2. Le collège accentue ces inégalités

Les écarts s'accentuent ensuite encore au collège, dès les deux premières années. Mme Marie Duru-Bellat souligne ainsi que « dans la mesure où les élèves de milieu populaire abordent le collège avec un niveau plus faible, l'élitisme du collège va en lui-même creuser les inégalités sociales, sans compter les inégalités sociales attachées spécifiquement aux progressions à ce niveau » 131 ( * ) . Ces inégalités spécifiques aux collèges seraient liées aux choix d'options ou d'établissement qui seraient eux-mêmes directement liés au milieu familial de l'enfant.

Cette explication sociologique est celle qui vient directement à l'esprit, mais pourquoi ne serait elle pas corrélée là encore avec une différenciation due à d'autres facteurs ?

Les différenciations sont essentiellement visibles à ce stade au travers du retard scolaire. Or il est démontré que le retard à l'entrée en 3 e est fortement corrélé avec le revenu. Selon le rapport précité du CERC, alors qu'un tiers des enfants sont en retard, plus de la moitié des enfants pauvres le sont. Le taux décroît de 54 % pour les deux premiers déciles à 14 % pour le dernier décile de niveau de vie, et « il est près de huit fois plus probable qu'un enfant du premier décile soit en retard qu'un enfant du dernier décile. »

RETARD (UN AN ET DEUX ANS ET PLUS) À L'ENTRÉE EN 3 E
EN FONCTION DU DÉCILE DE REVENU

Note : retard à la présence en 3 e à la rentrée de septembre. Les enfants entrant en troisième sans retard ont 14 ans à la rentrée et atteignent 15 ans durant l'année scolaire.

Les enfants nés en 1985 avaient 14 ans à la rentrée de septembre 1999 et ont atteint 15 ans durant l'année scolaire 1999-2000.

Sources : rapport CERC, sur les enfants pauvres en France, 2004.

Encore plus inquiétant, le taux de grand retard est beaucoup plus concentré dans le bas de la distribution : il est très fort pour le premier décile et diminue très vite avec le niveau de vie.

3. Le mythe du baccalauréat pour tous

Selon le récent rapport du groupe de travail de M. Jacques Legendre sur le baccalauréat, la France ne se caractérise pas par un excès de bacheliers, « mais par une insuffisance, tant pour les bacheliers généraux que les bacheliers professionnels ». Les comparaisons internationales montrent que la proportion de bacheliers par génération en France est nettement plus faible qu'elle ne l'est en moyenne dans les pays de l'OCDE et de l'Union européenne (à 19).

PROPORTION DE BACHELIERS DANS UNE GÉNÉRATION (2005)

Les bacheliers généraux et professionnels sont ainsi sous-représentés en France. Alors que l'économie de la connaissance est le moteur de la croissance en Europe, la France est donc en retard dans la qualification de ses jeunes.

De plus, la répartition des diplômés du secondaire en fonction de la nature des études suivies (voie générale préparant à des études longues, voie technologique préparant à des études courtes, voie professionnelle ouvrant la voie à une insertion professionnelle) est particulièrement déséquilibrée en France.

A cet égard, la mission s'est intéressée au devenir des enfants issus de familles défavorisées particulièrement susceptibles de pâtir de cette scolarisation insuffisante.

Dans l'enquête « Emploi » de 1998, la proportion de jeunes adultes de 25-39 ans dotée d'un diplôme égal ou supérieur au baccalauréat variait de 42 % chez les enfants d'ouvriers à 82 % chez les enfants de cadres et professions libérales 132 ( * ) .

Dix ans plus tard, le niveau de réussite au baccalauréat n'a pas évolué et l'origine sociale des jeunes a toujours un impact direct sur leur taux de réussite.

Le suivi du « panel 1989 » établi par la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l'éducation nationale est à cet égard très instructif. Les conclusions des enquêtes menées dans ce cadre montrent que les chances d'un élève de quitter le système scolaire sans le baccalauréat varient très fortement selon l'origine sociale de l'élève.

Si 12,8 % des enfants d'enseignants et 15,9 % des enfants de cadres supérieurs achèvent leurs études sans avoir obtenu le baccalauréat, 45,7 % des enfants d'ouvriers qualifiés et 58,9 % des élèves dont les parents sont ouvriers non qualifiés ou inactifs n'ont pas le baccalauréat.

Encore plus inquiétant, si l'on ne retient que le baccalauréat général, qui offre les perspectives les plus intéressantes pour les élèves, seulement 15,8 % des élèves dont le père et la mère sont ouvriers qualifiés ou inactifs en sont détenteurs. Le baccalauréat n'est donc pas « donné » à tous les élèves et les objectifs de 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat est loin d'être atteint. Pour la mission, un objectif de réussite des enfants défavorisés devrait être fixé par l'éducation nationale tant cette injustice scolaire est criante.

En effet, sans constituer une garantie totale, le fait d'obtenir le baccalauréat réduit considérablement le risque de devenir pauvre, même si l'enseignement supérieur est aussi, mais à un degré moindre, un creuset d'inégalités.

TAUX DE PAUVRETÉ DES MÉNAGES SELON LE DIPLÔME (EN  %)

Taux de pauvreté monétaire

Pas de diplôme

22,9

CEP

10,3

CAP-BEP

8,8

BEPC

7,2

Bac général

6,1

Supérieur au bac

5

Source : Insee

En dépit de leur intérêt, ces éléments chiffrés n'apportent pas d'explication concrète aux raisons des difficultés scolaires aux élèves des catégories défavorisées et ne donnent que peu d'indications sur les pistes à suivre pour y remédier. Or la question des causes de l'échec scolaire des enfants pauvres renvoie directement à l'interrogation essentielle de la mission : pourquoi les pauvres ne parviennent-ils pas à sortir de la pauvreté ?

* 131 Marie Duru-Bellat. Les inégalités sociales à l'école . Genèse et mythes , Paris, PUF, 2002.

* 132 Marie Duru-Bellat, Les inégalités sociales à l'école, Genèse et mythes, PUF, éd. 2005.

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