Audition de M. Olivier BERTHE, Président, et Michel de VORGES, responsable du volet insertion des Restos du Coeur - (15 avril 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je tiens à saluer M. Olivier Berthe, Président des Restos du coeur, et M. de Vorges, administrateur de la division en charge de l'insertion dans cette même structure. Nous avons mis en place, sur l'initiative de M. Bernard Seillier, une mission d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. C'est par son biais que nous souhaitons vous auditionner ce soir. Nous connaissons tous les Restos du coeur. Mais je vous invite, pendant une quinzaine de minutes, à nous présenter vos actions, vos activités et les difficultés que vous rencontrez sur le terrain. Après quoi, nous vous poserons quelques questions.

M. Olivier BERTHE - Merci de nous recevoir et nous permettre de vous éclairer sur l'action concrète des Restos du coeur et vous faire part d'un certain nombre de nos préoccupations, très fortes, que nous avons déjà relayées auprès des ministères et des pouvoirs publics français.

Les Restos du coeur, association créée par Coluche en septembre 1985, représentent aujourd'hui 51 000 bénévoles oeuvrant dans 117 associations locales ou départementales dans 2 000 endroits, centres d'activités des Restos, en France environ. Je parle de centres d'activités car notre activité ne se résume pas dans la distribution alimentaire, même si celle-ci continue à constituer l'essentiel de notre action. Nous avons distribué cette année à peu près le même nombre de repas que l'an dernier, à savoir 82 millions, lesquels ont servi à nourrir 700 000 personnes. Cette distribution alimentaire monopolise 80 % de nos ressources.

Les 20 % restants sont consacrés à des missions sociales d'un autre ordre que l'aide alimentaire :

L'aide au retour à l'emploi avec, par exemple, l'animation de 83 chantiers d'insertion qui emploie aujourd'hui 1 300 personnes.

Des actions en faveur du logement et de l'hébergement des personnes défavorisées. Nous possédons 17 résidences sociales, un certain nombre d'appartements que nous mettons en location ou sous-location. En gros, nous logeons plus de 1 500 personnes et en hébergeons plusieurs centaines d'autres.

Des actions culturelles, de loisirs. La lutte contre la pauvreté n'a pas seulement une dimension monétaire. Elle s'apparente aussi à une lutte contre l'isolement et la pauvreté culturelle.

Des actions contre l'illettrisme et de soutien scolaire. Aux Restos au coeur, nous considérons que l'exclusion constitue une fatalité qui se transmet de génération en génération. Nous essayons de combattre la pauvreté à la racine. Beaucoup de nos actions sont en faveur de l'accompagnement scolaire et de la lutte contre l'illettrisme.

Des activités de recherches à l'attention des gens vivant dans la rue. Elles passent bien sûr par la mise à disposition de logements mais aussi la mise en circulation de camions et de maraudes et le déploiement de contacts directs avec les sans-abri (4 000 par jour en France).

Recherche permanente de travail dans le domaine de la santé par le biais d'équipes nutritionnelles. Nous savons qu'une mauvaise alimentation peut être à la source d'un certain nombre de pathologies. Acheter pas cher revient souvent à se procurer des produits peu équilibrés et pas très bons. Nous cherchons aussi, via la distribution alimentaire, à effectuer ce travail pédagogique pour améliorer l'équilibre nutritionnel des personnes que nous accueillons.

Voilà l'ensemble des actions des Restos du coeur. Comme vous l'aurez compris, nos activités ne se limitent pas à la distribution des repas, même s'il s'agit de notre métier principal bien entendu.

Les Restos du coeur comprennent donc 51 000 bénévoles et 2 000 points d'importation. Ils accueillent 700 000 personnes tout au long de l'année, mais principalement l'hiver. La distribution alimentaire continue au-delà du mois de mars. Elle fonctionne durant toute l'année.

Notre budget est de 122 millions d'euros. Il s'agit donc d'une structure assez lourde à gérer.

