Rapport d'information n° 329 (2007-2008) de M. Jean ARTHUIS , fait au nom de la commission des finances, déposé le 14 mai 2008

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N° 329

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 14 mai 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la finance islamique ,

Par M. Jean ARTHUIS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis , président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin , vice-présidents ; M. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy , secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Bernard Angels, Bertrand Auban, Mme Marie-France Beaufils, M. Roger Besse, Mme Nicole Bricq, MM. Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Éric Doligé, André Ferrand, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Christian Gaudin, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Charles Guené, Claude Haut, Jean-Jacques Jégou, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

AVANT PROPOS

La commission des finances a organisé le 14 mai 2008 deux tables rondes sur la finance islamique afin d'apprécier l'opportunité et les modalités pour la France de s'insérer davantage sur ce marché en plein essor .

Acteur peu connu de la finance mondiale il y a encore quelques années, la finance islamique connaît aujourd'hui un développement qui suscite intérêts et convoitises, y compris en Europe, où plusieurs pays s'interrogent sur la manière d'intégrer cette finance alternative aux côtés des activités conventionnelles.

Ces tables rondes, dont les actes figurent dans le présent rapport, ont essayé d'une part d'identifier les enjeux de l'intégration de la finance islamique dans le système financier global pour la France, et d'autre part, de déterminer les éventuels « frottements » juridiques et fiscaux pouvant freiner le développement de la finance islamique sur le territoire national.

Première table ronde (9 h 30 -- 11 h 00) : L'intégration de la finance islamique dans le système financier global : quels enjeux pour la France ?

Cette première table ronde avait pour objectif de présenter le développement de la finance islamique et son intégration au sein de la finance mondiale. Représentant aujourd'hui environ 700 milliards de dollars et doté d'un potentiel de croissance reconnu, la finance islamique suscite intérêt et convoitises. La table ronde a permis d'avoir un aperçu des activités de l'industrie financière française sur ce marché encore fortement localisé au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est. Elle a été, aussi, l'occasion d'apprécier l'opportunité pour la France de s'inscrire davantage sur ce créneau en développant  des produits compatibles avec la Charia.

Intervenants :

- M. Zoubeir Ben Terdeyet, directeur Isla Invest ;

- Mme Maya Boureghda, juriste, BNP Paribas, chargé d'enseignement à Paris I ;

- M. Anouar Hassoune, vice-président Moody's ;

- M. Vincent Lauwick, responsable commercial produits structures-asset management SGAM AI Londres ;

- M. Jean François Pons, directeur des relations internationales et européennes de la fédération bancaire française (FBF) ;

- M. Gilles Saint Marc , avocat associé cabinet Gide Loyrette Nouel AARPI ;

- M. Jérôme de Fresnes, responsable de la gestion du patrimoine de la BFC.

Seconde table ronde (11 h 15 -- 12 h 45) : le développement de la finance islamique en France : quelles adaptations du cadre législatif et/ou réglementaire ?

Cette table ronde avait pour objet de présenter les éventuels obstacles juridiques et fiscaux pouvant empêcher le développement de la finance islamique en France, que ce soit par exemple dans le cadre de l'accueil de banques islamiques sur le territoire national, du montage juridique ou fiscal des produits respectant les principes de l'islam financier, de l'émission de sukuk... Elle a également permis de faire le point d'une part, sur l'expérience britannique ainsi que les leçons à en tirer, et d'autre part, sur les réflexions en cours en France au niveau des professionnels et des pouvoirs publics.

Intervenants

- M. Arnaud de Bresson, délégué général, Europlace ;

- M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction du Trésor ;

- M. Bruno Gizard, secrétaire général adjoint, AMF ;

- Mme Laurence Toxé, avocate, cabinet Norton Rose LLP Paris ;

- Mme Anne Sylvie Vasseneix Paxton, avocate, cabinet Norton Rose LLP Paris ;

- M. Gilles Vaysset, secrétaire général du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement.

I. LA FINANCE ISLAMIQUE : UN DÉVELOPPEMENT RÉCENT QUI NÉCESSITE UN DÉBAT PUBLIC

La finance islamique a pour objet de développer des services bancaires et des produits financiers compatibles avec les prescriptions de la loi coranique. Le caractère islamique d'un produit financier, ou d'une transaction financière, est établi dès lors que le respect des cinq principes de l'islam financier 1 ( * ) a été vérifié par un conseil de conformité à la Charia.

Née dans les années 70, la finance islamique connaît aujourd'hui un important essor à travers le monde et s'impose de plus en plus comme une concurrente de la finance dite « conventionnelle » :

- le taux de croissance annuel de l'activité bancaire islamique est estimé entre 10 et 15 % ;

- le total des actifs gérés par les banques et les compagnies d'assurance se serait élevé à 500 milliards de dollars fin 2007 ;

- et si l'on tient compte des actifs hors bilan et des fonds conformes à la loi coranique, le marché de la finance islamique représenterait environ 700 milliards de dollars à l'heure actuelle.

Si la finance islamique s'est historiquement développée dans les pays de tradition musulmane, et reste encore aujourd'hui très concentrée dans le Golfe persique et en Asie du Sud-Est, elle s'exporte aux Etats-Unis et en Europe suite à la très forte augmentation du prix du pétrole ces dernières années. En effet, l'excès de liquidités en provenance des monarchies du Golfe a, en partie, afflué vers les grandes places financières mondiales, suscitant ainsi un intérêt croissant pour ce système économique basé sur le Coran et la Sunna.

En Europe, le Royaume Uni fait figure de pionnier avec l'adoption rapide de mesures juridiques et économiques destinées à favoriser l'émergence de la finance islamique, que ce soit en renforçant l'attractivité de sa place financière ou en proposant une offre de services adaptée aux particuliers (ouverture de la première banque islamique en Europe en 2004).

De même, en Allemagne, la prise en compte de ce marché est effective comme le démontrent les initiatives prises sur le marché des « sukuks » (produit obligataire islamique) ou du « takaful » (assurance).

Prenant pleinement conscience de ces phénomènes au cours de son voyage d'études au Moyen Orient en 2007 2 ( * ) et lors de sa participation à la mission d'information commune sur les centres de décision 3 ( * ) , votre commission a jugé utile d'approfondir le débat sur la possibilité de développer ce marché en France . Dans cette perspective, elle se félicite, notamment, que ce sujet soit devenu une des priorités du Haut comité de place installé en 2007 par Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, afin de renforcer l'attractivité de la place financière de Paris.

II. LES PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS À TIRER DES TABLES RONDES DU 14 MAI 2008

Ces tables rondes ont permis de souligner la situation paradoxale de la France vis-à-vis de la finance islamique : l'existence d'une certaine inertie nationale alors même que le développement de la finance islamique ne se heurterait à aucun obstacle dirimant et bénéficierait de deux atouts majeurs.

A. LE CONSTAT D'UNE CERTAINE INERTIE NATIONALE

Les différentes interventions ont, notamment, permis de souligner une certaine inertie nationale s'agissant du développement de la finance islamique sur le territoire national. En dépit d'une attention, au demeurant récente, des pouvoirs publics sur cette question, les professionnels concernés n'apparaissent pas aussi « pro-actifs » que leurs homologues d'outre-manche, que ce soit dans le développement de la banque d'investissement, de financement ou de détail.

Ainsi, si l'on constate que la plupart des groupes bancaires français ont ouvert des filiales spécialisées sur le créneau de la finance islamique au Moyen Orient afin de profiter de cette source de liquidités, leur activité sur le territoire national dans ce domaine est plus que balbutiante . Votre commission note toutefois une initiative intéressante et récente sur l'île de la Réunion, dont il conviendra à moyen terme de faire le bilan.

Cet attentisme apparaît paradoxal dans la mesure où le développement de la finance islamique en France ne nécessiterait pas un « bouleversement » du droit positif d'une part, et pourrait s'appuyer sur deux atouts majeurs, à savoir une place financière d'ores et déjà compétitive et la présence d'une communauté musulmane importante, d'autre part.

B. L'ABSENCE D'OBSTACLES JURIDIQUES OU FISCAUX DIRIMANTS AU DÉVELOPPEMENT DE LA FINANCE ISLAMIQUE EN FRANCE

Les intervenants des deux tables rondes ont estimé qu'il n'existait pas d'obstacles juridiques ou fiscaux rédhibitoires au développement de la finance islamique sur le territoire national.

En effet, les différents exposés ont notamment montré :

- d'une part, que le droit positif permettait de créer et de distribuer des produits compatibles avec la loi coranique, comme par exemple la création d'organismes de placement collectif en valeurs mobilières répondant aux critères de la finance islamique ;

- d'autre part, que certains dispositifs juridiques et fiscaux français existants étaient, dans leur mécanisme, proches des principes requis par la finance islamique. A l'issue des tables rondes, il est apparu que la question de la réduction des frottements juridiques et fiscaux pouvait être traitée par des réformes simples, non nécessairement d'ordre législatif.

Votre commission se félicite de ces conclusions dans la mesure où l'intervention du législateur, si elle peut s'avérer nécessaire sur certains points ne conditionne pas le développement de la finance islamique : l'adaptation des pratiques et du droit réglementaire sont davantage requis tout comme une mobilisation plus importante des professionnels concernés.

Votre commission rappelle toutefois que toute mesure d'adaptation d'ordre fiscal doit être prioritairement présentée lors des différents projets de lois de finance discutées durant l'année afin de garantir une approche d'ensemble de ces questions.

Enfin, si elle estime, à l'instar du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, que toute modification de notre environnement juridique ou fiscal doit se conformer à un principe de neutralité budgétaire et réglementaire, elle regrette que la réflexion présentement engagée soit essentiellement tournée vers le développement de la banque d'investissement et de financement au détriment de la banque de détail.

C. DEUX ATOUTS MAJEURS : UNE PLACE FINANCIÈRE COMPÉTITIVE ET LA PRÉSENCE DE LA PREMIÈRE COMMUNAUTÉ MUSULMANE EN EUROPE

La réflexion actuelle concernant la prise en compte de la finance islamique en France s'est notamment appuyée sur l'opportunité qui serait ainsi ouverte de renforcer l'attractivité de la place financière de Paris , et plus précisément de bénéficier d'une poche de liquidités dont le volume ne cesse de croître. Le développement de la banque d'investissement et de financement est donc, à ce titre, privilégié.

Si cet axe de réflexion paraît légitime, votre commission a noté, aux termes des exposés de la première table ronde, qu'il conviendrait également d'élargir le débat, et d'envisager le développement de la finance islamique en France au regard de l'importance de la communauté musulmane présente sur le territoire national.

En effet, la France connaît la première communauté musulmane d'Europe avec près de 5,5 millions de personnes contre 2,5 millions en Grande Bretagne. Si le développement d'une offre de services adaptée aux particuliers nécessite des études de marché approfondies ou une appréciation de la régularité juridique de certains produits (notamment l'ouverture de comptes de dépôt respectant le principe de partage des pertes et des profits), votre commission souligne l'effet intégrateur potentiel que pourrait avoir ce type d'initiative sur un certain nombre de clients.

COMPTE RENDU DES TRAVAUX DU MERCREDI 14 MAI 2008

PREMIÈRE TABLE RONDE : L'INTÉGRATION DE LA FINANCE ISLAMIQUE DANS LE SYSTÈME FINANCIER GLOBAL : QUELS ENJEUX POUR LA FRANCE ?

Participants :

M. Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest ;

Mme Maya Boureghda, juriste BNP Paribas, chargée d'enseignement à Paris I ;

M. Anouar Hassoune, vice-président de Moody's ;

M. Vincent Lauwick, responsable commercial produits structures-asset management SGAM AI Londres ;

M. Jean-François Pons, directeur des relations européennes et internationales de la Fédération bancaire française (FBF) ;

M. Gilles Saint-Marc, avocat associé cabinet Gide Loyrette Nouel AARPI ;

M. Jérôme de Fresnes, responsable de la gestion du patrimoine de la BFC ;

La table ronde est animée par M. Jean Arthuis, Président de la commission des finances du Sénat.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat

Mesdames et Messieurs, nous allons entamer cette matinée consacrée à la finance islamique. Née dans les années 1970, celle-ci a pour but de développer les services bancaires et les produits financiers compatibles avec les prescriptions de la loi coranique. Acteur peu connu de la finance mondiale encore récemment, la finance islamique connaît aujourd'hui un essor important, soutenu par au moins deux facteurs : la présence d'une liquidité abondante dans un certain nombre de pays musulmans et une forte demande pour des produits compatibles avec la Charia.

Ce développement suscite un vif intérêt, notamment en Europe où plusieurs pays s'interrogent sur la manière d'intégrer cette finance alternative aux côtés des activités de finance conventionnelle. Le Royaume-Uni fait figure de proue dans ce domaine depuis 2004 en proposant, en particulier, à sa communauté musulmane, une offre de services adaptés et en ayant fait de la City la place européenne de référence en matière de finance islamique.

La commission des finances du Sénat a souhaité ouvrir un débat sur le sujet, auquel elle a été sensibilisée lors de déplacements au Moyen-Orient au mois de mars 2007, ainsi qu'au Royaume-Uni dans le cadre de la mission d'information relative aux centres de décisions économiques présidée par M. Philippe Marini.

L'objectif des tables rondes prévues aujourd'hui consiste à apprécier l'opportunité, pour la France, de s'insérer sur ce marché en plein essor et selon quelles modalités. Je remercie, d'ores et déjà, vivement, les experts et les professionnels qui ont accepté de participer à nos échanges de ce matin. La première table ronde sera consacrée à l'appréciation et à l'opportunité pour la France de s'inscrire davantage sur le marché de la finance islamique dont l'intégration au sein du système financier global est en cours.

La seconde table ronde a pour objet de faire le point sur les éventuelles adaptations du cadre législatif ou réglementaire français nécessaires au développement de la finance islamique en France. En principe, l'adoption de bonnes pratiques devrait suffire pour répondre à ce besoin. Il sera question de ce sujet en fin de matinée. Si des modifications législatives s'avéraient indispensables, nous savons que celles-ci pourraient avoir lieu dans le cadre du projet de loi de modernisation économique dont le parlement aura à se saisir dans les prochaines semaines. Toutefois, je tiens à répéter que notre préférence va à l'adaptation de bonnes pratiques.

Enfin, pour laisser une place au débat, j'invite nos différents intervenants à la concision dans leurs présentations. Je souligne, par ailleurs, que l'intégralité des actes des tables rondes sera disponible sur le site Internet du Sénat et publiée dans un rapport.

La première table ronde concerne le développement et l'intégration de la finance islamique au sein de la finance globale. Représentant aujourd'hui 500 milliards de dollars et dotée d'un potentiel de croissance reconnu, la finance islamique suscite intérêt et quelques convoitises. J'espère que la table ronde permettra d'avoir un aperçu de l'activité de l'industrie financière française sur ce marché encore fortement localisé au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est. Elle sera aussi l'occasion d'apprécier la pertinence, pour la France, de s'inscrire davantage, à une échelle nationale, sur ce créneau en développement. Nos invités auront des propos, dans un premier temps, d'une portée générale et, dans un second temps, consistant en une suite de témoignages. Ils sont, dans l'ordre de leurs interventions, M. Gilles Saint Marc, avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel, M. Anouar Hassoune, vice-président de Moody's, M. Jean-François Pons, directeur des relations européennes et internationales de la Fédération bancaire française, Mme Maya Boureghda, juriste à BNP Paribas et chargée d'enseignement à Paris I, M. Zoubeir Ben Terdeyet, directeur de Isla-Invest, M. Vincent Lauwick, responsable commercial des produits structures-asset management à la Société générale Asset Management (SGAM) et enfin M. Jérôme de Fresnes, qui vient d'ouvrir, pour le compte de la Société générale, un département islamique à l'île de la Réunion.

Je donne la parole à Maître Gilles Saint-Marc.

M. Gilles Saint-Marc, avocat associé cabinet Gide Loyrette Nouel, AARPI

M. le Président, je vous remercie de me donner la parole. Je suis donc M. Gilles Saint-Marc, expert avocat associé au cabinet Gide Loyrette Nouel et spécialisé en droit financier. Depuis longtemps, je collabore avec Paris Europlace, structure au sein de laquelle je préside un comité de finance islamique, lequel a émis un certain nombre de préconisations dans le cadre des réunions du haut comité de place.

J'essaierai, dans le temps qui m'est imparti, de vous donner les grandes lignes de la finance islamique et, tout d'abord, de vous indiquer quelle poche de liquidités elle représente au niveau des marchés occidentaux en crise actuellement et où elle apparaît comme une alternative, une opportunité à saisir.

Après quoi, je dirai quelques mots de la concurrence forte qu'exerce la place de Londres dans ce secteur et donc de l'urgence, pour la place de Paris, à agir en mettant l'accent sur ce secteur. La loi sur la modernisation de l'économie nous en offre l'occasion, les rencontres financières internationales de Paris Europlace nous en fournissent une autre. Il est important qu'un certain nombre de messages soient délivrés rapidement aux acteurs de la finance islamique.

Ensuite j'expliquerai quelles sont les règles du jeu régissant cette partie de la finance, à quoi elle correspond et dans quelle mesure elle s'articule avec les droits nationaux. Existe-t-il un droit de la Charia, des droits nationaux compatibles avec celle-ci ? Je donnerai des indications brèves sur le sujet.

