b) Des missions négligées : protection des consommateurs et sécurité des réseaux ?

Au-delà des cinq missions fondamentales qu'elle a reçues à sa création, passées en revue plus haut, l'ARCEP s'est vu assigner des objectifs complémentaires par l'article 3 de la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004. Notamment, elle a reçu mission de veiller à « un niveau élevé de protection des consommateurs, grâce notamment à la fourniture d'informations claires, notamment par la transparence des tarifs et des conditions d'utilisation des services de communications électroniques accessibles au public », et à « l'intégrité et à la sécurité des réseaux de communications électroniques ouverts au public. » Or, sur ces deux points, il semble que l'ARCEP ne se soit pas suffisamment intéressée à ces objectifs.

D'une part, les consommateurs , qui ont certes bénéficié de la diversification de services et de la baisse des prix, souffrent incontestablement, à la fois d'un défaut de qualité des offres d'Internet à haut débit et du manque de fluidité du marché de la téléphonie mobile.

Le développement rapide du parc d'abonnés à l'Internet haut débit a provoqué l'apparition tout aussi spectaculaire du nombre de plaintes , les opérateurs apparaissant quelque peu dépassés par leur succès. Ainsi, en 2006, la Direction générale de la consommation, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enregistré au total 17.322 plaintes concernant Internet, soit 17,4 % de plus qu'en 2005.

De nombreux contrats des fournisseurs d'accès contiennent des clauses abusives (clauses limitant les motifs de résiliation, clauses d'exonération de responsabilité de l'opérateur en cas de dysfonctionnement, clauses imposant des durées minimales d'abonnement...). En outre, la qualité de service est parfois défaillante : la technologie ADSL n'est pas parfaitement fiable et ne tient pas toujours les promesses des opérateurs, le débit auquel elle donne accès diminuant quand s'accroît la distance entre l'abonné et le répartiteur téléphonique. Quant au service après-vente, à commencer par l'installation, il est notoirement insuffisant chez la plupart des fournisseurs d'accès. Enfin, de nombreux cas de ventes forcées ou d'écrasement de lignes sont à déplorer, comme le montre l'exemple suivant.

Votre commission elle-même a été saisie du cas d'un chef d'entreprise qui avait fait l'objet d'une forme de « dégroupage sauvage » ou « slamming », son abonnement ayant été abusivement transféré vers un opérateur alternatif sans qu'il l'ait voulu. Son entreprise s'était ainsi vue privée de ligne durant trois mois. Il déplorait notamment que l'opérateur historique, avant de la dégrouper, n'ait pas vérifié que l'utilisateur de la cette ligne téléphonique avait bien demandé un tel dégroupage. Votre commission, tout en expliquant à ce chef d'entreprise que l'opérateur historique n'est pas autorisé à revenir vers ses abonnés ayant opté pour le dégroupage (afin de ne pas être tenté de les reconquérir -« win-back »-), a fait observer à l'ARCEP la gravité des dommages que de telles pratiques pouvaient causer d'abord aux clients, surtout chefs d'entreprise, mais également à l'opérateur historique, à qui de telles pratiques font aussi du tort.

Cet exemple emblématique préoccupe votre commission : l'ouverture à la concurrence n'a en effet de sens que si elle contribue à améliorer non seulement les offres tarifaires mais aussi la qualité de l'offre de services pour l'ensemble des acteurs économiques , à commencer par les très petites entreprises. La régulation doit concerner autant les prix que la qualité de service des offres Internet haut débit.

Le défaut de fluidité sur le marché de la téléphonie mobile , pour sa part, a fait l'objet d'une analyse poussée par M. Philippe Nasse, dans un rapport sur les « coûts de sortie » , notamment sur ce marché 71 ( * ) , rapport auquel s'est référé M. Julien Dourgnon, directeur des études et de la communication d'UFC- Que choisir ?, lors de son audition par votre rapporteur. Les coûts de sortie, définis comme les coûts monétaires mais aussi les difficultés de toute nature qu'un consommateur rencontre quand il veut changer d'opérateur, sont nombreux en matière de téléphonie et d'Internet mais leur valeur estimée est particulièrement élevée sur le marché de la téléphonie mobile.

