Audition de MM. Bruno LACROIX, président, et Jean VANOYE, premier vice-président du Conseil économique et social de Rhône-Alpes - (13 mai 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Bonjour Messieurs. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons mis en place une mission d'information sur les politiques de lutte contre l'exclusion. Cette instance n'a pas vocation à faire double emploi avec le travail effectué par M. Martin Hirsch. Elle relève d'une démarche complémentaire à son grand chantier. Nous avons auditionné un certain nombre de personnes représentatives de tous les secteurs concernés par les problèmes d'exclusion. Voilà pourquoi nous vous avons conviés à cette audition. Nous aimerions dans un premier temps que vous nous présentiez les travaux du Conseil économique et social de Rhône-Alpes. Nous aurons ensuite des questions à vous poser. Messieurs, nous vous écoutons.

M. Bruno LACROIX - Merci. Je suis Bruno Lacroix, responsable d'une entreprise industrielle qui fabrique des systèmes de ventilation dans une dizaine de pays du monde. Depuis trente ans, je m'investis dans des organisations professionnelles. A ce jour, je suis président de la fédération de la métallurgie du Rhône, du Medef du Rhône et du Medef de Rhône-Alpes. Par le passé, j'ai été vice-président du CNPF où j'ai présidé pendant neuf ans la commission de formation. Je préside actuellement le Conseil économique et social de la Région Rhône-Alpes. Le premier vice-président en est M. Jean Vanoye.

M. Jean VANOYE - De mon côté, je milite à la CFDT. J'ai eu des responsabilités nationales dans cette organisation à l'époque où Mme Nicole Notat était à sa tête. Depuis quelques années, j'ai fait le choix de participer aux travaux du Conseil économique et social de Rhône-Alpes. J'ai gardé, toutefois, des responsabilités à la CFDT où je suis de près tout ce qui relève de l'exclusion.

M. Bruno LACROIX - Revenons tout d'abord sur la raison pour laquelle notre Conseil économique et social est très attaché au thème dont il est question ici. Dans le cadre de mes engagements, je me suis toujours intéressé de près aux problèmes d'insertion, d'orientation et de réorientation. Or au cours de notre dernière demi-mandature, commencée il y a plus de trois ans, il m'a semblé qu'un sujet avait été négligé par le CES. Il s'agit des causes de l'exclusion et des actions que nous pouvons mener sur elles en amont du monde de l'entreprise. Je laisse M. Jean Vanoye, qui a suivi le dossier, vous faire la présentation de notre travail. Vous nous avez posé une question délicate sur la responsabilité sociale des entreprises. Si vous le voulez bien, j'y répondrai après la présentation de M. le vice-président Vanoye.

M. Jean VANOYE - Dans la région Rhône-Alpes, le militantisme contre l'exclusion a déjà une longue histoire. Nous travaillons depuis deux ans sur le sujet avec l'idée d'anticiper et de prévenir les situations d'exclusion. En la matière, nous avons la chance de collaborer avec la Mission régionale d'information sur l'exclusion, dont l'action a malheureusement toute sa pertinence en Rhône-Alpes. Fondée il y a une quinzaine d'année, cette structure est animée et pilotée par les partenaires sociaux que sont l'Etat, la Région et les départements. Sa fonction est d'observer la réalité et d'aider les acteurs de la lutte contre l'exclusion à agir de manière efficace en les appuyant dans leurs démarches. Par ailleurs, elle joue un rôle d'alerte à l'intérieur de la Région en y présentent, tous les ans, un dossier faisant le point sur l'état de l'exclusion. Elle favorise ainsi la prise de conscience nécessaire du problème, étant entendu que nous ne réussirons pas à le solutionner si nous ne parvenons pas à mobiliser les personnes qui se trouvent elles-mêmes en situation d'exclusion. La Mission régionale d'information sur l'exclusion de la région Rhône-Alpes représente donc un acteur de référence pour nous.

Nous avons associé à notre travail le collectif ALERTE, réunissant les associations de lutte contre l'exclusion, ainsi que des chercheurs réfléchissant sur le thème « territoire et exclusion ». Les travaux de ces derniers nous ont beaucoup aidés.

