INTRODUCTION

La pauvreté et l'exclusion sociale sont des réalités difficiles à comprendre de manière précise et dans toutes leurs dimensions, parce que ceux qui ont le pouvoir d'en parler n'en sont généralement pas les victimes. Une certaine analogie avec l'autisme est éclairante. Par nature il s'agit d'états le plus souvent décrits et observés de l'extérieur que surmontés de l'intérieur. Or c'est pourtant la seule démarche qui soit conforme à la dignité et à l'aspiration de l'homme que de se délivrer de la pauvreté non voulue et de l'exclusion subie par un effort personnel.

C'est pourquoi s'il est rarement possible de surmonter par ses seules forces personnelles un état d'exclusion sociale et professionnelle, l'accompagnement indispensable doit s'attacher à stimuler les capacités de la personne plutôt que de l'assister de manière excessive en agissant à sa place.

Ce n'est pas sans intérêt et il est même nécessaire de considérer les réalités de l'extérieur, du point de vue d'un observateur indépendant, mais lorsqu'il s'agit de réalités sociales, il est plus qu'en tout autre domaine nécessaire de souligner l'insuffisance de la démarche, voire sa perversité.

Une société étant par nature un ensemble de liens entre des personnes, l'affaiblissement, l'univocité voire la rupture de ces liens ne peuvent être réparés de manière unilatérale. L'intervention des deux parties est indispensable pour que la restauration et la qualité du lien s'opèrent.

L'inégalité initiale de situation entre celui qui est « inclus » et celui qui est « exclu » requiert une aide du premier à l'égard du second. C'est ce qu'expriment le principe et la nécessité de l'accompagnement.

Mais ce n'est pas suffisant car la démarche peut rester encore trop unilatérale. La véritable harmonie du lien social réclame une relation plus équilibrée par laquelle celui qui est en situation d'infériorité et d'exclusion doit pouvoir prendre une part active voire déterminante à son rétablissement dans la société, comme citoyen à part entière.

L'analyse sociologique, toujours intéressante par le recul qu'elle permet par rapport aux réalités sociales, induit facilement cependant une déformation de l'approche des réalités si elle prétend constituer l'unique source d'analyse et le seul guide pour l'action, car elle favorise inconsciemment la transformation du recul en détachement voire en indifférence et même en assurance doctorale. La prévalence du fait accompli, la puissance de la position dominante et la suprématie de l'opinion majoritaire tendent à devenir un véritable caractère culturel de nos sociétés.

Or l'harmonie sociale n'atteint à sa perfection que, lorsque non seulement celui qui partait d'une situation d'infériorité a retrouvé une juste place dans la société par son action propre, mais qu'également celui qui était dans une situation de supériorité incontestée a accepté de s'abaisser pour partager son pouvoir et faire place à celui qui était injustement écarté.

Ainsi peut naître et se développer le sens d'une responsabilité partagée, fondatrice de la cité et donc d'un lien social conforme aux exigences de la dignité de la personne humaine.

Celle-ci est en effet profondément blessée par toutes les formes de liens qui ne seraient que juridiques, conventionnelles, contractuelles, caractéristiques de relations artificielles hétérogènes aux aspirations profondes de l'être humain qui sont celles d'une unité substantielle.

C'est par rapport à ce sens de l'unité profonde de l'humanité que le concept de justice peut revêtir dans toute son ampleur un sens qui ne comporte aucune condescendance. Sinon, toute conception individualiste de l'humanité isole chaque individu dans une sphère de responsabilité personnelle exclusive et enferme celui qui vient en aide à l'autre, dans une logique d'assistanat, de domination et d'une forme égoïste et pervertie de la générosité puisqu'en fait ne se cherchant qu'elle-même pour fin.

Seul le souci du bien commun appelant la participation de chacun à l'oeuvre commune du corps social est conforme à la nature profonde de l'homme et à son éminente dignité. Autrement dit on devrait s'interdire de parler de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale en ne prenant en considération que les personnes qui se trouvent dans cet état de décrochage. Il faut en vérité considérer la globalité de la société.

Une problématique de même nature s'est posée au travail social et au service social il y a quelques décennies quand il est apparu qu'il était peu fécond de ne considérer un jeune en situation de rupture au sein d'une famille que de manière isolée sans prendre en compte la globalité de la famille. Ici aussi l'approche doit être globale et une situation de pauvreté ou d'exclusion met en cause la globalité de la structure sociale ou son fonctionnement et pas seulement l'individu affecté par la situation incriminée.

Cette perspective conduit alors à ne pas postuler ce bien commun comme une donnée intangible. Il est plus fructueux de le considérer comme le fruit d'une oeuvre perfectible à réaliser ensemble, de manière consciente et critique. L'ensemble de la vie collective, dans ses composantes culturelles, économiques et sociales devient ainsi objet de débat, et pas seulement le sort de ceux qui sont éloignés de la moyenne statistique. L'enjeu de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale trouve alors toute son ampleur puisqu'il s'agit de permettre à tout un chacun, quelle que soit sa position initiale, de participer, en donnant et recevant comme artisan d'un avenir commun, voulu comme bon pour tous, et non pas seulement de tenter de faire une place à tous dans un dynamisme collectif aveugle et préservé de toute évaluation critique.

La lutte contre la pauvreté ne peut pas dès lors consister seulement à la recherche d'une inclusion dans une société postulée comme parfaite, de personnes qu'il faut aider à rejoindre la fête collective, mais comme une action pluridimensionnelle et fondamentalement politique.

De ces observations liminaires se déduit aisément le plan de ce rapport.

Le critère de classement des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale est tout naturellement fondé sur le degré et la nature de l'éloignement de la personne concernée par rapport aux exigences de l'ordre économique et social établi.

Cet instrument d'analyse est à la fois simple et pertinent car il peut dans des situations extrêmes faire apparaître les prétentions abusives fixées par cet ordre économique et social pour s'y insérer.

Tel serait le cas par exemple s'il exigeait systématiquement des compétences ou des renoncements excessifs mettant en cause la vie familiale ou la vie psychique des citoyens.

Ce serait alors la réforme globale de l'ordre économique et social qu'il conviendrait d'envisager et non pas les efforts excessifs qui seraient demandés aux personnes en situation d'exclusion.

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Les développements ci-après seront consacrés aux outils permettant de mieux mesurer la pauvreté et l'exclusion (Titre I er ), ainsi qu'au nécessaire développement des politiques préventives et actives en faveur de l'insertion durable (Titre II).

La mission s'interrogera ensuite sur le rôle de l'école dans la réduction de la pauvreté et dans la prévention de l'exclusion sociale (Titre III), et consacrera un volet spécifique à l'insertion économique qui doit devenir une priorité (Titre IV).

Elle rappellera enfin la complexité de la gouvernance de la lutte contre l'exclusion et proposera une indispensable simplification en ce domaine, notamment au plan territorial (Titre V).

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