4. Le développement de la « grande exclusion »

La pauvreté, qui se caractérise en premier lieu par un faible niveau de ressources, présente en réalité des situations contrastées, selon son intensité mais aussi selon la diversité des difficultés accumulées.

La prise en compte du temps dans l'analyse des phénomènes de pauvreté et d'exclusion sociale permet, selon l'ONPES 79 ( * ) , de « mieux éclairer l'expérience individuelle des personnes », le cumul des précarités sur une durée plus ou moins longue pouvant avoir des conséquences négatives sur le degré d'autonomie des personnes et porter ainsi atteinte à leur dignité.

Illustrant ce constat dans son ouvrage consacré à la disqualification sociale 80 ( * ) , Serge Paugam explique que « l'installation dans l'assistance tient autant à la dégradation des revenus qu'à la transformation durable des représentations de soi ». Pour sa part, Patrick Boulte 81 ( * ) décrit un « individu en friches » tandis que certains responsables associatifs évoquent les « grands déstructurés » 82 ( * ) .

De même, le Père Joseph Wresinski, dans la définition qu'il donne de la grande pauvreté 83 ( * ) rappelle que lorsque la précarité affecte plusieurs domaines de l'existence et devient persistante, « elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un délai prévisible. »

Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) 84 ( * ) s'est inquiété du développement de ce phénomène, qui se caractérise en particulier par des problèmes psychiques et sanitaires d'autant plus importants que la durée d'exclusion a été longue et qui nécessite une prise en charge spécifique tenant compte de la dimension médicale et sanitaire, articulée avec la problématique de l'hébergement et du logement. Certaines personnes en situation de grande fragilité psychologique ne sont en effet très souvent pas en mesure d'accéder à un logement autonome.

Pour que le droit au logement opposable ne reste pas théorique pour ces « très grands exclus », le traitement individualisé de chaque personne est indispensable : les réponses ne peuvent donc se limiter à des dispositifs « juridiques ou techniques » mais doivent s'ajuster à chaque personne et s'appuyer à la fois sur un grand professionnalisme et « une relation humaine personnelle », constituant déjà en soi une insertion.

L'attention que l'on porte à ces personnes renvoie à la question éthique de la place des exclus dans notre société. La prise en compte de ces réalités donne toute son importance à l'accompagnement , mais aussi au développement de cadres de vie de transition, qu'il s'agisse du logement, du domaine professionnel ou de la prise en charge sociale.

Une part importante de l'accompagnement sera ainsi consacrée à la reconquête des droits fondamentaux , auxquels les personnes en situation de très grande exclusion n'ont souvent pas recours, situation qui s'explique notamment par la trop grande complexité de notre système de solidarité nationale ou l'absence de domiciliation.

* 79 Rapport précité (2007-2008).

* 80 Serge Paugam, La Disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, PUF 2000.

* 81 Patrick Boulte, Individus en friche : essai sur la réparation de l'exclusion par la restauration du sujet, Desclée De Brouwer, février 1995.

* 82 Voir tome 2 : table ronde sur le logement et l'hébergement lors du déplacement à Lyon, le 30 avril 2008.

* 83 Rapport précité du CES.

* 84 Audition du 1 er avril.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page