2. L'aggravation des difficultés techniques du programme A380 par le manque d'intégration et de management cohérent

Les difficultés rencontrées par le programme A380 ont mis en évidence des dysfonctionnements dont l'origine se situe, en partie, dans la dyarchie des structures décisionnelles :

- la trop grande autonomie de la filiale Airbus par rapport à la direction du groupe EADS 30 ( * ) ;

- l'insuffisante implication des actionnaires industriels Lagardère et DaimlerChrysler, qui ont entrepris de réduire leur participation et souhaiteraient à terme se retirer du groupe ;

- la survivance de rivalités nationales dans la répartition des charges et des fonctions au sein de l'entreprise.

Le dépassement des pluralismes nationaux ne peut être réalisé que par l'unification de la chaîne de commandement et de contrôle. Le désastre industriel de l'A380 n'est pas uniquement, loin s'en faut, lié à la gouvernance d'EADS, puisqu'il n'a pas été constaté de difficultés dans les autres programmes et divisions. Il tient aussi, naturellement, à la complexité du programme. Mais il révèle aussi indirectement qu'au-delà d'un certain seuil de complexité et d'ambition les structures de gouvernance manquaient de la force nécessaire pour assurer la cohérence des projets, ou tout au moins corriger à temps les erreurs.

Les déboires industriels se sont caractérisés par des difficultés de câblage électrique des appareils. Il a fallu désassembler certains avions et refaire à la main les quelques 530 kilomètres de câblage (100.000 fils électriques et 40.300 connecteurs). Un processus « artisanal » qui s'applique aux vingt-six premiers exemplaires. Ces difficultés ont forcé Airbus à repousser la mise en service commerciale du premier appareil, du printemps 2006 (31 ( * )) à octobre 2007, et les livraisons ont pris en moyenne deux ans de retard. A trois reprises, EADS a annoncé des modifications du calendrier de livraison de son très gros porteur A380, comme en témoigne le tableau ci-dessous :

Evolution du calendrier de livraison de l'A380

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Echéancier de livraison prévu au protocole

20

28

32

29

32

36

Calendrier réactualisé en juin 2005

2

29

39

45

48

50

Calendrier réactualisé en juin 2006

0

13

27

43

52

51

Calendrier réactualisé en octobre 2006

0

1

13

25

45

50

Source : DGAC

Le rapport 32 ( * ) fait par M. Jean-François Le Grand au nom de votre commission a mis en évidence les raisons concrètes des retards de l'A380 : un défaut de maîtrise des logiciels informatiques de la part des équipes d'ingénieurs travaillant sur le site de Hambourg. Celles-ci n'ont pas été en mesure d'utiliser le logiciel de maquette virtuelle en trois dimensions à un rythme permettant de prendre en compte les nombreuses et fréquentes modifications des prototypes. Des incompatibilités dans le raccordement sont ensuite apparues lors de l'assemblage.

Lors de son audition 33 ( * ) par vos rapporteurs, M. Noël Forgeard a indiqué que les difficultés de câblage résultaient « d'erreurs opérationnelles sur le site de Hambourg, dont les équipes n'ont pas vérifié la compatibilité permanente de leurs dessins informatiques avec le design général, donc l'interface de Toulouse ». Il a précisé que « la malfaçon sur les câbles n'avait pas été détectée à Hambourg mais bien plus tard à Toulouse ». Et « c'est après avoir pris connaissance de ces problèmes que, trop confiant dans les solutions mises en oeuvre, le management d'Airbus a commis une erreur d'appréciation sur leur ampleur et leur impact en terme de délais de livraison . ». Quoi qu'il en soit ces difficultés ont démontré de graves carences dans la chaîne de contrôle d'Airbus .

Les auditions de vos rapporteurs ont toutefois amené à évoquer d'autres causes dans le cafouillage industriel de l'A380. M. Arnaud Lagardère 34 ( * ) a certes reconnu que M. Noël Forgeard, qui assurait la direction d'Airbus entre 2000 et 2005, « avait réalisé un travail remarquable faisant d'Airbus le premier avionneur mondial », mais a précisé que les tensions entre ce dernier et M. Philippe Camus, alors président exécutif d'EADS, avaient créé des difficultés managériales à la tête du groupe, contribuant ainsi aux déboires industriels : « Il manquait un meneur chez Airbus, Noël Forgeard n'était plus présent sur l'A380, il ne pensait plus qu'à remplacer Philippe Camus et faisait du lobbying en ce sens dans les ministères 35 ( * ) ». Les rivalités franco-françaises, au sein même de l'équipe dirigeante, ont donc eu une grande part de responsabilité dans le retard du programme A380. Ces rivalités au sommet de la direction ont accentué le défaut de vigilance du management dans le développement de l'A380.

Vos rapporteurs constatent et déplorent que les carences de la direction aient eu un impact extrêmement négatif sur le climat social, entraînant notamment une perte de confiance envers le management d'Airbus et d'EADS.

Au-delà des divergences d'analyse sur les causes du retard de l'A380, vos rapporteurs soulignent l'urgence de la mise en place d'une organisation industrielle transnationale et intégrée chez EADS . Il s'agit de mettre en cohérence les outils et les méthodes de gestion dans l'ensemble du groupe. En outre, EADS doit s'appuyer sur un réseau de partenaires en réalisant des échanges de technologies et en développant des méthodes communes de travail, afin de créer des liens forts 36 ( * ) avec ses sous-traitants. Cette réorganisation industrielle doit faire d'EADS une « entreprise élargie » avec une stratégie de partage des risques industriels et financiers.

* 30 Louis Gallois a mis un terme à cette situation en exerçant lui-même la direction d'Airbus en même temps que les fonctions de co-président d'EADS.

* 31 L'annonce des retards de livraison de l'A380 avait fait chuter l'action EADS de 26 % le 14 juin 2006.

* 32 Rapport n° 103 (2006-2007).

* 33 Audition au Sénat, le 5 juin 2007.

* 34 Audition du 20 juin 2007 au Sénat.

* 35 Arnaud Lagardère a fait valoir que M. Francis Mer, alors ministre de l'économie avait usé de son influence pour que M. Noël Forgeard prenne la direction exécutive d'EADS.

* 36 Vos rapporteurs ont pu relever lors de leurs auditions, qu'Airbus réalise 80 % de ses avions en interne alors que Boeing seulement 30 % (et 40 % sur l'A380).

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