B. SE SAISIR DES PRINCIPES DU CO-DÉVELOPPEMENT POUR RÉVISER LES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT

Le co-développement fournit l'occasion de réfléchir sur les orientations de la politique de développement.

Le reproche fait aux transferts des migrants de leur faible orientation vers le secteur productif pourrait en effet s'appliquer à l'aide publique au développement. Les zones d'émigration ont connu un développement indéniable du fait des transferts, avec des résultats dans la lutte contre la pauvreté. Pour autant, les ressorts économiques font défaut.

Une stratégie de développement qui intégrerait la question migratoire suppose de replacer les questions économiques et notamment la création d'emploi au coeur des questions de développement ainsi que la question du financement des projets d'investissement. Elle privilégie une logique de résultats, évaluée, non pas à l'aune des flux migratoires, mais bien à celle des emplois créés.

1. Reconsidérer l'appui au secteur éducatif et à l'appareil de formation

L'éducation de base est placée au coeur des priorités définies par les objectifs du millénaire pour le développement et fait l'objet d'un consensus chez les bailleurs de fonds pour les effets d'entraînement qu'il induit dans le domaine de la santé, de la maîtrise de la fécondité ou encore sur le secteur productif. Ce secteur est donc devenu un secteur de concentration de l'aide dont les indicateurs, de façon encore inégale et perfectible, s'améliorent.

Pour autant, le secteur éducatif apparaît largement sinistré et dépourvu des moyens de faire face à une augmentation continue du volume des classes d'âge à scolariser. Devant cette situation, les élites pratiquent des stratégies d'évitement du système scolaire public dans lesquelles les établissements du réseau d'enseignement français à l'étranger figurent au demeurant en bonne place. Ce contournement alimente un relatif désintérêt à l'égard d'un investissement résolu dans l'éducation mais nourrit aussi un profond sentiment d'injustice de la part des populations n'ayant pas accès à des solutions alternatives qui se sentent condamnées pour leurs enfants à un échec programmé et à l'absence de perspectives en termes de mobilité sociale.

Déterminant à bien des égards, l'appui au secteur de l'éducation ne doit pas seulement s'entendre comme le soutien à l'éducation de base mais bien comme l'appui à la constitution de filières complètes avec des cursus débouchant sur le marché du travail et incluant la formation professionnelle. Au Maroc, la défaillance du système d'enseignement public est manifeste. Il y a urgence à soutenir une politique résolue de lutte contre l'analphabétisme qui touche officiellement 38 % de la population avec de fortes inégalités au détriment des ruraux et des femmes dont les taux dépassent 60 %. Alors que le chômage des diplômés est important (plus de 25 % au Maroc), la formation professionnelle reste très insuffisante. Au Mali, la France, via l'Agence française de développement s'apprête à soutenir ce secteur par la création d'un institut de formation professionnelle dans la région de Kayes.

L'appui à cette politique complexe et sensible suppose aussi un renforcement de la coordination entre les bailleurs. Au Mali, la déléguée de l'Union européenne a ainsi indiqué à vos rapporteurs que le secteur de la formation professionnelle était en passe d'évoluer du statut de « parent pauvre » de l'aide à celui « d'enfant chéri ». Il ne faudrait pas que cet engouement soudain se traduise par un délaissement des autres pans du secteur éducatif, au détriment d'une cohérence d'ensemble. L'adéquation aux besoins spécifiques du marché du travail du pays considéré doit aussi être prise en compte : les besoins du secteur tertiaire au Mali, pays majoritairement rural doivent ainsi être considérés avec parcimonie. Le chômage de personnes formées constitue en effet un réservoir évident de candidats potentiels à l'émigration.

2. La question de l'emploi

Des questions éducatives et de formation découle directement la question de l'emploi, qui doit être placée au coeur d'une politique de développement soucieuse de la question des migrations.

Les marchés du travail des deux pays de la mission se caractérisent à la fois par un taux de chômage très élevé mais aussi par une très grande difficulté à pourvoir les postes offerts, du fait de l'inadéquation des compétences disponibles aux emplois proposés. 35 % des bacheliers marocains envisagent leur avenir à l'étranger

Pour ne prendre que ce seul exemple, l'agriculture représente 57 % de l'emploi sur le continent africain, 17 % du PIB et 11 % des recettes d'exportation. Au Mali, l'agriculture représente 80 % de l'emploi.

Or l'aide au secteur agricole a beaucoup diminué (40 % selon certaines estimations). La faiblesse de la transformation des produits sur place ainsi que le déficit technologique explique que le secteur ne soit pas fortement créateur d'emplois.

