3. Valoriser les fréquences libérées pour accompagner la prise de conscience de leur valeur

Parallèlement à ce débat démocratique sur l'affectation du dividende, qui permettra d'en mieux cerner les usages, un travail de fond doit aussi être entrepris afin d'encourager une gestion plus efficiente du spectre. S'il est difficilement mesurable, le « gaspillage » de spectre dans notre pays semble toutefois avéré : ainsi, lors de leur audition par votre rapporteur, MM. Sébastien Proto et Maxime Baffert, inspecteurs des finances ayant collaboré au rapport sur l'immatériel déjà évoqué, ont fait observer que la France utilisait beaucoup plus de fréquences que d'autres pays. Ils ont notamment relevé que les Etats-Unis diffusaient deux fois plus de programmes avec deux fois moins de spectre.

Sans doute le dispositif actuel, où huit des neuf affectataires du spectre radioélectrique sont dispensés de redevance d'usage du spectre, ne favorise-t-il pas l'économie des fréquences. Sans tabou, votre commission propose donc de réfléchir aux moyens d'accompagner une prise de conscience de la rareté du spectre, et donc de sa valeur. Or la valeur économique du spectre ne peut se mesurer qu'indirectement par la propension des utilisateurs à payer pour accéder à cette ressource.

a) Valoriser le spectre pour accompagner une prise de conscience de sa rareté

Les principaux utilisateurs du spectre ne sont pas tous soumis à une obligation de paiement pour l'usage des fréquences. Les opérateurs de téléphonie mobile acquittent une redevance annuelle, composée d'une part variable égale à 1 % du chiffre d'affaires de leur activité et, pour la licence GSM dans les termes de son renouvellement en 2006, d'une part fixe de 25 millions d'euros. Pour les licences UMTS déjà attribuées, cette part fixe a été versée sous forme de ticket d'entrée, à hauteur de 619 millions d'euros, lors de l'attribution des licences.

Les éditeurs de services audiovisuels disposent, en revanche, du droit d'utiliser gratuitement la ressource spectrale qui leur a été attribuée. Cette gratuité ne signifie pas l'absence de contrepartie. Elle a pour fondement les obligations de service public exigées des chaînes au titre de la diversité culturelle et du pluralisme des courants de pensée et d'opinion : quotas de production et quotas de diffusion d'oeuvres d'expression originale française et européenne et contribution au COSIP 126 ( * ) . Il ne fait pas de doute que ces obligations ont un coût, mais votre commission relève que les licences des opérateurs mobiles sont également accompagnées d'obligations en termes de rythme de déploiement, de couverture géographique, de date de lancement commercial, de qualité de service et de contribution au service universel.

Il est délicat d'établir une comparaison entre ces situations, d'abord parce que certaines contributions ont été versées une fois pour toutes (droit d'entrée des licences UMTS), ensuite parce que certaines obligations sont difficilement chiffrables et peuvent entraîner des contreparties économiques pour l'opérateur qui y est assujetti (telles les obligations de couverture en téléphonie mobile ou les obligations de production pour les éditeurs de services de télévision).

Il reste que, pour les uns comme pour les autres, une valorisation du droit d'usage de la fréquence peut inciter à en économiser l'usage.

A cet égard, votre commission relève que les redevances au paiement desquelles sont soumis les opérateurs mobiles sont sans rapport avec leur consommation spectrale. Il serait sans doute plus efficace, pour encourager l'optimisation du spectre, d'établir un lien de proportionnalité entre la quantité de spectre occupée et la redevance.

S'agissant des utilisateurs aujourd'hui exemptés de redevances, votre commission considère qu'une valorisation du spectre qu'ils utilisent aurait une vertu pédagogique en sensibilisant ces acteurs à la rareté des fréquences.

Les projets de la Commission européenne tels qu'ils ont été présentés à votre rapporteur par M. Bernd Langeheine, directeur chargé de la politique des communications électroniques à la Direction générale « société de l'information et médias », lors de leur entrevue à Bruxelles , vont dans ce sens . M. Langeheine a indiqué à votre rapporteur que le principe de la valeur économique des fréquences serait probablement posé par les nouvelles directives en préparation mais que la méthode permettant l'évaluation de cette valeur ne serait sans doute pas précisée. L'idée de cette valorisation des fréquences serait de mettre au jour le coût d'opportunité de l'occupation d'une fréquence ou « fund losing opportunity cost » (FLOC), c'est-à-dire le prix des autres utilisations qu'empêche l'occupation de la fréquence. Ainsi, du point de vue de la Commission, tout droit d'utiliser une fréquence doit être considéré comme un bien économique et l'octroi d'une fréquence peut être qualifiée d'aide d'Etat !

A la nécessité d'inciter les utilisateurs du spectre à l'économie de cette ressource rare, s'ajoute un autre impératif : assurer l'égalité entre les acteurs offrant le même service. De ce point de vue, la convergence pose de nouvelles questions : comment justifier que les éditeurs de services de télévision mobile personnelle bénéficient de l'autorisation gratuite d'utiliser une fréquence de diffusion audiovisuelle, tandis que les opérateurs mobiles s'acquittent de redevances -au titre de leur licence 3G- pour proposer un service analogue d'accès à la télévision en mobilité ? Le Conseil d'Etat lui-même, dans son rapport d'octobre 2002 relatif aux redevances pour occupation du domaine public, constate que la convergence des réseaux et des services accroît la distorsion née de la différence de traitement en matière de redevance entre les télécommunications et l'audiovisuel 127 ( * ) .

La Cour des comptes l'a également relevé, dans son rapport de novembre 2006, sur l'ANFr : elle constate les distorsions dans le traitement des utilisateurs du spectre hertzien et considère que, « le spectre hertzien appartenant au domaine public, l'Etat devrait exiger des utilisateurs des fréquences, qu'il soient publics ou privés, une contrepartie aux avantages qu'ils retirent de l'utilisation des fréquences, de façon à assurer une utilisation optimale de cette ressource limitée » avant de conclure qu'une « remise à plat du dispositif de redevance serait souhaitable ».

C'est donc à la fois pour inciter à économiser le spectre et pour éviter des traitements discriminatoires qu'il faut sérieusement envisager une valorisation générale des fréquences. Elle peut s'envisager de deux manières, soit sous forme purement comptable, soit de manière économique, afin de tenir compte des spécificités de chaque acteur et de l'histoire.

* 126 On peut aussi évoquer les taxes sur la publicité, qui pèsent sur les régies et non sur les chaînes elles-mêmes.

* 127 Le Conseil général des technologies de l'information, dans son rapport de décembre 2002, propose que des redevances soient appliquées à l'audiovisuel pour une meilleure utilisation du spectre.

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