SECONDE PARTIE : L'ARCEP FACE AUX DÉFIS DE DEMAIN

Le bilan globalement positif qui vient d'être dressé de l'action de l'ARCEP au long de ses dix premières années ne doit pas empêcher de réfléchir à l'avenir de l'Autorité : la régulation d'un secteur soumis à des évolutions technologiques si rapides que celui des communications électroniques doit s'ajuster en permanence à ces évolutions, susceptibles de bousculer l'architecture institutionnelle en place.

De fait, plusieurs questions d'avenir se posent à l'ARCEP après dix ans d'existence.

La première concerne sa pérennité : le régulateur sectoriel est effectivement confronté à un paradoxe, dans la mesure où son succès en matière d'ouverture à la concurrence amène à se poser la question de sa disparition au profit du droit commun de la concurrence.

La seconde concerne son rapprochement voire sa fusion avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel , la convergence numérique entrecroisant toujours plus les problématiques de régulation des réseaux et des contenus.

Enfin, une troisième interrogation se pose : celle de la dimension européenne de la régulation . L'ouverture à la concurrence menée par chacun des Etats membres de l'Union concourt à créer un marché unique des communications électroniques, que Bruxelles propose de réguler de manière plus centralisée, ce qui soulève la question de l'avenir des autorités de régulation nationales dans un tel schéma.

I. FAUT-IL SUPPRIMER L'ARCEP ? L'AVENIR DE LA RÉGULATION SECTORIELLE

A. UN EFFACEMENT EN DOUCEUR DE LA RÉGULATION EX ANTE

1. Une répartition des rôles aujourd'hui harmonieuse entre l'ARCEP et le Conseil de la Concurrence

Comme cela a été expliqué dans la première partie de ce rapport, la création d'un régulateur sectoriel en 1997 est apparue comme un outil plus adapté pour l'ouverture à la concurrence du secteur des communications électroniques que sa seule soumission aux règles du droit commun de la concurrence. La création de l'ART ne signifiait pas pour autant que le Conseil de la concurrence perdait tout droit de regard sur le secteur des communications électroniques. En effet, l'existence d'une régulation spécifique ne place pas le secteur en dehors du champ d'application des dispositions du livre IV du code de commerce.

C'est donc à une double régulation concurrentielle que le secteur s'est trouvé soumis depuis dix ans . France Télécom, par la voix de M. Jacques Champeaux, directeur exécutif chargé des affaires réglementaires, entendu par votre rapporteur, a regretté que cette superposition puisse être génératrice d'incertitude juridique pour l'opérateur historique : ainsi, la régulation des offres de gros par l'Autorité n'a pas empêché des concurrents de saisir le Conseil de la Concurrence pour sanctionner France Télécom. Il a fait observer qu'en cela, la France se distinguait du Royaume-Uni, où l'Ofcom cumule les deux compétences de régulation concurrentielle a priori et a posteriori , et de l'Allemagne, où l'Autorité de la concurrence se refuse à intervenir sur un secteur régulé. La logique de l'organisation institutionnelle française est de confier à la régulation ex ante le soin de fixer des règles censées éviter des pratiques anti-concurrentielles qui, si elles surviennent, sont sanctionnées ex post par le Conseil de la Concurrence 72 ( * ) . L'Autorité doit d'ailleurs saisir le Conseil lorsqu'elle observe des faits relevant de la compétence de ce dernier 73 ( * ) . Quant au conseil de la Concurrence, il doit recueillir l'avis de l'Autorité lorsqu'il est saisi d'une affaire relevant du secteur des télécommunications 74 ( * ) .

Progressivement, le mode d'action de l'ART a évolué dans le sens d'une utilisation des outils du droit commun de la concurrence. La loi du 9 juillet 2004 a marqué une étape importante en ce sens : le régulateur doit désormais appliquer les principes issus du droit de la concurrence en termes de définition du marché pertinent et d'examen de la puissance des différents acteurs . Ce processus d'analyse de marchés est certes plus complexe que le précédent mais il est plus flexible et a le mérite d'adapter le régime de régulation à chaque situation concurrentielle du marché analysé, l'objectif étant, à terme, de substituer à la régulation sectorielle a priori une régulation a posteriori par le droit de la concurrence, dès lors qu'un marché devient concurrentiel.