J'aborderai, dans la deuxième partie de mon exposé, les différents produits et schémas de pensée, idéologiques et contractuels de la Charia. Il s'agit de voir dans quelle limite ceux-ci sont adaptables et transposables en droit français et quels sont les aménagements de lois nécessaires pour en tenir davantage compte. Je vous montrerai que ces derniers sont marginaux et essentiellement liés au traitement fiscal des opérations.

Il convient d'avoir trois chiffres à l'esprit :

- le taux de croissance annuel des activités liées à la finance islamique est pérenne, stable et proche de 15 % depuis trois ans ;

- le volume des opérations de financement islamique à l'échelle mondiale équivaut à 500 milliards de dollars ;

- le montant de l'épargne disponible dans les pays du Golfe persique et d'Asie du Sud-Est atteint 5.000 milliards de dollars. 10 % de la liquidité créée dans cette région correspond à de la finance islamique, 90 % à de la finance conventionnelle dont une bonne partie, à l'avenir, pourrait se transformer en finance islamique.

La place de Paris subit une concurrence forte de la place de Londres, due notamment à des initiatives du secteur privé importantes. Il existe trois banques purement islamiques dont l' Islamic Bank of Britain (IBB), des établissements de détail non-islamiques, ouvrant des islamic windows et surtout un activisme prononcé des autorités de marché pour développer le secteur des produits bancaires conformes à la Charia. Je pense notamment à l'International Islamic Financial Market , qui a signé à Londres deux memorandums of understanding : l'un avec l' International Capital Markets Association en janvier 2007, l'autre avec l'International Swaps and Derivatives Association en avril 2008. Ces accords ont pour but de mettre en place des produits les plus standardisés possibles tout en respectant les principes du Coran.

Ces démarches privées ont été soutenues par un certain nombre d'initiatives publiques. Quatre lois ont été adoptées depuis 2003. Elles ont toutes visé à lever les obstacles qui se posaient à l'acclimatation en Grande-Bretagne de la finance islamique. M. Gordon Brown souhaite que son pays devienne le portail occidental et le centre mondial de la finance islamique. Ainsi, en mars 2008, le Trésor britannique a envisagé le lancement d'une émission de sukuks.

La loi s'appliquant aux opérations basées sur des produits compatibles avec la Charia n'est pas la loi de la Charia, encore moins une loi nationale compatible avec les principes du Coran. Selon la position prise par la Cour de Londres en janvier 2004, un contrat reste régi par une loi nationale et la décision de savoir s'il est compatible ou non avec la Charia ne relève pas de l'appréciation des juridictions. En revanche, il existe distinctement une vérification de la conformité de l'opération avec les préceptes de la Charia. Cette mission revient à un conseil de la Charia qui exprime son opinion sous la forme d'une fatwa . En la matière, les écoles de pensée sont diverses. Certaines ont plus d'importance que d'autres :

- l'école Hanbali . Elle couvre le Moyen-Orient et notamment d'Arabie Saoudite, ce qui lui donne une autorité particulière ;

- l'école Shafi . Elle est présente en Asie du Sud-Est, notamment en Malaisie.

Le développement d'un marché mondial de la finance islamique bute sur deux obstacles : la diversité des écoles de pensée et la relativité de la chose jugée de la fatwa . Celle-ci ne représente pas un jugement erga omnes qui s'imposerait à tous. Il s'agit d'un avis, d'une recommandation qui n'engage que celui qui l'émet. Par conséquent, les investisseurs sont libres de considérer que la fatwa a été rendue dans de bonnes conditions ou pas.

S'agissant de la place de Paris, elle propose un environnement globalement favorable à la finance islamique, sous réserve de quelques aménagements juridiques et fiscaux. La Charia repose sur cinq principes, lesquels trouvent tous, d'une manière ou d'une autre, leur équivalent en droit français. Ils ne nous sont donc pas inconnus. Ces principes sont les suivants :

- la prohibition du riba : elle équivaut à une interdiction, non pas d'une rémunération en tant que telle, mais d'un intérêt versé en fonction du seul écoulement du temps. Autrement dit, il est considéré comme usuraire et pernicieux de percevoir une rémunération, quelle que soit la performance de l'actif sous-jacent dans lequel une somme d'argent a été investie. Ce principe se retrouve dans le droit français. Pendant longtemps, jusqu'au Moyen-Age, le commerce d'argent a été interdit en France. Par ailleurs, la prohibition de l'usure existe toujours et celle relative à la rémunération des comptes de dépôt a sévi jusqu'à l'arrêté du 8 mars 2005 ;

- la prohibition du garhar et du maysir : la finance islamique n'autorise pas la spéculation et les situations d'incertitude. Cette interdiction n'est pas étrangère à notre pays où il est imposé un encadrement du jeu, la mise en place d'une loi pour l'ouverture de tout marché à terme, notamment pour le MATIF en 1996 ;

- la prohibition du haram : elle concerne certaines activités facilement identifiables (armement, alcool, pornographie). Elle renvoie, dans notre droit, à tout ce qui touche à la protection de l'ordre public et des bonnes moeurs ;

- l'obligation de partage des profits et des pertes, corollaire à la prohibition du riba : le bailleur de fonds doit être associé à l'entreprise sous-jacente, un entrepreneur ayant le droit de percevoir une rémunération en fonction de la performance de l'actif sous-jacent pour autant qu'il soit mis en contribution pour les pertes s'il en existe. Ce dernier a pratiquement un statut d'actionnaire ;

- l' asset-backing : la finance islamique contraint à adosser tout financement à un actif tangible.

Je souhaite, à présent, aborder la deuxième partie de mon exposé. Dans un premier temps, j'évoquerai le sujet de la gestion collective en indiquant comment ses interactions sont structurées. Celles-ci reposent sur l'idéal-type contractuel en matière de fonds d'investissement qu'est la mudaraba , un modèle semblable à une société en commandite où une partie, le commanditaire ( rab al maal ), apporte les fonds, et l'autre ( mudarib ) un savoir-faire. En droit français, la mudaraba permettrait de structurer tout type d'organisme de placement collectif (OPCVM, OPCI, FCC). Elle s'accompagne de deux contraintes : l'investissement ne doit avoir lieu que dans des activités halal et dans des sociétés dont le ratio d'endettement est inférieur à 33 %.

Le droit français est très bien adapté à ce dispositif. L'Autorité des marchés financiers (AMF), dans une note datée du 17 juillet 2007, fait référence à la possibilité d'approuver un OPCVM sur la base de critères non exclusivement financiers, faisant référence notamment à des critères religieux et islamiques, et de développer une gestion indicielle fondée sur un indice compatible avec la Charia : Dow Jones Islamic Index , FTSE Islamic Global Index , S&P Charia Index ...

La note précise que les OPCVM peuvent purifier la part impure de leurs dividendes. Ces organismes investissent dans des sociétés dont les activités sont compatibles avec la Charia mais dont le taux d'endettement peut être supérieur à 33 %. Le montant des dividendes liés à cette partie du taux d'endettement située au-dessus de 33 % sera considéré comme étant impur et devra donc être reversé à des organismes reconnus d'utilité publique (l'Institut du monde arabe en France), dans la limite de 10 %.

Trois OPCVM compatibles avec la Charia ont été approuvés par l'AMF à ce jour. L'un concerne la BNP. Il a été agréé en juillet 2007. Les deux autres ont trait à la SGAM. Ses représentants nous en diront un peu plus sur le sujet tout à l'heure.

Pour développer un marché français de la gestion collective islamique, il serait utile que le NYSE-Euronext crée un indice de valeurs compatibles avec la Charia.

S'agissant du financement d'actifs (mobiliers, immobiliers, trade finance, location de flotte de véhicules...), il existe deux idéaux-types contractuels : la murabaha et l' ijara .

La murabaha représente une simple opération d'achat et de revente. Mais alors que, dans notre système classique, l'acheteur final s'approvisionne auprès du vendeur sur la base d'un crédit obtenu auprès d'une banque et dont il doit rembourser les intérêts, dans ce type d'opération, le vendeur cèdera son produit à un financier pour une somme X, lequel le revendra à un acheteur final pour un montant supérieur à X, payable à terme, la marge correspondant économiquement à l'intérêt. Dans ce système, il existe une double cession, avec un financier propriétaire du bien financé.

La deuxième manière de financer des actifs consiste à avoir recours à l' ijara qui constitue une location, avec éventuellement une option d'achat du bien à terme. Dans ce système, un financier intervient également entre l'acheteur, à qui il cède le bien final, et le vendeur. C'est lui qui détient la propriété du bien financé. Ce système s'apparente au crédit bail. Il offre des assurances, mais aussi des contraintes sur le plan juridique et peut se traduire par une double mutation en cas d'exercice, par l'acheteur final, de son option d'achat.

Pour le financement de projets qui peut prendre la forme, dans notre pays, de PPP (partenariats publics privés), on combine une istisna et une ijara . L' istisna accompagne la phase de construction des projets. Elle revient à ce qu'une société construise une infrastructure et la vende au fil de l'eau au financier qui, en l'achetant, paie au vendeur les sommes d'argent dont il a besoin pour régler le coût des travaux.

Une fois la phase de construction passée, le financier propriétaire de l'infrastructure loue celle-ci, pendant sa phase d'exploitation, dans le cadre d'une ijara .

En ce qui concerne la compatibilité du droit français , plusieurs dispositifs dans le droit français apportent un certain nombre de solutions pour rendre le financement d'actifs ou de projets compatibles avec la Charia :

- le régime du marchand de biens en matière immobilière qui permet d'éviter la double mutation et les droits de mutation y afférent ;

- le régime du crédit-bail en matière de biens meubles ou immeubles ;

- le droit des partenariats publics-privés : le régime de l'ordonnance du 17 juin 2004 peut être utilisé dans le cadre de financements compatibles avec la Charia, notamment en matière de financements de projet sur le domaine public (97 % des cas) ;

- la fiducie, qui a créé une brèche dans le droit français en instaurant une rupture dans l'indivisibilité du patrimoine. Mais elle reste encore relativement corsetée et c'est pourquoi nous avons demandé à la faire évoluer, notamment dans le cadre du projet de loi de modernisation de l'économie (LME).

Nous avons proposé les aménagements nécessaires pour permettre le développement d'actifs ou de projets compatibles avec la Charia. Ils passent par la modification du Code civil et du Code monétaire et financer, de manière à :

- admettre la cession civile de créances à titre de garantie. Le fait que le financier utilisé en matière de financements islamiques ne soit pas un établissement de crédit ne lui permet pas de recevoir des garanties sous forme de cession Dailly à titre de garantie. C'est pourquoi il est indispensable de prévoir la cession civile de créances à titre de garantie dans le Code civil et ainsi d'inverser la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 19 décembre 2006. Cette révision du droit des obligations est en cours à la Chancellerie ;

- exonérer l'opération de revente de la garantie des vices cachés. Un financier intervient obligatoirement dans chaque type d'opérations en achetant un bien, puis en le revendant à un acheteur, lequel est exposé à la garantie du vice caché, une garantie d'ordre public. Or, il est illusoire d'exiger cette garantie de la part du vendeur dans des opérations temporaires d'achat et de revente ;

- clarifier le régime de la location-vente. Il s'agit du régime ayant vocation à s'appliquer pour toutes les opérations de financement de projet où la collectivité publique est amenée à louer le bien construit à l'expiration de la location-vente. Or, ce système repose sur un contrat innommé dont les règles sont mal définies ;

- améliorer le régime de la fiducie. Il s'agit de l'institution de droit français ressemblant au trust. Ce régime est utilisé de manière fréquente dans les opérations ayant lieu outre-Atlantique et exige certaines modifications pour être totalement satisfaisant. En particulier, il paraît nécessaire d'élargir le champ des acteurs de la fiducie, de préciser que le transfert de la fiducie est opposable aux tiers, de modifier la nullité de plein droit de la fiducie en cas d'ouverture d'une procédure collective au bénéfice du constituant et enfin - il s'agit du sujet de la LME qui touche à la réforme des procédures collectives - de veiller à ce que la fiducie ne soit pas considérée comme une sûreté classique. Il n'y aurait eu aucun intérêt à adopter ce dispositif au mois de mars de l'année dernière s'il n'en avait pas été ainsi. En fait, la fiducie devrait pouvoir être gelée pendant un court délai, permettant à l'administrateur de prendre parti : reprendre le bien mis en fiducie contre le paiement au comptant de la dette garantie ou dénouement de la fiducie selon ses termes.

D'autres aménagements nécessaires conduisent à modifier le Code monétaire et financier et le droit fiscal. La plupart des opérations de finance islamique impliquant une double mutation de propriété et donc un doublement des droits d'enregistrement, le régime du marchand de biens, destiné à des opérations à titre habituel avec intention spéculative, est inapplicable. L'idée est donc de créer un nouveau régime ad hoc s'inspirant du régime du marchand de biens, qui autoriserait les opérations d'achat et de revente et les opérations de portage dans le cadre de la gestion du logement social et du renouvellement urbain. Nous nous apercevons donc qu'un certain nombre d'aménagements nécessaires pour encourager le développement de la finance islamique sont souhaitables de manière générale. Le régime souhaité prévoirait l'imputation de la taxe de publicité foncière et des droits d'enregistrement payés en amont sur ceux payés en aval dans le cadre d'opérations d'achat et de revente sans intention spéculative, ainsi que la neutralisation de l'impact du crédit-vendeur sur l'assiette des droits (TVA, IS) en distinguant, dans le prix d'acquisition, le prix principal du coût du crédit.

Un autre idéal-type contractuel concerne les prêts. Il s'agit de la musharaka , semblable à un « joint venture » dans lequel une personne, un prêteur, apporte des capitaux, et un entrepreneur effectue un apport en nature. Cette opération s'accommode très bien, en droit français, du régime des prêts participatifs selon lequel le prêteur, qui n'est pas nécessairement un établissement de crédit, peut être rémunéré avec une part fixe et une part variable, et est subordonné, en cas de procédure collective ouverte, à l'encontre de l'emprunteur. Fiscalement, le régime du prêt participatif autorise la déductibilité des intérêts versés.

Pour toutes ces raisons, il serait souhaitable qu'une instruction fiscale assure la déductibilité de la rémunération versée à un prêteur subordonné hors le cadre légal du prêt participatif, et qu'une instruction fiscale introduise l'absence de retenue à la source sur les intérêts versés à des bailleurs de fonds situés hors de France.

Tous ces problèmes ont été traités par la Grande-Bretagne au travers de lois spéciales.

S'agissant enfin des sukuks , qui représentent des obligations islamiques, des produits adossés à des actifs corporels avec une rémunération versée à l'investisseur en fonction de la performance économique de l'actif sous-jacent et non du seul écoulement du temps. Selon la norme 17 de l' Accounting and Auditing Organization of Islamic Financial Institutions (AAOFI), peut valoir également à titre corporel la valeur économique du bien. Autrement dit, la cession de l'ensemble des flux correspondant à un bien et à sa valeur résiduelle dans le cadre d'opérations de leasing ou de crédits bail sera considérée comme équivalente à la cession d'un actif corporel. En la matière, le droit français est très largement compatible avec les principes de la Charia. Il permet de créer des obligations participatives avec une rémunération indexée et élevée en raison de la prohibition de l'usure. Toutefois, il nécessite quelques aménagements pour prévoir, d'une part, la déductibilité des sommes versées par l'émetteur de sukuks et s'assurer ainsi qu'il n'y aura pas de rémunération en dividendes et, d'autre part, l'absence de retenue à la source sur les sommes versées aux porteurs de sukuks qui ne résident pas en France.

En guise de conclusion, j'évoquerai brièvement l'assurance islamique ( takaful ) et la banque islamique de détail.

L'idéal-type contractuel en matière de takaful est la mudaraba , compatible très largement avec le droit français. Les seuls obstacles qui s'opposent à son développement résident dans la nécessité, pour les entreprises d'assurance, de sélectionner des actifs éligibles. Aujourd'hui, celles-ci ne peuvent pas détenir plus de 40 % en immobilier. Si elles investissent dans des obligations, encore faut-il qu'elles aient accès à des actifs sous-jacents, des sukuks , cotés sur des marchés de l'OCDE suffisamment importants, de manière à ce que leurs investissements soient compatibles avec les préceptes de la Charia ! Il existe donc un manque de gisement, faute de sukukss suffisants.

Enfin il est nécessaire de limiter la couverture de risques. Certains d'entre eux ne sont pas couverts dans le cadre de l'assurance takaful . Il s'agit notamment de la conduite en état d'ébriété et de l'excès de vitesse. Le droit français, dans un souci d'apporter une extrême protection, assure tous les risques, à l'exception de la faute intentionnelle, celle-ci étant toutefois très limitative. La fixation de franchises majorées pour ces risques particuliers est-elle susceptible de rendre la police d'assurance compatible avec les principes de la Charia ?

Pour le prêt immobilier résidentiel, la manière de rendre le droit français compatible avec la Charia consisterait en l'adaptation, soit de ce régime ad hoc d'achat et de revente, soit de la fiducie.

Pour le compte de dépôt, dans la mesure où sa rémunération est possible désormais, le droit français permet le partage des profits.

S'agissant du partage des pertes, il faudrait s'assurer que le déposant peut renoncer au mécanisme de garantie géré par le Fonds de garantie des dépôts et donc ne retrouve pas sa mise si l'argent qu'il a déposé dans sa banque n'a pas rapporté autant que prévu.

