CHAPITRE VII - QUELLE POLITIQUE BUDGÉTAIRE POUR QUELLE CROISSANCE ?

Dans le présent chapitre, on s'efforce d'évaluer à quelles conditions les objectifs de la politique budgétaire pour les cinq ans à venir sont compatibles avec le sentier de croissance économique projeté sur la même période.

La politique budgétaire des Etats de l'Union européenne, et plus encore celle des Etats ayant adopté l'euro, est étroitement encadrée par les règles du Pacte de stabilité et de croissance, même si, comme l'avait souhaité notre Délégation, ces règles ont été quelque peu assouplies.

Le Pacte de stabilité et de croissance n'est pas l'unique source des contraintes que doit envisager la politique budgétaire en France. Même si les règles européennes n'existaient pas, il existerait un « principe de réalité » qui commanderait d'éviter les erreurs de politique budgétaire.

Cela étant, tout le problème est de définir ce qu'est une politique budgétaire sans erreurs, autrement dit ce qu'est une bonne politique budgétaire.

Et, sur ce point, la définition du Pacte de stabilité et de croissance, dès l'origine très peu pertinente comme l'a montré la nécessité où les Etats se sont trouvés de la réformer, ne parvient toujours pas à convaincre en dépit des amendements qui lui ont été apportés.

En promouvant des objectifs fondés sur des conceptions plutôt inspirées par des travaux concluant à la nocivité de la politique budgétaire, le pacte européen conforme les politiques budgétaires des Etats membres dans le sens d'une sous-utilisation d'un des principaux instruments qui leur reste pour piloter l'activité économique 77 ( * ) .

Cette logique qui repose sur des justifications empruntant plus à la théorie qu'aux vérifications empiriques jure par trop avec le « principe de réalité » qu'on a évoqué.

Il n'est donc pas étonnant que les programmes de stabilité ou de convergence élaborés par les Etats membres comportent des objectifs qui, quoique conformes aux règles européennes, déconcertent un peu l'analyse et se trouvent souvent contraires dans la pratique.

Ce « modus vivendi » peut bien être devenu une sorte de nouveau compromis européen, il n'est pas pour autant recommandable de continuer à en user.

A l'heure où la coordination des politiques économiques en Europe est chahutée de toutes parts, en particulier dans un domaine essentiel aux finances publiques, les prélèvements obligatoires, alors que les politiques économiques non-coopératives reprennent le dessus et tandis que le dialogue avec les autorités monétaires reste presque inexistant, il est souhaitable qu'un sursaut intervienne pour que l'Europe offre aux Etats un cadre propice à des politiques budgétaires réalistes.

I. UN OBJECTIF DE FORTE RÉÉPARGNE PUBLIQUE AU MOYEN D'UNE NETTE RÉDUCTION DU POIDS DES DÉPENSES PUBLIQUES

La programmation financière projette un processus de réépargne des administrations publiques qui est fondé sur une rupture dans le partage du revenu national : les moyens alloués aux dépenses publiques seraient en proportion structurellement réduits.

A. UNE FORTE RÉÉPARGNE PUBLIQUE...

La programmation financière associée au projet de loi de finances pour 2008 et qui devrait préfigurer le programme de stabilité élaboré pour satisfaire à nos obligations européennes du Pacte de stabilité et de croissance, prévoit le retour à l'équilibre des comptes publics en 2012 dans un « scénario bas » à 2,5 % de croissance économique , ou, dès 2010 , si la croissance devait atteindre le rythme de 3 % en volume.

CAPACITÉ (+) OU BESOIN (-) DE FINANCEMENT PAR SOUS-SECTEURS

Points de PIB

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Scénario BAS

Administrations publiques

-2,4

-2,3

-1,7

-1,2

-0,6

0,0

Etat

-1,9

-2,2

-1,9

-1,6

-1,2

-0,8

Org. divers d'administration centrale

-0,1

0,1

0,2

0,2

0,3

0,3

Administrations locales

-0,2

-0,2

-0,2

-0,1

0,0

0,0

Administrations sociales

-0,2

0,0

0,1

0,3

0,4

0,5

Scénario HAUT

Administrations publiques

-2,4

-2,3

-1,3

-0,3

0,5

1,3

Etat

-1,9

-2,2

-1,7

-1,1

-0,7

-0,3

Org.divers d'administration centrale

-0,1

0,1

0,2

0,2

0,3

0,3

Administrations locales

-0,2

-0,2

-0,1

0,0

0,1

0,2

Administrations sociales

-0,2

0,0

0,3

0,5

0,8

1,0

Source : Projet de loi de finances pour 2008. Rapport économique, social et financier (RESF)

Cet objectif passe par une diminution du besoin de financement de 2,4 points de PIB dans l'hypothèse où la croissance économique serait de 2,5 % à partir de 2009.