Je vous ai dressé un panorama très bref de nos activités pour aborder de suite nos sujets de préoccupations. Ceux-ci nous amènent à interpeller aujourd'hui les pouvoirs publics, qu'ils soient locaux, nationaux ou européens.

Tout d'abord, la flambée des prix des matières premières alimentaires constitue une réalité pesante que nous avons commencée à ressentir, au niveau des Restos du coeur, dès le mois de juin 2007, quand nous avons lancé les achats pour la campagne d'hiver. Il faut savoir que le programme européen d'aides aux plus démunis - programme initié par Coluche en juin 1986, puis plus concrètement par M. Jacques Delors en juin 1987 - est réservé à quatre grandes associations en France (Restos du coeur, Secours populaire, Banque alimentaire, Croix-Rouge française). Il constitue un dispositif très encadré, reposant sur des appels d'offres, lesquels ont été dénoncés par les grandes entreprises du secteur agroalimentaire en juin 1987, alors qu'elles les avaient signés par le biais d'offices. Ces entreprises nous ont alors annoncés qu'elles ne nous livreraient pas les quantités d'aliments négociées. Nous avons alerté, dès juin 2007, le ministre de l'agriculture, puis, un peu plus tard, le Premier ministre, sur cette situation.

Pour vous illustrer mon propos, nous payons les matières alimentaires à des prix supérieurs de 40 % à 100 % plus cher que ce qu'ils étaient en mars 2007. Nous sommes aujourd'hui en train d'effectuer nos achats pour la campagne d'hiver prochaine et nous faisons face à une hausse du prix du lait de 25 %, du prix des céréales et du riz de 100 %. Autrement dit, nous payons les produits que nous achetons autrement que dans le cadre du programme européen, c'est-à-dire avec l'argent des donateurs, deux fois plus cher environ. Comme dans le même temps, l'enveloppe financière affectée au niveau du programme européen d'aides aux plus démunis est stable, nous pourrons nous procurer, en l'état actuel, deux fois moins de produits alimentaires que l'an passé. Par conséquent, si rien n'est entrepris pour accroître de manière significative le budget alloué dans le cadre du PEAD - il a été augmenté de 10 millions d'euros mais cette hausse profitera aux deux nouveaux Etats appelés à rejoindre prochainement l'Union européenne -, nous nous retrouverons dans une situation extrêmement difficile et l'ensemble des associations éligibles au PEAD seront condamnés à distribuer 14 millions de repas en moins dès l'hiver prochain.

Cette préoccupation immédiate s'ajoute à une autre. Nous souhaitons une révision du PEAD pour faire face à la fin de l'excédent communautaire en matière de produits alimentaires, à l'évolution de l'agriculture et la hausse du cours des matières premières sur le plan mondial.

Une autre de nos inquiétudes, que nous avons relayée auprès de Mme Christine Lagarde concerne les contrats aidés. M. Martin Hirsch a lancé le Grenelle de l'insertion au cours duquel ont lieu un certain nombre de débats, auxquels nous participons. Des réflexions sont en cours pour rénover les contrats aidés, établir un contrat unique et étendre le RSA au niveau national. C'est aux parlementaires, qui en ont la responsabilité, de travailler et de faire des propositions sur ces sujets. Toutefois, avant que ces nouveaux contrats ne se mettent en place, il va se passer un certain nombre de mois et nous souhaitons donc que les dispositifs existants continuent à fonctionner. Nous réussissons à réinsérer 26 % des personnes qui se trouvent dans nos chantiers d'insertion. Il s'agit d'un taux considérable, compte tenu du fait que nous n'effectuons aucune sélection à l'entrée des chantiers d'insertion. Nous accueillons tous les publics, y compris ceux très éloignés de l'emploi, à qui nous apportons un accompagnement très renforcé. Les dispositifs en place actuellement fonctionnent donc et nous plaidons pour qu'ils ne soient pas interrompus avant que d'autres ne les aient remplacés. Nous avons adressé cette requête, très forte, aux pouvoirs publics. Bien entendu, il faut aussi que les financements suivent. S'il est demandé à l'avenir aux associations de prendre en charge, non plus 30 %, mais 50 % du coût des contrats aidés, cette mesure aura des conséquences notoires sur leurs comptes, non extensibles par ailleurs. Les associations ne pourront pas se substituer à l'Etat pour le financement des contrats aidés.

