c) Financer le basculement vers la diffusion numérique grâce au prix des licences d'utilisation du dividende

S'agissant des fréquences qui se trouveront libérées par la bascule de la diffusion analogique vers la diffusion numérique, il convient de raisonner autrement. Ce dividende numérique constitue une sorte d'espace vierge, sans droits acquis. Aucun principe de « grandfathering » (clause de grand-père, visant une allocation des fréquences en ligne avec les affectations passées) ne peut être invoqué pour justifier la prolongation de l'occupation gratuite de ces fréquences du temps de l'analogique. Il offre donc l'occasion d'expérimenter une gestion plus moderne des fréquences, notamment audiovisuelles, tant en termes de revenus pour l'Etat retirés des attributions de fréquences que de moindre durée des autorisations d'occupations, tout en assurant la compatibilité de cette nouvelle gestion avec la continuité du service public (et des cahiers des charges) comme avec l'amortissement des investissements des éditeurs ou prestataires de services.

De surcroît, l'arrêt de la diffusion analogique devrait constituer une opération coûteuse. Les Etats-Unis évaluent ce coût à 1 milliard de dollars, le Royaume-Uni à plus de 800 millions de livres sterling, 600 millions devant financer l'installation pour la réception numérique et 200 millions étant prévus pour financer la communication de l'opération, quand la France n'envisage de doter que de 100 à 150 millions d'euros (maximum) le fonds d'aide à l'équipement des ménages en adaptateurs numériques, créé par la loi du 5 mars 2007 130 ( * ) . Aux aides financières à l'acquisition des adaptateurs et à leur installation, il convient en effet d'ajouter le coût des campagnes d'incitation au passage au numérique, la mise en place d'une assistance au passage au numérique, à distance mais aussi à domicile pour les personnes âgées et handicapées. A ces dépenses s'ajouteront celles relatives aux réaménagements numériques, déjà évoqués, auxquels ils faudra procéder pour mettre les fréquences utilisées actuellement par la TNT en conformité avec le plan européen de fréquences issu de la Conférence des radiocommunications de Genève et pour réorganiser la bande UHF en fonction des besoins des futurs utilisateurs du dividende numérique.

Sauf à faire peser in fine l'ensemble de l'opération sur le budget de l'Etat, alors même que le niveau de la dette publique est préoccupant, il peut apparaître logique, et dans la continuité du financement des réaménagements des fréquences analogiques de télévision par les éditeurs de la TNT, que les bénéficiaires des fréquences libérées contribuent à la charge d'obtention du dividende .

C'est pourquoi votre commission propose de valoriser, de manière économique, les fréquences issues du dividende numérique .

Diverses techniques peuvent être retenues. Qu'il s'agisse d'enchères ou de concours de beauté, il n'est en aucun cas question de céder un élément du patrimoine public, le domaine public étant inaliénable et incessible : il s'agit de vendre seulement un droit d'usage provisoire de ce patrimoine -« mode d'occupation privatif du domaine public de l'Etat »-, c'est-à-dire de le louer ou encore d'organiser une forme moderne d'affermage de cette portion de spectre hertzien. La durée des licences devrait être plus courte que les 10 ou 20 ans d'autorisation en matière de télévision ou d'UMTS 131 ( * ) , afin de ne pas geler la répartition du spectre.

Le précédent de l'UMTS , dont le traumatisme a été rappelé à votre rapporteur par M. le professeur Jean-Hervé Lorenzi 132 ( * ) , lors de son audition, ne doit pas empêcher d'évoquer toute valorisation économique des fréquences. Notamment, il peut être utile de rappeler qu'en France, les licences UMTS n'ont pas été mises aux enchères mais attribuées à l'issue d'un concours de beauté et de souligner que le désastre financier qui s'en est suivi a essentiellement résulté d'un manque de coordination européenne sur les modalités d'attribution de ces licences.

