B. LUTTER CONTRE LES DESTRUCTIONS D'ESPACES

Sur terre, en Europe, les experts estiment que près de 80 % des atteintes à la biodiversité sont imputables à des concurrences d'occupation d'espaces entre les activités humaines et les milieux naturels.

Compte tenu des perspectives du développement économique et démographique à l'horizon 2050, la pression anthropique sur les espaces naturels est appelée à s'accroître , aussi bien du fait de l'occupation directe des territoires que du cloisonnement de ceux-ci et que des effets indirects des activités humaines sur les eaux continentales.

1. Mieux gérer l'occupation directe des espaces

L'extension continue de la périphérie des villes, le développement des réseaux routiers et des parkings aboutissent à une minéralisation progressive des territoires.

En Chine, en 2007, on aura construit 7.000 km d'autoroutes. En France se sont 60 000 ha par an des espaces naturels qui disparaissent, soit 164 ha par jour. En Allemagne, 100 hectares par jour sont soustraits aux espaces naturels pour implanter des équipements et des logements.

Les autorités allemandes, conscientes de ce phénomène, se sont fixé des objectifs très contraignants : réduire la minéralisation des territoires à 30 hectares par jour en 2020 et supprimer toute occupation supplémentaire du territoire en 2050. L'état du Bade Wurtenberg est même plus sévère (0 en 2020).

Deux types d'actions pourraient concourir à réfréner le grignotage : la redéfinition des conditions du développement urbain et des mesures de compensation aux occupations d'espaces naturels.

La question de la gestion durable de l'espace devient cruciale dans la plupart des pays européens. Le droit de l'urbanisme qui pourtant par nature doit prévoir et organiser l'avenir en est-il conscient ?

a) La redéfinition du développement urbain

Aussi bien en matière de lutte contre l'effet de serre que de préservation des espaces naturels, la redéfinition de développement urbain devient indispensable.

La prise de conscience de la nécessité de protéger les milieux naturels doit prendre racine dans l'action au quotidien des autorités locales .

A cet égard, les structures urbaines des siècles passés sont un exemple qui ne semble pas être suivi. L'extension urbaine sous forme d'habitat individuel avec un maillage routier étendu et des équipements collectifs dispersés est une des causes principales de destruction d'espaces naturels dans les pays développés comme dans les pays en voie de développement.

Une politique d'aménagement protectrice de la biodiversité implique donc que soient mises en oeuvre des mesures favorisant à nouveau la concentration urbaine . Au demeurant, cet objectif qui a été repris par le groupe de travail n° 2 du Grenelle sur l'environnement faisait déjà partie des propositions de vos rapporteurs sur le changement climatique (cf. Tome I : « Changement climatique et transition énergétique : dépasser la crise »).

L'ensemble des documents d'urbanisme (SCOT, PLU) doivent se focaliser sur cette nécessité en prévoyant les conséquences à long terme sur les milieux naturels des occupations d'espaces qu'ils organisent.

b) La compensation des occupations d'espaces
(1) Les législations existant à l'étranger

De très nombreux pays - et en France même, certaines municipalités et la population -, ont pris conscience des problèmes posés par l'érosion des espaces naturels.

Sans être exhaustif, on citera :

- les Etats-Unis dont le « Clean Water Act » de 1972 prévoyait qu'en cas de destruction d'une zone humide, cette zone devrait être remplacée. Sur cette base ont été créées les « Mitigations Banks » (ou banque de compensation), institutions privées ou mixtes qui assument cette compensation sur un marché de l'ordre de 1 milliard de dollars.

Suivant le même principe, des Conservations Banks visant à la protection des espèces et de leur habitat ont suivi l'adoption de la loi sur les espèces menacées (Endangered Species Act du 1973).

- Aux Indes, des corridors reliant des massifs forestiers et des programmes de reforestations de zones de bidonvilles autour de métropoles témoignent des préoccupations des autorités.

- les Pays-Bas avaient dès 1962 voté une loi forestière pour relier entre eux les espaces forestiers du pays. En 2005, ils ont adopté une « Stratégie nationale spatiale » qui établit que tout projet ne peut affecter la biodiversité que s'il est d'intérêt général et que sur des options alternatives n'existent pas. Dans ce cas une compensation financière est due.