Notre troisième sujet de préoccupation concerne le logement. Aujourd'hui des centaines de milliers de personnes ne possèdent pas de logement ou vivent dans des logements insalubres. Parmi les 700 000 personnes qui fréquentent les Restos du coeur, une sur cinq est confrontée à une situation de mal logement. Soit elle n'a pas de logement, soit elle est hébergée de façon précaire chez des amis ou dans des structures d'hébergement. Nous nous sommes très vite intéressés à cette problématique. Il faut que le logement devienne une priorité nationale. Une mission a été confiée à M. Etienne Pinte dans ce domaine et il en est ressorti un certain nombre de propositions, sans doute encore insuffisante au regard des problèmes rencontrés. Tout le monde associatif est très attentif à ce que ces travaux se poursuivent, lesquels ne pourront porter leurs fruits qu'à travers le temps.

Voici donc les trois fortes préoccupations de notre association. En résumé, si le cours des matières premières continue à flamber, si la prise en charge des contrats aidés diminue et si le coût administratif et logistique augmente en raison de la hausse du prix du pétrole, alors nous rencontrerons de plus en plus de difficultés à assurer nos missions.

Bien sûr nous faisons appel à la générosité du public, laquelle nous apporte deux tiers de nos financements. Mais cette générosité n'est pas extensible à l'infini, d'autant plus que le contexte économique est difficile. Ainsi, les dons que nous recevons n'augmentent plus. Serons-nous capables de continuer à accomplir l'ensemble du volume de nos actions actuelles ? La question se pose. Nous espérons que le nombre de personnes faisant appel aux Restos du coeur cessera enfin de croître, pour aller vers un mouvement descendant. Malheureusement, entre 2007 et 2008, ce nombre n'a pas diminué, mais est resté stable. Nous n'acceptons pas cette stabilité sur le principe.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie de votre intervention. Nous sommes effectivement assez conscients des difficultés que vous rencontrez à l'heure actuelle. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, va vous poser quelques questions.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je connaissais certains chiffres que vous avez cités. Mais le panorama assez complet que vous avez dressé de la situation actuelle est assez préoccupant. Si j'ai bien compris votre positionnement, vous êtes mobilisés en faveur d'un élan de générosité organisé. Vous essayez d'assurer vos missions du mieux possible en témoignant de ce que vous voyez sur le terrain auprès des pouvoirs publics locaux, nationaux et européens. Je suis très frappé d'entendre que vous avez observé la hausse du prix des matières premières depuis un an. Votre expérience et votre rôle vous permettent donc d'avoir accès à des informations très rapidement qui pourraient nous être utiles dans le cadre de notre travail.

Mes interrogations sont les suivantes. Avez-vous un avis sur les politiques mises en oeuvre et soutenues et quelles seraient vos propositions pour les améliorer et résoudre les problèmes de fond dans l'organisation du fonctionnement de la société globale ?

M. Olivier BERTHE - Notre travail s'inscrit dans le temps. Il n'y a rien de pire que les politiques de stop and go , les changements de politiques, surtout quand on travaille principalement avec des bénévoles. Nous plaidons pour une continuité dans les politiques publiques menées. Toute modification des règles du jeu par une évolution des textes de lois peut être bien maîtrisée par un spécialiste du droit. En revanche, elle pose de nombreuses difficultés à un bénévole non expert du sujet et constitue pour lui un obstacle supplémentaire dans la conduite de ses actions et une source de découragement. Les Restos du coeur n'ont pas connu de crise de vocation. Ils continuent à attirer des bénévoles. Nous en comptons 10 000 de plus qu'il y a cinq ans. Ce succès s'explique par notre notoriété. Or toutes les associations ne sont pas renommées et certaines d'entre elles ont toutes les peines du monde à séduire des bénévoles, notamment en raison des ruptures dans les politiques conduites.