En résumé, le droit français est très largement accommodant. Des frottements juridiques existent, mais ils ne sont pas rédhibitoires et peuvent être traités de manière aisée avec une adaptation du Code civil et du Code monétaire et financier, l'adoption d'une loi et d'une instruction fiscale.

La finance islamique ne représente pas une activité à la mode. Elle repose sur de nombreux principes sous-jacents et se distingue notamment par son caractère participatif. Les modifications que nous devons apporter à nos dispositifs doivent consister à les rendre, non pas compatibles avec les principes de la Charia, mais plus efficaces de manière générale, de façon à ce qu'ils bénéficient à l'ensemble du cadre juridique français, lequel a des implications au niveau de la finance islamique.

M. Jean Arthuis

Merci, Maître, pour cet exposé tout à fait remarquable et complet. J'ai compris, de votre intervention, qu'il existe des dispositifs de nature fiscale à modifier. Vous mettez la commission des finances du Sénat à rude épreuve. Je considère en effet que toute nouvelle disposition fiscale doit être discutée, non pas dans une simple loi, mais dans une loi de finances, sorte de réceptacle pour les dispositions fiscales.

Je me réjouis pour M. Baudis qui a pris la présidence de l'Institut du monde arabe. Vous nous avez indiqué en effet que cet organisme reçoit les sommes correspondant à la partie impure des produits de finance islamique.

Je donne maintenant la parole au deuxième intervenant, M. Anouar Hassoune, Vice-président de Moody's.

M. Anouar Hassoune, vice-président de Moody's

Merci de m'avoir invité, M. le Président. Moody's, à travers moi, a beaucoup de plaisir à être ici. Il est question de la finance islamique depuis une demi-heure déjà. Or, pour l'instant, n'ont pas été abordés son contenu et son essence.

La finance islamique se résume à un compartiment de la finance éthique. Elle se caractérise avant tout, en effet, par une dimension éthique, socialement responsable. Les marchés financiers que nous contribuons à servir ont fait l'objet de nombreuses critiques. Ils sont accusés de marcher un peu sur la tête. La finance en général et la finance islamique en particulier constituent des voiles, dans la mesure où elles participent au développement de l'économie réelle.

Je chercherai, au travers de mon intervention, d'abord à répondre à deux questions : d'où vient la finance islamique ? Combien pèse-t-elle ?

Puis je montrerai que la finance islamique correspond à un marché rentable, pouvant profiter à tous, et pas seulement à quelques-uns, et qu'elle a du sens pour les pays non-musulmans dans la mesure où elle répond à des besoins très largement universels. J'essaierai de m'attarder sur chacun de ces points pendant trois à quatre minutes. Mais avant cela, je souhaite replacer le sujet dans son contexte historique et géographique.

La finance islamique a eu trente ans en 2005. Elle est née en 1975 avec l'avènement de la première banque islamique commerciale à Dubaï et n'a eu de cesse, depuis cette date, année après année, de connaître un taux de croissance vertigineux, supérieur à 10 % en moyenne. L'année dernière, nous avons mené l'exercice de mesurer ce taux dans les pays où la finance islamique est bien enracinée sans jamais être majoritaire. Il s'est établi à 26 % ou 27 % dans le Golfe persique et en Asie du Sud. Il s'agit d'un pourcentage considérable.

Aujourd'hui la finance islamique recouvre 700 milliards de dollars d'actifs : 500 milliards de dollars pour les fonds inscrits aux bilans des institutions financières islamiques + 200 milliards de dollars de fonds situés hors bilan, à savoir des fonds désintermédiés (fonds communs de créances, fonds de placement et fonds de mutuelles).

Elle est devenue un ensemble de classes d'actifs à part entière. Un chiffre intéressant est à mentionner en la matière. Il porte sur la dette globale des pays émergents, de l'ordre de 600 à 700 milliards de dollars, soit des montants proches de l'enveloppe des actifs de la finance islamique, faisant d'elle une vraie industrie. Toutefois, les avis divergent à son sujet. Elle ne suscite pas le consensus. D'aucuns y voient une vaste supercherie et au mieux une opération marketing réussie. Pour eux, la finance islamique ne se distinguerait en rien de la finance conventionnelle. D'autres, au contraire, y reconnaissent l'avenir financier du monde musulman. Entre ces deux visions extrêmes, notre point de vue est considérablement plus nuancé. Si nous partons du principe que la finance islamique constitue un compartiment de la finance, celle qui est éthique et socialement responsable, alors elle répond à un besoin qui va largement au-delà des solutions financières susceptibles d'être offertes aux investisseurs pour financer leurs opérations.

La fiche signalétique de la finance islamique montre que ce marché représente 500 milliards de dollars d'actifs dans les bilans et affiche un taux de croissance compris entre 10 % et 30 % en fonction des classes d'actifs, dont la plus dynamique est celle des sukuks , lesquels correspondent à des obligations islamiques en conformité avec les cinq piliers financiers de l'Islam. Ces derniers n'ayant pas tous la même valeur, je vous donnerai ma position sur chacun d'eux.

39,5 % des actifs islamiques sont portés par des établissements financiers conventionnels. Autrement dit, il n'y a aucune obligation à être une banque totalement islamique pour offrir des produits conformes à la Charia.

Par ailleurs, 90 % des actifs financiers islamiques émanent de banques. Par conséquent, ce marché emprunte largement des canaux bancaires et reste donc très intermédié. Toutefois, son avenir passe par la désintermédiation. De plus en plus de solutions de financements et d'investissement pour les Musulmans et non Musulmans seront proposées par des institutions non bancaires et en particulier par des fonds. En effet, les marchés de sukuks étant en pleine croissance, les banques islamiques, par leurs tailles restreintes, n'auront pas la capacité de répondre à ce développement. Par conséquent, d'autres professionnels du financement et de l'investissement devront prendre leur relais. Ils correspondront probablement à des fonds.

D'un point de vue historique, la finance islamique, lors de sa naissance dans les années 1970, constituait un marché dirigé par l'offre, avec une demande essentiellement latente et très difficile à quantifier, notamment parce que celle en provenance des clientèles institutionnelles et particulières n'était pas explicite. En l'occurrence, c'est l'organisation de la conférence islamique et son bras armé, la banque islamique de développement, qui sont à l'origine du lancement de cette industrie, très centralisée au niveau des pays du Golfe persique pour une raison très simple. La finance islamique va de pair avec les ressources pétrolières. Son développement est dû au fait que les monarchies pétrolières, au moment du premier choc pétrolier, ont réussi à capturer beaucoup de liquidités et qu'elles les ont recyclées dans les marchés financiers islamiques. Il se produit le même scénario aujourd'hui.

Je ne vais pas balayer toutes les décennies ayant suivi les années 1970. Je me contenterai d'évoquer les années 1990 au cours desquelles la finance islamique a connu un second souffle en investissant le marché des particuliers, aussi sensibles que les entreprises aux arguments religieux ; ces dernières privilégiant la qualité et les prix des services rendus par les banques. Les particuliers, eux, achètent un produit financier pour sa valeur d'usage mais aussi sa valeur symbolique, très importante. Le fait qu'un pays comme la France se place sur le marché de la finance islamique revient aussi, pour lui, à envoyer un message fort au monde musulman, peut-être plus fort que celui découlant de la captation d'une partie de la manne pétrolière par le territoire hexagonal.

Pourquoi la finance islamique a-t-elle connu un succès aussi fulgurant dans la période récente, avec des taux de croissance compris entre 10 % et 30 % et un marché de sukuks en pleine explosion (+ 30 % à + 35 % par an) alors même que le secteur financier est en crise ? La réponse à cette question est double. Son succès s'explique, d'une part, par la cherté du pétrole, d'autre part, par la catastrophe du 11 septembre 2001. Ces deux évènements conjoints ont alimenté une sur-liquidité dans le Golfe persique, laquelle a réussi à se recycler dans cette même région. Historiquement, les investisseurs du Golfe, qu'il s'agisse des investisseurs institutionnels ou de clientèles privées, avaient pris l'habitude de placer leurs fonds sur les marchés internationaux, dans des zones sûres (Europe et Amérique du Nord) et au travers de classes d'actifs traditionnels. Or, aujourd'hui, de plus en plus d'entre eux s'intéressent à leur région. La raison en est qu'il y a, non seulement une sur-liquidité au niveau de l'offre, mais aussi une demande appelée à croître de manière massive. Les pays du Golfe persique, malgré leur richesse, sont assez vétustes. Le Koweït, par exemple, n'a pas pris soin de se doter d'infrastructures pour lesquelles il existe des besoins très élevés aujourd'hui ; des besoins financés par une partie de la sur-liquidité dont bénéficie le pays.

Les pays du Moyen-Orient et notamment l'Iran contribuent, en grande partie, pour un total d'actifs de 350 milliards de dollars, au marché de la finance islamique, l'autre grande région alimentant ce secteur étant la Malaisie où les deux tiers des obligations conformes à la Charia sont émises (66 milliards de dollars sur un total de 100 milliards de dollars). La plate-forme malaisienne constitue le coeur névralgique des opérations de sukuks . Beaucoup de pays s'intéressent à ce marché. C'est pourquoi nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la place de la France dans ce secteur de la finance islamique où elle est en concurrence avec d'autres Etats aussi divers que l'Inde, la Chine, le Pakistan, les pays d'Amérique du Nord, d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne, les territoires de cette dernière région attirant de plus en plus de fonds au travers de placements très risqués mais à hauts rendements.

En Afrique, il existe 412 millions de Musulmans qui pourraient exprimer à terme des demandes importantes en matière de finance islamique auprès des pays du Golfe persique. Il est possible donc que la finance islamique fasse office de pont entre le continent africain et le Moyen-Orient.

Comme il a été précisé plus tôt, la finance islamique repose sur cinq piliers : pas d'intérêt, pas d'incertitude, pas de secteurs illicites, obligation de partage des profits et des pertes et principe d'adossement à un actif tangible. Si les émetteurs français souhaitent capter une partie de la manne pétrolière à travers l'émission d'obligations conformes à la Charia, alors il faudra penser à la mise en place de structures de partage des profits et des pertes et de mécanismes d'adossement à des actifs tangibles. Des classes d'actifs français sont très attractives. La spécialisation financière de la France lui offre l'avantage d'avoir une grande panoplie d'actifs éligibles dans le cadre d'émissions de sukuks . Des pays matures comme le nôtre ont la chance de proposer, dans une même classe d'actifs, des produits très diversifiés et permettant de contrôler le risque.

Notre métier à Moody's est de fournir des opinions quant à la qualité de ces émissions de sukuks . En l'occurrence, une émission d'obligations conformes à la Charia à partir de la plate-forme française serait très attrayante.

Quel est le marché potentiel de la finance islamique ?

Aujourd'hui, il pèse 500 milliards de dollars. Mais quel poids est-il en mesure d'atteindre à l'avenir si tous les Musulmans de la planète en viennent à avoir accès au crédit, à un compte en banque et à une carte de paiement ? Son volume potentiel est estimé à 4 billions de dollars. Autrement dit, la finance islamique a de beaux jours devant elle et c'est pourquoi elle continuera à attirer de nouveaux entrants, en particulier dans le Golfe persique où il ne se passe pas un mois sans qu'un établissement financier respectueux des principes de la Charia n'ouvre ses portes.

A ce jour, il existe, dans le Golfe persique, 43 banques islamiques ; plus 15, dont 3 proviennent du Golfe, en Malaisie où est concentrée une grande partie du marché relatif à l'Asie musulmane. Aussi, si, dans les années 1980 et 1990, la finance islamique était très compartimentée entre régions avec, d'un côté, la finance islamique du Golfe persique et, d'un autre côté, la finance islamique de Malaisie, aujourd'hui des ponts se créent entre ces deux mondes. De fait, des banques islamiques du Golfe se sont implantées en Malaisie. L'inverse, toutefois, est moins vrai. Une seule banque malaisienne a pris position dans le Golfe, précisément à Bahreïn. Mais cette situation ne devrait pas durer. L'osmose prendra de plus en plus et l'Europe deviendra de plus en plus attractive pour les institutions financières du monde musulman.

L'Indonésie, forte de ses 200 millions de Musulmans, représente un marché potentiellement très vaste, mais peu dynamique pour des raisons réglementaires, le rendant peu attrayant pour les banques islamiques.

Les pays d'Afrique du Nord, avec un peu de réticence, se sont mis à la finance islamique. Mais étant assez conservateurs dans ce domaine, ils n'accueillent pas toujours l'arrivée de banques respectueuses des principes de la Charia sur leur territoire de manière positive. Néanmoins, des produits issus de la finance islamique circulent aussi bien au Maroc qu'en Algérie, en Tunisie et en Egypte ; la Libye fait office d'exception en la matière.

L'Afrique sub-saharienne constitue un marché potentiellement important, susceptible d'atteindre 235 milliards de dollars. Il équivaut aujourd'hui à 18 milliards de dollars d'actifs, soit une part de marché inférieure à 8 %. Le développement de ce marché a fait l'objet d'une publication de la part de Moody's récemment, document dans lequel il est montré que l'Afrique du Sud et le Kenya sont devenus des marchés particulièrement attrayants pour les investissements conformes à la Charia.

En Europe, si tant est que ce pays puisse être considéré comme européen, la Turquie dispose de quatre banques islamiques sur son territoire, dont trois sont contrôlées par des investisseurs bancaires du Golfe persique. Il s'agit d'une nouvelle preuve que la finance islamique fait office de pont reliant des mondes différents. La Turquie et les monarchies pétrolières du Golfe n'avaient pas tendance, par le passé, à se parler de manière frontale. Aujourd'hui, via la finance islamique, de plus en plus de musulmans turcs ont accès à des solutions alternatives à la finance conventionnelle.

Je ne m'attarderai pas sur l'expérience britannique. Je souhaite juste indiquer que l'émission de sukuks représente un marché en pleine croissance au Royaume-Uni qui aurait atteint 50 et non 37 milliards de dollars s'il n'y avait pas eu la crise des subprimes. Cette situation peut paraître paradoxale avec, d'une part, une sous-liquidité sur les marchés internationaux et, d'autre part, une sur-liquidité sur les marchés du Golfe. Pourtant, les émissions de sukuks se sont tassées. La raison en est simple : les taux d'emprunt proposés aux investisseurs ont augmenté, rendant les émissions de sukuks moins intéressantes. De fait, les émetteurs et notamment les grandes entreprises se sont tournées davantage vers les banques que vers les marchés pour obtenir des fonds.

Concernant la situation de la finance islamique en France, je souhaiterais mettre l'accent sur un certain nombre de constats et de paradoxes.

Tout d'abord, l'industrie financière islamique est devenue un phénomène en voie de globalisation. Toutefois, les grandes banques françaises, pourtant bien enracinées dans les marchés internationaux et riches de compétences humaines reconnues et d'activités diversifiées, n'en contrôlent qu'une part négligeable.

La liquidité extraite des rentes pétrolières dans une vaste partie du monde arabo-musulman est gigantesque. Pourtant, les entreprises françaises ne l'ont pas encore exploitée sous une forme conforme à la Charia.

Autre paradoxe : les Musulmans de France qui constituent la plus grande communauté islamique du monde occidental, avec six millions d'individus, n'ont pas encore accès à une offre de services financiers conformes à leurs principes religieux.

Enfin il existe en France de très bons spécialistes de la finance islamique, talentueux, réputés, dont quelques-uns se trouvent dans cette salle. Mais ceux-ci déploient leurs compétences dans des institutions étrangères installées sur notre territoire.

Un certain nombre d'acquis ont été enregistrés. Ainsi, les banques françaises ont déjà élargi leur offre financière islamique mais pas en France. Des investissements islamiques ont été notés dans deux classes d'actifs français : l'immobilier et le capital-investissement. Un certain nombre de propos encourageants visant au développement de la finance islamique ont été tenus par un certain nombre d'institutions et d'individus.

Les objectifs recherchés consistent à :

- capter une partie des fabuleux gisements de liquidité pétrolière susceptible d'être investie et les diriger vers l'économie française ;

- rendre attractives les classes d'actifs françaises ;

- favoriser l'inclusion financière des populations musulmanes en France ;

- initier la réflexion quant à la pertinence d'une émission de sukuks souverains, de manière à permettre à notre pays d'avoir accès à des investisseurs non conventionnels et disposant actuellement des liquidités;

- donner un signal puissant en direction des Musulmans de France et du monde.

Quelles sont les perspectives ?

La banque de financement et la banque d'investissement islamique font l'objet du travail de Paris Europlace, visant à la réduction des frottements juridiques et fiscaux. Ce travail est bien avancé.

En revanche, nous constatons une faible volonté politique et économique pour développer les produits financiers et d'assurance ( takaful ) compatibles avec la Charia, en raison de la faible demande qui s'exprime envers eux aujourd'hui et de l'incertitude qui accompagne leur évolution. Ce genre de débat permet de lever une partie de cette incertitude et d'avoir plus de visibilité sur l'avenir de la banque islamique des particuliers en France.

Les émissions de sukuks concernent le département le plus dynamique de la finance islamique et, à ce titre, rien ne nous interdit de l'exploiter de manière profitable en France.

M. Jean Arthuis

Merci M. Hassoune de votre intervention et d'avoir mis en évidence, à travers elle, les enjeux de la finance islamique. La parole est maintenant à M. Jean-François Pons, directeur des relations européennes et internationales de la Fédération bancaire française (FBF).

