B. DES INÉGALITÉS TERRITORIALES ET PAR SPÉCIALITÉ QUI SE CREUSENT

1. Des disciplines désaffectées

Si le terme de « crise des vocations » ne semble pas, au regard des dernières études, s'appliquer à la chirurgie dans son ensemble, son usage est fondé s'agissant de certaines spécialités chirurgicales qui cumulent deux handicaps majeurs : elles intéressent peu les femmes chirurgiens, de plus en plus nombreuses, et sont comparativement moins rémunératrices.

La féminisation des études de médecine a, certes, des conséquences sur le choix de la chirurgie à l'issue des ECN mais également, par la suite, sur la répartition des étudiants entre les différentes spécialités chirurgicales.

La proportion de femmes parmi les étudiants en médecine atteint aujourd'hui en moyenne 60 % et elle ne cesse de croître. Ainsi, par exemple, à la faculté de Saint-Etienne, les candidats admis en deuxième année de médecine en 2005 étaient à 80 % des filles.

Or, on sait que les femmes ne choisissent la chirurgie qu'en quatrième position au moment des ECN et que, de surcroît, elles ne se tourneront pas vers les spécialités physiquement éprouvantes - la chirurgie orthopédique en tête - ni vers celles qui demandent une disponibilité peu compatible avec une vie de famille (la neurochirurgie et la chirurgie pédiatrique entrent dans cette seconde catégorie). Ainsi, même en urologie, où elles sont pourtant particulièrement présentes, elles ne représentent que 2 % des effectifs.

L e niveau de cotation des actes par la sécurité sociale pèse également sur le choix des étudiants et sur le maintien en poste des chirurgiens en exercice .

Au total, l'oto-rhino-laryngologie (ORL), la chirurgie plastique et vasculaire, l'ophtalmologie et l'urologie demeurent des spécialités convoitées, ce d'autant qu'une majorité de l'activité y est programmée, à la différence de la chirurgie orthopédique, jugée trop difficile, et de la chirurgie pédiatrique et générale, financièrement peu attractives au regard des contraintes que leur exercice entraîne.

Si votre rapporteur s'inquiète de l'avenir de spécialités telles que la chirurgie pédiatrique et la chirurgie générale, où les nombreux départs à la retraite des prochaines années risquent de ne pas être compensés, il se félicite de l'engouement des jeunes internes pour l'ORL et l'ophtalmologie, compte tenu du déséquilibre annoncé , dans ces spécialités, entre les besoins de la population et le nombre de praticiens.

En effet, alors que les prévisions des professeurs Jacques Domergue et Henri Guidicelli 5 ( * ) font état d'une augmentation des besoins chirurgicaux pouvant aller jusqu'à 40 % en ophtalmologie en raison de l'allongement de la durée de vie de la population française, la Drees anticipe une diminution du nombre d'ophtalmologues de 43 % entre 2002 et 2025. Pour l'ORL, cette baisse atteindrait plus de 30 %.

NOMBRE DE PLACES PAR DISCIPLINE OFFERTES À L'EXAMEN NATIONAL CLASSANT 2004 (ENC)
ET EFFECTIFS DE MÉDECINS ACTIFS PAR SPÉCIALITÉ EN 1990, 2002 ET 2025 SPÉCIALITÉS MÉDICALES

Discipline de l'examen national classant

Flux d'entrée en 3 e cycle

Médecins en activité

Spécialité

Effectif 1990

Effectif 2002

Postes ouverts en 2004 à l'ENC

Répartition des places à l'ENC (hors méd. gén.)

Effectifs 2025

Evolution 2025/2002

Evolution 2025/1990

Gynécologie obstétrique

4 727

5 342

158

7,40 %

5 472

2 %

16 %

Spécialités chirurgicales (autres)

16 666

19 186

380

17,70 %

15 677

- 18 %

- 6 %

Ophtalmologie

5 227

5 502

3 121

- 43 %

- 40 %

ORL

2 915

3 015

2 074

- 31 %

- 29 %

Chirurgie *

8 524

10 669

10 482

- 2 %

23 %

Total spécialités chirurgicales

21 393

24 528

538

25,10 %

21 149

- 14 %

- 1 %

* Chirurgie : chirurgie générale, infantile, maxillo-faciale, orthopédique et traumatologique, plastique reconstructrice et esthétique, thoracique et cardiaque, urologique, vasculaire, viscérale, neurochirurgie, stomatologie.

Sources : Adeli redressé au 31/12/1990 et 31/12/2002, projections Drees. Champ : France entière

Cette évolution s'explique essentiellement par la réforme des études de spécialité. En effet, il existait auparavant deux voies pour être autorisé à exercer une spécialité : le concours de l'internat ou l'obtention d'un certificat d'études supérieures (CES). Certaines spécialités, dont l'ophtalmologie, étaient plus particulièrement alimentées par des effectifs issus des CES.