Avec 3 % de croissance , non seulement le besoin de financement serait effacé mais encore les administrations publiques dégageraient une capacité de financement croissante qui s'élèverait à 1,3 point de PIB en 2012 . Au total, dans ce dernier cas, le solde public connaîtrait une « amélioration » de 3,7 points de PIB .

Ces évolutions correspondent à des engagements de politique économique . En effet, le rapport économique, social et financier précise que les variations du solde nominal proviendraient , pour l'essentiel, dans les deux scénarios, de modifications du solde structurel .

SOLDE STRUCTUREL ET EFFORT STRUCTUREL

_____

I- Détermination du solde structurel

Le solde des administrations publiques est affecté par la position de l'économie dans le cycle. On observe ainsi un déficit de recettes et un surplus de dépenses (notamment celles qui sont liées à l'indemnisation du chômage), qu'on peut juger transitoire, lorsque le PIB est inférieur à son niveau potentiel et, à l'inverse, un surplus de recettes et une diminution des dépenses, qu'on peut aussi qualifier de transitoire, lorsqu'il lui est supérieur.

L'indicateur usuel de solde structurel vise à corriger le solde public effectif de ces fluctuations liées au cycle. La méthode d'évaluation du solde structurel consiste à calculer, en premier lieu, la partie conjoncturelle du solde public, c'est-à-dire celle qui s'explique par les écarts entre la conjoncture observée et les tendances « normales » de la croissance, selon une méthodologie largement commune aux organisations internationales. En pratique, ce calcul repose notamment sur l'hypothèse que les recettes conjoncturelles évoluent au même rythme que le PIB, et que les dépenses - à l'exception notable des allocations chômage - ne sont pas sensibles à la conjoncture. Le solde structurel est ensuite calculé comme un « résidu » , par différence entre le solde effectif et sa partie conjoncturelle. Cet indicateur constitue une référence internationale pour l'appréciation de l'orientation des politiques budgétaires.

Une fois les effets de la conjoncture éliminés, on retrouve dans les évolutions du solde structurel :

- l'effet des variations de la dépense publique, mesuré par l'écart entre la progression de la dépense et la croissance potentielle : lorsque la dépense publique croît moins vite que la croissance potentielle, cela correspond bien, si les prélèvements obligatoires ne sont pas diminués d'autant, à une amélioration structurelle des comptes publics ; à l'inverse, si l'augmentation des dépenses publiques est plus rapide que la croissance potentielle, il y a toutes choses égales par ailleurs du côté des prélèvements obligatoires, une dégradation de la situation structurelle des comptes publics ;

- les mesures nouvelles concernant les prélèvements obligatoires, pour lesquelles les mêmes appréciations peuvent être portées mutatis mutandis .

II- L'effort structurel

Cependant, à côté de ces facteurs effectivement représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire, le solde structurel, tel qu'il est défini pour les organisations internationales, en recouvre d'autres, sans doute moins pertinents :

- Le solde structurel est affecté par des « effets d'élasticité » des recettes publiques. L'hypothèse, en pratique, d'élasticité unitaire des recettes au PIB 78 ( * ) , retenue dans le calcul du solde conjoncturel, n'est en effet valable qu'à moyen-long terme. À court terme en revanche, on observe des fluctuations importantes de cette élasticité.

Pour l'Etat par exemple, l'amplitude de l'élasticité apparente des recettes fiscales est forte, du fait notamment de la variabilité de l'impôt sur les sociétés : l'élasticité des recettes fiscales nettes peut ainsi varier entre zéro et deux.

Retenir l'hypothèse d'une élasticité unitaire, comme le font les organisations internationales, revient donc à répercuter entièrement en variations du solde structurel les fluctuations de l'élasticité des recettes, alors même que ces fluctuations s'expliquent largement par la position dans le cycle économique. L'interprétation des variations du solde structurel s'en trouve donc sensiblement brouillée.

- D'autres facteurs peuvent également intervenir comme les variations des recettes hors prélèvements obligatoires (les recettes non fiscales de l'Etat, par exemple). Par construction, ces évolutions n'étant pas tenues pour conjoncturelles viennent affecter le solde structurel, ce qui n'est pas toujours fidèle à l'esprit qui préside à la distinction entre situations conjoncturelle et structurelle des comptes publics.

Afin de s'en tenir aux facteurs dont la nature structurelle est le mieux établie, on peut donc retirer du solde structurel les effets d'élasticité et, par souci de simplicité, la variation des recettes hors prélèvements obligatoires .

L' indicateur qui en résulte, que l'on peut qualifier d'« effort structurel » ou de « variation discrétionnaire du solde structurel » retrace les seuls effets combinés des variations des dépenses publiques et des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires décidées par les pouvoirs publics.

