EXAMEN EN DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du mercredi 7 novembre 2007 , tenue sous la présidence de M. Joël Bourdin , président , la délégation pour la planification a procédé à l'examen du rapport d'information sur les perspectives de l'économie française et des finances publiques à l'horizon 2012, de M. Joël Bourdin, rapporteur .

M. Joël Bourdin, rapporteur , a d'abord souligné que le rapport annuel de la délégation avait pour objectif d'apporter au débat public, à travers une simulation quantitative, une évaluation de la stratégie des finances publiques définie par les gouvernements successifs. Il a indiqué que le rapport procédait à l'exploration des perspectives économiques à moyen terme au travers de deux scénarios, réalisés grâce au modèle macroéconomique de l'OFCE, repris de la programmation à moyen terme des finances publiques associée au projet de loi de finances pour 2008. Le premier scénario, dit scénario « central », retient l'hypothèse d'une réduction annuelle du déficit public structurel de 0,5 point de PIB, ce qui correspond précisément aux exigences du « pacte de stabilité et de croissance » européen. Malgré cette impulsion négative sur la demande, la croissance s'élève à 2,5 % par an, à compter de 2009. Les comptes publics se trouveraient juste à l'équilibre en 2012 et, dès 2011, le poids de la dette publique serait quasiment ramené à 60 points de PIB. Dans le second scénario, l'hypothèse sous-jacente est celle d'une amélioration structurelle du déficit public de l'ordre de 0,8 point de PIB, donc plus énergique que celle requise par le pacte de stabilité, dans le contexte d'une croissance annuelle de 3 % à compter de 2009. Les comptes publics présenteraient un excédent à partir de 2011 et le poids de la dette publique dans le PIB passerait en dessous de 60 % dès 2010.

M. Joël Bourdin, rapporteur , a précisé que le scénario central, qui conjuguait un fort ajustement budgétaire avec une croissance soutenue, nécessitait que la « réépargne publique », que représente la baisse du déficit public, soit compensée par une désépargne privée.

En raison de l'impulsion économique a priori négative de l'orientation des dépenses publiques jusqu'en 2012, il faudrait, pour suivre les rythmes de croissance annoncés, que la croissance économique spontanée se redresse et tende, dans le premier scénario, vers une croissance en volume de 3 % et, dans le second scénario, vers une croissance en volume de 3,8 %.

Le comportement des ménages est la clé du désendettement de l'Etat. En effet, dans le scénario central, malgré la réduction du déficit budgétaire qui pèse sur le pouvoir d'achat, la demande des ménages ne fléchit pas en raison d'une baisse prononcée de leur taux d'épargne. Celui-ci doit reculer de 3 points entre 2007 et 2012, pour se situer alors à 12,7 points de leur revenu. Cette baisse est nécessaire pour que la consommation des ménages augmente, en moyenne, de près de 3 % par an, alors que leur revenu disponible progresserait à un rythme n'excédant guère 2 %. Les perspectives de pouvoir d'achat sont réduites par l'hypothèse posée d'un parallélisme entre l'évolution de la productivité et du salaire par tête (1,7 % par an), tandis que les engagements de réduction du déficit public et de baisse des dépenses publiques exerceraient un effet défavorable sur le bilan des relations financières entre les ménages et l'Etat.

M. Joël Bourdin, rapporteur , s'est ensuite interrogé sur la plausibilité d'une baisse notable du taux d'épargne des ménages. Dans un passé récent, le taux d'épargne des ménages a déjà diminué dans des proportions importantes, si bien que l'inflexion anticipée ne paraît pas invraisemblable. Par ailleurs, une baisse des déficits publics peut conforter l'idée qu'il est moins nécessaire d'épargner. Enfin, si l'endettement des ménages français approche aujourd'hui le niveau record de 70 % de leur revenu, ce taux demeure très inférieur à celui observé dans d'autres pays : par exemple, 130 %, en Espagne, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

Quoi qu'il en soit, la « désépargne » des ménages est essentiellement suspendue à l'évolution des taux d'intérêts, et donc à la politique de la Banque centrale européenne (BCE). L'évolution des taux d'intérêt constitue par ailleurs un déterminant fondamental de l'investissement, dont la hausse est également requise pour la réalisation des scénarios de croissance : pour sa contribution à l'augmentation de la demande et au renforcement de la croissance potentielle.

A taux d'intérêts réels inchangés, la rentabilité économique de l'investissement dépendrait surtout de la demande effective. Depuis la fin des années quatre-vingt dix, les taux d'intérêts réels ne se situent plus à un niveau intrinsèquement problématique pour l'investissement et, au sein des entreprises, le maillon le plus faible du processus décisionnel se situerait plutôt du côté de l'anticipation de la demande, ce qui plaide pour une politique prioritairement orientée vers la croissance.