Or, la suppression des CES, mal anticipée, n'a pas été suffisamment rapidement compensée par l'augmentation du nombre de postes proposés en ophtalmologie à l'issue des ECN.

A l'inverse, d'autres spécialités risquent de se trouver en sureffectif du fait des progrès techniques qui modifient profondément certaines thérapeutiques en privilégiant les gestes percutanés aux techniques invasives. C'est le cas, par exemple, des chirurgiens cardiaques : les pathologies coronaires, à l'origine de nombreuses interventions, sont aujourd'hui prises en charge par des cardiologues. L'endoscopie a également profondément modifié l'exercice de la chirurgie viscérale, générale et l'urologie, comme la robotique l'a fait pour l'orthopédie, et la chirurgie endovasculaire pour la chirurgie vasculaire.

Il est donc essentiel d' anticiper , autant que possible, les besoins à venir de la population et les évolutions techniques susceptibles de modifier l'exercice de la chirurgie, afin d'adapter en conséquence les effectifs des différentes spécialités.

Une meilleure gestion dans le temps des ressources humaines en chirurgie n'est cependant possible que dans un système encadré de ventilation des postes. A cet effet, le « fléchage » des étudiants qui se sont orientés vers la chirurgie doit être amélioré pour s'assurer que la spécialité choisie est effectivement exercée à la fin du cursus . Cette proposition de votre rapporteur ne fait bien sûr pas obstacle à la recherche des causes de la désaffection des étudiants pour certaines disciplines et à leur règlement, lorsqu'il est envisageable.

2. Des régions désertées

Les inégalités croissantes en matière d'offre de soins chirurgicaux sur le territoire national constituent également un sujet d'inquiétude en matière de politique de santé publique. Elles existent, certes, de longue date, mais se creusent progressivement au fil des départs à la retraite et des choix d'installation des jeunes chirurgiens.

Ces choix sont guidés par plusieurs éléments, et notamment par la capacité qu'ont les établissements à mettre à disposition des chirurgiens des plateaux techniques de qualité et disposant des innovations les plus récentes .

Ce critère a conduit de nombreux établissements périphériques à investir massivement dans des équipements chirurgicaux de pointe et très coûteux pour inciter des chirurgiens à s'installer.

Ces initiatives se sont, le plus souvent, traduites par un échec, comme a pu le constater le professeur Guy Vallancien lors de la mission qui lui avait été confiée sur la restructuration des hôpitaux de petite taille : la majorité des quatre-vingt-cinq établissements visités dans ce cadre disposaient d'un plateau technique de qualité, sans un nombre suffisant de praticiens pour le faire fonctionner convenablement.

De fait, la présence d'une équipe médicale et paramédicale complète constitue aujourd'hui un critère essentiel dans le choix d'installation des chirurgiens, qui ne souhaitent plus exercer de manière isolée, tant pour des raisons de sécurité que pour éviter des contraintes trop lourdes de permanence des soins. Pour Jean-Louis Bonnet, président de la conférence des directeurs des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) et directeur de l'ARH de Rhône-Alpes, un plateau technique doit fonctionner avec quatre à cinq chirurgiens.

Cet élément fait l'objet d'un examen particulièrement attentif des femmes chirurgiens et plus largement des jeunes praticiens, qui ne souhaitent pas effectuer de trop lourdes gardes et astreintes.

Enfin, il est vraisemblable que certains établissements pâtissent du manque de dynamisme de leur environnement économique , qui ne permet parfois pas au conjoint du chirurgien de trouver un emploi correspondant à ses souhaits et à ses compétences.

Si le critère de la qualité du plateau technique et de la présence d'un nombre suffisant de confrères semble essentiel à votre rapporteur - leur absence dans un établissement posant, à son sens, la question de son maintien - il estime, en revanche, que les pouvoirs publics doivent demeurer attentifs à ce que l'offre de soins chirurgicaux ne soit pas corrélée au niveau de développement économique d'une région.

Pour inciter les chirurgiens à s'installer dans ces zones, plusieurs solutions sont envisageables. Certains proposent ainsi de régionaliser les ECN, de façon à ce que les étudiants poursuivent leur étude de spécialité dans la région de leur faculté d'origine, d'autres considèrent que les collectivités gagneraient à allouer, pendant la durée de l'internat, des bourses aux étudiants qui s'engageraient à s'installer un certain temps sur leur territoire.

Votre rapporteur serait plutôt favorable à cette seconde option. Il craint toutefois une surenchère des incitations financières et matérielles des collectivités territoriales à l'égard des internes. C'est pourquoi, il lui semble préférable, comme le proposaient Jacques Domergue et Henri Guidicelli, d'instaurer un service public médical de trois à cinq ans , que les jeunes chirurgiens effectueraient dans leur région de formation avant de bénéficier de la liberté d'installation.

* 5 Rapport précité.

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