Ce mouvement que nous mettons en route et qui rassemble différents acteurs est repris dans le cadre de l'Assemblée des conseils économiques et sociaux régionaux de France où vient d'être mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir à la manière de résoudre les problèmes d'insertion et d'exclusion. L'un de ses objectifs est d'intervenir sur le sujet lors du prochain congrès de l'Association des Régions de France, en décembre 2008. Le Conseil économique et social de Rhône-Alpes pilote cette démarche avec notamment comme objectif de changer les modes de relation qu'il peut entretenir avec les décideurs : les instances déconcentrées de l'Etat, la Région et les responsables politiques. Jusqu'à présent, nous nous contentions d'établir des rapports et d'en observer la mise en oeuvre. Nous aspirons à nous orienter vers une démarche plus vivante et interactive consistant, par exemple, à réunir l'ensemble des partenaires autour d'une table pour discuter des préconisations contenues dans ce document. Nous voulons organiser une conférence de partenaires où les décideurs, dont nous ne sommes pas, interviendraient sur les questions que nous leur soumettrions.

L'esprit dans lequel nous agissons est conforme à notre volonté d'anticiper et d'analyser les causes de l'exclusion. Nous considérons les processus d'exclusion comme une suite d'engrenages. C'est ainsi que nous avons mené un travail destiné à établir un arbre des causes de l'exclusion. Notre idée est que, dans les parcours de vie des hommes et des femmes, interviennent des moments qui représentent des tournants, des ruptures, à partir desquels l'engrenage de l'exclusion est susceptible de s'enclencher. Pour constituer cet arbre, nous avons adopté la vision la plus systémique possible en identifiant les moments critiques, les solutions envisageables et les leviers sur lesquels il nous est possible d'agir pour lutter contre l'exclusion. Notre but est d'éviter que les personnes se retrouvent sur le bord de la route.

Je ne reviendrai pas sur toutes les préconisations contenues dans le document, de manière à ce que nous puissions échanger. Ma présentation sera axée sur trois thématiques que nous jugeons décisives et dont nous souhaitons débattre lors de notre conférence de partenaires, dont le premier rendez-vous est fixé le 10 juin prochain. Nous traiterons à cette occasion du parcours du jeune et de sa famille, puis des temps de rupture et des difficultés rencontrées dans la lutte contre l'exclusion. L'idée qui sous-tend ces réunions est de toujours partir de bonnes pratiques et de nous en servir de références pour amener les politiques nationales, régionales et départementales à évoluer. Nous souhaitons éviter que ne perdurent certaines situations improductives que nous déplorons. Les bonnes pratiques sont en effet souvent ignorées des échelons politiques supérieurs.

Les trois thématiques dont je souhaite vous parler sont les suivantes : le parcours du jeune avec sa famille, l'accès à l'emploi et la participation des personnes en situation d'exclusion. Nous aborderons le premier sujet et la lutte contre l'illettrisme dans l'entreprise le 10 juin prochain où nous avons prévu, par ailleurs, de faire intervenir une association d'étudiants, l'AFEV, riche d'une dimension nationale et très implantée au niveau régional. La particularité de cette association est que ses membres, tous étudiants, se rendent dans des familles pour apporter un accompagnement aux jeunes. Cette manière de procéder consistant à « aller vers » et non pas à « faire venir » me semble une condition clef du succès.

Nos réflexions autour de cette première thématique ont mis en évidence la nécessité de favoriser l'acquisition des fondamentaux, de diversifier les itinéraires, de mettre en place des passerelles et des compensations possibles et d'améliorer l'orientation, décisive dès le primaire et le collège. Le conseil économique et social national a tenu des assises de la jeunesse. Nous avons, quant à nous, organisé une convention pour traiter de la situation des jeunes. Or, lors de ces deux manifestations, la principale question que les adolescents nous ont posée a porté sur leur orientation. Ceux-ci souffrent d'une méconnaissance des métiers existants et se plaignent de ne pas avoir de projets professionnels et personnels très clairs. Nous avons pu prendre acte de leur très forte insatisfaction vis-à-vis du système éducatif dans ces domaines.

Nous nous sommes beaucoup intéressés au phénomène du décrochage scolaire, en particulier au niveau des collèges, et notre travail sur le sujet a abouti à une délibération au conseil régional. Ce décrochage se produit ailleurs qu'en France. Il a une dimension européenne, voire mondiale. C'est pourquoi nous rencontrons la semaine prochaine des Québécois pour aborder avec eux cette problématique.

Par ailleurs, nous avons proposé de mettre en place une politique régionale de lutte contre l'illettrisme, reposant sur deux idées fortes : nous n'aiderons les jeunes en difficulté que si nous tenons compte dans nos démarches de leurs familles et parents ; le système éducatif n'évoluera que s'il laisse une place au territoire éducatif. Il doit y avoir une interactivité entre l'ensemble des établissements scolaires et leurs territoires environnants.