L'accompagnement des investisseurs et le soutien financier de leur projet, tel que conçu dans le cadre de l'aide à la réinsertion pourrait utilement être proposé non seulement à des migrants de retour ou, comme cela est d'ores et déjà envisagé, dans les pays de transit, mais aussi dans le pays d'origine lui-même à des personnes en difficulté d'insertion professionnelle.

3. Le système bancaire et l'accès au crédit

Bien que très importante en volume, l'épargne des migrants ne suscite que peu d'intérêt de la part des banques du sud. Sans qu'il soit possible d'avancer des chiffres précis, il semble qu'une part importante des transferts transite par le secteur informel, désignation qui recouvre des procédés variés, allant du transport direct des fonds à des formes plus élaborées d'intermédiation.

L'augmentation de la part des transferts empruntant le secteur formel doit être favorisée non seulement pour la sécurité des transferts, pour un meilleur contrôle de la nature des fonds mais aussi pour favoriser ensuite la mobilisation de cette épargne en faveur de l'investissement productif. En effet, le blanchiment d'argent sale et le financement du terrorisme utilisent également les canaux informels.

La transformation des migrants en investisseurs par la mobilisation de leur propre épargne est à l'évidence difficile à développer. Les migrants ne sont pas tenus d'avoir une « fibre entrepreneuriale » et leur épargne est souvent insuffisante pour soutenir un projet viable et créateur d'emplois.

Il est donc apparu à vos rapporteurs que les voies de la mutualisation de l'épargne et de l'intermédiation financière entre l'argent des migrants et les projets d'investissements devaient être développées. La création de fonds d'investissements spécifiques, sur le modèle des fonds éthiques, permettrait de mobiliser l'épargne des migrants dans les pays d'accueil et de la drainer vers des projets de plus grande ampleur.

La difficulté se situe au niveau de la réception des fonds par le système bancaire local. Il existe un espace entre le micro-crédit et le secteur bancaire classique où le soutien à des investisseurs potentiels n'est pas assuré, les institutions de micro-crédit ne collectant pas d'épargne. Or ce segment pourrait permettre de créer des emplois.

L'Agence française de développement, peu présente sur les questions de co-développement, pourrait utilement apporter son expertise et favoriser l'implication, avec l'appui des gouvernements, des banques locales. L'AFD réfléchit au Maroc aux secteurs vers lesquels pourrait utilement être orientée l'épargne des migrants : le financement de l'assurance-maladie des indépendants, qui se met en place ou le financement des très petites entreprises ont ainsi été évoqués devant vos rapporteurs.

Ce n'est pas tant le volume des liquidités disponibles qui est insuffisant : l'écrasante majorité des pays africains connaît une situation de surliquidité bancaire. Au Maroc, l'argent des migrants est clairement responsable d'une situation de surliquidité. C'est davantage sur les modes de mobilisation de ces liquidités qu'il convient de travailler.

4. Un engagement résolu des pays d'origine en matière de gouvernance

Les déterminants de la migration ne sont pas strictement économiques. Selon certaines enquêtes, les motivations « politiques », entendues très largement, le déficit démocratique, figurent même au premier rang des raisons invoquées par les migrants.

Si le cadre juridique et les institutions propice aux investissements et à l'activité économique sont généralement en place « l'environnement des affaires » reste assez largement défavorable et peut être de nature à décourager l'activité économique, singulièrement lorsqu'il s'agit de micro-entreprises à la faible profitabilité.

La crédibilité et l'efficacité du système judiciaire, la prévisibilité et la fiabilité de l'administration fiscale, douanière ou encore des services de police, éléments essentiels, font encore trop souvent défaut. Un engagement résolu dans la lutte contre la corruption et en faveur d'une administration efficace peuvent certes recevoir l'appui des bailleurs mais ne peuvent résulter que de la volonté de l'Etat à utiliser au mieux les fonds dont il bénéficie.

Ce n'est pas tant l'absence de croissance que l'absence de perspectives pour une large frange de la population de pouvoir un jour en bénéficier qui pousse les personnes au départ. Il est de la responsabilité des Etats de départ, dans l'intérêt de leur propre cohésion sociale de favoriser la diffusion des bénéfices de la croissance et la réduction des inégalités.

Dans le dialogue avec les pays d'origine sur la question des migrations, ces éléments semblent aux yeux de vos rapporteurs, aussi essentiels que l'adhésion à des dispositifs de maîtrise des frontières ou de réadmission.

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