M. Jean-François Pons, directeur des relations européennes et internationales de la Fédération bancaire française (FBF)

Merci de votre invitation. La finance islamique constitue un sujet important et, à ce titre, elle intéresse les banques françaises, en particulier dans le cadre de leurs activités internationales.

La Fédération bancaire française correspond à l'organisation professionnelle qui représente l'ensemble des banques présentes en France. Elle compte, comme membres, près de 500 entreprises bancaires, aussi bien commerciales, coopératives ou mutualistes, françaises ou étrangères. Leurs encours de crédits totaux avoisinaient 1.500 milliards d'euros (80 % du PIB) en 2007. Quant à leur effectif global, il s'établit à 400.000 personnes.

Le secteur bancaire français se caractérise par une internationalisation croissante. Aujourd'hui, les trois principaux réseaux bancaires nationaux tirent plus du tiers de leurs revenus de leurs activités à l'étranger. Près de la moitié des 400.000 emplois de la profession est située en dehors de la France où nous dénombrons 237 banques étrangères ; ces établissements contribuant à faire vivre la place de Paris.

Le secteur bancaire français est donc très présent au niveau international et très enclin à accueillir des établissements étrangers.

L'industrie de la finance islamique est surtout exercée par des établissements étrangers, installés notamment au Moyen-Orient. Comme l'a montré M. Hassoune dans son intervention, c'est là que se situe l'essentiel de cette activité à laquelle s'intéressent des banques françaises.

Ainsi, en 2003 et 2004, des établissements comme BNP Paribas et Calyon ont ouverts des services spécialisés à Bahreïn. En juillet 2007, Sofinco a démarré des activités de crédits dans ce même pays. Par ailleurs, BNP Paribas a initié la seconde émission la plus importante de sukuks en Arabie Saoudite pour un montant de 650 millions de dollars et la Société Générale propose une large gamme de produits islamiques indexés sur des actifs structurés. Par conséquent, les banques françaises ont manifesté un véritable effort pour investir le marché de la finance islamique et, en particulier, pour définir ce que représentent les produits compatibles avec la Charia. Nous avons vu qu'il n'est pas simple de déterminer de tels instruments. C'est pourquoi les établissements se sont dotés de comités spéciaux appelés comités de Charia.

En résumé, il y a eu une vraie prise en compte, de la part des banques françaises, du développement de la finance islamique centré dans les pays du Moyen-Orient et du Golfe persique.

En France, un constat s'impose. Il n'existe pas, de mon point de vue, hormis quelques ajustements fiscaux à effectuer, de véritables obstacles à l'exercice de la finance islamique, comme il est confirmé dans le numéro de La Revue Banque de novembre 2007 consacré au sujet et qui rassemble beaucoup d'articles de spécialistes.

S'agissant de la banque d'investissements, nous constatons un développement, certes limité, mais réel des opérations conformes à la Charia sur la place de Paris. Il touche les OPCVM, l'immobilier d'entreprise et le financement de projets, activité exercée notamment par la banque UBAF. Le financement immobilier, lui, est très peu pratiqué.

Pour la banque de détail, il n'existe pas aujourd'hui de demande significative de services en matière de finance islamique. Certains jugeront cette situation regrettable, d'autres positive. Mais il s'agit d'un constat et il vaut, non seulement pour la France, mais aussi pour l'ensemble des pays européens, à l'exception notoire de la Grande-Bretagne, cette particularité s'expliquant peut-être par la forte présence de populations d'Asie du Sud-Est et à la possibilité qu'offre la finance islamique, à de nombreuses personnes, d'accéder à un compte bancaire ordinaire dans ce pays. Le taux d'inclusion financière est assez bas au Royaume-Uni alors qu'il est très élevé en France, proche de 98 %. Par conséquent, ces deux pays n'ont pas le même intérêt à mettre l'accent sur la finance islamique.

Une fatwa prise en 1999 par le Conseil européen de la recherche autorise l'achat de maisons au travers de crédits bancaires à intérêts à condition que la maison serve de résidence principale et que l'acquéreur ne dispose d'aucun autre moyen financier que le prêt classique pour acquérir son bien. Beaucoup de Musulmans français sont devenus propriétaires par ce biais. Par conséquent, le développement de la finance islamique dépend de la manière dont la Charia est interprétée.

Mon propos ne signifie pas que les banques islamiques ne sont pas prédites à un bel avenir dans notre pays. Les établissements français sont à l'écoute de leurs clients. Or aujourd'hui ceux-ci témoignent de peu de besoin en produits ou services compatibles avec la Charia.

Des banques étrangères ont déposé des demandes d'agréments pour mener des activités de banque islamique de détail en France. Il nous faudra suivre leurs pratiques avec intérêt.

M. Jean Arthuis

Merci de la concision de votre propos. Nous savions déjà que le développement de la finance islamique, activité encore embryonnaire, se heurte à quelques frottements fiscaux. Est-il possible d'imaginer que des collectivités publiques émettent des sukuks pour financer des investissements ? Ce scénario est-il plausible ?

M. Jean-François Pons

C'est aux collectivités publiques d'en décider. Des marchés obligataires fonctionnent extrêmement bien en France et en Europe. Mettre en place un produit nouveau a toujours un coût.

M. Jean Arthuis

La rémunération offerte par les sukuks pourrait-elle être plus avantageuse que celle accompagnant des produits plus classiques ?

M. Gilles Saint-Marc

Il peut y avoir un intérêt à utiliser les sukuks . Ces produits ne constituent jamais que des obligations islamiques. De plus, plus nous élargissons la gamme d'investisseurs potentiels et plus nous réduisons les frais des opérations. Par conséquent, les collectivités publiques pourraient très bien tirer avantage de faire appel à des sukuks , étant entendu que le financement de projets correspond tout à fait aux principes de la Charia.

M. Anouar Hassoune

D'ailleurs, le land de Saxe, situé en Allemagne, a émis une obligation islamique en 2004, qui lui a rapporté 100 millions d'euros. Ce produit a été vendu essentiellement dans le Golfe persique.

Deux entreprises américaines, évoluant dans le secteur énergétique, ont émis également des sukuks . Il n'y donc aucune obligation à appartenir à un pays musulman pour utiliser ce genre d'instrument.

M. Jean Arthuis

Très bien. Nous allons passer maintenant aux témoignages. Le premier d'entre eux sera apporté par Mme Maya Boureghda, juriste à BNP Paribas et chargée d'enseignement à Paris I.

Mme Maya Boureghda, juriste BNP Paribas, chargée d'enseignement à Paris I

Merci, M. le Président, de m'avoir invitée. Je souhaite présenter l'expérience pratique de BNP Paris en matière de finance islamique. La finance islamique fait aujourd'hui partie de la finance mondiale, elle en est une composante essentielle. La crise des subprimes et le déficit de liquidité qui s'en est suivi sur le marché interbancaire ont accru le caractère attractif de la finance islamique.

BNP Paribas a été l'une des premières banques européennes active dans le domaine des financements islamiques, elle s'est lancée dans ce secteur depuis les années 1980. Je m'appliquerai tout d'abord à vous décrire de quelle façon notre établissement s'est organisé pour exercer ce métier et répondre à ses particularités. Après quoi, je vous indiquerai quels produits compatibles avec la Charia il propose à ses clients et, plus globalement, les expériences pratiques menées par BNP Paribas dans ce secteur.

BNP Paris a donc investi le champ de cette activité depuis le début des années 80, essentiellement dans les pays du Golfe persique et d'Asie du Sud-Est. En 2003, une entité islamique spécifique a été créée à Bahreïn au travers de BNP Paribas Najmah. Elle est chargée de fournir des solutions financières islamiques aux clients de notre groupe dans le monde entier. Elle accompagne, par ailleurs, toutes les lignes de métiers de la banque dans ce qui a trait aux produits compatibles avec la Charia, elle leur sert donc de support. Cette entité de BNP Paribas fonctionne comme une banque islamique permettant au groupe d'être un interlocuteur «crédible» auprès des institutions et des entreprises du Golfe. Par ailleurs, cette entité est soumise aux mêmes contraintes et dispositions légales que BNP Paribas, notamment en matière de connaissance des clients, de lutte contre le blanchiment d'argent, etc.. Néanmoins, elle se caractérise par quelques spécificités. Tout d'abord, elle dispose d'un comité de Charia composé de docteurs en théologie très qualifiés et chargés d'approuver toutes les opérations mises en place. Elles utilisent des organismes de charité, afin de purifier (mettre en conformité à la loi islamique) certains produits qui ont une composante intérêt, nous devons distribuer ces intérêts a des organismes de charité « islamiquement » éligibles. Les trois organismes que nous utilisons, dont l'Institut du Monde Arabe, ont tout d'abord fait l'objet d'un agrément de notre Sharia Board puis ont été validés par le département déontologie.

M. Jean Arthuis

M. Baudis en sera très heureux.

Mme Maya Boureghda

Notre établissement a prouvé sa compétence en recevant plusieurs prix, notamment, en 2005, le prix Euromoney récompensant le meilleur établissement de finance islamique (« Best Islamic Finance House » et, en 2007, le prix international du financement maritime (Marine Money International Award).

Les activités de BNP Paribas en matière de finance islamique représentent donc une histoire longue de vingt deux ans. Elles sont très diversifiées puisque notre groupe intervient aussi bien sur des financements bancaires que sur les marchés de capitaux. Nous offrons une grande palette de produits islamiques : dépôts islamiques, murabaha , émissions de sukuks , ijara , forex et produits dérivés et des produits de gestion d'actifs. Dans ce domaine, deux fonds qui sont des « trackers » basés sur le Dow Jones Islamic Index et FTSE Islamic Global Index ont été lancés.

BNP Paribas a participé notamment à une grande variété de financements de projets islamiques ou comportant une tranche islamique, dans plusieurs secteurs (énergie, immobilier, transport, etc.). En voici quelques exemples, parmi les plus représentatifs :

• En 2002, BNP Paribas était conseil financier et a participé à arranger le projet de centrale électrique d'Al Hidd à Bahrein, le premier projet énergétique de ce genre intégrant dans la structure de financement, à la fois une tranche islamique et une tranche export couverte par des agences de crédit export. Ce financement d'un montant de 255 millions de dollars, intégrait une tranche islamique de 55 millions de dollars.

- En 2004, la société de télécommunications des Emirats arabes unis a ainsi choisi BNP Paribas pour un crédit syndiqué de 2,35 milliards de dollars, 100 % islamique, afin de financer la deuxième licence de téléphonie mobile en Arabie saoudite.

- BNP Paribas a également participé au projet Qatargas II, de construction d'infrastructure de gaz naturel liquéfié au Qatar. Ce projet constitue un des financements les plus importants dans le domaine gazier, d'un montant de 6,5 milliards de dollars, incluait une tranche islamique de 530 millions de dollars. BNP Paribas a agi comme l'arrangeur principal mandaté, banque de documentation et agent intercréancier dans ce projet comprenant le plus train jamais réalisé dans le domaine du gaz naturel liquéfié.

- BNP Paribas a participé au financement du projet stratégique de pipeline Dolphin, probablement un des plus gros financements islamiques jamais réalisés dans le secteur énergétique, le montant global du projet a atteint 3,45 milliards de dollars dont une tranche islamique de 1 milliard de dollars.

- Projet BAPCO : BNP Paribas a ainsi été mandaté par le gouvernement du Bahrein pour la mise en place de son premier projet privé de génération d'électricité de 1.000 MW. 1 milliard de dollars ont été levé avec une tranche islamique de 330 millions de dollars.

- Projet Marafiq : BNP Paribas a occupé un rôle de conseil financier et d'arrangeur principal dans ce projet de centrale électrique et d'unité de dessalement d'eau de mer en Arabie Saoudite, qui compte parmi le plus important au monde. Ce projet d'un montant de 2.725 millions de dollars comprenait une tranche islamique de 600 millions de dollars.

Comme vous pouvez le constater, le coût de l'ensemble de ces projets est couvert, en partie, par du financement conventionnel et, pour une autre partie, par du financement islamique. Avec le manque de liquidités actuel, cette manière d'assurer la mise en oeuvre de projets se rencontre de plus en plus dans les pays du Golfe persique.

BNP Paribas Najmah entend multiplier sa gamme de produits, principalement dans les domaines de la banque de financement et d'investissement et dans la gestion d'actifs. Aujourd'hui, la finance islamique représente, pour notre groupe, un axe de développement prioritaire et nous lançons sans cesse de nouveaux produits compatibles avec la Charia. Etant très bien implantés dans les pays du Golfe persique, nous souhaitons désormais conquérir d'autres marchés et, notamment, jouir d'une bonne couverture commerciale en Asie (Singapour, Malaisie, Indonésie, Brunei, Thaïlande) et dans les pays musulmans du pourtour méditerranéen (Turquie, Egypte, Libye, Algérie, Maroc et Mauritanie) où nous sommes déjà bien présents.

En Europe, nous n'assurons pas encore de véritable activité en matière de finance islamique. Toutefois, nous suivons de près les évolutions de ce marché en Angleterre et les discussions qui ont lieu en France sur le sujet. Nous pourrions très bien, à l'avenir, développer une gamme de produits islamiques adaptés à la demande française. Il faudrait peut-être, pour cela, revoir certaines réglementations en matière de monopole bancaire.

M. Jean Arthuis

Merci pour ce témoignage. Quelques sénateurs se sont rendus dans le Golfe persique l'année dernière pour mieux connaître les fonds souverains et la finance islamique et c'est à Bahreïn, au sein de BNP Paribas Najmah, que nous avons eu notre première rencontre avec le sujet qui nous préoccupe ce matin.

Je donne maintenant la parole à M. Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest.

M. Zoubeir Ben Terdeyet, directeur d'Isla-Invest

J'essaierai d'être bref. Je vous remercie de votre invitation. J'aimerais ouvrir mon intervention en réagissant aux propos de M. Pons sur le marché français de la finance islamique.

Il a été dressé, jusqu'à présent, un tableau assez complet de la finance islamique telle qu'elle existe au niveau mondial. J'aimerais, en ce qui me concerne, aborder le sujet en me limitant au contexte français. Mon exposé portera donc uniquement sur le marché hexagonal de la finance islamique sur lequel Isla-Invest est positionné depuis 2004. Au début de son activité, notre établissement s'adressait uniquement aux acteurs institutionnels. Mais la demande de la communauté musulmane en produits financiers respectant les principes de la Charia étant forte, nous avons élargi nos activités pour offrir toute une gamme de services aux particuliers.

Par rapport au Royaume-Uni, la France a pris beaucoup de retard dans le développement de son industrie financière islamique. La raison en est qu'en Grande-Bretagne, les populations musulmanes sont constituées surtout de personnes originaires du Pakistan, de l'Inde et du Golfe persique, soit des régions où les banques islamiques sont très présentes. En France, en revanche, la communauté musulmane est composée, en majorité, de gens issus d'Afrique du Nord où la finance islamique est assez inexistante et représente un sujet sensible. Il nous a été très difficile, par exemple, d'organiser le premier forum africain de la finance islamique à Casablanca. Cette manifestation n'a guère suscité l'engouement attendu des pays maghrébins. Par contre, elle a attiré beaucoup de représentants d'Afrique de l'Ouest.

En France, la communauté musulmane est assez diverse. Elle se caractérisait, dans le passé, par un niveau de qualification assez peu élevé et un fort taux d'illettrisme, qui lui ouvrait les portes d'emplois de faible qualité et une tradition religieuse orale. Aujourd'hui cette population a changé. Elle est devenue lettrée et se pose beaucoup de questions sur ses origines et sa foi. Elle s'est réappropriée la Charia et a été confrontée assez vite à l'interdiction posée par le texte sacré d'avoir recours à l'intérêt. Tout à l'heure, M. Pons a indiqué qu'il existe un taux de bancarisation important en France. Il a raison. Toutefois, le but, en confiant de l'argent à la banque, est de faire fructifier celui-ci, de manière à ce qu'il apporte une rémunération. Or, beaucoup de Musulmans, s'ils disposent bien d'un compte en banque, ne souhaitent pas ouvrir un Livret A ou un plan d'épargne logement pour ne pas aller à l'encontre des principes de la Charia ou demandent, quand ils placent des fonds, à ce que ceux-ci soient purifiés par le versement à différentes associations des intérêts gagnés.

Les communautés musulmanes britannique et française sont très différentes. Mais depuis l'ouverture d' Islamic Bank of Britain en 2004, le marché de la finance islamique est en pleine croissance en Grande-Bretagne et propose une gamme de produits de plus en plus large, comme pourraient vous le confirmer les représentants des banques françaises ici présents.

Isla-Invet souhaite se positionner, en France, sur deux segments de marché : l'accession à la propriété et le financement des entreprises. Il n'est pas facile de quantifier la demande en produits islamiques des sociétés. C'est notamment l'une des raisons pour lesquelles les banques françaises rechignent tant à se lancer dans l'industrie de la finance islamique. Elles attendent de voir comment ce marché évoluera et si un acteur majeur y prendra position avant de réagir. Au Royaume-Uni, HSBC pratiquait la finance islamique bien avant 2004. Pourtant, ce groupe n'a offert des produits conformes à la Charia à la population britannique qu'à partir de cette année, suite à la création d' Islamic Bank of Britain . Elle a été suivie dans cette décision par la Lloyds puis d'autres banques par la suite.