Concernant l'emploi, dans la région Rhône-Alpes, Schneider Electric mène, avec d'autres entreprises, une action pour lutter contre l'exclusion. Cette opération vise des jeunes des quartiers délaissés ayant des difficultés à s'insérer socialement à leur sortie de l'école. Elle connaît des résultats significatifs. Alors que ce type d'initiative se traduit généralement par des taux de réussite de l'ordre de 20%, les pourcentages obtenus ici dépassent les 50 %. Il s'agit d'un programme très lourd, amenant des jeunes à rencontrer à plusieurs reprises une série de chefs d'entreprises. Les réunions s'étalent sur une période de trois ou quatre mois. Cette opération menée par Schneider Electric relève de domaines à la fois curatif et préventif. Elle a lieu à la sortie du système scolaire et sert à prévenir l'exclusion de jeunes.

Une intervention emblématique, baptisée Mode d'emploi, a été mise sur pied. Elle consiste en une approche réparatrice dans laquelle M. Bruno Lacroix s'est beaucoup impliqué. Elle nous a permis de procéder à l'embauche de plusieurs centaines de personnes adultes. Elle réside, en effet, dans des actions d'insertion, très nombreuses dans la Région Rhône-Alpes. Si celles-ci, très souvent, s'inscrivent dans une logique curative, nous souhaitons, de notre côté, amener les opérateurs à se servir de l'expérience qu'ils ont acquise sur le terrain pour anticiper et éviter l'exclusion, notamment en favorisant la mobilité des personnes exclues, un sujet au coeur de nos discussions. Les individus les plus en difficulté ne quittent presque jamais leurs quartiers en ville et rencontrent de nombreuses difficultés pour circuler à la campagne. La réussite d'un parcours de vie exige de la mobilité. Nous devons réussir à mettre en place, au sein du territoire, les dispositifs collectifs permettant aux personnes de se déplacer aisément.

Un Grenelle de l'insertion s'est tenu à Lyon. Il a donné lieu à une discussion un peu tendue avec Martin Hirsch. En effet, la mobilité n'a pas selon nous uniquement une dimension géographique et professionnelle. Elle renvoie aussi à la capacité d'une personne à rebondir au cours sa vie, quelles que soient les péripéties qu'elle connaît. Nous avons beaucoup réfléchi à ce sujet et nous souhaitons qu'il soit appréhendé dans toute sa globalité dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

La troisième thématique que je souhaite évoquer concerne la participation. Notre conseil économique et social régional se trouve dans une région où la démocratie participative constitue un sujet sensible. Or celle-ci n'a de sens que si ceux qui ne contribuent jamais aux débats et prises de décisions y participent enfin.

Parmi le groupe de chercheurs réfléchissant sur le thème « Territoire et exclusion », certains, réunis dans un laboratoire appelé Odenor, ont montré, au travers de nombreuses études, que, par manque de connaissance, de nombreuses personnes ne recourent pas aux droits et services auxquels elles ont droit. De fait, il existe, dans notre région, toute une réflexion sur la façon d'informer les citoyens de leurs droits. Seule une petite minorité des gens en connaît tous les arcanes. L'immense majorité de la population n'est pas au courant de ses droits et n'a pas recours aux dispositifs existants. Elle ignore leur existence. Pour remédier à ce problème, nous allons créer des liens avec des groupes de personnes en situation d'exclusion et avec lesquelles la Mission d'information sur l'exclusion travaille. Nous souhaitons bénéficier le plus possible de leurs interventions.

Je vous ai présenté une brève synthèse des travaux que nous menons. Je remettrai à Mme la Présidente et à M. le rapporteur, Bernard Seillier, le document qui les présente. Son rapporteur en a été un membre du troisième collège du conseil économique et social régional : la Fédération des oeuvres laïques. Par conséquent, le sujet a bénéficié d'un traitement patronal, syndical et associatif et a fait l'objet d'une unité de vue de la part de ses trois acteurs.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci Monsieur Vanoye. Je donne la parole à notre rapporteur, Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis assez embarrassé. Je ne souhaite pas que ma question fasse l'impasse sur la richesse de l'expérience que vous nous avez rapportée. Vous avez incontestablement de l'avance, dans votre réflexion, par rapport à un certain nombre d'autres acteurs. J'y suis sensible, étant membre du Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, lequel a été élargi, dans sa composition, aux partenaires sociaux en 2005. Je ne voudrais pas qu'une question mal posée réduise la problématique que vous avez soulevée.

