b) La nécessité d'un large débat sur les usages du dividende numérique

La libération de fréquences qu'occasionnera le basculement vers la diffusion numérique constitue une opportunité exceptionnelle pour un réexamen, sinon de la cartographie entière du spectre hertzien, au moins de l'utilisation de ces bandes de fréquences libérées. La loi du 5 mars 2007 impose précisément ce réexamen en ce qu'elle prévoit l'élaboration, par le Premier Ministre, d'un « schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique ».

Ce schéma sera déterminant pour la France, en raison de son enjeu économique mais aussi culturel et, plus généralement, social.

Votre commission appelle à ce qu'un très large débat accompagne l'élaboration de ce schéma. La loi du 5 mars 2007 lui a déjà assigné quelques grands objectifs : favoriser la diversification de l'offre de services, améliorer sur le territoire la couverture numérique et l'égalité d'accès aux réseaux de communications électroniques et développer l'efficacité des liaisons hertziennes des services publics et la gestion optimale du domaine public hertzien.

Il faut désormais entrer dans le coeur du débat en lançant au plus tôt une consultation très large afin que s'expriment les besoins des divers acteurs (privés ou publics) en matière de dividende et qu'émergent les possibles usages différents de ces fréquences. Ce débat devrait enfin être nourri par la conduite systématique d'études d'impact , afin de mesurer les conséquences des diverses options envisageables.

En dehors des besoins des autorités chargées de la défense et de la sécurité civile, on peut en effet imaginer cinq grands types d'usage du dividende numérique :

- les services interactifs , tels que le sous-titrage, notamment à destination des sourds et des malentendants, dont le développement, nettement moins avancé en France que dans de nombreux autres pays, permettrait d'enrichir l'offre télévisuelle existante ;

- la création de nouvelles chaînes numériques hertziennes : des éditeurs, notamment parmi ceux qui n'ont pas été retenus pour constituer l'offre télévisuelle -gratuite ou payante- de la TNT, pourraient espérer le lancement de nouvelles chaînes en TNT , venant s'ajouter aux presque trente chaînes déjà autorisées (18 gratuites 107 ( * ) et 11 payantes 108 ( * ) ). Les chaînes locales autorisées en analogique pourraient aussi légitimement prétendre à être reprises en mode numérique ;

- l'extension de la télévision en haute définition , même si son coût pour les producteurs comme pour les terminaux peut freiner son développement. Il pourrait s'agir soit d'une extension territoriale de la couverture des trois chaînes qui seront très prochainement autorisées à diffuser en HD, soit du lancement de nouvelles autorisations de diffusion en HD au-delà des trois prévues, pouvant aller à la généralisation de la HD comme format de diffusion pour toute la TNT. Or la HD occupe trois fois plus de spectre que la définition standard spectrale 109 ( * ) . Sa généralisation consommerait assurément tout le dividende numérique voire l'excéderait, ce qui doit amener à considérer l'éventualité d'orienter le développement ultérieur de la haute définition en priorité vers les réseaux filaires -ADSL, câble- ou satellitaires 110 ( * ) ;

- une diffusion plus large de la Télévision mobile personnelle ( TMP ), soit par l'extension de son réseau de diffusion afin d'améliorer la couverture du pays, soit par la constitution d'un deuxième multiplexe de TMP, venant s'ajouter à celui qui doit être composé par le CSA d'ici la fin de l'année 2007 ;

- « l'internet pour tous » : une partie du dividende peut permettre d'atteindre cet objectif fixé par le Président de la République 111 ( * ) . En effet, en complément de l'ADSL, du câble, de la fibre, et même du satellite, qui ne pourront jamais offrir l'accès à Internet en tout point du territoire pour tout Français, les fréquences basses du dividende peuvent permettre d'élargir à moindre coût l'accès à l'Internet haut débit : ces fréquences de qualité exceptionnelle permettent en effet de réduire le nombre d'émetteurs nécessaires, et donc le coût de construction des réseaux, tout en maintenant des débits intéressants permettant la transmission d'images animées, de données ou de voix. Le comité stratégique pour le numérique précise même que, pour une même couverture, par exemple en téléphonie mobile, le nombre de sites serait divisé par 2,6 si le réseau était déployé non pas sur des fréquences s'élevant à 2.1 GHz mais sur des fréquences basses de 500 MHz, ce qui réduirait d'autant les coûts de déploiement 112 ( * ) .