Les banques françaises, comme les banques britanniques pendant très longtemps, font donc preuve d'attentisme. Pourtant, le marché français de la finance islamique offre des perspectives intéressantes, comme en témoignent certaines réalités. Ainsi, sur notre territoire, la consommation de viande halal est deux fois plus élevée que celle de viande non halal . 400.000 tonnes de viandes halal sont mangées chaque année en France. Ce volume représente entre 15 % et 20 % du marché de Rungis et 5 milliards d'euros à ce jour (8 milliards d'euros dans les prochaines années selon les prévisions). Par ailleurs, les transferts d'argent vers le Maghreb sont estimés à 7 milliards d'euros et, en Ile-de-France, 10 % des créateurs d'entreprises sont d'origine maghrébine et musulmans ; ce taux étant encore plus élevé en Seine-Saint-Denis où les porteurs de projets butent souvent sur un manque d'argent pour lancer leurs entreprises et sont donc souvent bridés dans leurs projets. Cette situation est d'autant plus regrettable que le chômage est important en France. C'est pourquoi il serait bien de pouvoir encourager tous les entrepreneurs en recherche de financements. Notre établissement est énormément sollicité par des personnes désireuses de s'installer comme conducteur de taxi et d'obtenir le financement nécessaire pour l'acquisition de la licence exigée pour l'exercice de cette activité et dont le coût varie entre 150.000 et 200.000 euros.

Egalement beaucoup de Musulmans aimeraient disposer des fonds suffisants pour ouvrir des restaurants halal ou des « Kebabs » dont le nombre explose en Ile-de-France. Ce genre d'établissement connaît un fort succès. Ainsi, celui qui vient de s'installer à la Défense ne désemplit pas.

La communauté musulmane est constituée de consommateurs à part entière. Elle jouit d'un fort pouvoir d'achat et il est dommage qu'elle ne puisse pas accéder à des produits bancaires adéquats (OPCVM, produits islamiques), correspondant à ses besoins, pour investir son argent.

Par ailleurs, de plus en plus d'agences de voyages à destination des populations musulmanes se créent. Elles proposent à leurs clients des billets pour se rendre dans leurs pays d'origine ou à la Mecque pendant le Hadj , pèlerinage auquel assistent 30.000 Français. Ainsi, rien qu'un acteur accorde 4.000 visas tous les ans pendant la durée du pèlerinage. Les particuliers peuvent avoir besoin d'argent pour financer leur voyage.

Il est assez difficile d'avoir recours à des données chiffrées précises sur le marché de la finance islamique. Nous menons actuellement une étude de marché pour en obtenir. Toutefois, il est clair, d'après mon expérience, qu'il existe une forte demande de la communauté musulmane pour des produits conformes à la Charia et permettant l'accession à la propriété. Je m'intéresse à la finance islamique depuis 2001. A cette époque, ce sujet n'intéressait personne en France. Aujourd'hui, avec la hausse des prix de l'énergie et l'attention que la place de Londres porte à ce marché, la situation a bien changé. Toutefois, il importe de combler le retard que nous avons pris dans le développement de ce secteur. Je suis, non seulement le directeur d'Isla-Invest, mais aussi le fondateur et le modérateur d'un réseau d'entraides et d'opportunités d'affaires pour la communauté musulmane, constitué de 3.000 membres aujourd'hui (contre 40 au moment de sa création il y a 4 ans), tous cadres supérieurs dans des domaines aussi variés que l'informatique, la finance, le droit, etc. Sont organisées, dans le cadre de ce réseau, des soirées très prisées, où est servie de la viande halal mais pas d'alcool. Ces manifestations me servent à savoir quelles sont les habitudes de consommation de la population musulmane française et c'est notamment grâce à elles que j'ai pu constater combien elle porte beaucoup d'intérêt aux produits bancaires islamiques.

Lorsque la viande halal est apparue en France, presque personne n'en achetait et il était pratiquement impossible d'en trouver, en particulier dans les supermarchés. Il aura fallu attendre que certaines boucheries fassent fortune de son commerce pour que sa production se développe et aujourd'hui il s'en vend partout sur le territoire. Beaucoup de Musulmans qui ne consommaient pas de viande halal , par effet de mimétisme, font maintenant comme leurs voisins en s'en procurant. Le même phénomène pourrait avoir lieu concernant les produits de finance islamique. Il suffirait pour cela que quelques établissements les mettent en avant. Si un Musulman a la possibilité d'acquérir une maison au travers d'un financement conventionnel ou d'un financement islamique, il optera pour ce dernier si les deux types de financement présentent le même coût.

Il y a vraiment un danger à développer la finance islamique uniquement en direction des pays profitant d'une rente pétrolière. Un tel scénario aboutirait à frustrer la communauté musulmane de notre pays, d'autant plus que la Grande-Bretagne voisine met l'accent sur ce marché, et risquerait de faire fuir les nombreuses compétences qui existent dans ce domaine parmi notre population vers l'étranger.

M. Jean Arthuis

Merci. A l'heure de la banalisation du Livret A, pensez-vous que ce produit puisse rentrer dans le cadre de la finance islamique ?

M. Zoubeir Ben Terdeyet

Non.

M. Jean Arthuis

Alors il nous reste à inventer un livret compatible avec la Charia. Les derniers intervenants représentent la Société Générale. Il s'agit de M. Vincent Lauwick et de M. Jérôme de Fresnes, ce dernier s'occupant de l'établissement de finance islamique qui a ouvert ses portes à La Réunion. Je vous remercie de faire oeuvre de concision dans vos interventions.

M. Vincent Lauwick, responsable commercial produits structures-asset management SGAM AI Londres

Je vous remercie pour votre invitation à cette table ronde. Notre intervention se déroulera en deux parties. Tout d'abord, nous vous parlerons de notre expérience de la finance islamique dans un cadre international au sein de SGAM. Puis nous vous exposerons l'initiative que nous menons actuellement à l'île de La Réunion.

Je travaille à Londres comme responsable commercial de l'activité des produits structures-asset management à la Société Générale, métier que nous avons adapté à la finance islamique à partir de 2004, essentiellement pour répondre à des besoins exprimés par nos clients, aussi bien au Moyen-Orient qu'en Asie et dans la partie sud-est asiatique, en particulier en Malaisie.

Notre expertise en matière de solutions d'investissements conformes à la loi islamique a été développée en collaboration étroite avec des comités de spécialistes de la Charia, que nous avons voulu externes et non internes à notre établissement. L'entité avec laquelle nous travaillons pour les produits détaillés ce jour s'appelle Ratings Intelligence Partners LLP . Elle a l'avantage d'être basée à la fois au Royaume-Uni et au Koweït et de regrouper des personnalités éminentes de la communauté musulmane et notamment le docteur Muhammad Ali Elgari, lequel fait autorité en Arabie Saoudite.

Le comité de Charia intervient pendant toute la durée de vie d'un produit, aussi bien durant ses différentes phases de conception que lorsqu'il est en place pour effectuer des audits et ainsi vérifier sa conformité aux principes de l'Islam. Au fur et à mesure des demandes des clients, nous avons été amenés à commercialiser une large gamme d'instruments se décomposant en deux parties : des produits structurés et des produits indiciels.

Nos premiers produits à capital protégé ont été lancés en 2004, suite à la demande spécifique d'un de nos clients du Moyen-Orient. Il s'en est suivi beaucoup d'autres entre 2004 et 2006, représentant des volumes financiers conséquents, d'un montant global proche de 500 millions de dollars sous gestion à fin 2007.

Pour répondre également à une demande de clients, nous avons mis en place un indice (SGAM Al Baraka Index), non pas externe, mais propriétaire, géré dynamiquement et basé sur la sélection active d'un panier de trente actions du Dow Jones Islamic Market (DJIM) ; ces titres ayant été retenus après avis positif de notre comité de Charia. Nous avons rencontré des succès remarquables sur toute une série de produits à capital protégé axés sur cet indice. De fait, nous sommes en train de développer, sur la base de ces indices, des processus quantitatifs autour de différents thèmes (infrastructures, consommation, etc.).

Ces produits sont structurés autour de deux techniques :

- méthode dite de l'assurance du portefeuille, reconnue par l'ensemble des comités de Charia que nous avons pu rencontrer pendant les quatre ans de notre activité ;

- murabaha + Arboun . La définition du mot murabaha vous a été donnée tout à l'heure. Il est donc inutile que je revienne dessus. L'arboun peut être comparé à une option.

Les produits que nous avons lancés sont de différentes sortes. Ils sont soit sous forme de certificats, soit ce sont des produits OTC (des produits de gré à gré). Ils sont commercialisés à partir de notre plate-forme asiatique de Hong-Kong ou de nos équipes commerciales en Europe. Ils sont libellés en dollars, en euros voire en singapore dollars. Ils présentent des échéances variées (par exemple 3 ans, 5 ans ou 8 ans) et sont gérés et structurés selon les deux méthodologies mentionnées auparavant (méthode dite de l'assurance du portefeuille ou murabaha + arboun ).

Suite à d'autres demandes de clients, nous avons décidé de lancer une série de fonds indiciels passifs qui appartiennent à notre SICAV luxembourgeoise, UCITS III, appelée SGAM Index.Ils cherchent à répliquer la performance des indices S&P sur des thèmes, non pas sectoriels, mais géographiques (Etats-Unis, Europe, Japon, BRIC pour Brésil-Russie-Inde-Chine, GCC hors Arabie Saoudite et l'ensemble des pays asiatiques hors Japon).

M. Jean Arthuis

Pourquoi avez-vous privilégié le Luxembourg ?

M. Vincent Lauwick

Pour plusieurs raisons. D'abord, nous y possédons une SICAV. Ensuite les SICAV luxembourgeoises peuvent être proposées en Europe mais aussi dans l'ensemble des pays où se trouvent les investisseurs potentiels pour ces fonds. Le droit français n'offre pas toujours cette possibilité. Par exemple, un FCP français conventionnel ou compatible avec la Charia n'est pas aisé à vendre au Royaume-Uni.

Je souhaite conclure mon intervention en indiquant que nos fonds indiciels passifs ont été validés, par le biais d'une fatwa , par notre comité de Charia, avant leur lancement prochain. De plus, celui-ci les auditera de manière régulière pour vérifier qu'ils répondent bien à ses exigences.

L'expérience réussie que nous menons sur le marché français, à La Réunion, en matière de finance islamique répond à une demande de la Société Générale de développer deux produits pour répondre à des besoins de ses clients et respectant les critères suivants : gestion active en actions à moyen terme (avec des échéances allant jusqu'à 8 ans) et support à court terme de type monétaire ne supportant pas de taux d'intérêt.

Ces produits doivent répondre, par ailleurs, à des exigences en termes de liquidités et s'intégrer au cadre fiscal français.

Pour la présentation de notre expérience conduite à La Réunion, je laisse la parole à mon collègue M. Jérôme de Fresnes.

M. Jérôme de Fresnes, responsable du patrimoine de la BFC

Tout d'abord, pour répondre à l'interrogation de M. le Président, le Livret A était le produit prioritairement recherché par les Musulmans à La Réunion.

Avec les produits mis en place par SGAM AI, toute transaction s'effectue avec une somme minimale de 10.000 euros. De fait, la cible concernée par ce type de produits s'est fortement démocratisée : en effet, pour les titres de créances négociables, les encours collectés s'échelonnent généralement de un à dix millions d'euros. A la Réunion, nous poursuivons une ambition forte, celle de collecter, dans le cadre de cet appel public à l'épargne, une somme de dix millions d'euros sur le support monétaire créé.

La Réunion représente une partie de France, constituée de diverses communautés dont je souhaiterais vous dresser un tableau. Concrètement, cette île comprend, dans sa population, entre 5 % et 7 % de réunionnais musulmans très attachés, comme chacun de nous, aux valeurs citoyennes et républicaines et très insérés dans les tissus culturels, sociaux, économiques et politiques.

En qualité de membre de cette communauté, Mme Nassimah Dindar, Présidente du Conseil général de la Réunion depuis 2004, voit dans l'initiative de la BFC, un mode d'intégration et un outil de cohésion sociale, tant au niveau métropolitain, que dans un cadre plus large, par exemple à l'échelon de la Méditerranée.

La Réunion, de par sa localisation géographique, dispose en son sein d'une communauté musulmane constituée à la fois de Chiites et de Sunnites dont l'appréciation des préceptes inhérents à la finance islamique s'avère différente.

Ainsi, si certaines personnes peuvent accepter l'intérêt à travers le prêt immobilier, d'autres le refusent comme par exemple une des communautés chiites présentes sur l'île de La Réunion originaire de l'Inde qui est organisée sous la forme d'un clergé avec, à sa tête, un daï chargé de dire si des produits financiers peuvent être distribués aux membres de sa communauté dans le monde entier (celle-ci représente globalement environ un million de personnes, et 250 familles à La Réunion).

La finance islamique doit donc être abordée de façon, non pas uniforme, mais singulière en fonction de la sensibilité des personnes à qui elle s'adresse.

Lors de son intervention, M. Hassoune a évoqué un « effet de signal » potentiel. Nous avons pu en dresser le constat au niveau de notre établissement : les musulmans rencontrés approuvent les solutions proposées pour deux raisons majeures qui touchent soit à la simple dimension éthique de nos produits, soit au respect strict des principes fondamentaux inscrits dans le Coran.

Des intérêts envers nos services se sont aussi manifestés depuis l'île Maurice au travers d'un investisseur qui place ses fonds dans la zone euro. Client de la banque Barclays, ce client a procédé à l'ouverture d'un compte bis pour ne pas percevoir d'intérêts. De même, ce client ne fait appel à aucun financement classique, et privilégie dans le cadre de ses investissements le recours au principe de la musharaka , décrit précédemment par M. Gilles Saint-Marc.

La finance islamique intègre plusieurs dimensions conceptuelles, et son développement en France oblige à faire preuve de pédagogie. Il est, en particulier, difficile d'employer le mot halal envers des personnes qui ne sont pas de confession musulmane et voient déjà dans ce terme, non pas sa signification première, « licite », mais la façon de tuer un animal.

En complément de mon propos, je tiens à souligner le rôle du Centre du Fiqh du Centre islamique de la Réunion, émanation juridique d'un conseil de la Charia qui a validé, à La Réunion, les produits mis sur le marché. Ce comité de spécialistes incarne une sensibilité à dominante sunnite, et plus spécifiquement hanafite.

Enfin, l'initiative que nous menons commence à susciter l'intérêt en France mais aussi en Afrique du Nord et certains Musulmans qui pratiquaient la finance conventionnelle, après s'être intéressés à nos activités, s'y refusent aujourd'hui et ne veulent placer leurs fonds que dans des produits de finance islamique. Le développement de ce genre d'instruments permettrait à des individus appartenant à la deuxième ou troisième génération de familles d'immigrés de recevoir une certaine marque de reconnaissance de la part de la République et constituerait un effet de signal important qui nous servirait à conquérir des capitaux issus des pays du Golfe persique ou de Malaisie où la finance islamique est accessible aux particuliers avec une offre de produits très complète.

M. Vincent Lauwick

Nous avons élaboré des supports d'investissements qui répondent aux exigences de nos deux conseils de la Charia : notre conseil de la Charia international ( Ratings Intelligence Partners LLP ) et notre conseil de la Charia local pour la Réunion (CFCI).

Ces supports d'investissement prennent la forme de deux produits : un produit à moyen terme, à échéance de 8 ans, respectant l'absence de garantie contractuelle, ce qui suppose un partage du risque important, avec des instruments financiers sous-jacents respectent la Charia ; un produit de placement à court terme (3 mois minimum) répondant à certaines contraintes (pas de garantie contractuelle notamment), obligeant à un certain partage des risques et reposant sur des produits financiers compatibles avec la Charia.

Ces deux produits sont proposés par le biais d'un contrat d'assurance-vie mis en place par SOGECAP, une des filiales de la Société Générale, et rentrant dans le cadre fiscal français.

Le premier produit consiste à participer à un groupe d'actions sélectionnées et à rembourser 100 % du capital investi au minimum ou 85 % de la plus haute valeur liquidative du produit atteinte durant la vie du produit. Par conséquent, si le produit atteint 150 % de sa valeur liquidative au bout de trois ans, le remboursement s'effectue sur la base de 85 % de la valeur liquidative multipliée par 150 %, soit un remboursement supérieur à 100 %.

Les sous-jacents utilisés sont les trente actions sélectionnées dans le Baraka Index et un actif non risqué (la murabaha ). Notre métier consiste dans une gestion active de ces deux types d'actifs, de manière à participer à l'évolution positive du cours des actions tout en assurant un objectif de remboursement à 100 % du nominal investi à l'origine.

Notre deuxième produit, de court terme, rencontre plus de succès que le premier. Il permet d'offrir une liquidité quotidienne au travers d'un titre de créance. Il utilise comme uniques sous-jacents des contrats murabaha fixés en euros et gérés de manière active.

Ces deux produits sont nés d'une demande exprimée depuis plus d'un an. Le lancement de tels instruments a pris du temps. D'une part, il a nécessité la participation de techniciens, de commerciaux et des deux comités de Charia auxquels nous faisons appel et qui ont eu, sur la base de leurs visions différentes du Coran, à s'assurer de la conformité de nos produits avec les principes du Coran. D'autre part, la mise sur le marché de ces derniers ne pouvait s'effectuer sans l'autorisation de l'AMF. Leur commercialisation a commencé en mars 2008. Ils seront lancés début juin 2008. Pour l'instant, nous sommes agréablement surpris du succès commercial rencontré par ces innovations. Elles répondent à un fort besoin.