L'aide aux personnes en difficulté demande du temps. Or les contrats aidés sont délivrés sur des périodes de plus en plus courtes. Ils peuvent être une bonne solution pour un jeune ayant trébuché, mais pas pour des personnes de 45 ans, ayant quitté le marché de l'emploi depuis longtemps et cumulant les problèmes, notamment de santé. Ce n'est pas en six mois qu'il sera possible de remettre cette population au travail. Le temps représente donc une denrée absolument indispensable pour notre action.

Enfin, nous devons oser les expérimentations. Je comprends la volonté des législateurs de fixer un cadre. Mais tout ne peut être traité de manière standardisée. Nous recevons chaque année 700 000 personnes et chacune d'entre elles représente une problématique particulière. Il s'agit d'individus et non de fiches, à qui il convient de proposer un cheminement singulier. L'expérimentation est nécessaire et doit être rendue possible dans le cadre de chaque politique publique, tout en étant accompagnée d'une évaluation, d'un suivi et de résultats. Nous devons savoir notamment quelles associations travaillent convenablement et de manière peu efficiente. La Cour des comptes, l'IGAS et les différents ministères sont là pour nous y aider. De manière générale, il est toujours possible de vérifier si une structure associative accomplit un bon travail et s'il nous est permis alors de lui faire confiance pour mener des expérimentations. Il faut oser, expérimenter !

Pour résumer mon propos, il nous semble essentiel de pouvoir travailler dans le temps et dans la continuité et de conduire des expérimentations. Il y a un an, lors d'une émission de télévision, nous avions souligné cette nécessité d'agir dans la durée.

M. Michel de VORGES - Concernant les chantiers d'insertion, ceux-ci ne représentent pas seulement un moyen de soutenir l'économie solidaire. Nous ne les percevons pas comme tel en premier lieu. Pour nous, ils constituent une manière de réduire le chômage de masse et surtout d'aider une personne à revenir dans l'emploi, ce qui demande du temps.

Les chantiers d'insertion fonctionnent grâce à la possibilité qui nous est offerte de faire appel à des contrats aidés. Ils permettent de placer des individus dans des conditions extrêmement favorables, ceux-ci étant salariés de nos structures où ils bénéficient, par ailleurs, d'un accueil et d'une ambiance agréables. Ils constituent donc de très bons outils. Ils ont consisté tout d'abord à entretenir des jardins où des personnes se sont occupées à produire des légumes. Il ne s'agissait pas alors de véritables chantiers d'insertion lesquels sont nés, dans leur forme actuelle, en 2005, et servent à prendre conscience à leurs membres de l'importance d'avoir un emploi.

Nous n'avons jamais inséré personne. Ce sont seulement les individus et eux seuls qui réussissent à s'insérer. Nous ne pouvons que leur offrir un cadre très favorable à leur retour à l'emploi et essayer de savoir, par différents moyens, et notamment notre expérience du contact acquise par le biais de la distribution alimentaire, ce qui va les toucher, les sensibiliser pour les remettre sur les rails. Au fur et à mesure des années, nous avons créé un ensemble d'outils allant dans le sens d'un accompagnement renforcé et dont nous nous servons pour étoffer nos actions auprès des plus démunis, cible de notre activité.

M. Jean DESESSARD - Qu'en est-il des jardiniers ?

M. Michel de VORGES - J'ai parlé de jardins en effet et oublié de vous préciser que nous n'avons pas d'action en matière d'apprentissage. Nous proposer aux personnes de poser leurs valises, de faire le point sur eux-mêmes puis de cheminer vers le retour à l'emploi de manière progressive, soit en participant à l'entretien de nos jardins qui représentent la moitié de nos chantiers d'insertion, soit en contribuant à notre support économique de rénovation d'ordinateurs.