Ces fréquences présentent donc un potentiel inédit pour rendre partout accessible l'Internet haut débit, soit en mobilité (c'est-à-dire par le biais des réseaux de téléphonie mobile UMTS ou UMTS LTE -long term evolution- 113 ( * ) , qui devrait être la norme d'avenir en la matière), soit de manière fixe (incluant le nomadisme). Ainsi, le Wimax permet de créer une boucle locale radio qui autorise un accès nomade à l'Internet haut débit.

Est-il préférable pour la France de promouvoir l'accès de tous au haut débit ou de généraliser la diffusion de la TNT en haute définition , ce qui absorberait voire excèderait le dividende numérique 114 ( * ) ? Vaut-il mieux élargir l'offre télévisuelle ou rendre Internet accessible partout en France, alors même qu'Internet transporte la télévision et enrichit le pluralisme grâce aux contenus créés et partagés par les internautes ? Si la libre communication des pensées et des opinions est un objectif constitutionnel 115 ( * ) auquel concourt en premier chef la diffusion télévisuelle, d'autant que 70 % des Français ne reçoivent encore la télévision que par voie hertzienne 116 ( * ) , cet objectif n'est-il pas assurément servi par l'accès de tous à Internet, lieu de libre expression par excellence ? Par ailleurs, l'utilisation du dividende pour une extension de la couverture territoriale de la 3G ne peut-elle contribuer aussi à la diffusion audiovisuelle , dans la mesure où l'offre de télévision mobile reposera sur la complémentarité entre le réseau DVB-H, dédié à la diffusion de masse, et le réseau 3G, approprié pour apporter, sous forme de communications point à point, un complément d'offre télévisuelle à cette offre de masse 117 ( * ) ?

La réponse à ces questions est éminemment stratégique pour l'avenir de notre pays et exige un débat au plus haut niveau. Mais votre commission incline à penser que la couverture numérique du territoire et l'égalité d'accès aux réseaux de communications électroniques, en modes fixe, nomade ou mobile, doit être une priorité.

Elle fait d'ailleurs observer que, le 19 juin 2007, le Parlement européen a adopté une résolution 118 ( * ) , sur le fondement du rapport d'initiative de M. Gunnar Hökmark 119 ( * ) , qui plaide aussi en ce sens : « Le Parlement européen, (...) considérant que la conversion numérique et la transition de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique libèreront des centaines de mégahertz du spectre, ce qui permettra de réattribuer des radiofréquences et ouvrira des possibilités de croissance pour les marchés :

- (...) relève que les nouvelles plates-formes sans fil sont particulièrement adaptées pour assurer l'accès à la large bande dans les zones rurales; souligne l'importance de la neutralité technologique dans l'attribution des fréquences; rappelle que la Commission prévoit une politique plus active en matière de spectre radioélectrique, ce qu'il a soutenu dans sa résolution du 14 février 2007 sur une politique européenne en matière de spectre radioélectrique 120 ( * ) ;

- appelle les institutions communautaires et les États membres à coopérer plus étroitement dans la gestion du spectre radioélectrique, afin de faciliter l'utilisation dudit spectre par une vaste gamme de technologies mobiles et sans fil (terre et satellite) ;

- prie instamment les États membres d'attribuer un spectre suffisant aux technologies de la large bande. »

Le Parlement français sera, légitimement, le premier lieu de ce débat nécessaire, ne serait-ce que par le biais de la commission du dividende numérique, que la loi du 5 mars 2007 a créée. Composée de huit parlementaires (quatre de chacune des deux chambres), elle a pour mission de se prononcer sur le projet de schéma national de réutilisation des fréquences libérées par l'arrêt de la diffusion analogique que lui soumet le Premier ministre. Elle a en outre la faculté de faire connaître à tout moment ses observations et ses recommandations.

