d) Les difficultés méthodologiques de l'appréciation de la compétition fiscale

Le débat sur la concurrence fiscale en Europe conduit logiquement à souligner les risques de ce jeu non coopératif : un alignement de l'IS vers le bas ne peut tenir lieu de politique communautaire d'harmonisation fiscale et tend à réduire excessivement les moyens d'action de l'Etat et de financement des services publics.

La portée des comparaisons internationales en matière de fiscalité doit néanmoins être relativisée , car elles présentent de nombreuses difficultés pratiques, se heurtent à la variété des modes de financement des investissements, et n'appréhendent pas, en général, la totalité des prélèvements effectifs pesant sur les entreprises. Il n'existe ainsi aucune base de données réellement satisfaisante, de telle sorte que le débat tend à se focaliser sur le taux nominal de l'IS. On peut ainsi mentionner les limites suivantes :

- l'assiette de l'IS, et donc la pression fiscale effective, est très différenciée compte tenu des spécificités nationales (périmètre des charges déductibles, provisions, amortissements, reports, régimes de groupe...). Ces divergences d'assiette entre Etats membres conduisent à distinguer différents niveaux et critères d'analyse (taux apparent, marginal ou moyen, effectif, implicite...), les plus pertinents en théorie étant aussi les plus complexes, ce qui introduit de nouvelles contraintes méthodologiques 258 ( * ) . Il existe en outre de fortes disparités sectorielles ;

- l'IS n'est qu'un des impôts pesant sur les bénéfices, une large part des entreprises relevant des différentes catégories de l'impôt sur le revenu 259 ( * ) dans un régime de transparence fiscale ;

- l'imposition des entreprises ne se réduit pas à la taxation des bénéfices . Elle inclut également les cotisations sociales obligatoires, l'imposition du chiffre d'affaires (TVA restant à la charge des entreprises), l'imposition du capital (impôts directs locaux, dont la taxe professionnelle, droits d'enregistrement), et des impositions spécifiques, qui en France sont très nombreuses 260 ( * ) et prélevées au profit de l'Etat, des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. Outre leur poids global, elles induisent un coût de gestion non négligeable pour les entreprises.

L'évolution depuis dix ans du taux global de prélèvement obligatoire sur les entreprises (TPOE, cf. infra ), calculé par l'OCDE, illustre ainsi que la pression fiscale globale sur les entreprises de la zone euro a en réalité augmenté entre 1995 et 2000 avant de connaître une légère décrue 261 ( * ) , et connaît donc une trajectoire différente de la baisse de l'IS.

En dépit des réserves méthodologiques, et que cette compétition fiscale soit stimulante ou « suicidaire », la France ne peut cependant ignorer ses conséquences sur les arbitrages des entreprises et l'implantation des centres de décision. Les firmes multinationales disposent en effet d'une marge considérable pour choisir le territoire où elles déclareront leurs profits et paieront l'essentiel de leurs impôts. En concentrant leurs coûts déductibles dans les pays fortement taxés et leurs revenus imposables dans les pays à faible pression fiscale, elles ont les moyens de réaliser des économies significatives sur leur facture fiscale mondiale.

La fiscalité ne constitue certes pas le critère primordial de localisation des quartiers généraux et centres de décision. L'accès au marché, la position géographique, les infrastructures, la qualité et la disponibilité de la main-d'oeuvre, l'environnement juridique et réglementaire sont généralement considérés comme des facteurs essentiels. L'analyse du coût fiscal et social peut néanmoins faire la différence après qu'a été fixée la « short list » des implantations potentielles .

* 258 L'approche du taux effectif d'imposition , telle qu'elle a été mise en oeuvre par la Commission européenne selon la méthode de MM. Devereux et Griffith, se caractérise par la simulation d'un investissement pour déterminer la différence entre le coût du capital avant taxation et le taux de retour requis après taxation. Elle repose sur des hypothèses nécessairement simplificatrices et ne peut pleinement s'extraire du postulat de « l'entreprise moyenne ».

* 259 Essentiellement les entreprises individuelles et les sociétés de personnes n'ayant pas opté pour l'IS.

* 260 On peut ainsi mentionner, parmi les principales, la taxe sur les salaires, la taxe sur les véhicules de société, la taxe générale sur les activités polluantes ou la contribution sociale de solidarité sur les sociétés et sa contribution additionnelle, introduite en 2005.

* 261 Le TPOE moyen de la zone euro sur les quinze dernières années a culminé en 2000 , et son augmentation est particulièrement concentrée sur les années 1995-1997. Il s'établissait ainsi à 12,5 % en 1992 ; 12,1 % en 1995, 13,1 % en 1998 ; 13,4 % en 2000 ; puis 13,1 % en moyenne sur la période 2001-2005.

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