B. LE CO-DÉVELOPPEMENT COMME POLITIQUE PUBLIQUE

1. Des reformulations successives

Les tentatives pour ériger le co-développement en politique publique remontent, pour l'essentiel, à la fin des années 1990. Elles ont fait l'objet de reformulations successives.

L'idée originelle vient du ministère de l'intérieur : elle repose sur le principe que le soutien aux actions menées par les migrants dans leur pays d'origine peut faciliter leur intégration dans notre pays. Cette idée est toujours présente aujourd'hui mais de façon plus secondaire.

Le co-développement est ensuite apparu comme une forme particulière de coopération non gouvernementale et a été soutenue, à ce titre, par le ministère de la coopération au même titre que les ONG ou la coopération décentralisée, via des cofinancements.

Plus récemment, en 2003, le co-développement a été redéfini comme la valorisation de l'action des migrants en faveur de leur pays d'origine quelle qu'en soit la forme : la valorisation de l'épargne au service d'investissements productifs, des transferts de compétences, ou des apports d'expériences sociales et culturelles. L'accent est mis sur la mobilité et la circulation entre deux espaces, le pays d'accueil et le pays d'origine. L'accompagnement des migrants de retour et les aides à la réinsertion ont été rattachés à cette valorisation de l'apport des migrants.

Les autorités des pays concernés se sont également saisies de cette question dans les années récentes, notamment par la création de structures consacrées à leurs ressortissants à l'étranger. Dès 1998, le Mali a désigné un ministre des maliens de l'extérieur, placé à la tête de structures de représentation des maliens expatriés. Un ministère des marocains résidant à l'étranger a été créé en 2002, parallèlement à la Fondation Hassan II qui, directement rattachée au pouvoir royal, mène des actions en direction de la diaspora. Cette intervention gouvernementale, en complément de l'action de la société civile part également du constat de la nécessité de resserrer les liens économiques et culturels avec les générations nées dans le pays d'accueil.

Les pratiques de co-développement, majoritairement le fait d'individus ou d'organisations de la « société civile » sont donc reprises et soutenues à la fois par les autorités des pays d'accueil et celles du pays d'origine.

Lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères, Mme Brigitte Girardin, alors ministre déléguée à la coopération et à la Francophonie a précisé 5 ( * ) les orientations de la politique du gouvernement en matière de co-développement : le développement local, la mobilité des personnes et la mobilité de l'épargne.

2. Les instruments du développement local

La définition des outils se heurte à une première difficulté d'identification du périmètre du co-développement  selon qu'il est entendu au sens strict de mobilisation des migrants ou au sens plus large de synonyme d'une approche globale de la question des migrations et du développement. Le codéveloppement n'est pas un secteur de coopération identifié.

Pour ce qui concerne le développement local , le ministère des affaires étrangères accompagne financièrement les projets engagés par les associations de migrants installés en France ou dans le cadre de la coopération décentralisée qui visent à financer des équipements collectifs dans les pays d'origine ou des projets d'investissement productif. Au Maroc, le ministère des Affaires étrangères finance, via le fonds de solidarité prioritaire un fonds d'appui aux initiatives des collectivités locales de 4,5 millions d'euros sur 3 ans auquel s'ajoute 5,5 millions d'euros de financements marocains.

Il intervient également en appui à la réinsertion économique des migrants dans leur pays d'origine, par le financement de micro-projets créant de l'activité et des emplois. Il ne s'agit plus de mobiliser les diasporas présentes en France mais de tenter de « positiver » le retour de migrants.

L'aide à la réinsertion relève d'un programme de co-développement cofinancé par le ministère des Affaires étrangères et par l'Agence Nationale de l'Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM), soit d'un programme mis en oeuvre par l'ANAEM et cofinancé, le cas échéant par l'Union européenne.

Cette aide est née en 1993 au Mali d'un programme expérimental mis en place après le retour de nombreux maliens en situation irrégulière et dépourvus de moyens d'une réinsertion économique. Les plafonds de l'aide ont été progressivement augmentés pour s'établir à 7 000 euros à partir de 2004.

Elle s'adresse aux personnes ayant bénéficié de l'un des dispositifs d'aide au retour mis en oeuvre par l'ANAEM ou revenus spontanément depuis moins de six mois après un séjour d'au moins deux ans en France.

Elle consiste dans une aide technique et financière pour le démarrage de projets économiques. L'aide au démarrage, d'un montant maximum de 7 000 euros est allouée par l'ANAEM. Le ministère des Affaires étrangères finance, pour sa part, les opérateurs chargés de l'accompagnement des promoteurs de projets économiques pour un montant maximum de 1 300 euros qui comprend une aide à l'étude de faisabilité, puis au montage, à la mise en oeuvre et au suivi de gestion pendant un an.