Leur collaboration, dans le cadre de ces chantiers, ne dure par éternellement. Vient un moment où la personne, avec notre aide, doit franchir la dernière étape de son parcours en trouvant un emploi. Voilà très schématiquement comment nous opérons.

M. Jean DESESSARD - D'accord. Mais si j'ai bien compris votre propos, 26 % des personnes que vous accueillez parviennent à se réinsérer. Quelles sortes de travail trouvent-elles ?

M. Michel de VORGES - Elles exercent des activités dans plusieurs domaines : entretien des espaces verts, maraîchage, logistique - nous possédons plusieurs entrepôts pour lesquels nous avons besoin de caristes -, grandes surfaces, réhabilitation de logements auprès des plus démunis dans les HLM ; cette dernière activité permettant à des personnes de se mettre à leur compte pour réaliser des travaux de second oeuvre.

M. Olivier BERTHE - Nous avons signé un partenariat avec une entreprise évoluant dans le secteur de la restauration et dans le cadre duquel nous sommes amenés à tenir plusieurs ateliers cuisine. Nous offrons pas mal dé débouchés sur des métiers peu qualifiés, car il nous est impossible d'apporter, en une période restreinte, une formation de haut niveau à des gens peu qualifiés au départ. Ainsi, dans le domaine de la restauration, les individus que nous plaçons ont souvent à faire la plonge au début de leurs activités, synonymes pour eux d'emplois durables.

Vous nous avez demandé si nous avons des suggestions à avancer pour améliorer la situation. Le problème du logement est très présent en France et nous avons la conviction que les 20 % ou 25 % des personnes accueillies dans les centres d'hébergement d'urgence qui ont un emploi n'ont rien à y faire. En effet, ces structures ne leur apportent aucune plus-value, étant autonomes et capables d'occuper seules un logement social. Aussi, il serait logique qu'elles libèrent ces places qui reviennent de droit aux personnes à la rue. Pour cela, il faudrait mobiliser le parc social de manière utile, en le mettant à disposition des citoyens ayant les plus faibles revenus et en incitant les propriétaires de logements vacants privés à louer leurs biens par le biais de mesures fiscales ou par la mise en place de dispositions de caution censées les couvrir contre les risques d'impayés.

Il en coûterait moins cher pour la collectivité de mettre en place ces dispositifs que de louer des chambres d'hôtel, chaque nuit, pour les personnes sans-abri ; des dispositifs qui aboutiraient à vider les structures d'hébergement des individus qui n'ont rien à y faire et à rendre des espaces, jusqu'ici trop fréquentés, plus humains et plus sûrs.

Nous appelons donc à la création de cet appel d'air pour amorcer la pompe de l'humanisation des structures d'hébergement.

Toujours dans le domaine du logement, nous sommes persuadés que des dispositifs comme ceux existant en Angleterre et consistant à verser le différentiel de prix entre celui du marché et celui du secteur social coûterait moins cher que le paiement de chambres d'hôtels, très onéreux et s'inscrivant dans un mécanisme totalement inadapté sur le plan économique.

Les structures associatives sont prêtes à accompagner ce mouvement et à faire en sorte que le taux d'impayés soit le plus réduit possible.

Ces deux mesures permettraient d'amorcer un flux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comptez-vous déployer des activités dans d'autres secteurs à l'avenir ? Par ailleurs, à quoi est due la notoriété des Restos du coeur ?

M. Olivier BERTHE - Nous souhaitons continuer à nous développer dans les domaines de l'accompagnement scolaire et de la lutte contre la fracture numérique. Nous constatons aujourd'hui que les inégalités surgissent de plus en plus tôt et se cumulent. Par exemple, un enfant habitant dans un logement précaire ne bénéficiera pas de toutes les conditions optimum pour étudier et n'aura pas, bien souvent, la possibilité d'avoir accès à des moyens de communication comme Internet. De fait, il ne progressera pas au même rythme que ses camarades de classe et risque fort de connaître l'exclusion plus tard, un scénario tout à fait inacceptable.

