2. Les surcoûts liés au Livre : un véritable handicap pour la presse quotidienne nationale

Cette organisation particulière issue de la Libération, inédite à l'échelle européenne, a entraîné des surcoûts considérables bien que difficilement quantifiables pour les titres de la presse quotidienne nationale.

Ceux-ci sont de deux natures : des surcoûts directs imputés aux éditeurs par l'intermédiaire de coûts d'impression et de distribution plus élevés et des surcoûts induits par la réorganisation progressive de la filière.

a) Les surcoûts directs

Dans son rapport pour le Conseil économique et social, M. Jean Miot rappelait que « fabriquer un quotidien coûte, en 1992, deux à trois fois plus cher en France qu'en Grande-Bretagne. » Compte tenu de la réorganisation progressive de la filière, la situation n'est certes plus aussi catastrophique qu'à l'époque.

Elle reste toutefois suffisamment originale pour être évoquée d'autant que, si la situation matérielle des ouvriers du « Livre » a longtemps constitué un véritable tabou, les différents travaux réalisés sur la presse quotidienne ont en effet permis d'y voir clair sur les pratiques caractérisant ce qu'il fut longtemps convenu d'appeler « l'aristocratie du Monde ouvrier ».

(1) Des salaires confortables

La spécificité des ouvriers du Livre tient d'abord à la rémunération confortable de ses membres compte tenu de la durée et de la pénibilité des tâches effectuées. Il ne s'agit pas ici de dénoncer pour le plaisir des avantages autrefois justifiés par des conditions de travail contraignantes et des compétences recherchées, mais de mettre en lumière la situation d'une catégorie de personnel dont les spécificités ont progressivement disparu.

Dans son édition du 12 septembre 2007, Télérama rappelle ainsi que « un ouvrier rotativiste oeuvrant sur les quotidiens gagne bien davantage (actuellement, 4 000 euros sur quatorze mois) que son collègue qui imprime les magazines. » En 2002, M. Yves Sabouret, directeur général des NMPP, autre bastion historique du Livre, évoquait quant à lui « un personnel ouvrier [qui] gagne 15 à 18 000 francs nets par mois pour moins de trente heures de travail effectif par semaine [...] » .

Cette situation apparaît aujourd'hui :

- d'autant plus choquante que la presse parisienne s'enfonce dans la crise et que l'écart avec les autres métiers de la presse, notamment les journalistes, n'a jamais été aussi important ;

- d'autant plus visible que les imprimeries de labeur ont considérablement réduit leurs coûts du fait de la concurrence. Selon Le nouvel Économiste 15 ( * ) , « il existe un écart de un à deux pour la rémunération d'un manutentionnaire dans l'imprimerie de presse comparé au labeur. ».

(2) Des effectifs pléthoriques

Cette spécificité caractérise également les effectifs des imprimeries : les effectifs « confortables » évoqués par M. Marc Norguez, lors de son audition par le groupe de travail, restent en effet d'actualité. Ainsi, lorsque l'on prévoit 1,3 salarié pour un poste de travail dans la fabrication d'un magazine, il en faut deux pour un poste dans la production d'un quotidien.

Le plan social relatif à la réorganisation de l'imprimerie du Monde illustre cette situation de sureffectif : il prévoit en effet le départ de 90 salariés sur un total de 400, soit près de 25 % de personnel en moins, sans réorganisation de la production !

b) Des surcoûts indirects

A ces coûts directs s'ajoutent des coûts indirects relativement conséquents financés par les éditeurs et ... le contribuable national. La liste des plans sociaux destinés à accompagner la réorganisation du processus d'impression et à réduire l'emprise du Livre dans ce secteur est en effet impressionnante :

- accord du 7 juillet 1976 : diminution de 35 % des effectifs de la filière au terme de mesures d'âge et de reclassement ;

- accord-cadre du 19 mai 1989 : il prévoit lui aussi un volet consacré à la formation professionnelle et un autre aux préretraites. Au terme de la mise en place de ce plan, 583 ouvriers ont ainsi quitté la profession dont 227 photocompositeurs et 158 rotativistes dès 55 ans dans le cadre de conventions d'allocations spéciales du FNE ;

- accord-cadre du 25 juin 1992 : départ en AS/FNE de 422 ouvriers et reclassement en dehors de la profession d'un nombre équivalent ;

- convention-cadre du 30 septembre 2005 : l'État s'engage à participer au financement d'au maximum 586 départs (497 ouvriers et 89 cadres techniques) à hauteur de 46,4 % sur toute la durée du plan, le reste devant être assumé par les entreprises de presse bénéficiaires.

Les efforts financiers engagés de part et d'autre pour retrouver des coûts de production raisonnables sont difficiles à évaluer. Ils s'élèvent certainement à plusieurs centaines de millions d'euros sur les trente dernières années sans que l'on puisse affirmer avec certitude qu'ils aient réellement permis de rejoindre la moyenne européenne en ce domaine.

On peut toutefois remarquer que, si tel était le cas, les quotidiens gratuits n'auraient certainement pas la tentation d'aller se faire imprimer sur les presses belges ou luxembourgeoises.

* 15 Ibidem.

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