D. LA QUÊTE D'UNE GOUVERNANCE ADAPTÉE AU MAINTIEN À LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE


• Dans le monde
, les différents systèmes de recherche sont confrontés à une complexification des structures liée à l'extension des champs d'investigation scientifiques, dans un contexte d'exigences croissantes en termes de résultats. Dès lors, ils présentent des caractéristiques relativement partagées dont certaines apparaissent, à divers degrés mais de façon peu contestable, susceptibles d'inspirer avec profit la gouvernance de la recherche française. Leur ensemble dessine, au prix d'importantes approximations, un « modèle anglo-saxon » souvent invoqué. Si le rôle central de l'Université en constitue une caractéristique certaine, les conditions historiques de son avènement font qu'il ne paraît pas transposable en l'état. On citera donc:

- l'aptitude à définir une stratégie nationale, question pendante avec la fin des « grands programmes » ;

- la prégnance de la recherche sur projet 228 ( * ) , mieux adaptée pour rejoindre la frontière technologique et s'y maintenir , dans la mesure où elle permet une combinaison optimale des compétences pour les domaines en émergence ainsi qu' une plus forte propension à l'« excellence » grâce à la sélection des projets. Le modèle « Agence de financement » s'est ainsi imposé dans les principaux pays industriels, parallèlement aux différents types de financements récurrents ;

- une culture de l'évaluation reposant sur le jugement des pairs ;

- la mobilité des chercheurs ;

- une forte aptitude à valoriser la recherche , réussite incontestable des Etats-Unis avec une diffusion de l' esprit d'entreprise et une capacité à prendre des risques financiers plus marqués qu'en France, une recherche privée dynamique étant favorable au maintien à la frontière technologique . Malgré des réussites -la valorisation par le CEA, le nombre de création d'entreprises issues de la recherche publique depuis 1999-, l'insuffisante implication des entreprises françaises peut aussi s'expliquer par un manque d'appétence pour la recherche lié aux critères de sélection de nos élites, la formation d'ingénieurs 229 ( * ) étant préférée à celles de docteurs. A terme, une revalorisation des universités et des carrières scientifiques pourrait améliorer ce point.


• En France, l'instillation d'une dose de financement sur projet et d'autonomie des universités semble en mesure d'être acceptée par les intéressés et de contribuer à améliorer leurs performances, mesurées par une évaluation systématique.

D'éventuelles grandes réformes relatives aux structures de la recherche, dont la dispersion est spécialement marquée en France, apparaissent plus difficiles 230 ( * ) . Quant au statut des chercheurs, il doit faire l'objet, avec les intéressés, d'une réflexion afin de l'adapter aux spécificités des métiers de la recherche.

*

Pour soutenir son approche du système français de recherche et de soutien à l'innovation, votre Délégation a choisi une démarche ciblée en missionnant le BIPE afin de qualifier l'adéquation des objectifs et des moyens des principaux organismes de recherche publics vis-à-vis de « technologies-clé émergentes » sélectionnées parmi les « technologies-clés » 231 ( * ) répertoriées dans un document produit par la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère des finances, intitulé « Technologies clés 2010 » .

« TECHNOLOGIES CLÉS 2010 » : UN EXERCICE MÉRITOIRE


• Un exercice intéressant et de bonne qualité, malgré une fréquence insuffisante

A partir des années quatre-vingt-dix, en raison de la diminution des crédits affectés à la Défense, le besoin s'est fait sentir de renforcer les moyens et surtout d'éclairer les enjeux de la recherche et développement pour les technologies civiles. Un premier recensement des « technologies clés » a été publié en 1995 et l'exercice a été réitéré en 2000 puis en 2005, avec le document « Technologies clés 2010 », au centre du travail réalisé par le BIPE . Si une périodicité de cinq ans pèse inévitablement sur la pertinence du document dans le temps, l ' Agence nationale de la recherche (ANR) constate une grande convergence avec les technologies soutenues par ses programmes. Il s'agit d'un exercice utile aux entreprises , auxquelles il est largement destiné.


• Un exercice peu structurant pour la gouvernance de la recherche

Le BIPE n'a pas identifié d'organisme public de recherche utilisant le référentiel « Technologies clés » dans leurs arbitrages scientifiques et organisationnels tandis que la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI) estime avoir été très peu impliquée dans l'élaboration du document « Technologies clés  2010 » et ne l'utilise pas. Selon elle, des « Dossiers de référence nationale », en cours d'élaboration, seront susceptible, dans une certaine mesure, de « doubler » l'exercice « Technologies clés »...


• Une analyse stratégique à approfondir et un déficit d'évaluation

On peut déplorer l'absence d'une véritable « analyse stratégique » par technologie clé (lignes de force / de faiblesse, opportunités / menaces, enjeux respectifs) ainsi qu'un double problème d'évaluation : ex ante -le document n'identifie pas exactement les actions des acteurs de la recherche publique- et ex post : la question de l'appréciation de la pertinence du choix des technologies clés est pendante.

Au total, dans une perspective d'économie d'échelle et de synergie des compétences, il serait probablement souhaitable d'organiser une collaboration étroite de la DGE (au ministère des finances) avec la DGRI (au ministère de la recherche), qui s'estime « très peu impliquée », pour de prochains exercices « Technologies-clés ».

Les conclusions du BIPE soulignent l'acuité de la question de la programmation de la recherche en France et du contexte de sa valorisation.

* 228 Sélection et financement des projets sur « appels à projets » habituellement formulés par des agences de moyens.

* 229 Sans compter l'attrait des filières administratives ou financières.

* 230 Mais le modèle de l'agence de financement peut être une alternative.

* 231 Parmi les 83 Technologies clés répertoriées par « Technologies clés 2010 », 36 sont qualifiées d'émergentes par le BIPE, soit parce qu'elles n'ont pas encore atteint un degré de maturité suffisant pour être utilisées par le marché, soit parce que le marché à qui elles sont destinées n'est pas encore suffisamment développé.

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