M. Jean Arthuis

Merci. J'ai été un piètre président de séance en laissant les différents intervenants s'exprimer trop longtemps et il ne m'est plus possible, par manque de temps, de donner, comme prévu, la parole à la salle. Les propos tenus par les différents orateurs ont été de grande qualité et je souhaite les en remercier. Cette première table ronde avait pour objet de faire le point sur le développement et l'intégration de la finance islamique au sein du système financier global et de savoir quels en sont les enjeux pour la France. Je crois pouvoir dire que la finance islamique participe vraiment de la globalisation financière, qu'elle est diverse et s'étend à vive allure, notamment en raison des liquidités très importantes dont disposent certains pays musulmans au bénéfice de rentes pétrolières et gazières. L'attentisme des banques françaises dans ce secteur a été mis en évidence. Leur pratique de la finance islamique a lieu surtout hors de France, à Bahreïn, dans les pays du Golfe Persique, à Londres et au Luxembourg. Ainsi, pour l'heure, elles n'offrent pas ou peu de produits compatibles avec la Charia sur le territoire hexagonal. Pourtant, les enjeux sont de taille. La banque islamique peut assurer le financement des entreprises, des institutions publiques, des collectivités territoriales et sans doute de l'Etat. Elle peut aussi favoriser l'intégration de la communauté musulmane française.

Le développement de la finance islamique bute sur la présence de quelques obstacles juridiques et frottements fiscaux. Il en sera question au cours de notre seconde table ronde.

SECONDE TABLE RONDE : LE DÉVELOPPEMENT DE LA FINANCE ISLAMIQUE EN FRANCE : QUELLES ADAPTATIONS DU CADRE LÉGISLATIF ET/OU RÉGLEMENTAIRE ?

Participants :

M. Arnaud de Bresson, délégué général d'Europlace ;

M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor et de la politique économique ;

M. Bruno Gizard, secrétaire général adjoint de l'AMF ;

Mme Laurence Toxé, avocate cabinet Norton Rose LLP Paris ;

Mme Anne-Sylvie Vasseneix-Paxton, avocate cabinet Norton Rose LLP Paris ;

M. Gilles Vaysset, secrétaire général du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement ;

La table ronde est animée par M. Jean Arthuis, Président de la Commission des Finances du Sénat.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat

Cette seconde table ronde a pour objet de tenter d'identifier les adaptations au cadre législatif et réglementaire auxquelles il faudrait procéder en France pour y assurer le développement de la finance islamique, lequel est freiné, pour l'instant, par l'existence de frottements juridiques et fiscaux mis en évidence par la table ronde précédente et concernant, par exemple, l'accueil de banques islamiques sur le territoire national, le montage juridique et fiscal des produits respectant les principes de la Charia ou l'émission de sukuks .

Cette table ronde devrait permettre également de dresser un état des lieux de l'expérience britannique en matière de finance islamique et des leçons qui peuvent en être tirées, ainsi que des réflexions en cours sur le sujet de la part des professionnels et des pouvoirs publics.

M. Arnaud de Bresson, délégué général d'Europlace, devant nous quitter bientôt, prendra la parole en premier. Il la cèdera ensuite à M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor et de la politique économique. Puis, dans l'ordre, M. Bruno Gizard, secrétaire général adjoint de l'AMF, Mme Laurence Toxé et Mme Anne-Sylvie Vasseneix-Paxton, toutes deux avocates au cabinet Norton Rose LLP Paris, enfin M. Gilles Vaysset, secrétaire général du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, interviendront à tour de rôle.

Je laisse tout de suite la parole à M. Arnaud de Bresson.

M. Arnaud de Bresson, délégué général d'Europlace

Merci. Mon intervention sera brève. Je souhaite simplement transmettre un message clair. M. le Président Arthuis a conclu la table ronde précédente en soulignant l'attentisme des établissements de la place de Paris et leur faible propension à s'engager dans le secteur de la finance islamique. Il a raison. C'est pourquoi nous avons pris l'initiative, dès la fin de l'année dernière, de mettre en place une commission de travail sur le sujet, de manière à savoir comment il est possible de mobiliser les acteurs et de développer leurs échanges avec les pouvoirs publics pour prendre les mesures nécessaires au développement de la finance islamique, notamment en matière de réglementations financières et fiscales. Nous souhaitons, non seulement que l'offre de produits compatibles avec la Charia augmente sur la place de Paris pour répondre aux besoins de la clientèle musulmane, mais aussi attirer de manière plus massive des banques islamiques étrangères.

Je résumerai mon propos en quelques phrases. Europlace travaille depuis plusieurs années à accroître ses échanges avec des banques islamiques de pays étrangers, appartenant notamment au Golfe persique (Arabie Saoudite, Qatar, Dubaï, Bahreïn, etc.). Nous avons d'ailleurs invité ce dernier pays à venir nous présenter, lors de notre conférence du 2 juin prochain, à laquelle assistera Mme Christine Lagarde, ses domaines d'activités dans le secteur de la finance islamique. Une délégation importante des pays du Golfe persique nous visitera à cette occasion. Mais nous nous intéressons également à l'Asie et, en particulier, à la Malaisie et l'Indonésie, où les produits financiers compatibles avec la Charia ont toute leur place.

S'agissant de l'accueil des banques islamiques étrangères sur notre territoire, nous avons mis en place une commission rassemblant l'ensemble des associations professionnelles et notamment des juristes experts de la place de Paris pour améliorer celui-ci. M. Gilles de Saint-Marc a eu l'occasion, lors de la première table ronde, de vous présenter le fruit de nos premières réflexions sur le sujet, qui empruntent deux voies possibles : levée d'un certain nombre d'obstacles juridiques et fiscaux (droits de mutation, taxation de plus-value sur les opérations immobilières, etc.) et adaptation du droit français dans différents domaines. Le Président Arthuis a d'ailleurs été à l'initiative d'un certain nombre de réformes importantes concernant notamment la fiducie et les prêts participatifs, des produits pouvant être facilement amendés pour leur permettre de répondre aux exigences de la finance islamique.

Nous sommes en train d'étudier ces deux voies. Notre haut comité de place a reçu comme priorité, selon les voeux du Président de la République, de renforcer l'attractivité de la place de Paris et d'agir pour encourager le développement de la finance islamique sur notre territoire. Dans cette perspective, nous souhaitons remettre, dans le cadre de la prochaine réunion de notre haut comité de place, prévue début juin, nos premières pistes de travail.

Le Financial Times m'a demandé hier pourquoi la place de Paris se réjouissait de l'organisation de ces deux tables rondes aujourd'hui au Sénat. La raison de cette satisfaction est simple. La place de Paris ne pourra pas jouer un grand rôle en matière de finance islamique sans une forte mobilisation et un engagement coordonné de l'ensemble des acteurs (émetteurs, investisseurs, intermédiaires financiers et pouvoirs publics) pour balayer les barrières entravant le développement de ce secteur. C'est seulement en agissant de la sorte que nous pourrons combler le retard pris par notre pays sur ce segment de marché, notamment par rapport au Royaume-Uni.

La finance islamique constituera un enjeu majeur dans les prochaines années.

M. Jean Arthuis

Merci de la concision de votre propos. Nous allons maintenant entendre le point de vue de la direction générale du Trésor et de la politique sur le sujet. Pour cela, je donne la parole à M. Thierry Francq.

M. Thierry Francq, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor et de la politique économique

Merci M. le Président. En premier lieu, je souhaite affirmer ici que le gouvernement s'intéresse de près au sujet de la finance islamique, notamment parce que ce secteur est susceptible de drainer une masse importante de capitaux. Bien entendu, avec la montée des prix de l'énergie, les liquidités des pays pétroliers sont très élevées et alimentent le marché de la finance islamique qui serait néanmoins assez dynamique, même si l'or noir n'était pas aussi cher, car il répond à une demande structurelle.

Pour cette raison, dans le cadre du travail que nous menons avec Europlace pour renforcer l'attractivité de la place de Paris, nous envisageons d'encourager son développement sur la base de quelques principes. Tout d'abord, ce marché de la finance islamique doit être tiré par la demande et susciter l'intérêt des professionnels de la finance sur la place de Paris. C'est en effet par eux que passera l'essentiel des initiatives et grâce à leurs connaissances que nous pourrons déterminer les éventuels obstacles ou frottements juridiques, fiscaux et réglementaires empêchant l'essor des produits compatibles avec la Charia et donc savoir quelles sont les réformes à effectuer.

M. Jean Arthuis

Nous avons vu que des banques françaises interviennent dans le secteur de la finance islamique, mais à Londres, dans le Golfe persique et au Luxembourg.

M. Thierry Francq

Cette situation, d'après nous, peut évoluer. Puisque nous parlons de demande, nous nous sommes efforcés de repérer quels sont les champs les plus prometteurs pour la finance islamique. Or il apparaît, à la lumière de nos études, que ce marché réserve de vraies opportunités pour les banques d'investissement et de financement.

Concernant la banque de détail, il ne semble pas y avoir de difficultés réglementaires ou fiscales à offrir des produits d'épargne compatibles avec les principes du Coran. L'expérience menée par la Société Générale à La Réunion, morceau du territoire français, est là pour le prouver.

Le financement de l'immobilier, tout comme le financement de projets, selon les préceptes islamiques, pose davantage de problèmes, surtout fiscaux. Quant à l'éventuel développement de services bancaires de base islamiques, il suscite encore notre interrogation. D'une part, nous ne percevons pas encore de grande demande en France pour ce genre de produits, malgré la présence dans notre pays d'une forte communauté musulmane. D'autre part, un tel développement achoppe sur un certain nombre de contraintes, notamment la mise en place, exigée par une directive européenne, de la garantie des dépôts bancaires. Or, cette garantie pourrait être considérée comme étant contraire aux principes de la finance islamique. Nous examinons les moyens de résoudre cette difficulté, tout en faisant oeuvre de prudence ; l'un de ces moyens consisterait à donner le choix aux clients de ne pas bénéficier de la garantie de dépôt. Cette solution a été, semble-t-il, retenue par la Grande-Bretagne. Nous interrogerons la Commission européenne pour savoir si elle est compatible avec le droit européen.

Toutefois, comme nous ne ressentons pas une grande demande pour des produits bancaires de base islamiques, ce chantier ne constitue pas une priorité pour nous.

Il est à noter, par ailleurs, que, dans le domaine des assurances, une ou deux dispositions d'ordre public français pourraient représenter des freins au développement des assurances dommages, et non pas des assurances-vie, de type islamique ; des instruments peu réclamés aujourd'hui par les clients musulmans.

S'agissant de la banque de financement et d'investissement, nous sommes prêts à mener toutes les adaptations réglementaires et fiscales nécessaires pour lui permettre d'être en conformité avec les principes du Coran, à condition que le principe de neutralité soit respecté. Autrement dit, les adaptations mises en place ne doivent pas se traduire par des avantages donnés aux produits de la finance islamique au détriment des autres relevant de la finance conventionnelle. Par exemple, pour les opérations de financement immobilier qui reposent sur une double transaction, nous sommes en train d'étudier, avec la DLF, la manière de supprimer ou de réduire les frottements fiscaux qui existent. Nous ne sommes pas certains que la solution en la matière passera par une loi. Il est tout à fait possible, en effet, qu'elle réside dans une instruction fiscale.

Comme il a été indiqué par M. Arnaud de Bresson, nous disposons par ailleurs, dans notre pays, de dispositifs particulièrement bien adaptés à la finance islamique. Parmi eux se trouve notamment la fiducie que nous avons besoin de sécuriser sur le plan juridique pour faciliter son utilisation et la rendre plus accessible à la finance islamique mais aussi à la finance conventionnelle. Nous envisageons, si le parlement en est d'accord, d'apporter les améliorations nécessaires dans ce domaine dans le cadre de la loi sur la modernisation de l'économie.

Enfin, nous nous devons d'appliquer un dernier principe, celui d'imposer la neutralité budgétaire. De ce point de vue, l'Agence française du Trésor a étudié l'opportunité d'émettre des sukuks . A ce stade, notre conclusion est la suivante : l'émission de tels titres reviendrait plus chère que celle de titres classiques. Dès lors, nous n'envisageons pas à cette heure de lancer une émission sur le marché des obligations islamiques. A ma connaissance, une seule émission de sukuks a eu lieu en Europe. Elle est le fait d'un land allemand. Le Trésor britannique est en pleine réflexion sur le sujet. Mais il semble très hésitant à faire appel à ce genre d'opération, probablement parce qu'elle n'apporte aucun avantage économique.

En résumé, nous souhaitons faciliter le développement de la finance islamique en France, mais à condition que cette activité suscite l'appétence des professionnels et repose sur des principes simples : neutralité réglementaire et neutralité budgétaire.

M. Jean Arthuis

Merci de toutes ces précisions. Je note qu'il est possible d'atténuer les frottements fiscaux, quand ils existent, par des dispositions réglementaires ou simplement par instruction ministérielle. Il n'y a donc pas besoin de solliciter le législateur.

M. Thierry Francq

Sa participation sera peut-être nécessaire dans quelques domaines.

M. Jean Arthuis

Nous verrons bien. Je vous donne rendez-vous pour l'adoption de la loi de finances. Pour le reste, la sécurisation juridique de la fiducie pourrait prendre la forme d'un amendement.

M. Thierry Francq

Nous avons déjà intégré ce point dans le projet de loi modernisation de l'économie.

M. Jean Arthuis

Très bien. Je vous remercie de vos propos, M. Thierry Francq. Je donne maintenant la parole à M. Bruno Gizard, secrétaire général adjoint de l'Autorité des marchés financiers (AMF).

M. Bruno Gizard, secrétaire général adjoint de l'AMF

Merci M. le Président. L'Autorité des marchés financiers intervient, pour l'instant, dans le domaine de la gestion collective à deux titres. Elle fournit les agréments aux OPCVM français et les autorisations de commercialisation de produits de gestion collective qui auraient été créés en dehors de France.

Nous avons déjà eu à agréer un OPCVM correspondant aux exigences de la Charia. Pour cela, il n'a pas été nécessaire de modifier la loi ou le règlement général de l'AMF. Depuis longtemps, nous connaissons en France des types de gestion qui font entrer en ligne de compte, soit dans les décisions d'investissement, soit dans l'affectation des revenus, des critères autres que strictement financiers. Nous avons eu l'occasion d'indiquer, notamment dans le numéro de la revue de l'AMF de juillet/août 2007, les conditions qu'il faut respecter quand ces critères ne sont pas exclusivement financiers, notamment concernant les OPCVM répondant aux exigences de la finance islamique.

Les trois conditions sont les suivantes :

Il faut que la société de gestion dispose d'une autonomie absolue. Elle peut être encadrée par des critères de sélection d'actifs compatibles avec la Charia. Toutefois, à l'intérieur du cadre fixé, son pouvoir de décision en matière d'investissement doit être total.

Les critères encadrant la gestion de ce type de produits doivent naturellement être conformes avec la loi française. Par exemple, il ne serait pas possible de se référencer à la religion de tel ou tel dirigeant d'une entreprise dans laquelle on investirait. Un tel procédé serait contraire à la constitution française.

Concernant la répartition des revenus, il est tout à fait possible d'affecter une partie des revenus d'un OPCVM à un organisme, une entité tierce. Cette dernière doit être une association ou une fondation reconnue d'utilité publique. Du coup, les résidents français ayant investi dans ce type de produits reçoivent une attestation fiscale leur permettant de déduire de leurs impôts les produits ainsi affectés à l'entité tierce.

Nous avons agréé récemment un OPCVM indiquant, dans ses documents techniques et commerciaux, qu'il respectait les critères établis par un Comité constitué d'évêques français et était donc conforme à la religion catholique. De la même manière, nous avons eu l'occasion, en novembre 2006, d'agréer un premier OPCVM créé par BNP Paribas Asset Management : Easy ETF DJ Islamic Market Titans 100 . Ce fonds commun de placement était appelé à être commercialisé soit directement, soit au travers d'assurances-vie, par BNP Paribas et Axa. Il est destiné à répliquer la performance de l'indice Dow Jones Islamic Markets Titans 100 , cet indice étant composé lui-même de 100 valeurs relatives aux plus grandes sociétés mondiales répondant aux principes de la Charia. Il est conforme au Coran grâce à un triple dispositif.

- Premièrement, l'indice lui-même est conçu sous le contrôle d'un comité de surveillance chargé de vérifier la bonne application des principes musulmans dans le choix des sociétés composant l'indice. Sont incompatibles avec ces principes les entreprises exerçant leurs activités dans les domaines de l'alcool, du tabac, de la défense, vendant des produits provenant de viande de porc, etc. En outre, une société ne peut être retenue si elle a un taux d'endettement supérieur à 33 %. En conséquence, est ainsi calculée la part « impure » de chacune des sociétés composant l'indice, soit la part correspondant à un taux d'endettement compris entre 0 % et 33 %.

- Deuxièmement : la société de gestion désigne auprès d'elle un comité de Charia chargé de conseiller les gérants sur leurs investissements. Ce comité délivre une attestation lors du lancement du fonds et procède chaque trimestre à un audit pour vérifier que l'investissement est bien conforme à la Charia.

- Troisièmement, la part « impure » des sociétés dans lesquelles le fonds est investi est versée à une entité tierce. En l'occurrence il s'agit de l'Institut du monde arabe.