Cette aide à la réinsertion est cumulable, pour certaines nationalités avec l'aide au retour volontaire, proposée aux étrangers invités à quitter le territoire, qui s'élève à 3500 euros pour un couple et à 1000 euros par enfant. L'aide au retour volontaire a concerné près de 2000 personnes durant la phase d'expérimentation entre octobre 2005 et décembre 2006, soit le double des personnes concernées par le dispositif précédent sur une période comparable, dont un nombre limité d'africains, 130.

La ministre a indiqué qu'après avoir expérimenté ces actions dans quelques pays, le champ géographique en était désormais élargi, en fonction des besoins exprimés et de la mobilisation des diasporas, à l'ensemble des pays sub-sahariens membres de la francophonie, ainsi qu'à Haïti, au Vanuatu et à l'Éthiopie.

3. Le soutien à la mobilité des personnes

S'agissant de la mobilité des personnes , le gouvernement souhaite proposer aux migrants qualifiés installés en France de transmettre leurs compétences, soit au travers de missions d'assistance technique de courte durée, soit, en matière universitaire, par l'enseignement à distance.

Le projet TOKTEN « Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals » financé en partie par la coopération française et géré par le PNUD organise des missions de scientifiques et universitaires maliens de la diaspora afin qu'ils apportent une contribution à l'enseignement supérieur malien. Pendant la durée des missions, ils donnent des cours et accompagnent les recherches et les thèses des étudiants.

Un projet du Fonds de solidarité prioritaire de 4 millions d'euros porte sur la gouvernance des universités marocaines. En marge d'un soutien à la réforme des universités du pays, il prévoit la mobilisation de la diaspora scientifique, ainsi que le développement de partenariat avec des Etats sub-sahariens.

Le co-développement s'adresse aussi aux Français issus des migrations qui, même s'ils ne connaissent pas toujours leur pays d'origine, sont susceptibles d'être intéressés par des actions de volontariat de solidarité internationale. Afin de mobiliser un nombre croissant de ces jeunes, le ministère des affaires étrangères a intégré cette mission dans le contrat d'objectifs et de moyens, signé en décembre 2006 avec l'Association française des volontaires du progrès. Il semble cependant que la durée des missions de volontariat de solidarité internationale, deux ans, soit un obstacle à une mobilisation très importante. Il serait souhaitable d'envisager des durées plus courtes.

Les étudiants originaires des pays du Sud sont concernés au premier rang par ce volet « mobilité » du co-développement mais il faut souligner qu'ils se heurtent de plus en plus à des difficultés réelles liées à un niveau de français insuffisant et à l'absence, dans des pays dont le français est langue officielle, d'une offre de rattrapage linguistique.

La carte de séjour « compétences et talents » de trois ans a été créée par la même loi pour favoriser la venue temporaire de scientifiques, de sportifs, d'actifs dans l'intérêt de la France et du développement du pays d'origine. Force est de constater que ce dispositif est de conception plutôt unilatéral et donc assez éloigné du concept de co-développement sauf à associer les pays d'origine dans la définition des critères d'attribution. Et surtout, on verra qu'il n'est pas encore mis en oeuvre.

Les dispositions de la loi du 24 juillet 2006 en faveur de la mobilité

Les étudiants

Les étudiants ayant obtenu un diplôme de niveau master, pourront compléter leur formation par une première expérience professionnelle en bénéficiant de 6 mois de séjour supplémentaires.

Les saisonniers

Les saisonniers, dont l'entrée et le séjour étaient précédemment fondés uniquement sur un contrat de travail saisonnier visé par l'administration du travail sans document de séjour délivré par les préfectures, recevront une carte de séjour temporaire accordée pour une durée maximale de trois ans renouvelable, permettant d'exercer des travaux saisonniers n'excédant pas six mois dans l'année.

La carte « compétences et talents »

La carte de séjour portant la mention « compétences et talents » est une des principales innovations de la loi Elle a été conçue pour attirer en France des personnalités remarquables, à haut potentiel, et pour faciliter leur séjour. Elle « peut être accordée à l'étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique et au rayonnement, notamment intellectuel, culturel ou sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité ».

Les critères pris en considération seront déterminés par une Commission nationale des compétences et des talents, chargée de fixer chaque année des critères afin d'aider le ministre de l'intérieur, autorité décisionnelle, à apprécier l'opportunité d'accorder ou non la carte.

