie.

En définitive, comme l'a souligné Claude Mandil, directeur exécutif de l'Agence internationale de l'énergie, la diversification des sources constitue la clé de la sécurité des approvisionnements et la meilleure stratégie pour l'Union européenne .

La Russie devrait rester le principal fournisseur de gaz de l'Union européenne dans les prochaines décennies. Il serait donc souhaitable de renforcer les relations énergétiques avec la Russie, en allant vers un véritable partenariat dans ce domaine, incluant une forte participation technique et financière des acteurs de l'Union européenne aux lourds investissements nécessaires dans ce pays. Mais ce partenariat ne pourra aboutir que s'il répond aux attentes des deux parties et qu'il offre des avantages à la fois aux producteurs, aux distributeurs et aux consommateurs. À cet égard, force est de reconnaître que l'approche privilégiée jusqu'à présent par la Commission européenne n'a pas produit les résultats espérés, même si on peut constater une prise de conscience à la suite des récentes crises gazières avec la Russie.

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