Ce fonds commun de placement coordonné, c'est-à-dire susceptible de donner lieu à une commercialisation à travers toute l'Europe a immédiatement fait l'objet d'une cotation en Suisse. Ce produit, d'après la société de gestion, n'avait pas vocation à être vendu en France. A ce jour, il semble qu'il n'y ait pas de demande dans notre pays pour ce type de produit. En revanche, il est apprécié en Grande-Bretagne, en Suisse, en Asie et au Moyen-Orient. La cotation du fonds à la bourse suisse a facilité sa commercialisation à l'étranger.

Aujourd'hui, ce fonds lancé en février 2007, libellé en dollars américains en raison de ses conditions de commercialisation, possède un actif avoisinant les 50 millions de dollars et a atteint une performance, depuis sa création, de 10,4 % au 2 mai 2008, contre 3,9 % pour l'indice général Dow Jones World auquel il se réfère et surtout - 10,3 % pour l'indice CAC.

Pour 2007, il a été versé à l'Institut du monde arabe une somme de 31.480 dollars américains.

Voilà ce que je pouvais vous indiquer. Nous n'avons pas reçu aujourd'hui d'autres demandes de lancement de produits répondant aux exigences de la Charia. Nous avons eu à traiter la commercialisation en France d'instruments créés au Luxembourg et en Grande-Bretagne. Il n'existe pas d'autre projet dans les tiroirs. Mais sachez qu'il n'y a aucun obstacle juridique pour qu'en France soient créés et gérés des OPCVM compatibles avec les principes du Coran.

Il est exact que la bourse du Luxembourg a remarquablement bien réussi sa politique de marketing. Un produit né dans ce pays ou à Londres se commercialise plus facilement dans les régions du Moyen-Orient ou d'Asie. Cette situation tient à des raisons culturelles et nous devons travailler à ce que notre manière d'aborder la finance islamique change sur notre territoire.

M. Jean Arthuis

Merci, M. le secrétaire général, de ce propos encourageant. Nous devons lever les inerties et évoluer dans notre culture. Je donne maintenant la parole à deux membres du barreau et tout d'abord à Mme Anne-Sylvie Vasseneix-Paxton, avocat au cabinet Norton Rose Paris.

Mme Anne-Sylvie Vasseneix-Paxton, avocate, cabinet Norton Rose LLP

Merci de votre invitation. Mon propos consistera à faire une présentation du marché de la finance islamique au Royaume-Uni, et à voir s'il peut constituer une source d'inspiration pour la France.

Ce marché de la finance islamique existe sur la place de Londres depuis les années 1970. Toutefois, il est resté marginal pendant longtemps et ne s'est accru de manière importante que depuis le début des années 2000, à l'instigation des pouvoirs publics qui ont souhaité le développer pour deux raisons. Il s'est agi, d'une part, de répondre à l'arrivée massive de capitaux en provenance du Moyen-Orient couplée à une demande d'investissements conformes aux principes de la Charia et, d'autre part, d'offrir la possibilité aux 2 millions de Musulmans qui vivent au Royaume-Uni d'avoir accès à des produits et services financiers qui respectent leurs principes religieux. Nous pouvons penser que la première raison a été déterminante dans la décision des autorités publiques de mettre l'accent sur le marché de la finance islamique. Mais en réalité, M. Gordon Brown, alors chancelier de l'Échiquier, avait identifié très clairement que toute une population musulmane rencontrait des problèmes pour accéder au monde bancaire. Une grande partie d'entre elle se méfiait, en effet, du système financier britannique et ne lui confiait pas son argent en dépôt.

Les autorités publiques britanniques ont donc essayé de satisfaire cette population en lui permettant de disposer de produits bancaires et financiers compatibles avec les principes religieux. Pour cela, il a fallu éviter l'écueil de mélanger la religion et le droit. Aussi, dans un arrêt rendu le 28 janvier 2004, la Cour de Londres a été amenée à fixer les règles de base de ce qui a servi par la suite de référence au développement de l'ensemble des produits et contrats conformes aux principes de la Charia. Elle stipule notamment de manière très claire qu'un contrat, s'il peut être soumis aux règles du Coran, n'en reste pas moins gouverné par le droit positif applicable au Royaume-Uni, en l'occurrence la loi anglaise. Il peut y avoir une juxtaposition des principes juridiques et religieux. Autrement dit, un contrat peut répondre aux exigences à la fois du droit britannique et de la Charia. Bien entendu, les tribunaux britanniques ne se considèrent pas compétents pour apprécier si les critères de la finance islamique ont été respectés. Néanmoins, ils peuvent être conduits à les prendre en considération dans le cas d'affaires spécifiques portés à leur connaissance. Ils ne rendent des décisions que sur la base du droit britannique et ne sauraient faire application sur le territoire britannique des principes de la Charia si des litiges leur sont soumis.

Il a été reconnu également, de manière explicite, qu'il appartient aux institutions bancaires ou aux cocontractants revendiquant leur respect des règles de la Charia de faire leur affaire de cette détermination. Par conséquent, la charge pèse sur eux de démontrer qu'ils vendent des produits conformes aux principes de la finance islamique ; d'où l'émission de fatwas et la nécessité de faire appel à des conseils de la Charia. Cette responsabilité incombe bien évidemment aux établissements bancaires. Les autorités compétence en matière de règlements financiers n'interviennent pas dans la détermination des principes religieux sous-jacents. En revanche, comme il est revendiqué dans leur phase de commercialisation que les produits financiers sont conformes aux règles islamiques, les banques doivent avoir mis en place les conseils de la Charia nécessaires pour s'assurer qu'il en est bien ainsi.

Ce principe juridique étant entériné par la Cour de Londres, il n'en reste pas moins que le droit positif s'applique et que l'ensemble des établissements bancaires et financiers, dont les banques islamiques, doivent se conformer à la réglementation applicable, y compris les exigences posées par la Financial Services Authority (FSA), l'autorité de contrôle des services financiers britanniques qui a vocation à décider si une banque islamique peut être agréée ou pas sur le territoire britannique. Le rôle joué par cette instance dans le développement des banques au Royaume-Uni a été déterminant. C'est en 2002 qu'un comité avait été créé pour promouvoir le financement britannique au Royaume-Uni. Il comprenait notamment des représentants de la FSA, alors très soucieux de comprendre les mécanismes de fonctionnement de la finance islamique. Par conséquent, certaines équipes se sont occupées d'examiner de quelle manière il était possible de faire rentrer cette activité dans le cadre juridique britannique. Toutefois, comme elle a eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises, la FSA n'est pas là pour réglementer la Charia et déterminer si ses principes sont respectés. Elle est juste là pour vérifier que les textes de lois britanniques sont bien appliqués et que les consommateurs sont traités sur le même pied d'égalité par l'ensemble des opérateurs offrant des produits bancaires et financiers, qu'ils soient conformes à la Charia ou pas.

Ce soutien apporté par les autorités britanniques au développement de la finance islamique au Royaume-Uni est marqué par une volonté économique et politique de répondre aux attentes de la population musulmane. Celle-ci avait eu l'occasion de se plaindre à plusieurs reprises, notamment par le biais de groupes de pression, du coût d'acquisition très élevé des biens immobiliers au Royaume-Uni et de l'absence de produits conformes aux principes de la Charia. C'est pourquoi les différentes demandes d'agrément de banques islamiques ont été mises sur la table. La première d'entre elles a eu lieu en 2004. Elle concerne The Islamic Bank of Britain qui a été autorisée, en 2004, à ouvrir la première banque islamique de détail et à offrir toute une gamme de services et produits sur le territoire britannique. Profitant de cette brèche, d'autres banques islamiques ont déposé des demandes d'agrément. Nous en comptons quatre à ce jour, émanant de l' European Islamic Investment Bank (2005), de The Bank of London and the Middle East (2007), de European Finance House (janvier 2008) et de Gatehouse (avril 2008).

La délivrance des agréments obéit donc à un rythme soutenu. Sur le territoire britannique, deux banques se revendiquent comme étant des établissements spécifiquement islamiques. A ce jour, une seule banque de détail proposant des produits compatibles avec la Charia existe.

L'offre de produits et services financiers islamiques par des banques traditionnelles et non islamiques a été rendue possible également. De fait, plus d'une vingtaine d'entre elles, dont HSBC au travers d'une filiale, offre aujourd'hui des instruments respectant les principes du Coran, en sus de leur gamme traditionnelle. Lloyds TSB a ouvert le premier compte étudiant islamique en 2006, de manière à capter une clientèle dès son plus jeune âge.

Nous pouvons noter, par ailleurs, le développement :

- de fonds d'investissements islamiques, même si un seul a été agréé à ce stade. Cette situation s'explique par le fait que la place du Luxembourg est plus compétitive que la place de Londres pour ce genre de produits ;

- d'un marché secondaire de sukuks relativement actif ;

- des règles plus spécifiques pour faciliter, sur la base de murabaha , le commerce des métaux, souvent utilisés comme actifs sous-jacents dans des opérations conformes à la Charia, ont été adoptées par le London metal exchange. De plus, des Fonds trackers adaptés à la finance islamique ont été lancés par iShares et un projet d'agrément d'une compagnie d'assurances islamique ( takaful ) est à l'étude au niveau de la FSA.

Le développement de la finance islamique au Royaume-Uni a nécessité la mise en place d'un cadre juridique adéquat. Celle-ci s'est effectuée en plusieurs temps, avec des réformes fiscales en 2003, 2005 et 2007. Mme Laurence Toxé, fiscaliste, se fera un plaisir de vous les expliquer. Puis la FSA a témoigné d'une approche pragmatique. Les Britanniques n'ont pas énormément procédé par voie législative, sauf en matière fiscale pour des raisons évidentes. Il s'est agi, avant tout, pour les autorités compétentes, d'adapter leurs pratiques et de poser des règles prudentielles si nécessaire, afin d'encourager le développement de la finance islamique. Celle-ci pose comme problème, notamment, qu'elle impose le partage des profits et des pertes. De fait, une personne pourrait récupérer, au terme de son placement, moins que son investissement initial. Afin d'empêcher ce scénario, la FSA a eu à adapter cette règle de partage des profits et des pertes et il a été convenu que, si la loi britannique pour les dépôts d'argent s'applique à tout le monde, le particulier qui opte pour un compte de dépôt respectant les principes de la Charia a la possibilité de partager les bénéficies et les pertes de son placement.

La FSA s'est assurée, par ailleurs, que le conseil de la Charia joue bien son rôle. Nous pouvons considérer que la Charia s'apparente à une sorte de droit coutumier qui varie d'un pays à un autre, d'une grande zone géographique à une autre ou d'une école de pensée à une autre et il convient alors, pour des conseils de la Charia choisis par les établissements, de vérifier que les produits de finance islamique proposés respectent bien ces principes. La FSA souhaite être sûre que les banques qu'elle a agréées satisfont bien aux exigences de la Charia et qu'elles obéissent à des pratiques stables, ayant vocation à être pérennes. Il ne faudrait pas que des instruments offerts par des établissements bancaires soient conformes au Coran pendant trois ans, puis plus conformes par la suite après une décision du conseil de la Charia. C'est pourquoi il a été exigé la fixation de règles prudentielles strictes concernant la composition de cette instance.

S'agissant de la publicité pour les produits islamiques, il y a eu la volonté de protéger les consommateurs de tout mensonge sur la nature des produits et de les éclairer sur l'ensemble des contraintes liées à chacun des instruments qui peuvent leur être proposés. La FSA, en lien avec les établissements bancaires agréés, a donc mis en place une suite de principes pour faciliter la publicité des produits bancaires islamiques et les rendre transparents.

Enfin, et il s'agit de sa plus belle réussite, elle a autorisé la commercialisation du produit le plus attendu de la communauté musulmane, le plan d'achat immobilier ( home purchase plan ), forme alternative de prêt immobilier permettant l'accès à la propriété des Musulmans au Royaume-Uni. Ce produit peut être basé, soit sur l' ijara , sorte de crédit bail immobilier ou de location vente, soit sur le diminishing musharaka , un produit offrant la possibilité d'acquérir progressivement une propriété tout en le louant. Il a été bien accueilli par le marché en répondant à une véritable attente. Des campagnes de publicité ont été engagées pour en encourager la vente qui a cru de 250 % en l'espace de 6 mois.

Enfin, l'émission d'un emprunt d'Etat obligataire conforme aux principes de la Charia est étudié à l'heure actuelle au Royaume-Uni et la possibilité a été donnée au National Savings & Investment d'offrir des produits financiers islamiques aux particuliers via les bureaux de poste.

Toutes ces initiatives ont vu le jour très rapidement. Depuis l'agrément donné en 2004 à la première banque de détail islamique de s'installer sur le territoire britannique, les autorités publiques, en lien avec des cabinets d'avocats, des organismes professionnels et des universités, ont agi très vite pour développer le secteur de la finance islamique. L'expertise de professionnels est nécessaire. Car si les produits islamiques sont plus coûteux, c'est parce qu'ils sont plus complexes à mettre en oeuvre et exigent donc de faire appel à de nombreuses compétences en amont. Ainsi, des commissaires aux comptes et des comptables ont acquis des connaissances spécifiques pour traiter les problèmes comptables liés à la finance islamique. De même, les Universités proposent des diplômes tournés vers ce secteur.

L'expérience britannique est-elle transposable en France ?

Comme l'a indiqué le premier intervenant, M. Gilles Saint-Marc, nous devons faire preuve d'un relatif optimisme. Ce qui a été mis en place en matière de finance islamique au Royaume-Uni pourrait très bien être repris en France. Pour cela, il convient d'adapter un certain nombre de mécanismes relevant du droit français. Par exemple, les opérations de financement islamique immobilier sont plus compliquées et moins attractives en France qu'en Grande-Bretagne en raison de contraintes juridiques. De fait, elles ne risquent pas, pour l'instant, de susciter de demande. J'espère qu'au prix de quelques adaptations, la France réussira à se positionner de manière compétitive sur ce marché.

M. Jean Arthuis

Merci Maître. Les difficultés que vous avez soulevées ne sont pas insurmontables à condition de respecter la neutralité fiscale et budgétaire.

La finance islamique comporte une dimension fiscale. C'est votre collègue, Mme Laurence Toxé, qui va nous en parler.

Mme Laurence Toxé, avocate, cabinet Norton Rose LLP Paris

Merci de votre invitation. Je ne reviens pas sur tout ce qui a été dit ce matin sur la place de Paris. Nous avons vu que le développement de la finance islamique dans notre pays n'est pas incompatible avec notre droit civil et notre droit commercial. Le souci majeur qui se pose est de sécuriser les opérations d'un point de vue fiscal ou de supprimer certains traitements fiscaux pour améliorer les produits disponibles sur la place de Paris. L'expérience britannique est particulièrement intéressante pour nous dans ce domaine. En effet, les principales réformes conduites en Grande-Bretagne en matière de finance islamique sont d'ordre fiscal. C'est elles qui ont abouti au développement de ce marché tel que nous le connaissons aujourd'hui. Il me paraît donc opportun de s'inspirer des méthodes et solutions retenues au Royaume-Uni et des retours d'expériences de ce pays pour nous permettre d'aller plus vite et de combler une partie de notre retard.

A compter du début des années 2000, des banquiers, juristes, législateurs et gouvernement ont joint leurs réflexions pour trouver des solutions aux problèmes juridiques et fiscaux qui s'opposaient à la mise en place concrète de la finance islamique.

Nous avons pu constater une grande réceptivité du législateur au sujet. Celui-ci était très désireux de permettre le développement des produits compatibles avec la Charia. En même temps, il se méfiait de l'utilisation de ces instruments, en raison notamment des risques de fraude. Il était donc habité par un double sentiment, ce qui explique aussi pourquoi l'adaptation du cadre fiscal et juridique s'est opérée par étapes en Grande-Bretagne.

Comme il est impossible de tenir compte de la religion de l'investisseur dans l'application du droit, il a été nécessaire de mettre en place des concepts alternatifs pour pouvoir proposer les produits bancaires islamiques. C'est autour de ces concepts que s'est construit le droit britannique. Il s'agit des notions d' alternative finance product , selon laquelle sont offerts des produits alternatifs (à comparer aux produits conventionnels), et d' effective return which equates in substance to interest , qui constitue un concept de rentabilité financière.

Ces deux notions pourraient être utilisées dans le cadre d'instructions administratives pour commenter un certain nombre de modifications apportées.

L'expérience britannique en matière de finance islamique s'articule autour de trois grandes étapes (2003, 2005 et 2007). Elle s'apparente à un mécanisme de construction qui se poursuit actuellement.

La première demande très forte des professionnels a été de tenir compte de la fiducie pour les produits immobiliers et donc de la difficulté de traiter le Stamp duty & land tax , soit les droits de timbre qui s'appliquaient de manière importante sur toutes les transactions immobilières. Les professionnels avaient remarqué qu'il y avait une multiplication de ces droits de timbre dans les produits de finance alternative portant sur des immeubles. L'exemple type en la matière est celui d'une transaction de murabahah consistant en une opération d'achat et de revente avec un profit et faisant intervenir une banque qui joue un rôle d'intermédiaire en achetant un bien à un vendeur pour le revendre à un client. Dans ce type d'opération, avant l'adoption des modifications législatives, les droits de timbre s'appliquaient, une première fois, au moment de l'achat du bien par la banque au vendeur et, une seconde fois, lors de la revente du bien par la banque au client à un prix majoré équivalent à la somme du prix initial et du profit ( mark-up ) réalisé par la banque, ce dernier correspondant en substance à de l'intérêt.

