c) Une décision politique incompatible avec le principe de neutralité de services promu par la Commission européenne

Il apparaît donc clairement à votre commission que la répartition des fréquences entre les divers usages possibles doit résulter d'une décision politique au terme d'un débat démocratique et qu'elle ne saurait être abandonnée aux forces aveugles du marché. En cela, votre commission exprime sa plus grande réserve à l'égard du principe de neutralité de services que la Commission européenne envisage de proposer d'appliquer à la gestion des fréquences, dans la prochaine refonte du cadre réglementaire des communications électroniques -« review »-.

La Commission annonce qu'elle proposera ces nouvelles directives aux Etats membres en octobre 2007. Les arbitrages ne sont donc pas encore rendus mais tout porte à croire, au vu des documents préparatoires dont a pu avoir connaissance votre rapporteur et après l'entretien qu'il a pu avoir à Bruxelles avec M. Bernd Langeheine, directeur chargé de la politique des communications électroniques à la Direction générale « société de l'information et médias », que la gestion des fréquences pourrait se trouver bouleversée par les propositions de la Commission.

En effet, la Commission déplore le manque de flexibilité dans la gestion du spectre et recommande d'attribuer le spectre en répondant mieux à la demande du marché. A ce titre, elle propose d'introduire deux principes : le principe de neutralité technologique et le principe de neutralité de services . Le premier tend à autoriser tout détenteur de ressources en spectre à utiliser tout type de réseau radio sur une bande donnée, dans certaines limites toutefois afin d'éviter notamment les interférences. Votre commission souligne que ce principe est déjà largement admis dans l'Union européenne, même si la recherche d'économies d'échelle et d'interopérabilité a pu conduire la Commission elle-même à contredire ce principe en érigeant une norme technique commune dans l'Union (le dernier exemple en date étant donné par le soutien de la Commission européenne à la norme DVB-H pour la télévision mobile personnelle).

Le second principe, celui de neutralité de services, est radicalement nouveau : il a pour objet de permettre aux détenteurs de ressources en spectre de fournir tout type de services de communications électroniques sur cette ressource. Elle prévoit toutefois la possibilité d'exceptions à ce principe, qui devront être proportionnées, limitées dans le temps, justifiées et nécessaires pour atteindre un nombre restreint d'objectifs d'intérêt général, tels que la politique audiovisuelle, le pluralisme, l'établissement de services pan-européens, la promotion de la diversité culturelle.

Si elle reconnaît qu'une plus grande neutralité de services permettrait de prendre acte de la convergence entre les offres de services et d'encourager l'innovation en ce domaine, votre commission considère que cet objectif ne peut être érigé en principe général. Comment d'ailleurs concilier un tel principe avec la réglementation internationale des fréquences au sein du règlement des radiocommunications (RR) de l'Union internationale des télécommunications (UIT), qui tend à spécifier la catégorie de réseau de communications électroniques utilisant telle ou telle bande de fréquences (réseau mobile terrestre, par exemple) ? Comment aussi ignorer les propriétés physiques et les contraintes techniques (interférences, brouillages...) qui en découlent et qui rendent largement illusoire l'hypothèse de laisser à l'utilisateur de la fréquence une complète liberté de choix du service qu'il décide de fournir ? Comme l'a fait observer M. le professeur Laurent Benzoni à votre rapporteur lors de son audition, une application intégrale de la neutralité de services peut même entraîner une forme d'inefficience et de gaspillage, par exemple du fait des interférences qui seraient à déplorer si aucune donnée technique n'était spécifiée.

Votre rapporteur relève d'ailleurs que ce principe de neutralité de services, que le Royaume-Uni a retenu pour la gestion de ses fréquences, reste très théorique : lors de sa mission à Londres, votre rapporteur a pu constater que l'Ofcom, organe de régulation notamment chargé de la gestion du spectre, indiquait lui-même les usages les plus appropriés d'une fréquence lors de sa mise aux enchères. Ainsi, tout en affichant s'en remettre au marché et laisser libres les acteurs, l'Ofcom les oriente vers la fourniture de certains services sur certaines fréquences, qui leur sont plus adaptées.

De surcroît, votre commission considère qu'il ne saurait être question d'ériger la neutralité de services en règle générale qu'à la condition de ne pas porter préjudice aux objectifs d'intérêt général que sont l'interopérabilité, les impératifs de sécurité et de défense ainsi que les objectifs de la politique culturelle, notamment en termes de pluralisme et de diversité.

Elle recommande donc de ne pas laisser au marché le choix des services qui pourront être fournis sur les fréquences du dividende numérique. Le marché n'est assurément pas le mieux placé pour juger de l'utilité sociale respective des services envisageables ; cet arbitrage doit donc relever de l'Etat, dans sa dimension régalienne, ce qui ne doit pas empêcher d'imaginer un moindre degré de précision dans le type de services ou de technologies autorisé sur une bande de fréquences, afin de ne pas entraver l'émergence de nouveaux usages, ni d'écourter la durée d'attribution des fréquences, afin de mieux s'adapter aux évolutions technologiques et d'introduire plus de souplesse dans la gestion du spectre.

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