Le premier de ces coûts de sortie -ou « switching costs »- tient au difficile fonctionnement de la portabilité du numéro mobile, qui se définit comme la possibilité pour tout abonné de changer d'opérateur tout en conservant son numéro de téléphone mobile : si cette portabilité existe depuis le 30 juin 2003, son processus fonctionnait techniquement mais ne répondait pas, jusqu'à présent, aux attentes des clients en termes de simplicité, de souplesse et de rapidité. Or la portabilité des numéros est un élément déterminant du jeu concurrentiel sur le marché mobile français, arrivé à maturité. C'est pourquoi, sous la houlette de l'Autorité, un nouveau processus vient enfin d'être élaboré et est entré en fonctionnement le 21 mai 2007, promettant la réalisation de la portabilité du numéro en dix jours maximum. Dans ce nouveau contexte, la fluidité du marché pourrait s'améliorer, d'autant que les opérateurs ont finalement réduit à dix jours le délai de résiliation, qui était auparavant compris d'un à deux mois selon l'opérateur et le type de clientèle.

Mais d'autres coûts de sortie demeurent, particulièrement sur le segment du post-payé (clients ayant souscrit des forfaits). Il en est ainsi des durées d'engagement , 12 ou 24 mois, qui peuvent parfois représenter des barrières à la sortie artificiellement élevées au regard de leur justification économique, qui est de constituer une contrepartie à la subvention accordée par l'opérateur pour l'acquisition du terminal par le client.

Surtout, la vente liée d'un terminal subventionné dégrade la clarté de l'offre tarifaire : de ce point de vue, le consommateur encourt des coûts de sortie relatifs à l'acquisition de l'information pertinente pour faire jouer la concurrence. En effet, outre qu'ils sont très nombreux, les tarifs des opérateurs sont difficilement comparables. L'une des propositions du rapport Nasse consiste précisément en la suggestion d'une version « nue » de chaque offre de services de téléphonie mobile, qui serait une version sans engagement et sans subvention du terminal, de façon à ce que le client bénéficie d'une plus grande transparence tarifaire et puisse opter pour une offre « nue » le laissant libre ou pour une offre avec subvention du terminal associée à une durée d'engagement.

L'action du régulateur pourrait donc se développer en ce domaine pour améliorer la protection et, plus précisément, l'information du consommateur, laquelle est indispensable pour permettre à la concurrence de jouer véritablement, sans pour autant créer un droit de la consommation spécifique pour les communications électroniques.

D'autre part, l'ARCEP s'est peu impliquée en matière de sécurité des réseaux . Cette mission de régulation qu'à ce titre, elle partage, il est vrai, avec le ministre chargé des communications électroniques, est extrêmement importante, aussi bien pour assurer la défense et la sécurité publique, que pour sécuriser l'ensemble des utilisateurs de réseaux. L'importance croissante des communications électroniques dans l'économie et la société rend le bon fonctionnement du système de plus en plus tributaire de la fiabilité des réseaux. Or, lors de son audition par votre rapporteur, M. Emmanuel Gabla, chef du service des Technologies et de la société de l'information (STSI) à la Direction générale des entreprises (DGE) du Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, a constaté que l'ARCEP considère généralement ces questions comme relevant du seul Gouvernement.

Il faut du moins constater que, en matière de défense et de sécurité publique, une organisation des services de l'Etat s'est progressivement mise en place : le Commissariat aux télécommunications de défense (CTD) est placé auprès du Haut fonctionnaire de défense du ministère chargé des télécommunications et joue le rôle d'interface avec les opérateurs. Le dispositif semble aujourd'hui à peu près fonctionner et, selon M. Emmanuel Gabla, les ministères impliqués dans le dossier (défense, intérieur, justice) seraient probablement réservés sur un rôle accru de l'ARCEP.

En revanche, la question, plus nouvelle, de l'intégrité des réseaux, semble moins clairement traitée. Des travaux sont en cours dans le cadre du conseil national de sécurité civile et de la préparation des directives nationales de sécurité, notamment afin d'éviter des dysfonctionnements de réseaux en cas de catastrophe naturelle comparables à ceux qu'ont connu les Etats-Unis lors de l'ouragan Katrina en août 2005 et de prévoir des alternatives. Mais il semble légitime que l'ARCEP s'implique plus dans ces questions qui concernent le bon fonctionnement du secteur, d'autant que la sécurité a un coût qui doit être pris en compte par la régulation.

Sans doute peut-on, au moins en partie, expliquer la moindre efficacité de l'ARCEP sur ces questions -protection des consommateurs et sécurité des réseaux- par le fait qu'elle a prioritairement porté ses efforts sur l'ouverture à la concurrence et que, d'ailleurs, ces missions ne lui ont été confiées qu'en 2004. Il convient toutefois que l'ARCEP s'investisse de manière volontariste sur ces missions pour mieux s'en acquitter.

* 71 Rapport rendu en septembre 2005, suite à une mission confiée par M. le Ministre de l'industrie.

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