En tout état de cause, et quelle que soit la modalité retenue pour valoriser économiquement les fréquences du dividende numérique, il conviendra d'encadrer cette valorisation économique par un cahier des charges précis . C'est l'élaboration de ce cahier des charges qui permettra de spécifier, sinon la nature, du moins les grandes exigences du service autorisé sur telle ou telle fréquence. Le concours de beauté -« beauty contest »-, aussi désigné comme soumission comparative, consiste à enchérir de diverses manières (pas seulement financières) sur ce cahier des charges, tandis que la procédure d'enchères ne retient que le critère du prix pour une offre correspondant au cahier des charges fixé. Chacune de ces procédures peut permettre de valoriser de manière raisonnable le dividende numérique en prenant directement la température du marché. Pour éviter tout accès de fièvre et ce que d'aucuns désignent comme « la malédiction du vainqueur », diverses techniques existent, parmi lesquelles la possibilité, grâce une rédaction fine du cahier des charges, de ne donner la faculté de concourir qu'aux acteurs capables de fournir le service demandé dans les conditions fixées 133 ( * ) , ou encore la possibilité de ne pas retenir l'enchère la plus élevée pour éviter toute bulle spéculative... Finalement, il apparaît que les objectifs économiques et sociaux auxquels aspire un gouvernement lorsqu'il alloue le spectre peuvent être pris en compte aussi bien dans des enchères que dans une procédure de soumission comparative, C'est d'ailleurs l'une des grandes conclusions d'une étude menée par l'OCDE, après l'épisode UMTS, sur les arguments comparés en faveur de l'une ou l'autre de ces procédures 134 ( * ) . Ce qui importe est de concevoir un mécanisme de qualité assorti de règles d'utilisation du spectre claires et bien choisies.

Bref, votre commission estime qu'il serait simpliste de diaboliser toute procédure de valorisation économique des fréquences du dividende numérique mais rappelle la nécessité pour l'Etat de s'entourer d'experts pour mener ces opérations avec doigté 135 ( * ) .

Votre commission propose aussi, pour assurer la continuité du service public de la télévision, que l'Etat conserve un droit de préemption pour les chaînes de l'audiovisuel public analogue à celui que prévoit l'article 26 de la loi n°86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Ce dispositif équilibré devrait permettre une valorisation du dividende numérique plus en rapport non seulement avec le marché mais aussi avec son utilité sociale et, par ailleurs, une gestion plus dynamique du spectre, en conciliant fortement les exigences du service public et les impératifs du pluralisme et de la diversité culturelle. Il pourrait aussi contribuer au financement de l'extinction de la diffusion analogique , comme l'ont déjà prévu les Etats-Unis et la Grande-Bretagne 136 ( * ) .

* 130 Article 102 de la loi n° 86-1067.

* 131 20 ans pour Bouygues Telecom, 15 ans pour Orange et SFR. En matière de télévision, le CSA délivre des autorisations, pour une durée maximale de dix ans, susceptibles d'être reconduites pour cinq ans hors appel aux candidatures.

* 132 Coauteur, avec MM. Michel Didier et Jean-Michel Chapin, du rapport n°36 du Conseil d'analyse économique intitulé Enjeux économiques de l'UMTS.

* 133 Afin que les opérateurs de télécommunications ne l'emportent pas systématiquement grâce à leur puissance financière.

* 134 In « Allocation du spectre : enchères et procédures de soumission comparative », OCDE - DSTI/ICCP/TISP(2000)12/FINAL, janvier 2002.

* 135 Même aux Etats-Unis, où le Congrès américain a privilégié la technique des enchères, on est loin d'une situation d'enchères pures, la loi obligeant la FCC à développer des règles privilégiant notamment la diversité et la couverture des zones rurales.

* 136 Aux Etats-Unis, le Gouvernement fédéral escompte retirer près de 25 milliards $ de la mise aux enchères des fréquences et affecter une partie de cette somme (1 à 1.5 milliard $) au financement de l'équipement des foyers en adaptateurs. En Grande-Bretagne, le Gouvernement prévoit que la vente aux enchères des droits d'utilisation des fréquences libérées, outre l'introduction de services innovants favorable à une dynamisation de l'économie, permettra de financer au moins l'arrêt de l'analogique.

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