N° 441

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2006-2007

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 2 août 2007

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 septembre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) par la mission d'information (2) portant sur la diversité sociale et l' égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles ,

Par M. Yannick BODIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, MM. Denis Detcheverry, Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, M. Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Philippe Goujon, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Alain Le Vern, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, Jacques Siffre, René-Pierre Signé, Robert Tropéano, André Vallet, Jean-François Voguet.

(2) Cette mission est composée de : M. Jacques Legendre, président ; Mme Annie David, MM. Jean-Léonce Dupont, Pierre Laffitte, vice-présidents ; M. Yannick Bodin, rapporteur ; Mme Marie-Christine Blandin, MM. Jean-Claude Carle, Yves Dauge, Mme Christiane Hummel, M. Serge Lagauche, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Philippe Richert, Jean-Marc Todeschini et Jacques Valade.

INTRODUCTION ET AVERTISSEMENT

« Il n'est de richesse que d'hommes »

Jean Bodin

(1530 - 1596)

Mesdames, Messieurs,

Le système français d'enseignement supérieur présente la spécificité d'être dual : il est organisé en deux filières dont l'une, composée notamment des classes préparatoires et des grandes écoles, repose sur une sélection explicite après le baccalauréat et les concours, tandis que l'autre exclut, à quelques exceptions près, toute sélection à l'entrée. La première constitue un dispositif de formation fondé sur les principes républicains d'égalité des chances et de méritocratie.

Dans ce cadre, si les grandes écoles n'ont pas le monopole de la formation des élites, du moins occupent-elles une part prépondérante dans ce processus. Ces écoles ont développé au cours du temps plusieurs types de recrutement (par admissions parallèles, préparations intégrées...), mais la « voie royale » pour y accéder reste les « classes préparatoires », ceci d'autant plus que les « très grandes écoles » n'ont que peu recours aux admissions parallèles qui permettent pourtant un recrutement social plus diversifié.

Or, le constat est aujourd'hui partagé : la diversité sociale des étudiants en classes préparatoires et dans les grandes écoles s'est dégradée ainsi que, concomitamment, celle des élites du pays que ces écoles contribuent en grande partie à former.

Cette situation est préoccupante à un double titre : individuel, pour les personnes concernées - ceci d'autant plus qu'en France, la valeur du diplôme obtenu a le plus souvent un impact déterminant sur leur « destinée sociale » - et au plan collectif, puisque ces individus ne seront pas en situation de valoriser pleinement leur potentiel au bénéfice de leur pays ni de contribuer au mieux à son avenir.

Ainsi, dans un rapport intitulé « Pour une société de la nouvelle chance », publié en 2005, le Conseil d'analyse de la société souligne la nécessité de répondre à cette « légitime impatience démocratique » . Il s'agit de « redonner sens à l'élitisme républicain » afin de « promouvoir les individus les plus talentueux et les plus volontaires », abstraction faite, notamment, des handicaps économiques ou culturels liés à l'origine sociale : « la marge de progression en matière d'égalité réelle des chances demeure importante » et « l'exigence de justice est en ce domaine aujourd'hui pressante et incontournable » 1 ( * ) .

Sur la base de ce même constat, et quarante ans après que Bourdieu ait avancé ses thèses sur la reproduction des élites, votre commission des affaires culturelles a souhaité s'interroger sur les résultats ambigus de l'incontestable démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur. A cette fin, elle a créé en son sein une mission d'information en cette année symbolique, puisque 2007 a été décrétée « année européenne de l'égalité des chances pour tous » 2 ( * ) .

En effet, un débat public s'est ouvert en France, attisé par les initiatives prises, ces dernières années, par des acteurs privés ou publics en vue d'élargir l' « assiette sociale » qui sert de base au recrutement de l'élite. Il s'est centré sur le système des grandes écoles et des classes préparatoires, dont les procédures de sélection paraissent favoriser, à la lumière des statistiques relatives à l'origine sociale des étudiants qui y sont admis, les « héritiers », c'est-à-dire les « initiés » du système. C'est ce qu'un journal suisse, le Tages-Anzeiger , a résumé par la formule suivante : « les grandes écoles françaises souffrent de consanguinité » .

Après avoir longtemps fermé les yeux, voire s'être résignée à accepter une réalité semblant se justifier sur des critères objectifs et indiscutables, notre société prend lentement conscience que cette situation est à la fois malsaine et hypocrite : le risque de « consanguinité » de nos élites constitue, en effet, une menace pour la vitalité et la cohésion sociales de notre pays ; de surcroît, il apparaît que les mécanismes de sélection scolaire mis en oeuvre par notre école républicaine permettraient de fait, comme l'avait déjà souligné Pierre Bourdieu, d'assurer « la perpétuation du privilège social » .

Votre mission a choisi d'aborder cet enjeu social par le prisme des classes préparatoires aux grandes écoles, qui ne constituent que l'un des « morceaux du puzzle » du système d'enseignement supérieur.

