LA RECHERCHE FRANÇAISE CONDUIT-ELLE À LA CROISSANCE ?

I. LA RECHERCHE ET L'INNOVATION, MOTEURS DE LA CROISSANCE À LONG TERME

Il est peu contestable que la recherche publique joue un rôle positif sur le développement économique, même s'il s'avère difficile d'établir une corrélation entre l'effort de recherche et de développement des organismes publics et des universités, d'une part, et la croissance économique, d'autre part.

A. DE L'INNOVATION À LA CROISSANCE POTENTIELLE

Une politique de l'innovation plus dynamique conditionne la réalisation des ambitions françaises en termes de croissance économique : seule une augmentation de la productivité globale des facteurs (PGF - infra ) permettra de réaliser durablement «  le point de croissance » (celui qui rapprocherait notre croissance moyenne de 3 %) manquant à la France pour tendre vers le plein emploi dans un contexte de reflux de la dette publique et du déficit extérieur.

1. De la croissance potentielle à la croissance effective

Dans une perspective de court/moyen terme , les facteurs de demande apparaissent déterminants pour la croissance économique : environnement international et demande étrangère, politique budgétaire et demande publique, dispositifs de répartition des richesses, évolutions salariales et consommation des ménages, etc.

Mais dans une perspective structurelle ou de long terme , les facteurs d'offre que sont la main d'oeuvre disponible et la productivité de cette main d'oeuvre, apparaissent alors déterminants. Si l'on considère l'évolution de ces facteurs d'offre, il en découle, par « addition », la croissance maximale que l'économie peut atteindre sans tension sur les capacités de production, donc sans tension inflationniste, croissance que l'on nomme « croissance potentielle » .

Ce concept est central car, à un horizon de moyen/long terme, la croissance effective tend à rejoindre la croissance potentielle , sauf si la politique économique pèse durablement sur la croissance (par exemple, pour respecter une contrainte d'assainissement budgétaire).

2. De la productivité globale des facteurs (PGF) à la croissance potentielle

L'augmentation du potentiel de croissance d'une économie s'effectue par deux canaux : l'augmentation de la main-d'oeuvre disponible  et l'augmentation de la productivité du travail. Ainsi, l'augmentation de la richesse par habitant est essentiellement permise par les gains de productivité .

Trois facteurs sont susceptibles de concourir à l'augmentation de la productivité du travail : la durée du travail , l'intensité capitalistique et la productivité globale des facteurs (PGF) . La PGF représente l'augmentation de la production qui ne peut pas s'expliquer par l'évolution quantitative des deux facteurs de production apparents que sont le capital et le travail.

On observera que l'intensité capitalistique et la PGF déterminent la productivité horaire du travail qui, combinée à la durée du travail, détermine la productivité du travail .

La PGF, parfois qualifiée de « résidu inexpliqué » (ou « résidu de Solow »), ne peut s'expliquer que par le « progrès technique » au sens large , dont les déterminants sont essentiellement l'innovation 6 ( * ) et les progrès organisationnels .

Sur quel facteur de production « miser » pour augmenter la croissance potentielle d'une économie, et particulièrement celle de l'économie française ?

Une plus grande mobilisation de la population en âge de travailler élèverait le niveau de PIB potentiel de la France, mais cet impact ne saurait qu'être transitoire . En effet, le taux d'emploi 7 ( * ) ne peut augmenter indéfiniment, de même que la durée du travail. Par ailleurs, il apparaît qu'une simple accumulation du capital , fondée sur l' imitation et sans le secours de l'innovation, ne peut soutenir la croissance à long terme que pour les pays en phase de « rattrapage » , les moins avancés technologiquement 8 ( * ) . D'une façon générale, sans innovation, la croissance à long terme se heurte au mur de la loi des rendements décroissants des facteurs de production, capital ou travail 9 ( * ) .

Au total, ainsi que le rappelle le rapport du Conseil d'analyse économique intitulé « Les leviers de la croissance française » 10 ( * ) , « à long terme, le ressort principal de la progression du PIB par habitant , autrement dit du niveau de vie économique moyen, est la croissance de la productivité des facteurs de production (capital et travail) via le progrès technique et l'innovation ».

3. De la politique de recherche et d'innovation à la PGF

a) Rendements croissants et externalités positives

Les travaux de Solow et de Swan, publiés en 1956, ont montré que la croissance économique est déterminée par l'intensité du progrès technique (le « résidu de Solow », supra ) et l'accroissement de la population active, facteurs considérés tous deux comme exogènes. La théorie néoclassique met ainsi en lumière l'importance des innovations 11 ( * ) . Cependant, elle ne prévoit pas qu'une politique économique puisse influencer durablement le taux de croissance de long terme de l'économie, compte tenu du caractère fondamentalement exogène du progrès technique (et de la croissance démographique).