Puis, M. Joël Bourdin, rapporteur , a observé que, depuis la crise mondiale de 2001 consécutive à l'éclatement de la « bulle Internet », les Etats-Unis avaient utilisé les leviers budgétaire et monétaire pour relancer l'activité avec succès alors que celle de la zone euro restait engluée dans une « croissance molle ». De fait, avec une politique monétaire au service exclusif de la stabilité des prix, des politiques budgétaires bridées et une politique de change quasi-inexistante, la gouvernance de la zone euro s'avère défavorable à la croissance. Dans ce contexte, les pays de la zone peuvent chercher à capter une part de la croissance de leurs partenaires par des politiques de compétitivité ou de concurrence fiscale. C'est ce que fait l'Allemagne depuis dix ans, et la France réfléchit aujourd'hui à une TVA sociale. Or, si tous les pays d'un ensemble relativement peu ouvert sur l'extérieur, comme l'est la zone euro, mènent des politiques de désinflation compétitive, les avantages différentiels que chacun peut en attendre s'annulent, tandis que la croissance de l'ensemble de la zone se ralentit.

M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite estimé que dans un contexte de politiques macroéconomiques globalement restrictives, il serait difficile, malgré certaines réformes structurelles, de rehausser la productivité du travail au niveau de celle des Etats-Unis, ainsi que se le recommande pourtant l'Europe à elle-même dans sa « Stratégie de Lisbonne ». Le récent redressement de la productivité observé dans la zone euro semble bien relatif ; en réalité, la forte décélération observée depuis les années quatre-vingt constitue la seule évolution véritablement marquante depuis l'après-guerre. Elle illustre l'idée que l'Europe peine à passer d'un modèle d'imitation, caractéristique d'une économie en phase de rattrapage, à un modèle d'innovation continue, qui lui permettrait de se situer à la « frontière technologique ». C'est pourquoi la France doit comprendre que l'enjeu essentiel est celui de sa capacité à redresser l'investissement de ses entreprises, son effort de recherche-développement et la qualité de son capital humain.

Enfin, M. Joël Bourdin, rapporteur , a analysé la dépense publique. La stratégie du Gouvernement est dictée par un objectif de réduction de la dette publique résultant d'un strict contrôle des dépenses. Celles-ci progresseraient, à partir de 2008, à un rythme de l'ordre de 1 % en volume. Les dépenses de l'Etat seraient particulièrement contraintes, car la norme de progression « zéro volume » serait étendue, dès 2008, aux prélèvements sur recettes pour les collectivités locales et l'Union européenne. Il semble qu'une norme d'évolution des dépenses publiques aussi stricte suppose des économies qui vont au-delà de ce qu'on peut attendre d'une meilleure gestion. Outre l'inertie de certaines dépenses - 60 % des dépenses publiques sont des dépenses de transfert et de protection sociale -, il faut compter avec les priorités affichées, notamment celles fixées par la stratégie de Lisbonne, telles que l'enseignement, la recherche ou l'innovation.

M. Joël Bourdin, rapporteur , a également estimé que l'objectif d'un renoncement de l'Etat à l'emprunt paraissait discutable. L'augmentation de la croissance potentielle voulue par les Gouvernements européens suppose de lourds « investissements » matériels (en infrastructures notamment) et immatériels (en formation, en recherche...). Le souci de protéger l'environnement, le développement durable, réclame encore d'autres investissements. Ces projets nécessitent des financements et, compte tenu de leur nature et de leurs effets sur le rythme structurel de la croissance économique, il serait cohérent qu'une partie de ce financement provienne d'emprunts. Une politique de renoncement à l'emprunt public suppose que le secteur privé prenne le relais dans des domaines où l'intervention publique est souvent la règle et, finalement, se pose ainsi la question de la « soutenabilité de la réduction de la dette publique » quand celle-ci est recherchée par des moyens comptables. Or, cette question est négligée par les recommandations de politique budgétaire de la Commission européenne, établies sur la base de perspectives à long terme d'évolution des dettes publiques.

Selon M. Joël Bourdin, rapporteur , les trajectoires de soutenabilité budgétaire décrites à partir des perspectives de la dette publique à long terme appellent trois séries d'observations.

En premier lieu, il se pourrait que la croissance potentielle en Europe soit supérieure aux estimations actuelles. Outre le redressement structurel qui semble se dessiner avec l'augmentation de la productivité, les projections démographiques à l'horizon 2050 publiées par l'INSEE en juillet 2006 ont montré que l'« atout démographique » de la France devrait finalement perdurer alors qu'on le croyait provisoire, ce qui se traduirait par un relèvement de 0,3 point de PIB des perspectives de croissance potentielle et permettrait de diminuer de 0,2 point de PIB l'effort nécessaire pour parvenir à une stabilisation de la dette publique à long terme. Ces considérations illustrent la robustesse relative du diagnostic porté sur la soutenabilité des finances publiques.

