2. Des réactions plus ou moins élogieuses

On peut regretter que, dans un premier temps, une bonne partie de la communauté éducative elle-même se soit montrée plutôt réticente et sceptique, à la fois quant aux motivations des grandes écoles et quant aux résultats que l'on pouvait en attendre.

Pionnière et très médiatisée, l'initiative de Sciences Po est aussi celle qui a suscité le plus de réactions. C'est surtout le mode de sélection spécifique des élèves bénéficiant des conventions d'éducation prioritaire qui a fait l'objet de critiques.

Politique audacieuse et efficace de discrimination positive 40 ( * ) républicaine pour les uns, importation des travers de « l'affirmative action » à l'américaine pour les autres, ces conventions ont suscité la polémique.

- Pour ses détracteurs , le système apparaît triplement discriminatoire : il s'agirait d'une discrimination à rebours (pour ceux qui ne bénéficient pas du dispositif), d'une « discrimination dans la discrimination » (pour les élèves défavorisés non issus des lycées conventionnés) et d'une « contre-discrimination » pour contrarier les effets d'une discrimination inhérente aux caractéristiques du concours lui-même, qui est cependant maintenu.

Le gain d'efficacité en matière de diversité sociale de l'élite que permet une forme de discrimination positive risquerait de se payer d'une rupture de l'égalité formelle ainsi que d'une stigmatisation des individus contraints de se définir par leur appartenance à un groupe défavorisé. La discrimination positive stricto sensu supposerait donc la combinaison de deux éléments :


• l'assignation identitaire (c'est-à-dire l'identification des individus à un groupe d'appartenance) ;


• la suspension de la règle de concurrence, qui résulte de la prise en compte, dans la procédure de sélection, de critères autres que le mérite et le talent des individus.

A cet égard, votre mission relève que si à l'entrée à Sciences Po, les élèves recrutés au travers des « conventions ZEP » peuvent ressentir une forme de sentiment d'appartenance à un groupe, cette perception à la fois semble aujourd'hui très atténuée par rapport à la première « promotion » et se dissipe en tout état de cause au cours de la scolarité. Par ailleurs, ainsi que l'a précisé à votre mission le directeur de Sciences Po, le nombre de places pour les autres filières d'accès à l'Institut a été augmenté, de sorte que les candidats n'ont pas subi les conséquences de la création d'une nouvelle voie de recrutement.

- Pour ses partisans , le dispositif ressort d'une forme de « discrimination positive à la française » et non « d'affirmative action » . Ils avancent trois types d'arguments :


• la procédure de sélection ne recourt pas à la technique des quotas et on ne fixe pas par avance le nombre de places réservées ;


• le critère de distinction des voies de recrutement ne repose pas sur une classification ethno-raciale ou ethno-religieuse mais il est de type socio-économique ;


• le niveau pertinent pour juger de la conformité au principe républicain de non discrimination n'est pas la « sélection-recrutement » mais la « sélection-certification » à l'issue de la formation. Or, il n'existe pas de traitement préférentiel pour l'obtention du diplôme : tous les étudiants sont soumis au même examen final où seuls comptent le mérite et le talent.

L'ouvrage collectif « Pour une société de la nouvelle chance - Une approche républicaine de la discrimination positive » 41 ( * ) , évoque clairement les différents aspects de cette question.

L'initiative de Sciences Po a incontestablement joué un rôle de « locomotive ». Néanmoins, de nombreuses grandes écoles plébiscitent plutôt les autres types de programmes. Elles ne souhaitent pas remettre en cause un système fondé sur les concours et concentrent leurs efforts sur la période scolaire.

L'expérimentation conduite à Henri IV a également suscité des remarques, certains interlocuteurs contestant le principe de création d'une année de propédeutique, le fait même d'accueillir les élèves concernés dans une classe spécifique leur paraissant contraire à l'objectif de mixité sociale.

* 40 M. Alain-Gérard Slama définit cette dernière comme « une pratique susceptible de créer, en faveur de telle ou telle catégorie de la population, des situations privilégiées, destinées à compenser une inégalité de départ ou un privilège. »

* 41 Paru à la Documentation française.

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