b) Les grands groupes : des « poules aux oeufs d'or », mais pour combien de temps ?

Critiquer le fait que la situation de l'économie française repose sur quelques grands groupes n'est pas nouveau, comme en témoigne le débat déjà vif dans les années 1970 sur l'étroitesse de notre « base exportatrice » 224 ( * ) . Toutefois, un risque nouveau se fait jour, celui de voir ces grands groupes distendre leurs liens avec la France voire basculer pour se rattacher à d'autres économies à la suite d'une opération en capital.

Lors de son audition par la mission d'information le 18 octobre 2006, M. Nicolas Veron, du centre d'études Bruegel ( Brussels European and Global Economic Laboratory ), a ainsi considéré que « le caractère de plus en plus ténu du lien entre ces grandes entreprises et leur communauté nationale devrait pousser à une plus grande mobilité des sièges sociaux et, de façon concomitante, à une plus grande concurrence réglementaire, au moins à l'intérieur de l'espace communautaire. Cette concurrence peut s'appliquer à des éléments fiscaux ou relatifs au droit des sociétés , au gouvernement d'entreprise, au droit boursier, à la représentation du personnel. Aujourd'hui, même si nous avons encore vu relativement peu de déménagements de société, toutes les conditions sont réunies pour que ce phénomène de mobilité des sièges sociaux, à l'intérieur de l'espace européen, devienne massif dans les années à venir. »

Ceci n'a aujourd'hui plus rien d'hypothétique : le développement de nos grands groupes s'étant essentiellement fait à l'international, « offshore », ces derniers sont devenus de plus en plus globaux, et donc de moins en moins strictement français, ce qui pourrait faciliter leur acquisition par d'autres groupes mondialisés.

En effet, à l'heure de la libéralisation des mouvements de capitaux et de la globalisation des entreprises, la plupart des groupes peuvent faire l'objet d'opérations d'acquisition, quels que soient leur taille et leurs résultats, comme en témoigne le rachat de Péchiney par Alcan ou d'Arcelor par Mittal.

Les pouvoirs publics eux-mêmes alimentent le risque de voir le lien entre ces groupes et la France se relâcher davantage, du fait qu'ils les contraignent parfois plus qu'ils ne les encouragent. Tel est ainsi le cas lorsqu'ils mettent au banc des accusés celles de ces entreprises décidant d'arrêter une activité dans l'hexagone. Le débat porte alors sur le point de savoir s'il est normal que des groupes réalisant des profits importants procèdent à des licenciements.

En fait, il convient de ne pas oublier que c'est précisément en se développant hors de France que nos groupes ont pu devenir des firmes mondiales profitables. Sur ce point, M. Jean-Cyril Spinetta, président d'Air France-KLM, n'hésite pas à parler d'une véritable incompréhension entre les pouvoirs publics nationaux et les principaux groupes d'origine française.

Il convient dès lors de veiller à ce que ce fossé ne se creuse pas, car il pourrait inciter les décideurs de ces groupes à s'éloigner de la France. On pourrait par exemple assister à un déplacement du centre de décision principal d'un groupe qui interviendrait en-dehors de toute prise de contrôle étrangère.

Si un tel événement se produisait pour quelques uns des fleurons de l'économie nationale, il serait de nature à remettre en cause directement le financement de notre système de solidarité puisque les entreprises sont les principaux contribuables français, le premier d'entre eux étant Sanofi-Aventis.

Le risque est d'ailleurs d'autant plus grand que la France a aujourd'hui une faible capacité à compenser la perte éventuelle d'un de ses champions.

* 224 C'est-à-dire sur le faible nombre d'entreprises compétitives de notre pays.

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