L'accompagnement scolaire que nous dispensons s'effectue en lien avec les parents et non pas à côté ou contre eux. Ces derniers sont complètement associés au travail que nous pouvons mener avec leurs enfants dans le cadre de l'école ou en dehors de celle-ci.

Enfin nous souhaitons mettre l'accent sur tout ce qui peut permettre aux personnes de se retrouver, certaines d'entre elles connaissant autant la pauvreté culturelle que la pauvreté économique. Nous offrons donc des places de cinéma, faisons participer des gens à l'organisation de carnavals ou de divers projets. Il existe une multitude de façons de faire sentir à des personnes qui ne retrouveront jamais un emploi qu'elles ont encore une utilité sociale.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Et s'agissant de votre notoriété ?

M. Olivier BERTHE - Je suis bénévole aux Restos du coeur depuis 1986.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment êtes-vous devenu le président ?

M. Olivier BERTHE - Je suis devenu le président des Restos du coeur à la suite d'un long parcours de bénévolat. Je suis l'un de ceux qui exercent des fonctions depuis le plus longtemps dans l'association, et pourtant un des plus jeune en âge, au sein de son conseil d'administration.

Depuis qu'ils existent, les Restos du coeur n'ont jamais changé de ligne de conduite. Ils ont toujours eu une action concrète dans la lutte contre la pauvreté tout en essayant d'apporter un témoignage de la réalité et basé, non pas sur ces théories, mais des constats.

Par ailleurs, nous n'avons jamais cherché à imposer un modèle, mais plutôt à capitaliser sur les expériences de terrain réussies et efficaces pour essayer de les démultiplier. Tous les projets que nous avons développés au niveau local ont pris appui sur des initiatives mises en oeuvre à un échelon local.

Nous sommes très impliqués dans la vie publique, tout en faisant preuve d'une très grande neutralité. Ainsi, tous les textes de loi qui ont été défendus par les Restos du coeur ont toujours été votés à l'unanimité des membres du parlement. Toutefois, notre neutralité ne rime pas avec passivité. Quand un projet nous tient à coeur, nous avons l'habitude de le porter sur la base d'une analyse neutre et axée sur les personnes. Nous ne gérons pas des populations, mais nous venons en aide à des individus avec l'idée que chacun a une chance de s'en sortir, même parfois après des rechutes. Il n'existe pas pour nous de cas désespérés.

Enfin, en termes de fonctionnement, nous tenons à toujours nous appuyer sur le bénévolat. Le nombre de nos salariés permanents est limité et l'ensemble des décisions prises par les Restos du coeur le sont par les membres du conseil d'administration de l'association, tous bénévoles.

Cet appui sur le bénévolat nous conduit à rechercher en permanence des économies. Seulement 8,5 % de notre budget sont consacrés aux frais généraux. Nous mettons un point d'honneur à ce que l'ensemble des ressources collectées soit dédié à l'action sociale. Nous faisons tout notre possible pour que nos frais généraux soient restreints au maximum.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - J'ai deux questions à vous poser. Vous touchez, dans le cadre de votre action, une population dont l'hétérogénéité nécessite, pour vos équipes, d'avoir des compétences multiples. Avez-vous mis en place des formations pour vos bénévoles ? Par ailleurs, dans la mesure où vous avez une action sur les parcours d'insertion, avez-vous élaboré des partenariats avec les autres acteurs de l'insertion ?

M. Yannick BODIN - Je souhaiterais vous poser quelques questions de natures et d'importances différentes. La première préoccupation que vous avez exprimée concerne le risque d'infléchissement énorme du nombre de repas distribués au cours de l'année prochaine. Vous risquez en effet de ne plus distribuer 14 millions de repas.

M. Olivier BERTHE - Cette perte vaut pour l'ensemble des associations. Pour nous, le nombre de repas distribués en moins est estimé à 5 millions.

