3. Le « beyond CMOS » ou les recherches sur les technologies alternatives au CMOS

L'association du « more Moore » et du « more than Moore » offre à la microélectronique de nombreuses opportunités de croissance. Néanmoins, la technologie CMOS se heurtera tôt ou tard à une double limite :

- une limite physique déjà évoquée précédemment et qui est envisagée autour de 2020 : actuellement, dans un circuit intégré, la barrière isolante qui sépare la grille du transistor et le canal n'est que de quelques atomes. En poursuivant la miniaturisation, elle devient si fine que l'effet tunnel quantique commence à se manifester, créant une fuite de courant lorsque le commutateur est en position fermée, fuite qui constitue une fraction significative du courant du canal quand le dispositif est en position ouverte, ce qui réduit la fiabilité des transistors ;

- une limite économique , qui pourrait intervenir plus rapidement que la limite physique : le coût de développement d'une technologie augmente de 30 % par noeud technologique. Actuellement, seuls Intel, l'alliance IBM et TSMC sont capables de financer la recherche et développement pour les générations logiques 32 et 22 nm. Qu'en sera t-il pour les générations futures ?

Lors de ses entretiens avec les grands acteurs de l'industrie de la microélectronique, votre rapporteur a eu le sentiment que si ces derniers étaient confiants dans leurs capacités technologiques à aller jusqu'au bout de la roadmap tracée par l'ITRS, ils se montraient plus réservés sur les perspectives de financement. En effet, depuis l'explosion de la bulle internet, le rapport de force entre le directeur technique et le directeur financier des entreprises de semiconducteurs a évolué au profit de ce dernier et la question de la justification économique des investissements dans la technologie se pose de manière accrue.

En réponse à ces deux limites, les industriels du secteur et la communauté scientifique internationale, avec le large soutien des Etats, se sont lancés depuis plusieurs années dans l'exploration de pistes nouvelles et qui devraient s'avérer moins coûteuses grâce à l'introduction de nouveaux concepts n'utilisant pas l'architecture classique du transistor CMOS et les techniques de fabrication de la microélectronique silicium.

La feuille de route de l'ITRS leur consacre tout un chapitre sous le nom d' « Emerging Research Devices ».

Sans prétendre à l'exhaustivité, votre rapporteur présentera brièvement quatre champs de recherche : la spintronique, la photonique, l'électronique moléculaire et l'électronique quantique.

- La spintronique

L'électronique s'est jusqu'à présent construite sur la manipulation de la seule charge des électrons. Par exemple, dans les mémoires vives des ordinateurs, l'information est stockée sous la forme de charges électriques localement piégées dans de petites capacités. Mais cette approche commence à poser d'énormes problèmes de miniaturisation. Or, les électrons, en plus de leur masse et de leur charge, possèdent une autre caractéristique : le spin. Il s'agit d'une grandeur fondamentalement quantique mais dont on peut donner une image en se représentant l'électron comme une petite sphère chargée tournant sur elle-même dans un sens ou dans l'autre. Cette rotation de charge peut être assimilée à une boucle de courant et donc à un moment magnétique orienté suivant le sens de rotation de l'électron. Le spin de l'électron est la source du « magnétisme » de certains matériaux, utilisé en particulier dans l'enregistrement magnétique (disque dur, bande magnétique) qui aujourd'hui domine très largement l'enregistrement de masse non volatile. L'« électronique de spin » ou « spintronique » vise à introduire le spin de l'électron aussi en électronique.

Le premier pas dans cette direction a été la découverte en 1988 de la magnétorésistance géante (Albert Fert et Peter Grünberg ont reçu le prix Nobel de physique en 2007 pour cette découverte), qui a montré comment contrôler la conduction électrique par le magnétisme. C'est d'ailleurs dans le domaine des disques durs que la spintronique a eu ses premières applications commerciales, permettant d'améliorer considérablement les performances de stockage (on est passé de 1 à 600 Gigabits par pouce carré en moins de 10 ans) et d'ouvrir ainsi le disque dur aux applications nouvelles telles que l'électronique nomade et l'enregistrement video. On sait désormais agir sur le magnétisme des nanostructures par des courants électriques, ce qui promet une intégration complète de l'enregistrement magnétique dans les circuits « mémoires » de l'électronique.