L'octroi de la carte « compétences et talents » est subordonnée à la production d'un visa de long séjour. Les consulats auraient une fonction de présélection.

Accordée pour une durée de trois ans renouvelable une fois, cette carte permettrait à son titulaire d'exercer toute activité professionnelle de son choix.

La carte « compétences et talents » est attribuée au vu du contenu du projet de l'étranger et de la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer. L'intérêt de ce projet pour la France et pour le pays d'origine serait aussi pris en considération.

La carte « compétences et talents » ouvrirait le bénéfice de plein droit de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » pour le conjoint et les enfants de son titulaire. Le renouvellement de la carte de séjour temporaire serait aussi de plein droit durant toute la période de validité de la carte « compétences et talents ».

Cette carte permet de solliciter la délivrance d'une carte de résident dans les conditions de droit commun.

Le développement des visas de circulation est l'un des autres axes du soutien à la mobilité des personnes. Ces visas, d'une durée maximale de cinq ans, permettent d'effectuer plusieurs séjours n'excédant pas une durée cumulée de trois mois par an. Au Mali, la délivrance de ce type de visas a augmenté de 25 % au cours des dernières années. Entre 2003 et 2006, le nombre total de visas de circulation a progressé de 210 000 à 250 000.

D'une façon plus générale sur la question des visas, vos rapporteurs ont pu observer que la mise en place de la biométrie, effective dans les deux pays de la mission, a permis de mettre fin aux scènes de files d'attente interminables auxquelles ils avaient pu assister lors de missions précédentes et qu'ils jugeaient indignes. L'attente des personnes s'est reportée sur l'obtention du rendez-vous pour le dépôt du dossier mais le délai qui sépare ce dépôt de la délivrance du visa est très rapide, de 24 à 48 heures.

4. La valorisation de l'épargne

S'agissant de la mobilité de l'épargne des migrants , les objectifs portent sur la diminution du coût des transferts et sur une meilleure orientation vers l'investissement productif.

Le ministère des affaires étrangères cherche à favoriser une plus grande transparence des services offerts aux migrants. Dans cette optique, le développement d'un site internet permettant de comparer les différentes prestations disponibles pour les transferts de fonds a été confié à l'Agence française de développement.

Cette démarche s'inscrit dans la continuité des recommandations du G8 de Sea Island en 2004. Elle a été mise en oeuvre par le Royaume-Uni dont le ministère de la coopération (DFID) s'est livré, avec le secteur privé, à un travail de recensement et de comparaison des offres de transferts disponibles à destination des pays d'origine de ses plus importantes communautés de migrants. Un site internet 6 ( * ) permet une comparaison non seulement des coûts de transferts mais aussi de la qualité des prestations offertes en termes de rapidité, de fiabilité et de facilité d'accès.

Cette transparence devrait favoriser une plus grande concurrence et favoriser l'intérêt des banques pour l'épargne des migrants. Le groupe La Poste et l'Union postale universelle, ont ainsi pris l'initiative, a indiqué Mme Girardin devant la Commission, de la création d'un nouveau mandat garantissant un transfert électronique d'argent en un temps limité et pour un coût compétitif.

La loi du 24 juillet 2006 a créé un compte épargne co-développement qui vise à orienter l'épargne des migrants vers les investissements productifs dans leur pays d'origine.

Le compte épargne co-développement

Le compte épargne co-développement a été créé par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration et organisé par un décret du 19 février 2007.

Il permet aux travailleurs immigrés qui investissent dans leur pays d'origine de placer des fonds sur un compte bloqué et de bénéficier d'exonérations fiscales en France à hauteur de 25 % du revenu net global du foyer et de 20 000 euros par personne et par année.

Les sommes placées ne pourront être débloquées que si l'épargnant justifie d'un investissement dans les pays en voie de développement. Les investissements autorisés portent sur la création, la prise ou la reprise de participations dans des entreprises locales ; l'abondement de fonds destinés à des activités de micro finance ; l'acquisition d'immobilier d'entreprises, d'immobilier commercial ou de logements locatifs ; le rachat de fonds de commerce ; le versement à des fonds d'investissements dédiés au développement ou à des sociétés financières spécialisées dans le financement à long terme. Le montant maximum est fixé à 50 000 euros. La durée du compte ne peut être inférieure à un an et supérieure à six ans à compter du versement initial.

La dépense fiscale correspondante pourrait s'élever à 15 millions d'euros mais ce dispositif n'est pas encore mis en oeuvre.