M. Yannick BODIN - Il s'agit encore d'une perte potentielle énorme. J'imagine que vous ne vous contentez pas de prendre acte de cette baisse. Aussi quelles sont vos préconisations pour faire en sorte que ces 5 millions de repas distribués ne soient pas perdus, étant entendu que l'envolée des prix des matières premières se révèle structurelle et non pas conjoncturelle ?

Vous nous avez indiqué que vos centres fonctionnent toute l'année. Or il me semble que la distribution de vos repas s'arrête à la fin du mois de mars. Il en est ainsi dans ma ville.

S'agissant des bénévoles, vous avez souligné le risque d'en manquer dans les prochaines années. De quelles catégories socioprofessionnelles sont-ils issus ? Représentent-ils uniquement des retraités ou certains sont-ils des actifs ? De quelles compétences disposent-ils pour exercer leurs activités dans votre association ? Par exemple, agir dans le domaine du logement s'apprend et demande du temps. Il y a besoin d'être formé pour traiter certains dossiers.

J'ai toujours été un admirateur de Coluche et c'est pourquoi je n'ai pas peur de poser une question saugrenue, voire même un peu farfelue. L'amendement Coluche bénéficie seulement à ceux qui paient des impôts. Aussi comment est-il possible de remercier les personnes non imposables sur le revenu et qui fournissent des dons ? Enfin n'est-il pas choquant de voir les bénévoles, ceux qui donnent ce qu'ils ont de plus cher, c'est-à-dire leur temps, ne bénéficier d'aucun avantage, notamment en termes fiscaux, pour leur engagement ? Mes questions vous paraissent-elles pertinentes ou totalement saugrenues ?

Quelle part de votre budget représente le fruit de la collecte que vous effectuez chaque année à l'entrée des magasins ? Celui-ci a-t-il tendance à grossir ou pas ?

Je vous adresse les mêmes questions au sujet de la tournée des enfoirés qui est toujours très regardée à la télévision et vous permet, notamment, de profiter financièrement de la vente de CD, DVD, tee-shirts, etc.

Enfin quelles sont les nationalités des 700 000 personnes que vous accueillez par an ?

M. Olivier BERTHE - En effet, nous assurons la formation de nos bénévoles depuis presque 20 ans. Nous consacrons environ 600 000 euros par an à cette activité. Pour autant, nous essayons, quand nous avons des besoins spécifiques, de recruter des bénévoles ayant les compétences pour les satisfaire.

Concernant notre demande de révision du PEAD pour nous permettre de continuer à distribuer autant de repas que l'an dernier, nous avons engagé des démarches auprès du ministre de l'agriculture, M. Barnier, en juin puis au moment du salon de l'agriculture, enfin auprès du Premier ministre en mars. De mon côté, j'ai alerté d'autres personnes importantes sur le sujet.

Nous avons des contacts réguliers avec Bruxelles et le directeur de l'agriculture qui est français, ainsi qu'avec le président de la Commission de l'agriculture au parlement européen, lequel relaie notre inquiétude auprès de ses collègues. Il y a trois ans, nous avions proposé de faire évoluer le PEAD selon une méthode que nous avons transmise à l'ensemble des ministres de l'agriculture successifs. M. Nicolas Sarkozy, à qui j'ai fait part de ce problème lorsqu'il a reçu les associations humanitaires, s'est engagé à se saisir de cette problématique lors de la présidence française de l'Union européenne. Voilà les missions que nous avons menées tous azimuts pour sensibiliser un maximum d'acteurs aux niveaux national et européen sur nos difficultés de financement en raison de la hausse du prix des matières premières !

Nous développons aussi des actions locales pour essayer de compenser au maximum la baisse de distribution de repas à laquelle nous risquons d'être astreints.

La moitié des centres des Restos du coeur fonctionne toute l'année et distribue des repas au-delà du mois de mars. Leur activité peut connaître une pause au début du mois d'avril. Mais celle-ci ne dure jamais longtemps. Nous distribuons des repas à entre 15 et 20 % des personnes accueillies pendant l'hiver.