Ce champ d'investigation volontairement étroit peut susciter des interrogations sur la portée de l'analyse conduite, ainsi que votre mission a pu le mesurer au cours de ses auditions : en effet, seuls 5 % des élèves entrés en sixième accèdent chaque année aux grandes écoles , les classes préparatoires n'accueillant, quant à elles, que près de 9 % des bacheliers généraux et technologiques d'une génération .

C'est pourquoi votre mission tient à accompagner sa démarche d'un « avertissement » destiné à en éclairer le sens .

Il convient de lever, tout d'abord, tout malentendu ou ambigüité d'interprétation : votre mission ne prétend pas, en abordant la question des grandes écoles et des classes préparatoires, que cette voie d'études constituerait la seule filière d'excellence. Loin s'en faut, elle n'en est qu'une parmi d'autres, que sont l'université, accueillant plus d'un étudiant sur deux, mais également l'apprentissage, les filières professionnelles ou d'autres encore, à quelque niveau de formation que ce soit.

L'essentiel est que chaque jeune puisse aller au plus loin de ses capacités et trouve la voie de réussite qui corresponde le mieux à ses aspirations, favorisant ainsi son épanouissement à la fois personnel et professionnel. Telle est l'ambition que nous plaçons dans notre système éducatif.

Il ne s'agit pas, en outre, de mettre en valeur tel segment de notre système d'enseignement au détriment de tel autre : c'est ainsi dans un souci d'équilibre entre l'ensemble des filières de formation que la mission aborde son objet d'études .

Toutefois, force est de constater que le débat public sur le recrutement social de l'élite scolaire s'est focalisé sur ces filières sélectives.

En effet, alors que les classes préparatoires aux grandes écoles sont, d'un point de vue historique, l'emblème de notre idéal d'élitisme républicain, celles-ci concentrent la plus forte proportion de jeunes issus de milieux dits favorisés. Ainsi, ce sont les grandes écoles elles-mêmes, voire les entreprises dont elles constituent le principal vivier, qui ont lancé la réflexion et de premières pistes de réponse en vue de promouvoir l'égalité des chances et la diversité sociale en leur sein.

Il était donc légitime que la mission se penche, tout particulièrement, sur cette situation, qui mérite à elle seule un examen attentif.

En outre, la volonté de la mission de cibler son analyse sur les classes préparatoires aux grandes écoles répond à un souci de pragmatisme et d'efficacité, fondé sur une conviction : il n'est possible d'apporter des réponses précises et adaptées à un sujet complexe qu'à partir de son étude approfondie ; or, votre mission n'avait ni la prétention ni la capacité matérielle d'aborder, en quelques mois seulement, la vaste question de la démocratisation de l'ensemble de notre système éducatif, ni celle tenant à l'organisation générale de notre enseignement supérieur.

Cela ne signifie pas, pour autant, que ces enjeux aient été absents des préoccupations ayant guidé votre mission tout au long de ses travaux.

En effet, aussi essentiel fût-il, le sujet abordé par votre mission est indissociable de la réflexion conduite dans d'autres domaines et des réformes engagées par ailleurs.

L'on pense ici notamment aux textes régissant les universités. Rappelons que la loi d'orientation du 12 novembre 1968, dite loi « Edgar Faure », et que la loi du 26 janvier 1984, dite loi « Savary », ont encouragé l'entrée massive des jeunes sur les bancs de l'université.

Plus récemment, on pense bien entendu à la réforme de l'Université , engagée par le Gouvernement avec l'adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dont le Parlement a débattu cet été, et, plus largement, avec les cinq « chantiers » destinés à favoriser la réussite des étudiants et à accroître l'efficacité et la « compétitivité » de notre système universitaire sur la scène internationale.

Il s'agit là d'un défi qui reste encore à relever. Or, comme l'ont montré les débats qui ont eu lieu au Sénat lors de l'examen de ce projet de loi, dans lesquels sont venus s'immiscer les liens entre universités et grandes écoles, il nous faut veiller à consolider l'équilibre sur lequel repose notre système dual : de la « bonne santé » de notre université dépend la légitimation de nos grandes écoles. Votre mission ne souhaite pas opposer les différents systèmes de formation, mais valoriser les complémentarités et développer des synergies entre eux, au service de l'efficacité globale de notre enseignement supérieur et de la réussite de nos étudiants.

La démocratisation des classes préparatoires aux grandes écoles renvoie, en effet, à la capacité de notre école à faire fonctionner, le plus en amont, et ce dès les classes maternelles, l' « ascenseur social » pour les meilleurs élèves parmi les jeunes les moins favorisés.

Tout en s'en tenant à son objet d'étude, qui mérite à lui seul une analyse approfondie, votre mission sera amenée à formuler des propositions qui débordent, forcément, du strict cadre des classes préparatoires aux grandes écoles, pour viser l'ensemble des filières d'excellence.

Alors que la question de la diversification sociale de nos élites interpelle notre société et nos dirigeants politiques, elle vous propose quelques axes de progrès pour que notre pays sache mieux valoriser le potentiel de ses jeunes intellectuellement parmi les plus talentueux.

* 1 « Pour une société de la nouvelle chance. Une approche républicaine de la discrimination positive », rapport du Conseil d'analyse de la société, septembre 2005.

* 2 Voir décision n° 771/2006/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006.

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