En deuxième lieu, la dette publique dont il est question dans le débat public est une dette brute, qui n'est pas corrigée des emplois qu'elle finance et de leur impact sur la croissance structurelle. Or, il serait justifiable de raisonner en dette nette des actifs corporels ou incorporels produits par l'intervention publique et de mieux tenir compte de la rentabilité macroéconomique des dépenses publiques.

En troisième lieu, la dette publique n'est pas la dette de la Nation et, à une augmentation de l'endettement public, peut correspondre ou non une progression de la dette de la Nation. La Commission européenne et la BCE demandent régulièrement que la dette publique en Europe soit réduite, alors que la zone euro dispose en réalité d'une capacité globale de financement, reflet de sa capacité d'épargne. A l'inverse, le Royaume-Uni et, surtout, les Etats-Unis connaissent des besoins de financement qui persistent depuis de nombreuses années. On peut en déduire que la croissance dans l'Union européenne n'est pas freinée par un déficit d'épargne mais plutôt par un déficit de « projets », que la valeur de l'euro - qui d'ailleurs s'est appréciée depuis plusieurs années - n'est pas sous la menace d'une dépréciation résultant de l'accumulation de dettes et que la compétitivité de la zone euro n'encourt aucun danger du fait d'un risque d'écart d'inflation avec les économies situées hors de la zone.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Yves Fréville s'est déclaré en accord avec la tonalité et les conclusions du rapport. Selon lui, dans un contexte de haute conjoncture économique mondiale, la croissance française est proche de son potentiel, et la question est de savoir pourquoi elle s'établit à 2 % et non à 3 %. Il s'est aussi interrogé sur l'avenir de notre croissance et de nos finances publiques dans l'hypothèse d'un retournement de conjoncture. Au sujet du pouvoir d'achat, M. Yves Fréville a estimé que le problème était moins celui de l'évolution globale du revenu disponible que celui de sa redistribution et a, par ailleurs, jugé contestable de relancer l'économie par la consommation. Par ailleurs, l'investissement ne souffre pas du niveau des taux d'intérêts, mais bien de la demande anticipée. Quant au commerce extérieur français, il pâtit des insuffisances de la spécialisation de notre appareil de production, ce qui devrait inciter à conforter nos atouts. Enfin, une diminution des dépenses publiques n'est soutenable qu'à la condition que l'investissement privé prenne le relais. Le problème de l'orientation de l'investissement public se pose également. Puis, M. Yves Fréville a rappelé que la politique monétaire et la politique de change entraient immanquablement en conflit, dès lors qu'elles reposaient sur un instrument commun -les taux d'intérêt-, la question étant aujourd'hui de trouver d'autres instruments pour asseoir ces politiques.

M. Bernard Angels a estimé que le « scénario haut » de la programmation financière du projet de loi de finances pour 2008 n'était pas crédible. Il a estimé que soumettre aux mêmes exigences de stabilité des pays dont la structure des dépenses publiques est différente - ce qui apparaît clairement pour la politique sociale - est illogique. Par ailleurs, une politique de soutien au pouvoir d'achat ne peut se passer de favoriser aussi l'investissement ; ainsi, des politiques européennes plus orientées vers l'investissement et la croissance apparaissent nécessaires. Enfin, le budget pour 2008 ne s'inscrit pas dans le scénario requis puisque les dépenses non productives augmentent au travers de mesures fiscales qui ne sont pas toujours appropriées, ce qui engendrera immanquablement un sursaut de rigueur à moyen terme.

Abordant les dépenses publiques, M. Yves Fréville a souligné l'intérêt et la difficulté de réformer certaines bases de calcul, qu'il s'agisse, par exemple, de la dotation générale de fonctionnement (DGF), par trop inégalitaire, ou de la taxe professionnelle, dont le calcul est actuellement défavorable à l'investissement.

M. Joël Bourdin, rapporteur , ayant rappelé qu'une consommation dynamique, nécessaire pour la réalisation du scénario gouvernemental, impliquait une baisse du taux d'épargne, M. Yves Fréville a estimé qu'il importait de donner à l'épargne une orientation plus productive, signalant que les 1.500 milliards d'euros placés dans l'assurance-vie participaient indirectement au financement du déficit budgétaire.

M. Joël Bourdin, rapporteur , a indiqué que le déficit du commerce extérieur avait pu coûter jusqu'à 0,9 point de croissance à la France, ces dernières années. Outre-Rhin, les excédents commerciaux peuvent s'expliquer par le contenu en innovation de la production, les prix étant loin de déterminer le succès de l'Allemagne. Au total, l'investissement s'avère primordial et son renforcement suppose que les perspectives économiques se dégagent.

La délégation a alors donné un avis favorable unanime à la publication du rapport d'information sur les perspectives économiques et des finances publiques à l'horizon 2012, de M. Joël Bourdin, rapporteur.

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