Nos bénévoles sont, en majorité, des retraités, comme dans la plupart des structures associatives. Toutefois, nous faisons appel aussi à des étudiants et des actifs, notamment pour certaines activités (livraison des repas le soir, conduite de camions, etc.). Nous souhaitons qu'il y ait une forme de mixité sociale parmi nos bénévoles, de manière à avoir un regard divers et le plus riche possible sur la société. Nous tenons donc à assurer des activités nous offrant la possibilité d'accueillir toutes les catégories de bénévoles.

S'agissant de votre question relative à l'amendement Coluche, je n'ai pas de solution technique à apporter pour récompenser les donateurs non imposables, lesquels sont minoritaires parmi les personnes nous apportant de l'argent.

Enfin le bénévolat représente un don de soi et ne doit s'accompagner d'aucune contrepartie. Toutefois, effectivement, il serait bien qu'il ne coûte pas, notamment au travers de la mise en place d'assurances civiles ou de voiture.

S'agissant de la collecte alimentaire, celle-ci a abouti à une récolte de 2 300 tonnes d'aliments, correspondant à la distribution de 4 millions de repas. Elle a progressé par rapport à l'an passé, mais elle n'apparaît pas dans nos ressources puisque nous ne valorisons pas les produits donnés, comme nous ne valorisons pas la contribution du bénévole.

La Tournée des enfoirés nous apporte plus de 20 % de nos ressources (26 millions d'euros l'année dernière) à travers surtout la vente de supports (CD et DVD). Nous sommes les producteurs de cette manifestation et l'intégralité des recettes, hors frais de fabrication et de SACEM, nous revient et représente la moitié de la totalité des dons provenant de la générosité du public.

Enfin, concernant votre dernière question, nous ne tenons pas de statistiques pour connaître les nationalités des différents publics que nous accueillons. Nous avons été de ceux ayant défendu l'idée selon laquelle l'aide humanitaire est inconditionnelle. Nous n'avons pas vocation à nous substituer aux pouvoirs de police. Aussi, afin d'éviter tout malentendu, nous ne posons aucune question aux personnes que nous recevons au sujet de leurs nationalités, de manière à ce qu'elles ne sentent pas la cible d'enquête et ne soient pas tentées de ne plus visiter nos centres. Le pire serait que les personnes en difficulté ne se rendent plus dans les structures de type humanitaire. Car alors leur seul recours résiderait dans les marchands de sommeil ou les filières de prostitution. Nous mettons un point d'honneur à soutenir toute personne nous demandant une aide. Tout ce que je peux vous dire est que, dans l'ensemble, les personnes étrangères constituent une frange marginale du public que nous accueillons. Toutefois, elles peuvent avoir un poids non négligeable dans certains lieux (zones de transit, frontières, etc.).

M. Michel de VORGES - S'agissant de partenariats nationaux, nous signons des conventions à travers lesquelles nous partageons des expériences communes.

Pour les partenariats locaux, il serait important d'avoir une connaissance détaillée des spécificités et des actions de chaque structure, car tout le monde a tendance à opérer chacun de son côté ; d'où l'intérêt d'avoir des encadrements techniques maîtrisant l'ensemble des opérations et ayant une vision claire et générale des parcours d'insertion. Les référents, eux, ont tendance à schématiser les parcours des individus. Par contre, ils présentent l'intérêt de s'occuper de tout le monde. Avec eux, nous serons sûrs que personne ne sera laissé de côté.

Selon moi, les décisions, dans le cadre des partenariats, doivent être prises par des structures voisines, se connaissant bien, ayant l'habitude de collaborer ensemble, mais n'étant pas toujours les mêmes, étant donné la variété des personnes accueillies aux Restos du coeur.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Nous arrivons au terme de notre échange.

M. Jean DESESSARD - J'ai une question très brève, mais dont la réponse peut demander beaucoup de temps. Pour M. Berthe, il faut oser les initiatives et les expérimentations. Quelles méthodes faudrait-il adopter pour réaliser une évaluation globale du travail social accompli en France ? Cette question est posée à nous tous.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci bien de votre concours, messieurs.

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