- en France, la notion de trame verte fait partie des conclusions du Grenelle de l'environnement.

(2) La législation française

Le dispositif existant :

La loi de juillet 1976 sur l'environnement a établi pour les projets d'un montant prévisionnel supérieur à 1,9 millions d'euros et au-dessus de seuils de surface variables, l'obligation « d'éviter, d'atténuer et de compenser » les atteintes à l'environnement.

Le mécanisme est le suivant.

Les maîtres d'ouvrage doivent faire expertiser les atteintes à l'environnement consécutives à la réalisation des projets qu'ils présentent ; cette expertise est, alors, soumise à l'administration qui évalue les compensations proposées - celles-ci variant suivant les milieux considérés et l'ampleur des atteintes à ces milieux.

Ce système dont le coût est de l'ordre de 1 % du coût des projets concernés marque un progrès, mais il est susceptible d'être amélioré sur de nombreux points.

Les voies d'amélioration de cette législation pourraient être les suivantes.

- l'ampleur et la réalité du contrôle

Pour les projets dont l'ampleur les situe sous le seuil de déclenchement des offres de compensation, comme les SCOT et les PLU, ne sont soumises à appréciation que les conséquences les plus lourdes des aménagements qu'ils prévoient. Ce qui signifie que l'on ne compense pas les amputations d'espaces naturels faites de l'addition de multiples petits projets (lotissement, parking, etc.) et ce d'autant plus que l'administration, faute de moyens, se concentre sur les plus gros projets 36 ( * ) .

- l'autorité d'évaluation des compensations est le ministre de l'environnement pour les projets nationaux, mais c'est le préfet pour les projets régionaux. Or, dans leurs circonscriptions, ceux-ci doivent souvent concilier des intérêts contradictoires, ce qui ne les porte pas toujours à arbitrer en faveur des espaces naturels.

- l'évaluation des compensations

Peu à peu - notamment sous l'impulsion de la Caisse des dépôts - se construit une grille de compensation qui devrait graduellement pouvoir être déclinée à l'échelon régional, avec une palette de compensation assez fine. Par exemple, il ne s'agira pas de compenser la perte d'un espace forestier par un autre, mais d'insister sur la variété de la palette des essences à replanter.

Quand cette grille sera finalisée, il serait intéressant de pouvoir la rendre opposable juridiquement.

- la durée de la compensation

Le maître d'ouvrage ne conserve en portefeuille l'actif représentatif de la compensation (forêt, champs pour protéger un marais, etc.) que jusqu'à la bonne fin de l'ouvrage - en général environ cinq ans. Une modification de la législation doit être envisagée :

- soit en prévoyant l'affectation des biens offerts en compensation à un conservatoire ;

- soit en allongeant la durée de conservation en l'alignant, quand c'est possible sur la durée des concessions.

- La gestion de la compensation

Par exemple, si l'on constitue des zones humides en compensation de la destruction d'un espace de même type, il sera nécessaire de gérer cette zone en évitant qu'elle soit l'objet d'introduction d'espèces invasives. Il serait possible d'inclure le coût de cette gestion dans le calcul de la compensation.

- La création d'un marché

A terme, l'activation de ces compensations introduira la notion de marché et pose le problème de la structuration de ce marché. Dans un premier temps sur territoire français et, ultérieurement, à l'échelon européen.

A l'aide des grilles de compensation, évoquées ci-dessus, on pourra constituer des « unités de biodiversité » qui pourront être échangées sur le marché de compensation.

L'émergence d'un tel marché présenterait l'avantage de clarifier les transactions, de permettre aux entreprises - éventuellement à titre de mécénat - de faire figurer des certificats de biodiversité dans leurs actifs et de poser les bases d'une gestion future de la biodiversité dans la perspective du changement climatique.

c) La gestion de l'espace rural

Comme l'a justement établi le groupe de travail n° 2 « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » du Grenelle de l'environnement, la gestion des espaces ruraux est une question centrale de la lutte contre l'érosion du vivant. Elle touche à la fois aux compensations d'occupation d'espace qui viennent d'être évoquées, et aux politiques de l'eau et de l'agriculture qui seront évoquées ultérieurement par ce rapport.