Face à cette situation, le Financial Act de 2003 a posé comme condition que, si la banque achète l'immeuble pour le revendre à une personne physique qui lui consent une hypothèque ( mortgage ), alors la deuxième vente est exonérée de droits de timbres, si cette taxe a été payée lors de la première vente ayant mis en relation le vendeur initial et la banque.

Ce dispositif a été étendu, par la suite, aux ijara et ijara/diminishing musharaka , qui supportaient un triple droit de timbres. Ces opérations complexes se composent d'un premier achat, effectué par une banque auprès d'un vendeur, puis d'une revente de l'actif et d'un contrat de location. Elles supportaient donc un triple droit de timbre qui freinait leur développement. La loi est donc intervenue pour supprimer les deux derniers droits de timbre et ne laisser subsister que le droit de timbre initial, le but étant que ces opérations s'apparentent à des opérations conventionnelles.

En 2005, ce dispositif d'exonération de droits de timbres a été étendu aux immeubles commerciaux aux personnes morales.

Quelles sont les applications de ces principes en France ?

En France, plusieurs transactions financières ont eu lieu sur la base de la murabahah . La plupart se sont résolues via le régime de marchands de biens qui permet d'éviter le droit d'enregistrement double. Subsiste néanmoins la taxe de publicité foncière (TPF) pour les opérations d'achat et de revente d'immeubles par des marchands de biens. Aussi des aménagements paraissent nécessaires. L'idée serait soit de procéder à une exonération de la deuxième taxe de publicité foncière, soit d'imputer la première taxe de publicité foncière sur la seconde quand la revente est proche et sans intention spéculative forte.

Il serait souhaitable également de sécuriser l'opération du point de vue de l'utilisation du régime de marchands de biens sous forme, par exemple, d'instruction administrative. Dans ce type d'opération, les mesures d'achat et de revente sont très proches en général, les marges sont faibles ou nulles et traduisent donc une intention spéculative limitée, et la réalisation de la deuxième partie de l'opération est très compliquée.

M. Jean Arthuis

Les propos de M. Thierry Francq ont été très encourageants. En somme, le manque d'avancée s'explique par la présence de beaucoup d'inertie d'un point de vue culturel.

Mme Laurence Toxé

L'autre problème rencontré par les Britanniques a trait à la qualification du mark-up et des profits commerciaux réalisés pour ce genre de transaction. Fondamentalement, ces profits, même s'ils ne sont pas présentés comme tel, correspondent à un intérêt et leur traitement fiscal s'accompagne donc d'un manque de sécurité juridique, avec notamment des problèmes en matière de déduction fiscale pour les investisseurs ou de qualification de distribution puisqu'on pouvait assimiler ce profit à un réel profit plutôt qu'à un intérêt. Ce problème a été analysé de manière pragmatique, avec un examen de la substance plutôt que de la forme retenue pour les dispositifs. Et aujourd'hui, à chaque fois qu'un certain nombre de critères sont remplis pour chaque type de produits définis strictement, le profit réalisé au travers de l'opération sera assimilé à un intérêt et donc à un produit fiscal auquel s'applique un ensemble de mesures (déduction fiscale, taxation, retenue à la source par exemple).

Concrètement, nous pourrions envisager en France une confirmation de la déductibilité des sommes assimilées à de l'intérêt et un ensemble d'adaptations à la frontière du droit fiscal et du droit civil et commercial et qui auraient pour but de sécuriser les opérations de crédit-bail, les amortissements, etc.

La dernière avancée emblématique date de 2007 et concerne les sukuks . Comme il a été précisé auparavant, ces produits constituent une réplique des obligations conventionnelles. Généralement, ils impliquent la création d'une société ad hoc qui acquiert des actifs en émettant des certificats aux investisseurs représentatifs d'une quote-part des actifs sous-jacents, ces derniers générant des produits payés aux investisseurs.

La loi britannique est venue préciser le régime applicable à ces sukuks . Elle stipule ainsi que, dès lors que ces produits ont une durée limitée dans le temps, qu'ils donnent lieu à des paiements pour les investisseurs ne dépassant pas le retour sur investissement qui serait raisonnable dans le cadre d'un prêt et qu'ils sont cotés sur un marché reconnu, ils ne sont pas assimilés à des répartitions de profits, mais à de l'intérêt aussi bien pour l'émetteur que pour le souscripteur.

Cela signifie que l'investisseur n'est pas réputé détenir une partie des actifs sous-jacents, mais reçoit une prime de remboursement et un intérêt, avec toutes les conséquences qui en découlent en termes de fiscalité directe et de retenue à la source.

Si, en France, nous devions nous orienter vers l'émission de sukuks , nous rencontrerions sans doute des problématiques identiques à celles auxquelles les Britanniques ont été confrontés. En particulier, il nous faudrait admettre la confirmation de la déductibilité des sommes chez l'émetteur des sukuks et de la qualification du flux pour l'application des retenues à la source en cas de présence de souscripteurs non français.

Le cadre législatif britannique continue à évoluer. En mars 2008, le chancelier de l'Echiquier a indiqué l'absence de réforme fondamentale prévue pour 2008, mais la poursuite de l'analyse des produits, visant à modifier, sans doute en 2009, le régime fiscal des sukuks ayant comme sous-jacents des actifs immobiliers. Des chantiers nouveaux surviennent régulièrement, l'un des plus compliqués à mettre en place concernant le traitement des produits islamiques dans un cadre international.

M. Jean Arthuis

Merci Maître. La Grande-Bretagne nous montre le chemin et elle ne nous attend pas. Elle poursuit son cheminement. C'est dire combien la France va devoir hausser le rythme pour se mettre à niveau.

Le dernier intervenant est M. Gilles Vaysset, secrétaire général du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement. Avez-vous le sentiment que les établissements bancaires français souhaitent s'investir davantage dans le secteur de la finance islamique ?

M. Gilles Vaysset, secrétaire général du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissement

Je rappelle tout d'abord que le CECEI constitue, pour les banques étrangères, la porte d'entrée sur le territoire français. Il représente l'autorité compétente pour délivrer l'agrément d'exercice à de nouvelles banques, mais aussi autoriser les changements d'actionnaires et les modifications significatives qui peuvent affecter, durant la vie des établissements et entreprises concernés, les éléments pris en compte au moment de leur agrément et notamment un élargissement du champ de leurs activités. Les autorités bancaires et en particulier le CECEI sont très attentives aux évolutions du secteur bancaire, à la fois dans ses structures et ses activités, et au bon développement de la place de Paris. Elles n'ignorent rien de la concurrence des places étrangères pour la place de Paris, de la diversification, pour les acteurs nationaux, de leurs sources de financement, de leur positionnement international et de l'importance de l'innovation, qu'elle concerne la banque de financement, la banque d'investissement ou la banque de détail. Dans ces derniers domaines, elles sont également attentives à ce que les services bancaires puissent répondre aux besoins de toutes les catégories de populations.

Je limiterai mon propos à deux observations. Tout d'abord, les autorités bancaires françaises soutiennent l'idée d'avoir un secteur bancaire et financier ouvert sur la place de Paris. Ensuite le CECEI ne pratique aucune discrimination entre les projets qui lui sont soumis et qui serait basée notamment sur la nationalité des capitaux de leurs initiateurs. Il ne se prononce, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, que sur la base de critères qui sont connus. Mais il convient d'emblée de préciser - et il ne s'agit pas seulement d'un point sémantique - que le CECEI ne saurait délivrer un « agrément de banque islamique », mais bien, dans le cadre des différentes catégories d'établissements bancaires, un agrément de banque - tout simplement- à un établissement ayant pour projet, d'une part, de recueillir des fonds du public et, d'autre part, de distribuer des produits bancaires et financiers pouvant présenter des caractéristiques justifiant qu'on les dise par ailleurs « islamiques ».

La place de Paris est très ouverte aux investisseurs étrangers. On y dénombre plus de banques commerciales sous contrôle étranger que sous contrôle français, étant entendu que les parts de marché ne reflètent pas ce rapport. Car les banques étrangères ont choisi, non pas de mettre l'accent sur la banque de détail, mais de se consacrer à des « niches », des clientèles particulières, des financements spéciaux ou des opérations sur les marchés. Depuis assez longtemps, nous accueillons des banques originaires du Moyen-Orient, du Golfe persique et de pays à législation islamique. La première succursale étrangère, Qatar National Bank , a été agréée en France en 1977. Aujourd'hui une trentaine d'établissements avec des capitaux provenant du Liban, de l'Iran, du Pakistan ou d'Egypte fonctionnent dans notre pays. Pour l'instant, aucun d'entre eux n'a saisi les autorités françaises d'une demande d'agrément visant à examiner la distribution de produits islamiques dans le pays. J'observe, par ailleurs, que le CECEI n'a pas été saisi encore par un établissement bancaire islamique exerçant au sein de l'Union européenne au titre de la procédure de reconnaissance mutuelle qui existe entre pays de l'Union.

Au-delà de l'évaluation qui peut être la nôtre de l'importance réelle de la demande en France pour ce genre de produits, il semble qu'il n'y ait pas de concordance directe entre le volume considérable au niveau international de fonds originaires du Moyen-Orient, notamment susceptibles d'entrer dans des projets de finance islamique, et l'émergence de projets concrets dans le secteur bancaire en France. Des projets d'implantation ont déjà été portés à ma connaissance, ce qui montre bien que le sujet est d'actualité. Mais aucun d'entre eux, à ce stade, n'est arrivé à maturité et n'a donc fait l'objet d'un dépôt officiel.

L'agrément par le CECEI d'établissements revendiquant la qualité de « banque islamique » devrait être soumis aux mêmes principes que ceux appliqués à tout établissement cherchant à s'implanter en France. Il repose sur cinq critères principaux :

- la qualité individuelle des apporteurs de capitaux ;

- l'honorabilité, l'expérience et la compétence des dirigeants ;

- l'acceptabilité de l'actionnariat. Il n'y a pas d'opposition, en principe, à l'égard d'un actionnaire bancaire d'un pays tiers si, d'une part, il ne se trouve pas dans une situation financière dégradée et, d'autre part, s'il est assujetti à une autorité bancaire qui puisse assurer une supervision sur base consolidée effective et avec laquelle une coopération existe avec les autorités de contrôle françaises. Dans le cas d'un actionnaire non bancaire, il nous est plus difficile de prendre position. Nous recevons des demandes émanant d'industries et de sociétés de services. Mais les difficultés que nous rencontrons alors pour les évaluer ne sont en tout cas pas propres aux entreprises originaires des pays du Golfe ;

- l'aptitude de l'entreprise à réaliser ses objectifs de développement à des conditions compatibles avec la sécurité de la clientèle et le bon fonctionnement des systèmes bancaires. Le CECEI est très vigilant au respect des mesures obligatoires de contrôle interne et souhaite savoir quelles sont les prescriptions envisagées dans ce domaine. La maîtrise des risques doit être assurée par un système de contrôle mis en place. Dans ce cadre, le dispositif de prévention du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme doit faire l'objet d'une attention particulière. Le contrôle interne couvre notamment la conformité. Les organes de l'établissement doivent s'assurer que les produits offerts à la clientèle respectent toutes les dispositions inscrites dans le droit français et le Code bancaire et financier. A cet égard, il convient de préciser quelle est l'articulation entre le rôle du comité de Charia et celui des instances de gouvernance et de contrôle interne à cette banque. L'existence d'un comité de Charia chargé de vérifier la conformité des produits financiers aux principes de l'Islam relève de la libre décision interne à l'établissement, à l'instar des instances qui proposent des produits d'investissement socialement responsables. En revanche, le rôle du comité de Charia devra se limiter à cette tâche d'examen et de certification du produit islamique. Il ne peut s'étendre au-delà et interférer avec la gouvernance générale de la banque et ses modalités de fonctionnement interne ;

- la capacité pour la banque de respecter de manière continue les règles prudentielles. Sur ce plan-là, le CECEI travaillera en étroite collaboration avec la Commission bancaire pour s'assurer que les montages juridico-financiers des opérations de finance islamique sont correctement traduits en comptabilité et mesurés en termes de risques et que les fonds propres requis pour les couvrir sont suffisants. A cet égard, la pondération prudentielle de certains des financements accordés, notamment dans le domaine immobilier, méritera d'être précisée.

Les dépôts de clientèle peuvent prendre deux types de formes. Pour l' Islamic Bank of Britain , ils représentent, par exemple, des prêts à taux 0 du client à la banque. Or, il n'existe pas en France de règles de comptabilisation des prêts accordés par leurs clients aux banques. Ceux-ci devraient sans doute être considérés comme des « fonds remboursables au public » au même titre qu'un dépôt qui est qualifié comme tel selon le Code monétaire et financier. Il devrait ainsi être éligible au fonds de garantie des dépôts. Ces fonds sont bien sûr remboursables en totalité par la banque aux clients à leur première demande et ne génèrent aucun produit ou intérêt.

En revanche, dans le cadre d'un compte de dépôt rémunéré, d'un compte sur livre ou d'un compte à terme, l'opération prendra la forme d'une murabaha , avec un apport en capital du client qui est investi par la banque dans des produits compatibles avec la Charia selon une clé prédéterminée de répartition des profits et pertes. Dans ce cas, il ne peut pas y avoir assimilation aux dépôts ou même aux fonds remboursables, s'agissant d'avances de fonds du client à la banque pour investissements. Ces avances pourraient être assimilées à des investissements semblables à des organismes de placement collectif qui ne bénéficient pas, comme nous le savons, de la protection apportée par le fonds de garantie.

En conclusion, il me semble que l'intégration des produits islamiques dans le cadre réglementaire, comptable et prudentiel nécessite, certes, un examen approfondi afin d'éviter toute ambiguïté extérieure et d'assurer un niveau adéquat de protection aux clientèles. Mais à ce stade, aucune modification du cadre législatif et réglementaire des activités bancaires n'apparaît nécessaire pour acclimater celui-ci aux produits. Tout juste, certaines normes prudentielles pourront, pour leur correcte application, donner lieu à interprétation, comme cela est souvent le cas lors de l'apparition de nouvelles techniques financières.

Il ne m'appartient pas de faire des pronostics sur le potentiel de développement des activités de finance islamique en France. Je veux affirmer que les autorités bancaires de ce pays sont prêtes à soutenir l'innovation financière lorsque celle-ci permet le développement d'acteurs financiers et l'élargissement de la gamme de produits sécurisés offerts à toutes les catégories de clientèles.

M. Jean Arthuis

Merci de votre intervention, M. le secrétaire général du CECEI. Nous avons dépassé le temps qui nous était imparti. Du coup, je suis malheureux de ne pouvoir donner la parole au public présent ce matin. Je suis persuadé que certains d'entre vous auraient souhaité intervenir pour enrichir les propos de nos différents intervenants.

Ces deux tables rondes avaient pour objet de nous permettre d'appréhender ce qu'est la finance islamique, la place qu'elle prend dans la globalisation de la finance et les formes diverses qu'elle peut emprunter. Si elle prend de l'ampleur, la France est restée un peu en marge du phénomène. Cette situation tient à plusieurs raisons et notamment culturelles. Cela ne signifie pas que les banques françaises n'aient pas d'activités de finance islamique. Mais quand elles opèrent sur ce marché, elles le font à l'extérieur de la France, à Londres ou au Luxembourg où il semble régner un microclimat propice au développement de produits compatibles avec la Charia.

Or les enjeux sont considérables. En effet, la finance islamique peut aider au financement des PME, des institutions publiques et de l'Etat. Aujourd'hui, le Trésor ne semble pas trouver d'avantage à faire appel aux obligations islamiques par rapport aux obligations conventionnelles. Néanmoins, il convient de faire vivre la concurrence.

Nous avons vu aussi que le développement de la finance islamique constitue un moyen de parfaire l'intégration de la communauté musulmane française. Le législateur que je suis éprouve une sorte de soulagement. Car il a peu à s'impliquer dans les modifications à apporter pour assurer le succès de la finance islamique dans notre pays, celles-ci relevant surtout des autorités de marché, de régulation ou de surveillance et ne demandant pas, hormis sur des sujets à la marge, d'amender le Code monétaire et financier par voie législative. Quant aux quelques problèmes fiscaux que posent la mise en circulation de produits compatibles avec la Charia, nous n'aurons aucune difficulté à les résoudre.

En résumé, nous sommes appelés à un sursaut et à réagir rapidement. Les propos de M. Arnaud de Bresson, délégué général d'Europlace, sont tout à fait encourageants. Toutefois, nous avons besoin de démontrer que nous sommes capables maintenant de faire preuve de volonté sur le terrain et de donner un supplément de vie et de valeur ajoutée aux activités financières en mettant l'accent sur le développement de la finance islamique.

Je vous remercie beaucoup de votre présence et de vos interventions très riches et éclairantes.

(La séance est levée à 13 heures 10)

* 1 Interdiction de l'intérêt (pas de « riba »), interdiction de l'incertitude, de la spéculation (pas de « gharar », ni de « maysir »), interdiction d'investir dans des secteurs illicites (pas de « haram »), principe de partage des pertes et des profits, principe « d'asset-backing ».

* 2 « Le nouvel âge d'or des fonds souverains au Moyen Orient », rapport d'information n° 33 (2007-2008), www.senat.fr/noticerap/2007/r07-033-notice.html

* 3 « La bataille des centres de décision économique : promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation », rapport d'information n° 347 (2006-2007) tomes I et II www.senat.fr/noticerap/2006/r06-347-1-notice.html

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