5. L'OTAN et la défense antimissile

- Les travaux entrepris par l'OTAN sur la défense antimissile

L'OTAN a entrepris de longue date des travaux sur la défense antimissile destinés à prendre en compte les risques liés à la prolifération des armes de destruction massive et des missiles balistiques.

Toutefois, la notion de défense antimissile recouvre des domaines assez différents selon l'étendue de la protection recherchée, qui peut aller d'une zone relativement circonscrite, par exemple l'aire de stationnement de troupes en opérations, une infrastructure critique ou un centre de population, au territoire d'un pays tout entier. L'étendue de la superficie protégée dépend de l'altitude d'interception qui elle-même conditionne le type de systèmes à mettre en oeuvre. Ils vont des systèmes de défense de théâtre , qui dérivent de systèmes sol-air moyenne portée conçus pour la défense antiaérienne, à des architectures beaucoup plus complexes destinées à la défense d'un territoire associant des systèmes spatiaux d'alerte, des radars de surveillance et divers types d'intercepteurs, en vue de former ce que l'on appelle communément un « bouclier antimissile ».

L'OTAN s'est intéressée dans un premier temps à la défense antimissile de théâtre avec l'adoption, en 1999, d'un objectif d'état-major en matière de défense antimissile balistique de théâtre active multicouche ( Active Layered Theatre Ballistic Missile Defence - ALTBMD ) contre des menaces allant jusqu'à 3 000 km de portée. A la suite d'une étude de faisabilité, l'OTAN a décidé d'engager ce programme par lequel elle se dotera d'un système de commandement et de contrôle ( Battle Management Command Control Communication Intelligence - BMC3I ) capable de gérer les moyens de détection et d'interception dont disposent plusieurs Etats-membres et que ceux-ci pourront mettre à disposition de l'organisation en cas d'opération (missile Patriot PAC-3 américain, missile Aster franco-italien, système MEADS développé par les industriels allemands, italiens et américains). La première phase, engagée en 2005 pour un montant de 403 millions d'euros, vise à disposer d'une capacité contre les menaces jusqu'à 1 300 km de portée à l'horizon 2010. La capacité définitive contre les missiles de 3 000 km de portée exigerait un investissement de 280 millions d'euros en vue d'une mise en service à l'horizon 2015. Ce projet donne également lieu à l'examen de coopérations possibles ave la Russie.

L'OTAN a par ailleurs lancé après le sommet de Prague, en 2002, une étude de faisabilité sur un système capable de protéger le territoire, les forces et les centres de population des pays de l'Alliance contre toute la gamme des menaces liées aux missiles. Il ne s'agit plus ici de défense antimissile de théâtre, mais d'un véritable « bouclier antimissile », à l'image de celui envisagé par les Etats-Unis pour « sanctuariser » le territoire américain. Cette étude a été achevée en 2006. Sur un plan purement technique, elle a conclu que la protection d'une grande partie des centres de population nécessiterait des sites radar et un site d'intercepteurs pour un coût de 8 milliards d'euros sur 20 ans. Une défense complète du territoire des pays de l'alliance représenterait un investissement total de 27 milliards d'euros, en considérant que l'OTAN n'aurait pas à développer ses propres satellites d'alerte et disposerait des données américaines. Le montant considérable d'un tel programme a suscité une certaine circonspection lors du sommet de Riga, dont la déclaration finale demande simplement que « les travaux se poursuivent sur les implications politiques et militaires de la défense antimissile pour l'Alliance, avec notamment une actualisation sur les développements dans le domaine de la menace liée aux missiles ».

De fait, le consensus est impossible à réunir sur ce sujet alors que beaucoup d'alliés ne sont pas convaincus de la priorité à accorder à la menace balistique, ni de la fiabilité des systèmes antimissile , et que peu d'entre eux sont disposés à supporter des coûts aussi élevés.