5. Une synthèse des différents instruments : les accords de gestion concertée des flux migratoires

L'accord de gestion concertée des flux migratoires signé avec le Sénégal le 23 septembre 2006 illustre les différentes facettes d'une approche globale de la question des migrations associant les questions sécuritaires et les questions de développement.

Il crée un observatoire général des flux migratoires afin d'améliorer les connaissances. Il prévoit de faciliter la délivrance de visas de circulation pour certaines catégories de personnes (hommes d'affaires, intellectuels, scientifiques...) ainsi que celle des visas de transit. Il comporte des dispositions relatives aux étudiants et aux travailleurs, à la surveillance des frontières et à la réadmission des ressortissants et aborde la coopération au développement dans des secteurs spécifiques comme la santé, l'agriculture et le domaine financier.

Cet accord ne connaît pas encore d'application concrète mais il a vocation à constituer la trame de futurs accords liant la France à d'autres Etats africains.

Un second accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires a ainsi été signé le 5 juillet 2007 avec le Gabon. Il porte notamment sur la facilitation de la circulation des personnes, sur l'accès à l'emploi des gabonais dans certaines professions, sur la réadmission des clandestins et sur le renforcement de la coopération, avec un volet relatif à la fiabilité de l'état civil. La relation entre la France et le Gabon sur la question migratoire n'est pas une relation difficile : le Gabon est plus un pays d'accueil qu'un pays d'origine et la pression migratoire émanant de ce pays est inexistante.

La question de l'articulation de ces accords avec les Documents Cadre de Partenariat (DCP) signés avec la plupart des pays destinataires de l'aide française et définissant les secteurs prioritaires est posée et il conviendra d'assurer, le cas échéant, une cohérence entre ces deux documents.

Les accords de gestion concertée des flux migratoires pourraient également être transposés à l'échelon européen.

6. Une organisation « aux multiples commandes »

Le co-développement, en tant que politique publique, est embryonnaire. Elle ne mobilise qu'un nombre de personnes et un volume de crédits limités. L'organisation globale est cependant relativement complexe et implique, pour l'essentiel : le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'intérieur et le ministère des Affaires sociales, tutelle de l'ANAEM.

Le Comité interministériel de contrôle de l'immigration (CICI) a été créé par un décret du 26 mai 2005 afin de coordonner les actions des différents départements ministériels. Son activité est soutenue : en dix-huit mois, il s'est réuni cinq fois, soit un nombre équivalent aux réunions du CICID, son équivalent compétent en matière de développement, pourtant créé quelques années plus tôt, en 1998.

Un « ambassadeur délégué au co-développement » a été nommé en décembre 2002, rattaché administrativement au secrétariat général du ministère des Affaires étrangères. Il a un rôle de conception, de coordination, de dialogue avec les associations de migrants et d'initiative ; la mise en oeuvre des projets concrets est assurée par les services du ministère. L'appui aux actions des organisations de migrants s'effectue via la Mission d'appui aux organisations non gouvernementales (MAIONG).

La mise en oeuvre des projets de la coopération française s'effectue via le Fonds de solidarité prioritaire du ministère des Affaires étrangères, l'Agence française de développement n'intervenant que de façon marginale dans le dispositif alors que le développement du secteur productif et l'accès relèvent plus de ses secteurs d'intervention que de ceux du ministère des Affaires étrangères. Le ministère des Affaires étrangères se trouve donc en position d'opérateur alors qu'il lui revient, en principe, un rôle de conception et de pilotage stratégique des politiques de développement.

La création, en mai 2007, d'un ministère ayant compétence à la fois sur l'immigration, l'intégration, l'identité nationale et le co-développement 7 ( * ) devrait amener une nouvelle répartition des rôles dont il est trop tôt pour évaluer l'ampleur et les contours ainsi que les effets sur la politique de co-développement.

* 5 voir le compte-rendu de cette audition en annexe

* 6 www.sendmoneyhome.org

* 7 Publié le 31 mai 2007, le décret d'attribution du ministre de l'immigration, de l'intégration de l'identité nationale et du co-développement précise que le ministre « est chargé de la politique de codéveloppement et, en liaison avec le ministre des affaires étrangères et européennes et le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, participe à la définition et à la mise en oeuvre des autres politiques de coopération et d'aide au développement qui concourent au contrôle des migrations ». Le ministre « a autorité sur le secrétaire général du comité interministériel de contrôle de l'immigration et l'ambassadeur au codéveloppement » et il dispose des différents services concourant à cette politique, notamment de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID).

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