L'identification des marchés de produits et de services de communications électroniques sur lesquels une réglementation ex ante peut se justifier est opérée sur le fondement de trois critères, conformément à la recommandation de la Commission européenne du 11 février 2003 relative aux marchés « pertinents » :

- le premier critère réside dans la présence de barrières élevées et non provisoires à l'entrée, qu'elles soient de nature structurelle, légale ou réglementaire ;

- le deuxième critère consiste à ne retenir que les marchés dont la structure ne présage pas d'évolution vers une situation de concurrence effective ;

- enfin, le troisième critère réside dans l'incapacité du droit de la concurrence à remédier, à lui seul, aux défaillances concernées du marché.

Ce nouveau processus repose donc sur la complémentarité entre le régulateur sectoriel et le régulateur de droit commun, ce qui contribue à leur rapprochement. Cette collaboration entre l'Autorité et le Conseil de la Concurrence est formalisée par l'article L. 37-1 du code des postes et des communications électroniques, qui impose à l'Autorité de consulter le Conseil de la concurrence 75 ( * ) pour la définition des marchés pertinents et la désignation des opérateurs puissants. Le Conseil de la concurrence a effectivement rendu un avis public sur chaque analyse de marché établie par l'ARCEP 76 ( * ) . A ce titre, il convient de rappeler, comme le souligne l'article 15.1 de la directive cadre de 2002, que les marchés définis au titre de la régulation ex ante sont sans préjudice de ceux que le Conseil de la Concurrence peut être amené à définir dans le cadre d'affaires contentieuses, sur la base de conditions de marché qu'il aurait alors réellement constatées.

Aux dires des présidents respectifs de l'ARCEP et du Conseil de la Concurrence, MM. Paul Champsaur et Bruno Lasserre, la complémentarité entre les deux autorités fonctionne bien.

Effectivement, votre commission estime que le Conseil de la Concurrence peut légitimement revendiquer sa part de responsabilité dans le succès de l'ouverture à la concurrence du secteur . En matière de haut débit, les mesures conservatoires auxquelles France Télécom déplore d'avoir été condamné par le Conseil sur le marché de gros ont assurément renforcé l'efficacité des décisions prises par l'Autorité. En matière de téléphonie mobile, l'amende historique infligée par le Conseil aux trois opérateurs accusés de négocier ensemble leurs parts de marché a sans doute permis de ranimer la concurrence par les prix 77 ( * ) .

Il reste que le risque de conflits entre le droit de la concurrence et le droit de la régulation n'est pas à exclure, notamment quand une même affaire peut être portée par les opérateurs en litige, soit devant l'autorité de régulation au titre du règlement des différends, soit devant le Conseil de la concurrence au titre de l'abus de position dominante. L'arbitrage entre ces deux droits se fait par le juge judiciaire, la Cour d'appel de Paris étant le juge d'appel des décisions prises par l'ARCEP en matière de règlement des litiges.

On notera que, dans la pratique, les opérateurs saisissent en règle générale l'ARCEP. Ceci s'explique à la fois par l'obligation de célérité qui s'impose au régulateur dans le traitement des différends et par l'expertise du régulateur qui lui permet d'appréhender avec justesse des litiges souvent complexes techniquement ou économiquement.

Il reste que, eu égard aux possibles difficultés qu'une double régulation est susceptible d'engendrer et au risque de morcellement du droit de la concurrence, votre commission considère que le bien-fondé de l'autorité de régulation sectorielle mérite d'être réexaminé. Les raisons qui ont motivé sa création sont-elles encore valables ou doit-on envisager de mener jusqu'à son terme le démantèlement progressif des instruments spécifiques de la régulation sectorielle au profit d'une régulation transversale par le droit et l'autorité de concurrence ?

* 72 Ces notions sont présentées dans la première partie I-A-3.

* 73 Article L. 36-10 du code des postes et des communications électroniques.

* 74 Id.

* 75 Et le cas échéant du CSA.

* 76 Le premier d'entre eux, l'avis n° 04-A-17, a été rendu le 14 octobre 2004 et porte sur le marché des terminaisons d'appel.

* 77 On peut citer l'offre Neo de Bouygues Telecom.

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