Aussi, ne peut-on qu'approuver l'ensemble des dispositions adoptées par ce groupe de travail sur la trame verte (cadre de référence national, compétence régionale spécifique, opposabilité des cartographies régionales d'occupation d'espaces aux SCOT et PLU, introduction d'un critère biodiversité dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement).

Ces propositions n'appellent que deux observations.

D'une part, si les acteurs locaux doivent être une pièce maîtresse du dispositif, le maintien d'une cohérence nationale du dispositif de trame verte est important pour éviter qu'il n'y ait trop de disparités entre les choix des autorités régionales concernées.

D'autre part, si l'inclusion d'un critère biodiversité dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement est intéressante, ce critère l'est encore plus pour le calcul de la dotation globale d'investissement qui est destiné à des infrastructures dont l'implantation n'est pas toujours positive sur le maintien des écosystèmes.

Plus généralement, les rapporteurs estiment nécessaire la prise en cause des clauses environnementales dans l'ensemble des contrats liant l'Etat aux collectivités territoriales. L'écoconditionnalité doit être la règle.

2. Freiner le fractionnement des territoires

Les grands réseaux d'équipements collectifs - notamment routiers, ferroviaires et hydrauliques - tronçonnent et isolent les habitats nécessaires au maintien de la biodiversité.

Ceci est vrai dans les pays développés, le devient dans les pays émergents mais l'est aussi dans les pays en voie de développement. En particulier, parce que l'effort d'équipement encouragé par la Banque mondiale dans ces pays (barrages, routes, etc.) a été un des vecteurs de fractionnement et d'isolement des espaces indispensables au maintien de la biodiversité.

S'agissant des pays développés , la lutte contre ce fractionnement, implique que les études d'impact des très grands réseaux d'équipement incorporent leurs effets à long terme sur les espaces naturels ; il en est de même pour les plans d'aménagement à long terme ( cf. infra la création de corridors pour lutter contre le changement climatique).

Dans les pays en voie de développement , il est possible et souhaitable de créer des corridors de communication entre les espaces naturels protégés et d'aménager, comme cela se fait au Costa Rica, des zones tampons grâce au développement de l'agroforesterie ( cf. supra I ).

La Banque mondiale est, depuis le début des années quatre-vingt-dix, consciente des problèmes posés par ses interventions et a développé un portefeuille d'aide au maintien de la biodiversité.

Mais ces investissements sont relativement limités 37 ( * ) (de l'ordre de 200 millions de $ par an auquel il convient d'ajouter 150 millions de co-financement) et cette action reste relativement déconnectée des autres actions d'investissements de la Banque.

La Banque a adopté en 2004 un « code de bonnes pratiques environnementales », mais les obligations concrètes de celui-ci ne sont pas strictes . Si la Banque ne finance plus les projets qui impliquent une dégradation accentuée des espaces naturels rares, elle peut financer les projets qui prévoient des occupations d'espaces naturels quand il n'y a pas d'autres solutions et que le rapport avantage social/coût environnemental lui semble favorable.

3. Les occupations indirectes d'espace : mieux gérer les eaux continentales

Deux menaces affectent la biodiversité des eaux continentales : la pollution directe et les captations de l'eau pour les besoins de l'agriculture.

a) Les conséquences de la pollution

Les milieux aquatiques continentaux se trouvent en fin de circuit des opérations polluantes.

Or, ces espèces sont parmi les plus vulnérables. Par exemple, la moule perlière a disparu des eaux françaises depuis 1930 car ses larves ne résistent pas à une teneur en nitrate de 1 mg/l, taux très inférieur aux normes actuellement admises.

Les « living planet index » (LPI) montrent que les pertes de biodiversité les plus accentuées depuis 30 ans, sont celles qui concernent les poissons.

De façon plus insidieuse , la pollution, par une accumulation de micropolluants suscite des phénomènes d'intersexualité (gardons de la Seine).