De manière générale, la spintronique présente de nombreux atouts liés essentiellement à la possibilité de mémoriser de façon non volatile (et insensible aux radiations) une information dans des nanostructures magnétiques distribuées dans un circuit, avec une rapidité de commutation magnétique potentiellement sub-nanoseconde et donc en concordance avec les circuits les plus rapides de l'électronique.

A court terme, les applications de la spintronique touchent :

- les capteurs magnétiques à base de « vannes de spin 9 ( * ) », déjà au coeur de l'enregistrement magnétique classique et qui devraient trouver des applications dans les microsystèmes (automobile, médical) et la santé (biopuces, magnétoencéphalographie).

- les nouvelles mémoires magnétiques à accès aléatoire (MRAM), apparues fin 2006. Les MRAM associent non volatilité et densité avec un fort potentiel de vitesse et une intégration pratique en technologie CMOS, ce qui en fait une solution intéressante pour une prochaine génération de mémoires embarquées non volatiles dites « universelles » dans les « system on chip ». Elles sont aussi faiblement sensibles aux radiations, ce qui les rend attractives pour les applications « durcies » (espace, transports, militaire), c'est-à-dire qui doivent faire preuve d'une robustesse et d'une fiabilité importantes.

- au-delà de l'utilisation « mémoire », l'intégration de cellules magnétiques dans des circuits logiques pourrait permettre d'obtenir de nouvelles fonctionnalités telles que rendre ces circuits non volatiles, ce qui entraînerait une réduction conséquente de la consommation en énergie. On parle de « logique magnétique » pour décrire cette approche.

D'autres applications commencent à apparaître dans le domaine de la communication radiofréquence (transducteurs et sources intégrables miniatures).

A long terme, le potentiel de développement est considérable, avec l'arrivée prévisible de nouveaux matériaux (semiconducteurs et oxydes magnétiques, multiferroïques) et d'architectures de circuits plus performantes, jusqu'à l'intégration de fonctions logiques complexes dans un même nano-dispositif. In fine , on peut envisager une électronique sans courant de charge promettant une très faible dissipation d'énergie et une rapidité proche du Terahertz. La manipulation de spins uniques en interaction est aussi une voie prometteuse de l'information quantique.

- La photonique

Cette science étudie les potentialités de la lumière qui apporte des avantages uniques en raison de sa vitesse (300.000 km/s), la possibilité de la diviser en plusieurs longueurs d'onde, son interaction avec certains matériaux, la précision de son débit d'énergie et sa capacité d'éclairer. La photonique connaît de très nombreuses applications telles que les lasers, les diodes, les écrans plats, les CD/DVD, l'optique quantique et la cryptographie, les fibres optiques etc.

A plus long terme, la photonique pourrait améliorer la performance des ordinateurs à travers la réalisation de circuits optiques capables de traiter les données sous forme optique. Un large champ de recherche est exploré : composants optoélectroniques, nanostructures photoniques, liaisons optiques intrapuces.

A cet égard, votre rapporteur souhaite se reporter à l'étude réalisée par la mission pour la science et la technologie aux Etats-Unis sur « la nanophotonique aux Etats-Unis » en février 2007.

« De très nombreux groupes de recherche aux Etats-Unis travaillent actuellement sur les interconnections optiques car elles représentent potentiellement le futur de l'industrie des télécommunications et de l'industrie informatique.