Parce que le progrès technique ne vient probablement pas d'une génération spontanée, des travaux de Romer publiés en 1986 et 1990 -et de nombreuses recherches initiées à leur suite- se sont efforcés de trouver ses déterminants. Ils ont donné le jour aux modèles dits de « croissance endogène », qui allaient légitimer l'action publique. Dans ces modèles, les connaissances conditionnent les innovations et le progrès technique, qui, d'une part, favorisent l'investissement et la croissance en se diffusant à l'ensemble de l'économie et, d'autre part, favorisent l'accumulation des connaissances et de nouvelles innovations, formant un cercle vertueux.

La contrainte des rendements décroissants des facteurs de production (notamment du capital, donc de l'investissement), inscrite dans la théorie néo-classique, peut être surmontée : il est possible de connaître des rendements croissants et donc de débloquer le processus d'accumulation du capital.

Par ailleurs, on observe que certains investissements dans la recherche et l'innovation engendrent des externalités positives , dans la mesure où leurs rendements sociaux (pour l'ensemble de l'économie) sont supérieurs à leur rendement privé (au niveau de l'entreprise).

Il en va sûrement ainsi dans les domaines à fort risque ou à fort potentiel, ce qui est le cas :

- de la recherche fondamentale qui, bénéficiant d'un financement public, ne présente aucun rendement privé à court terme, mais dont les résultats sont susceptibles, à terme, de déboucher sur d'importantes externalités positives ;

- de la recherche appliquée, lorsqu'elle débouche sur des connaissances susceptibles de se diffuser largement dans le tissu économique.

b) Légitimité et leviers de l'action publique

L'existence d'externalités positives légitime, pour l'Etat, le fait d'encourager ou de fournir lui-même une partie de l'effort de R&D lorsque le niveau intrinsèque de la recherche et les résultats en termes d'innovation ne permettent pas de rejoindre un chemin de croissance optimal à long terme.

En premier lieu, l'Etat est donc fondé à faire en sorte que le rendement privé de la recherche se rapproche de son rendement social , ce qui pourrait justifier notamment les politiques de subventions et d'encouragements fiscaux. L'Etat peut également intervenir directement dans certains secteurs, lorsque le rendement social recherché s'avérerait tout simplement meilleur -et plus facile à obtenir- à partir de la dépense publique, ce qui est généralement le cas de la recherche fondamentale. Dans toutes ces hypothèses, l'Etat ne fait, au fond, que remédier aux imperfections du marché.

En second lieu, l'Etat doit s'attacher à maximiser le rendement social de la recherche . Ainsi, il définit et applique une stratégie de recherche via l'allocation des financements publics, il encourage la production et facilite la diffusion de la connaissance grâce à la propriété intellectuelle, il suscite l'émergence de synergies et de partenariats entre les différents acteurs de la recherche et promeut les transferts de connaissances du secteur public de la recherche vers le secteur privé. Par exemple, la récente mise en place, en France, des « pôles de compétitivité », a pour objectif de renforcer les externalités positives en rapprochant entreprises et institutions d'enseignement supérieur et de recherche.

En troisième lieu, l'Etat est également un consommateur de technologie , particulièrement en matière de défense, de santé ou d'environnement.

Ces trois leviers ne sont pas étanches. Le domaine militaire est caractéristique de l'interférence des objectifs, avec les « technologies duales » qui, mises au point pour les armées, peuvent être utilisées dans le domaine civil.

* 6 On distingue généralement les innovations de produit des innovations de procédé , ces dernières ayant trait au mode de production ou de distribution . Dans une autre approche, intégrant les progrès organisationnels, il est alors distingué quatre types d'innovation : innovation de produit, innovation de procédé (stricto sensu), innovation de commercialisation et innovation d'organisation.

* 7 Le « taux d'emploi » est la proportion de personnes disposant d'un emploi parmi celles en âge de travailler (15 ans à 64 ans). Le taux d'emploi reflète ainsi la capacité d'une économie à utiliser ses ressources en main-d'oeuvre (il convient de distinguer cette grandeur du taux d'activité, qui rapporte la « population active », regroupant la population ayant un emploi et les chômeurs, c'est-à-dire les individus présents sur le marché du travail, à la population en âge de travailler ».

* 8 Cf. travaux de Gerschenkron (1965) puis de Acemoglu, Aghion et Zilibotti (2006).

* 9 La loi des rendements décroissants peut se formuler ainsi : lorsque l'entreprise augmente un facteur de production, capital ou travail, en maintenant l'autre fixe, la production marginale devient forcément décroissante à partir d'un certain seuil.

* 10 « Les leviers de la croissance française » par Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, novembre 2007.

* 11 Elle donnera notamment une explication au processus de rattrapage des pays européens envers les États-Unis après guerre ainsi qu'à la stagnation des pays en développement.

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