L'Union européenne essaie actuellement de remplacer les normes actuelles de pollution de l'eau (teneur en nitrates et métaux lourds) par la notion de « bon état écologique du milieu » . On a vu en première partie de ce rapport que des indices biologiques convergents permettront de mesurer la réussite de cet objectif en 2015.

b) La captation de l'eau par l'agriculture

Suivant un rapport récent de l'Académie des Sciences, l'irrigation agricole est responsable de plus de 70 % des extractions d'eaux et conduit, suivant les cas, à une concentration des pollutions, à une altération des nappes et de leurs écosystèmes ou à une salinisation des eaux.

Du fait de leur accroissement récent, qui s'additionne à des épisodes de sécheresse, ces prélèvements dépassent les capacités de résilience des écosystèmes aquatiques qui sont pourtant habitués aux variations du cycle hydrologique .

De manière plus insidieuse, les effets cumulés de l'irrigation - et des désherbants - aboutissent à des ruissellements d'argile qui menacent les gravières dont les poissons migrateurs ont besoin pour se reproduire (l'agence Seine-Normandie a perdu 40 % de ses gravières en 40 ans).

Dans ces deux cas, pollution et captation des eaux, il sera nécessaire de trouver des territoires pertinents de gestions et d'intégrer cette gestion écologique aux équilibres économiques et sociaux afin que les acteurs s'approprient cette gestion.

4. Limiter les introductions d'espèces invasives

On a évoqué en première partie de ce rapport l'accélération inquiétante que la mondialisation de l'économie a donné aux phénomènes multiséculaires d'introduction d'espèces invasives.

Rappelons deux données sur ce point : aux Etats-Unis le nombre de plantes introduites est passé de 100 au XVIII ème siècle à plus de 2000 au XX ème siècle ; en Europe, le nombre d'insectes introduits et installés dépasse les 1000 espèces et le nombre de poissons plus de 270 espèces, dont plus d'un tiers est arrivé dans les trente dernières années.

Notons également que les coûts indirects de ces invasions biologiques sont très importants. M. Philippe Clergeau, l'un des chercheurs. intervenant à l'audition publique du 28 mars 2007, a exposé que le coût de ces invasions aux Etats-Unis avait été évalué à 130 milliards de dollars .

Comment protéger les biodiversités autochtones contre ces invasions ?

Un consensus se dégage autour de la nécessité d'éradication de ces espèces avant qu'elles ne deviennent trop importantes et d'un renforcement de la surveillance de ces espèces invasives au moment de leurs phases d'arrivée. L'exemple de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, très sensibilisées à ce problème compte-tenu des dégâts causés par les espèces invasives à la faune et à la flore endémique de ces pays montre qu'une politique énergique permet d'obtenir des résultats dans ce domaine.

Plus concrètement il s'agit :

- d'investir scientifiquement dans la connaissance de l'implantation de ces espèces et dans la mesure des conséquences de ces invasions. Par exemple, en France l'étude des impacts écologiques et socio-économiques n'a porté que sur le quart des 185 espèces allochtones de vertébrés ;

- de faire largement circuler l'information dans ce domaine, en particulier auprès du grand public dont les importations d'espèces captives (faune et flore) sont assez fréquemment le vecteur de ces invasions ;

- de mobiliser rapidement des fonds pour des actions ciblées d'éradication ;

- et d'appliquer les conventions internationales qui existent dans ce domaine, comme celle conclue en 2004, dans le cadre de l'OMC, auprès de l'organisation maritime internationale sur les déballastages.

Cette surveillance des espèces invasives deviendra de plus en plus nécessaire au fur et à mesure que les effets du changement climatique accélèreront l'introduction et l'acclimatation de plus en plus d'espèces exogènes.

En fonction de cette perspective, il pourrait être envisagé de créer une structure dédiée à cette surveillance , coordonnant les efforts des organismes concernés et dotée d'un fond d'intervention. Les coûts de fonctionnement induits par la création et le fonctionnement de cet organisme seront moins élevés que les dommages économiques et sanitaires que génèrent les invasions biologiques.

* 36 Ceci renvoie à la proposition (cf. supra a)) visant à faire mieux prendre en compte la biodiversité par l'ensemble des documents d'urbanisme.

* 37 Mais quelquefois très utiles. Les prêts de la Banque mondiale ont permis de préfinancer la politique de rémunération des services écologiques menés au Costa Rica.

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