2. Un succès à nuancer par quelques bémols

Le tableau globalement positif qui vient d'être dressé mérite toutefois d'être nuancé, pour deux raisons essentielles. D'abord, certaines décisions de régulation ont pu paraître contestables, peut-être en raison de leur caractère un peu théorique. Ensuite, certaines missions de régulation ont pu être négligées par l'Autorité.

a) Une régulation parfois trop théorique ?

Dans l'accomplissement des missions qu'elle assume, l'ARCEP manifeste une grande rigueur, fondée sur un socle théorique solide. Ce zèle peut la conduire à mener une action qui peut apparaître excessivement intrusive. L'on peut ainsi légitimement s'interroger sur le caractère proportionné de certaines décisions de régulation.

Notamment, lors de leur audition par votre rapporteur, nombre d'opérateurs ont ainsi déploré la complexité et la quantité d'informations et de statistiques que l'ARCEP leur demandait de fournir. Ils ont également considéré que ces demandes étaient souvent insuffisamment motivées et que leur utilité ou leur finalité n'apparaissait pas toujours évidente. Sans ignorer la nécessité pour l'Autorité d'assurer un suivi précis des marchés et des opérateurs afin d'élaborer ses analyses de marché, ils considèrent que cette nécessité est parfois abusivement invoquée pour la collecte d'informations de plus en plus fines et nombreuses. Votre commission rappelle pourtant que la loi fixe une exigence de proportionnalité et de motivation dans l'exercice, par l'ARCEP, de son pouvoir de savoir, afin qu'elle ne requière des opérateurs que les éléments les plus pertinents pour une régulation efficace 68 ( * ) . Sans doute le régulateur pourrait-il veiller à motiver plus finement les demandes d'information qu'il adresse aux opérateurs, en se limitant strictement aux seules informations nécessaires.

Dans le même ordre d'idées, l'on peut aussi s'interroger sur le bien-fondé de certaines décisions de régulation : ainsi, le bilan de l'ouverture à la concurrence des services de renseignements est pour le moment décevant. Si c'est le Conseil d'Etat qui est intervenu de manière déterminante par le biais de son arrêt de juin 2004 confiant à l'ART le soin de « fixer les règles d'attribution des ressources en numérotation de manière à n'entraîner aucune rupture d'égalité entre les opérateurs de télécommunications », c'est l'ARCEP qui a contribué à cette décision et qui a engagé le 2 novembre 2005 le remplacement du 12 par de nouveaux numéros d'accès aux services de renseignements sur un format unique à six chiffres commençant par 118. La suppression des anciens numéros 69 ( * ) a eu lieu le 3 avril 2006, après de coûteuses campagnes de communication, mais elle s'est traduite par une désorientation des consommateurs et une forte baisse du nombre d'appels émis vers les services de renseignements. Ainsi, ce marché a connu en 2006 une baisse de 27 % des revenus, qui, comme l'observe l'ARCEP, s'explique, pour partie seulement, par la concurrence de l'accès gratuit aux annuaires en ligne. En outre, même si elle a occasionné une diversification des services (renseignements internationaux, annuaire inversé...), l'arrivée des numéros en 118XYZ a globalement entraîné une hausse des prix par rapport aux anciens numéros ainsi qu'un manque de lisibilité. L'ouverture à la concurrence du marché des renseignements a donc produit des résultats mitigés, qui amènent votre rapporteur à se demander si, en la matière, la régulation n'a pas été trop dogmatique...

Enfin, les décisions de régulation ne sont pas toujours prises sur le fondement d'une étude d'impact ou d'un bilan de celles qui les ont précédées. Ainsi, l'association française des opérateurs mobiles (AFOM) s'est interrogée, lors de son audition par votre rapporteur, sur l'opportunité de la décision prise par l'ARCEP d'organiser une nouvelle baisse du prix des terminaisons d'appel sur les réseaux mobiles, après la baisse de 50 % déjà opérée en trois ans (2004-2007), d'autant que, selon l'association, les prix français de gros sur les terminaisons d'appels mobiles sont parmi les plus bas d'Europe. Une telle baisse participe assurément d'un mouvement pluriannuel initié par l'ARCEP, comme évoqué plus haut, pour atténuer la surfacturation des appels fixe vers mobile, qui a contribué au financement, à leur début, du déploiement des réseaux mobiles.

En effet, la structuration historique de la terminaison d'appel vocal, issue d'une pratique de financement des réseaux mobiles par les appels fixe vers mobile, a eu pour conséquence principale que les prix de terminaison d'appel vocal mobile sont supérieurs à ceux de la terminaison d'appel vocal fixe. Ces prix de gros élevés se traduisent, sur le marché de détail, par des tarifs élevés des communications fixe vers mobile, qui créent le risque d'une distorsion des choix du consommateur et in fine des transferts de valeur entre les consommateurs fixes et mobiles.

Or la baisse des prix de gros sur le marché de la terminaison d'appel n'a peut-être pas produit l'effet escompté par le régulateur : ainsi, les chiffres fournis par l'opérateur SFR à votre rapporteur laissent apparaître que les opérateurs du fixe ne répercutent pas nécessairement ni entièrement, dans leurs prix de détail pour les appels vers le réseau mobile de SFR, la baisse du prix des terminaisons d'appels mobiles. A la lecture de ces chiffres, on constate effectivement qu'en 2007, les tarifs de détail des opérateurs du fixe sont quasiment identiques à ceux de 2006, alors même que le prix facturé par SFR aux opérateurs du fixe a diminué de plus de 20 % 70 ( * ) .

Cet exemple manifeste que le lien entre la régulation du marché de gros et le marché de détail n'est pas toujours celui théoriquement prévisible. Ceci plaide donc pour une validation systématique des résultats d'une décision de régulation avant sa reconduction ou, plus encore, son renforcement. Plus généralement, c'est à une évaluation concrète et continue de son action que se trouve ainsi appelé le régulateur .

* 68 Article L. 32-4 du code des postes et des communications électroniques : « Le ministre chargé des communications électroniques et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peuvent, de manière proportionnée aux besoins liés à l'accomplissement de leurs missions , et sur la base d'une décision motivée :

1° Recueillir auprès des personnes physiques ou morales exploitant des réseaux de communications électroniques ou fournissant des services de communications électroniques les informations ou documents nécessaires pour s'assurer du respect par ces personnes des principes définis aux articles L. 32-1 et L. 32-3, ainsi que des obligations qui leur sont imposées par le présent code ou par les textes pris pour son application ;

2° Procéder auprès des mêmes personnes à des enquêtes. »

* 69 Le 12 de France Télécom, mais aussi les 3.912 de l'Annuaire Universel, 3.200 de Scoot et 3.211 d'IntraCallCenter sur le réseau fixe, et les 612 de Bouygues Telecom, 222 de SFR et 712 d'Orange sur les réseaux mobiles.

* 70 Dans une interview accordée à l'hebdomadaire Challenges (n°80, 17 mai 2007), M. JB. Lévy, président du directoire de Vivendi, plaide d'ailleurs pour une régulation moins stricte, qui permette au secteur de créer des emplois.

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