- Les répercussions sur l'OTAN des projets américains de défense antimissile

Toutefois, le débat sur la défense antimissile a été relancé ces derniers mois à l'OTAN avec les négociations entreprises par le gouvernement américain, dans le cadre de la mise en place du système de défense antimissile des Etats-Unis , pour l'installation d'un radar en République tchèque et d'un site de 10 intercepteurs en Pologne.

Bien qu'il s'agisse d'une initiative exclusivement américaine, dont la réalisation passe par des accords bilatéraux entre Washington et les deux capitales européennes concernées, plusieurs alliés ont considéré que sur un plan politique, le projet comportait des incidences, en matière de sécurité, pour l'ensemble du continent, et méritait donc à ce titre de faire l'objet de discussions.

L' Allemagne a notamment insisté à plusieurs reprises pour qu'un débat sur la défense antimissile ait lieu dans le cadre de l'OTAN et qu'un dialogue soit conduit sur le projet avec la Russie, dans le cadre du Conseil OTAN-Russie. Toutefois, des nuances sont apparues au sein de la coalition. Le ministre social-démocrate des affaires étrangères, M. Frank-Walter Steinmeier, a exprimé sa crainte que le projet américain entraîne une relance de la course aux armements. Le ministre chrétien-démocrate de la défense, M. Franz Josef Jung, justifiait quant à lui la nécessité d'une défense antimissile, compte tenu de la menace des missiles balistiques, tout en marquant sa préférence pour une solution dans le cadre de l'OTAN. Depuis le mois d'avril, ces divergences de vues se sont exprimées moins ouvertement. La Chancelière a simplement réaffirmé à plusieurs reprises que l'OTAN devait servir de cadre à une discussion entre alliés et qu'un dialogue ouvert avec la Russie était nécessaire, afin de la rassurer sur les objectifs du projet. A l'issue du sommet du G8, les autorités allemandes ont déclaré que la proposition russe d'utiliser une station radar azerbaïdjanaise était un signal positif et constructif, et méritait un examen minutieux, le gouvernement espérant qu'elle serait « un nouveau pas vers une solution commune ».

Par ailleurs, l'éventualité d'un « troisième site » européen, complétant les deux sites d'intercepteurs situées aux Etats-Unis, soulève de manière très concrète la question de la protection du continent européen face à la menace des missiles balistiques.

Avec ce troisième site, le système de défense antimissile américain permettrait aussi de protéger le territoire des pays alliés et amis , comme l'avait annoncé le président Bush à l'orée de son premier mandat.

En effet, si les Etats-Unis procèdent à l'installation d'un site d'intercepteurs en Pologne, il couvrira de fait, et sans que les pays européens l'ait sollicité, une large partie du territoire continental de l'Alliance . Toutefois, selon les précisions fournies par les responsables américains lors des multiples présentations effectuées en Europe ces dernières semaines, la zone la plus méridionale de l'Alliance resterait hors du champ d'action des intercepteurs . Ainsi, la Turquie, la Grèce, une partie du territoire de la Roumanie et de la Bulgarie ne pourraient en tout état de cause être protégé par le système américain. Ces pays, et notamment la Turquie, soutenus par les Etats-Unis, ont invoqué le principe d'indivisibilité de la sécurité collective au sein de l'Alliance , considérant que l'ensemble des Etats-membres devaient être placés sur un pied d'égalité face à la menace des missiles balistiques.

Dès lors que le troisième site de la défense antimissile américaine sera installé en Europe, ce qui ne dépend que des autorités américaines, notamment le Congrès, et des autorités polonaises et tchèques, l'OTAN devra apporter une réponse à la demande de certains de ses membres. La solution préconisée pour garantir un niveau de protection identique sur l'ensemble du territoire allié serait qu'en complément du système américain, et en coordination avec ce dernier, le programme de défense antimissile de théâtre de l'OTAN , initialement destiné à la protection des troupes en opérations, soit revu dans un sens beaucoup plus ambitieux et complété par des moyens permanents, terrestres ou navals, installés sur le flanc sud de l'Alliance . Dans l'esprit des pays concernés, ces systèmes seraient acquis par l'OTAN.