En raison du besoin sans cesse croissant en vitesses de traitement élevées suscité par l'explosion des applications Internet (voix sur IP, vidéo conférence, transfert de données, etc...) et plus généralement du monde numérique, des bandes passantes de 10 Gb/s et plus sont nécessaires. Ce besoin d'échanger plus vite plus de données requiert un changement de technologie.

En effet, les données traitées par les circuits qui équipent nos appareils du quotidien (ordinateurs, téléphones mobiles, PDA, etc...) circulent via des fils métalliques généralement en cuivre. A de telles fréquences (>10 GHz), ces derniers engendrent des pertes de puissance trop importantes. Si l'on compare l'évolution des bandes passantes CPU 10 ( * ) avec celles des bus 11 ( * ) périphériques, au cours des deux dernières décennies, on constate que le débit des bus est un ordre de grandeur inférieur à celui des processeurs.

Autrement dit, ce n'est plus l'horloge du processeur qui détermine la rapidité d'un ordinateur mais plutôt la vitesse avec laquelle les données sont échangées entre les différents composants. La vitesse de ces flux de données devient de plus en plus difficile à augmenter en raison des limites physiques imposées par les interconnexions métalliques.

La nanophotonique sur silicium vise donc à offrir de nouvelles solutions pour surmonter ces barrières technologiques, on parle de convergence entre électronique et photonique. Cependant encoder un signal de lumière n'est pas aussi simple qu'encoder un signal électrique et de nombreuses années de recherche seront nécessaires pour développer l'ensemble de fonctions optiques sur silicium qui manquent aujourd'hui. ».

En ce qui concerne le stockage de l'information, la photonique apporte également des solutions intéressantes.

A l'heure actuelle, les CD et DVD permettent de stocker respectivement 700 mégaoctets et 6 gigaoctets d'informations. Le stockage optique utilise une source lumière de type laser pour écrire et lire les données. Les bits sont stockés de manière permanente sous la forme de creux moulés physiquement dans une couche d'enregistrement en polycarbonate. Ces supports sont durables car aucun élément du lecteur optique ne touche la surface du disque, les données étant lues à travers celui-ci.

Le successeur du DVD devrait être le Blu-ray, un support de stockage optique contenant jusqu'à 25 ou 50 gigaoctets (simple ou double couche). La tête de lecture utilise un laser bleu, d'une longueur d'onde réduite par rapport à celui du DVD ou du CD, ce qui permet une densité d'informations plus élevée.

Néanmoins, la véritable révolution dans le stockage optique de l'information est attendue du HVD (Holographic Versatil Disc) qui, avec une capacité théorique de stockage de 3,9 téraoctets, devrait être destiné à servir de mémoire de masse. Outre sa densité élevée, la vitesse de transfert est estimée à 1 Gbit/s, ce qui permet de lire et d'écrire des millions de pixels d'un seul flash de lumière.

- L'électronique moléculaire

L'idée de base a été formulée en 1974. Elle a pour but de concevoir et de réaliser des circuits électroniques mettant en oeuvre des molécules fonctionnalisées, des nanotubes de carbone ou des nanofils comme composants.

Les technologies n'ont pas permis pendant longtemps d'explorer ce concept, jusqu'à l'invention du microscope à effet de tunnel, en 1981.

En 1995, a été réalisé un premier contact électrique sur une molécule.

L'engouement pour l'électronique moléculaire s'explique parce qu'elle laisse espérer des méthodes de fabrication à bas coûts fondées sur l'autoassemblage de composants. Elle offrirait également des possibilités de mieux gérer la complexité, de réduire le coût énergétique du calcul et d'introduire de nouvelles fonctions, à base de systèmes électromécaniques par exemple.

Les nano-objets principalement utilisés comme briques de base de l'électronique moléculaire sont les molécules, les nanofils et les nanotubes de carbone.