L'écart entre l'indicateur de variation du solde structurel et celui de l'effort structurel peut être important.

Source : d'après le Rapport économique, social, et financier, annexé au projet de loi de finances pour 2004.

Ces prévisions ne sont donc tributaires de l'environnement économique que pour leurs composantes conjoncturelles , qui, dans les deux hypothèses , sont mineures .

PERSPECTIVES DES FINANCES PUBLIQUES À L'HORIZON 2012
VARIATIONS DU SOLDE PUBLIC - (en points de PIB)

Scénario BAS

Scénario HAUT

Variations structurelles

2,2

3,2

Variations conjoncturelles

0,2

0,5

Total

2,4

3,7

Source : Projet de loi de finances pour 2008. Calculs de l'auteur.

Dans le scénario bas , la croissance économique est de 2,5 %, soit légèrement supérieure au potentiel de croissance économique en France que le programme de stabilité estime à 2,3 %. La partie conjoncturelle de la variation du solde public nominal, celle qui correspond à l'effet sur le solde public d'une croissance effective supérieure au potentiel de l'économie, est, par conséquent, limitée, de 0,2 point de PIB. La composante structurelle du solde gagne, quant à elle, 2,2 points de PIB sur les 2,4 points de variation totale du solde. Ce gain correspond aux exigences du Pacte de stabilité et de croissance d'une variation positive et structurelle de la capacité de financement des administrations publiques des Etats-membres de 0,5 point de PIB par an .

Dans le scénario haut , la croissance économique est de 3 %. Une partie de ce scénario repose sur l'éventualité d'une élévation du rythme de la croissance potentielle en France qui passerait à 2,7 % l'an (contre 2,3 % dans le scénario bas). Cette embellie de la croissance potentielle réduit mécaniquement l'estimation de la composante conjoncturelle de la variation du solde public. Dans ce scénario, celle-ci est donc limitée à 0,5 point de PIB tandis que la variation de la composante structurelle s'élève à 3,2 points de PIB. Le solde structurel augmente de 0,8 point de PIB par an (contre 0,5 point dans le scénario bas) soit davantage que ce que demandent nos engagements européens.

En conséquence de ces évolutions et compte tenu des scénarios de croissance sous-jacente, le solde dépasserait, dès 2008, les exigences quantitatives d'un solde stabilisant la dette publique dans le PIB (tableau ci-dessous).

ÉVOLUTION DE LA CAPACITÉ DE FINANCEMENT
ET DE LA DETTE DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES - (en % du PIB)

En % du PIB

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

89--98

99--08

09--12

Scénario bas

Solde public

-2.5

-2.4

-2.3

-1.7

-1.2

-0.6

0.0

-3.9

-2.6

-0.9

Solde public stabilisant la dette publique

-2.9

-2.4

-2.6

-2.8

-2.7

-2.6

-2.6

Impulsion budgétaire*

-0.8

-0.1

-0.2

-0.4

-0.5

-0.5

-0.5

Dette publique

64.2

64.2

64

63.2

61.9

60.2

57.9

47.3

61.9

60.8

Scénario haut

Solde public

-2.5

-2.4

-2.3

-1.3

-0.3

0.5

1.3

-3.9

-2.6

0.1

Solde public stabilisant la dette publique

-2.9

-2.4

-2.6

-3.1

-3.0

-2.9

-2.7

Impulsion budgétaire*

-0.8

-0.1

-0.2

-0.4

-0.5

-0.5

-0.5

Dette publique

64.2

64.2

64.0

62.5

60.0

57.2

53.4

47.3

61.9

58.3

* calculée à partir de la variation du solde structurel (y compris charges d'intérêts) avec une hypothèse de croissance du PIB de 2,2 % par an sur l'ensemble de la période

Sources : INSEE, Rapport économique, social et financier 2008, prévisions OFCE.

Le stock de dette publique rapporté au PIB diminuerait fortement.

*

* *

Au total, la programmation financière à l'horizon 2012 témoigne non seulement de l'observation de la norme du Pacte de stabilité et de croissance d'une « amélioration » structurelle des comptes publics de 0,5 point de PIB par an, mais encore de la prise en compte des exigences de provisionnement identifiées par la Commission européenne pour stabiliser durablement la dette publique au niveau de 60 points du PIB (voir chapitre VIII) .

* 77 Le Pacte de stabilité et de croissance pousse d'ailleurs plus loin la logique qui lui est sous-jacente puisque dans des conditions qu'il faut reconnaître ambiguës, il comporte des règles qui, pour certaines, obligent les Etats à renoncer à financer leurs interventions par l'appel public à l'épargne.

* 78 Cela signifie qu'une hausse nominale de 1 % de l'activité se traduit par une hausse de 1 % des recettes publiques.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page