Lors de leur réunion du 15 juin 2007, les ministres de la défense de l'Alliance ont « demandé que soit effectuée en temps opportun ... une évaluation des incidences pour l'OTAN des éléments du système de défense antimissile envisagés par les Etats-Unis en Europe ». Par cette déclaration, le Conseil de l'Atlantique nord a en quelque sorte « pris acte » du projet américain , sans se prononcer sur son opportunité. C'est en ce sens qu'on a pu parler d'approbation tacite.

S'agissant d'un éventuel futur système de l'OTAN complémentaire au système américain pour couvrir le flanc sud de l'Alliance, aucun engagement formel n'a été pris, mais l'argument de l'indivisibilité de la sécurité des alliés ne semble pas avoir été ouvertement contesté, même s'il n'en est pas fait mention dans le communiqué. Pour l'heure, une évaluation des implications du système américain va être entreprise. Les responsables de l'OTAN estiment que les résultats devraient être disponibles en février 2008 afin d'être soumis aux dirigeants de l'Alliance au sommet de Bucarest en avril 2008. Cette évaluation suppose toutefois que la configuration du système américain soit connue avec suffisamment de précision.

Le programme américain de défense antimissile

Les Etats-Unis sont engagés depuis des décennies dans la mise au point de systèmes antimissiles. Après l'abandon de l'initiative de défense stratégique du président Reagan, l' administration Clinton mit au point un projet de National Missile Defense visant à protéger le territoire américain contre une attaque limitée de missiles grâce à deux sites d'intercepteurs terrestres situés aux Etats-Unis, la mise à niveau de radars existants (dont deux hors des Etats-Unis, au Groënland et à Fylingdales au Royaume-Uni), la construction d'un radar « en bande X » en Alaska, des satellites de surveillance et un système de gestion de l'engagement.

L' administration Bush a donné un caractère beaucoup plus ambitieux à ce programme désormais dénommé Missile Defense . Celle-ci efface la distinction entre défense du territoire et défense de théâtre puisqu'elle doit protéger non seulement le territoire national américain, mais également les pays alliés et amis ainsi que les forces déployées. Elle vise à intercepter le missile dans toutes les phases de sa trajectoire (phase de propulsion, mi-course et phase terminale), en faisant appel à tous les types d'intercepteurs, terrestres, navals, aéroportés voire spatiaux.

L'architecture de la Missile defense distingue trois segments :

- l' interception en phase de propulsion du missile , qui privilégie l'utilisation d'armes à énergie dirigée, à savoir dans un premier temps un laser embarqué sur un Boeing 747 ( Airborne laser ), des études étant conduites sur un laser basé dans l'espace ( Space based laser ) ;

- l' interception à mi-course , à partir de lanceurs terrestres ou de navires (croiseurs dotés du radar Aegis et du missile Standard SM-3) embarqués sur des croiseurs, et la destruction des missiles assaillants par impact direct (concept hit to kill ) ;

- enfin, l' interception en phase finale , grâce aux différents systèmes de défense de théâtre , essentiellement terrestres, comme le Patriot PAC-3 , le MEADS ( Medium Extended Air Defense System ) pour la « couche basse », et le THAAD ( Theater High Altitude Area Defense ) pour la « couche haute ».

La Missile defense fait appel aux différents types de senseurs précédemment évoqués (satellites et radars) auxquels s'ajoute un prototype de radar « en bande X » installé sur une plate-forme navale.

Le premier site de lanceurs terrestres ( Ground-based Midcourse Interceptor ) a été déclaré opérationnel en Alaska en 2004 et le second site, situé en Californie, a reçu ses premiers intercepteurs. La composante navale est pratiquement opérationnelle. Les premiers essais du laser aéroporté sont prévus en 2008.

La réalisation en Europe d'un troisième site d'intercepteurs et d'un radar vise à intégrer, à moyen terme, la menace provenant de missiles balistiques iraniens, alors que les premiers éléments de défense antimissile prenaient essentiellement en compte la menace nord-coréenne.

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