c) Le patriotisme économique français et les opinions publiques étrangères

Quelle que soit la diversité des pratiques ouvertes ou discrètes du patriotisme économique étranger, la dénonciation de la position française apparaît comme un élément de convergence chez l'ensemble de nos partenaires.

Les informations recueillies par la mission tout au long de ses travaux confirment cet effet pervers de notre culture de l'affirmation. Ses conséquences, pour être diffuses, n'en sont pas moins sensibles sur l'image et sur la crédibilité de notre pays. On retiendra trois illustrations de cette situation.

Ainsi la notion de patriotisme économique à la française suscite-t-elle en Allemagne des réactions la plupart du temps négatives. Les Allemands ont eu à plusieurs reprises, semblerait-il, le sentiment de se sentir floués lors de négociations, l'interventionnisme de l'Etat ayant, selon eux, souvent conduit à une transaction déséquilibrée au profit de la France. Les exemples les plus marquants en Allemagne restent le cas du refus du rachat d'Alstom par Siemens, puis l'appui des autorités pour favoriser le rachat du franco-allemand Aventis par le français Sanofi-Synthélabo.

Le sentiment est le même en Belgique : le débat sur le patriotisme économique a suscité des réactions plutôt critiques en Belgique, la France étant parfois accusée de pratiquer un « patriotisme à sens unique » en refusant de voir ses entreprises contrôlées par l'étranger alors que celles-ci ont acheté de nombreuses entreprises belges. La France est en effet l'un des principaux investisseurs en Belgique (le troisième derrière le Luxembourg et les Pays-Bas d'après les chiffres de la banque Nationale de Belgique).

Les Etats-Unis ne sont pas en reste. Le débat qui s'est déroulé en France y a été reçu avec méfiance, surtout dans les milieux économiques, qui ont voient la France comme le pays qui à la fois possède dix entreprises parmi les cinquante plus importantes d'Europe, et éprouve des difficultés économiques internes, dans une atmosphère générale d'hostilité à la mondialisation.

On notera toutefois que la culture américaine ne semble pas exempte de tout soupçon de schizophrénie en la matière : le débat sur la nationalité de l'entreprise s'est récemment concentré aux Etats-Unis sur quelques cas révélateurs. A chaque fois, le schéma a été identique : les autorités économiques et gouvernementales ne voient aucune objection à l'opération en cours (offre de rachat, installation, OPA...), mais le Congrès, au motif d'une menace sur la sécurité du pays, se saisit du sujet et lance un débat national.

Dans les deux cas mentionnés ci-dessus, la tentative de rachat d'Unocal par CNOOC et la perspective d'une prise de contrôle de six ports américains par Dubaï Ports World, la question de la sécurité a été au coeur des débats politiques alors même que sa pertinence n'était pas évidente. Dès lors qu'il s'agit de secteurs sensibles ou liés à des thèmes politiques sensibles, en l'occurrence la sécurité énergétique et le terrorisme, la raison politique apparaît en fin de compte plus forte que la raison économique, et mobilise une forme de nationalisme populaire qui se focalise sur la nationalité des entreprises.

Ce rapide survol témoigne de l'importance des questions d'image . Au niveau du pouvoir exécutif, le patriotisme économique peut se pratiquer mais de la façon la plus discrète possible sans affichage intempestif. En revanche, le drapeau du patriotisme peut être repris par le pouvoir législatif et même revendiqué par lui mais, là encore, dans certaines limites, en soulignant bien qu'il s'agit de la manifestation d'une ardente obligation, d'une noble ambition qu'il ne saurait être question de réduire à un interventionnisme omniprésent ou, pis encore, à un protectionnisme aussi inefficace que dangereux pour l'économie française dans son ensemble.

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