Votre commission souhaite que les membres de cette commission soient nommés rapidement afin qu'elle devienne opérationnelle sans délai et qu'elle puisse faire des propositions qui seront ensuite débattues par les deux chambres du Parlement.

Il reviendra enfin au Premier Ministre, à l'issue de ce débat démocratique, de se prononcer sur le schéma qui apparaîtra optimal du point de vue de l'utilité économique et sociale pour notre pays, sous la contrainte, toutefois, de respecter l'obligation légale d'une affectation majoritaire aux services audiovisuels des fréquences ainsi libérées 121 ( * ) .

* 107 TF1, France 2, France 3, France 5, Canal+ (émissions en clair), France 4, ARTE, La Chaîne Parlementaire (Assemblée Nationale et Public Sénat), Direct 8, TMC, M6, W9, NT1, NRJ12, i-Télé, Europe 2 TV, BFM TV, Gulli.

* 108 Canal +, Canal + cinéma, Canal + Sport, Canal J, Planète, AB1, TPS Star, LCI, Eurosport, TF6, Paris Première.

* 109 Pour plus de détails, voir pages 59-60 du rapport n°3531 « 2002-2007 : de la fracture numérique à la convergence des réseaux », publié en décembre 2006 par M. Emile Blessig au nom de la Délégation à l'aménagement du territoire de l'Assemblée Nationale.

* 110 Dans leur rapport sur l'économie de l'immatériel, MM. Jouyet et Lévy remettent même en cause le choix d'un télévision HD par voie hertzienne.

* 111 « Tous les Français, quelque soit le lieu où ils vivent ou travaillent, doivent avoir accès au haut débit » déclarait N.Sarkozy, alors candidat à l'élection présidentielle, dans sa tribune « La France à l'ère numérique », disponible dans Le journal du Net à l'adresse suivante : http://www.journaldunet.com/diaporama/070420-net-nicolas-sarkozy-france-ere-numerique/index.shtml

* 112 Un déploiement dans des fréquences à 900 MHz nécessite quant à lui 1,6 fois moins de stations de base qu'à 2,1 GHz, ce qui permettrait déjà à SFR d'économiser au moins 1 milliard d'euros, selon les informations fournies par cet opérateur à votre rapporteur.

* 113 Norme radio prévue pour succéder à la 3G/HSDPA, visant des performances en débit pic proches de 100 Mbps en lien descendant et 50 Mbps en montant, et une efficacité spectrale deux à trois fois supérieure à celles que fourniront les ultimes évolutions de HSDPA. On peut espérer pour 2012 la disponibilité commerciale de services utilisant LTE.

* 114 Au Royaume-Uni, l'OFCOM a d'ailleurs refusé à la BBC un régime préférentiel d'attribution du dividende numérique pour la Haute Définition.

* 115 Article 11 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

* 116 Ce qui distingue la France de ses voisins, tels l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse ou le Luxembourg, où le câble et le satellite ont balayé la diffusion hertzienne.

* 117 Pour plus de détails, se reporter au rapport n°70 (2006-2007) sur la première lecture du projet de loi « Modernisation de la diffusion audiovisuelle et télévision du futur », présenté par MM. Pierre Hérisson et Bruno Retailleau, au nom de la commission des affaires économiques du Sénat.

* 118 Résolution du Parlement européen du 19 juin 2007 sur l'élaboration d'une politique européenne en matière de large bande (2006/2273(INI)).

* 119 Député européen suédois démocrate-chrétien, membre de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen.

* 120 Résolution législative du Parlement européen sur une politique européenne en matière de spectre radioélectrique (2006/2212(INI)).

* 121 Majorité qui inclut déjà les « chaînes compensatoires », encadrées avec la réserve d'interprétation posée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2007-550 DC - du 27 février 2007.

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