L'utilisation de ces composants moléculaires au sein de circuits peut être envisagée de deux manières :

- dans l'électronique moléculaire hybride, une molécule incarne un composant électronique. Le circuit électronique complexe est réalisé par l'interconnexion d'une multitude de ces composants par un réseau de fils électriques métalliques d'une section la plus fine possible ;

- dans l'électronique moléculaire intégrée, la molécule incarne la fonction électronique complexe en entier. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire que les groupements chimiques entrant dans la composition de cette molécule monumentale remplissent des fonctions standard comme celle d'un transistor, une capacité, une résistance... Cette voie est considérée comme étant à long terme.

Au cours des 10 dernières années, des progrès remarquables ont été faits tels que le développement de composants individuels à base de nanotubes de carbone ou de nanofils semiconducteurs dont les performances dépassent largement celles des meilleurs composants silicium.

Cependant l'utilisation de ces composants pour des applications relevant des filières de la nanoélectronique silicium bute actuellement sur la compatibilité des technologies de fabrication de ces nouveaux composants avec celles de la nanoélectronique.

Les études les plus avancées d'hybridation de composants à base de molécules, nanotubes ou nanofils sur silicium concernent : les transistors à nanotubes ou nanofils, les dispositifs optoélectroniques à nanofils, les interconnexions à base de nanotubes et les mémoires moléculaires.

Enfin, il faut noter que les développements faits sur les composants utilisant des nanotubes ou nanofils ouvrent des perspectives très prometteuses, complétant celles de l'électronique organique, dans le domaine de l'électronique souple ou de l'électronique grande surface pour lesquelles des techniques innovantes de mise en oeuvre sont en cours de développement.

- L'électronique quantique

Il est sans doute nécessaire de rappeler quelques repères avant d'esquisser une réflexion sur ces perspectives radicalement nouvelles.

En physique classique, on peut connaître à la fois la position et la vitesse des objets étudiés (comme, par exemple, une planète).

En mécanique quantique 12 ( * ) , on peut ne pas préciser simultanément la vitesse et la position d'un électron (à cause de l'indétermination qu'introduit l'observation), mais uniquement poser une fonction de probabilité de ses états.

Or ces états peuvent se superposer et ces superpositions s'intégrer les unes aux autres. De ce fait, les systèmes qu'ils constituent offrent des possibilités de calculs exponentiels par rapport à celles alternatives de l'électronique classique binaire.

La théorie estime que l'on peut assembler jusqu'à 40 électrons ou qbits (au-delà de ce nombre le système quantique se lie à son environnement microscopique et perd ses propriétés), ce qui donne une possibilité de calcul de 2 40 par système.

On perçoit l'intérêt d'utiliser ces propriétés pour les appliquer aux ordinateurs, dont la puissance de calcul serait augmentée dans des proportions considérables, au-delà de l'imaginable.

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Si toutes ces voies apparaissent prometteuses, elles restent pour l'instant du domaine de la recherche fondamentale : aucune ne s'est encore imposée comme une solution alternative crédible au silicium, ni en terme de performance, ni en terme de coût.

Par ailleurs, la plupart des personnes entendues s'accordent à estimer qu'il n'y aura pas de rupture brutale entre la filière silicium et le « beyond CMOS », mais plutôt des changements incrémentaux. Ainsi, ces nouvelles technologies pourraient côtoyer le silicium et non le remplacer, aboutissant à un croisement technologique progressif.

En effet, il ne faut pas minimiser les perspectives d'adaptation d'une filière très capitalistique et dont les moyens de recherche-développement sont considérables .

* 9 Le nom « vanne de spin » s'explique par analogie : en tournant l'aimantation d'une couche magnétique, comme on actionne une vanne, la diminution ou l'accroissement de la résistance électrique permet de laisser passer plus ou moins le courant électrique.

* 10 CPU : central processing unit ; Il s'agit d'un processeur

* 11 un bus correspond à l'ensemble des lignes de communications connectant les différents composants d'un ordinateur

* 12 de quantum : combien ?

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