Je ne souhaite pas que nous ajoutions de nouvelles charges aux entreprises. Or ce qui est en jeu ici est, à mes yeux, très ambitieux. Il s'agit des nécessaires mutations de notre façon de vivre en société, des relations que les personnes entretiennent entre elles et de leur manière d'envisager l'entreprise.

Nous avons auditionné Patrick Viveret sur le sujet. Celui-ci s'intéresse aux instruments de mesure de l'exclusion et de la pauvreté, très incomplets, voire médiocres selon lui, comme en témoigne l'exemple suivant. Ainsi, si la naissance de dix porcelets est considérée, du point de vue de la comptabilité nationale, comme une augmentation du PIB par habitant - le numérateur permettant de calculer cette valeur croissant en effet à cette occasion -, la venue au monde de dix enfants, elle, se traduit par une baisse du PIB, le dénominateur servant à la mesure de cette donnée augmentant en effet. De même, un accident de la route entraînant la mort d'une personne détentrice d'une assurance-vie représente, en comptabilité nationale, un enrichissement, les flux financiers occasionnés par le décès étant reportés sur les comptes de la Nation.

Nous devons donc nous interroger pour savoir comment il est possible de mesurer la richesse à partir de données autres que strictement fiduciaires. Nous avons besoin d'enrichir nos outils d'évaluation, en prenant en compte la richesse de la relation interpersonnelle. L'échange n'est pas uniquement marchand. Il est aussi relationnel et il serait souhaitable de considérer la société comme étant multidimensionnelle, faite de rapports entre individus à valoriser. Nous voyons bien, dans le cadre des expériences qui sont les nôtres, que ces rapports jouent un rôle clef. Certaines personnes, qu'on pouvait croire définitivement cassées, peuvent ainsi ressusciter grâce au bénéfice qu'elles tirent d'un environnement humain retrouvé et redevenir imaginatives, créatrices et inventives.

Voilà la raison pour laquelle il n'est pas opportun d'adopter systématiquement de nouveaux projets législatifs ou réglementaires pour agir. Ce qui est essentiel réside dans l'action préventive, laquelle oblige à réanimer la société. Il ne s'agit pas de supprimer ce qui existe, mais d'enrichir ce qui est déjà en place. Je pense que nous nous sommes endormis sur nos lauriers quand, en 1989, l'empire soviétique s'est effondré. Nous avons considéré cet évènement comme étant le triomphe d'une forme de démocratie et de modèle économique axé sur les échanges commerciaux, oubliant qu'une autre analyse en était possible.

Messieurs, la raison de l'invitation que nous vous avons adressée, et à laquelle je vous remercie d'avoir répondu, réside dans intérêt que nous portons à votre travail. Aussi il serait intéressant que nous restions en contact pour bénéficier de vos documents. Par ailleurs, nous voudrions savoir ce que deviennent les conférences thématiques que vous avez lancées et connaître le fond de votre pensée sur la vie économique et sociale contemporaine. Quels seraient les actions à mettre en place prioritairement, notamment en matière de qualité de vie, pour débloquer la situation ? J'ai en effet l'impression qu'en France, la société est figée. Nous dépensons une énergie considérable au travers d'associations et d'entreprises. Mais, faute de mettre le doigt où il le faut, nous ne parvenons pas à résoudre les problèmes. Le conseil économique et social national a constitué le moteur de la lutte contre la pauvreté en France. Ses rapports ont été à l'origine de bien des actions et sont régulièrement discutés au sein du parlement.

Je n'ai pas de question précise ou technique à vous poser. Mais j'ai le sentiment que nous pouvons avoir avec vous une discussion, non pas formelle, mais technico-philosophique. Comment, selon vous, les responsables d'entreprises, syndicalistes et hommes politiques peuvent-ils unir leurs efforts pour faire évoluer les choses ?

M. Bruno LACROIX - L'approche française de ce qui relève de l'insertion est un peu particulière. La société américaine ne se pose absolument pas les questions que nous nous posons dans ce domaine. Elle raisonne d'abord en termes économiques. Ce n'est que, dans un deuxième temps, que le corps social prend en main les problèmes de société. Cette manière de procéder n'est d'ailleurs pas si mauvaise. Le taux de chômage se révèle plutôt faible aux Etats-Unis et l'exclusion n'y dure pas forcément longtemps.

Le Canada, lui, brille par sa capacité de recherche anticipatrice sur tous les facteurs humains et les innovations dont il peut faire preuve, notamment dans les secteurs de la formation et de l'orientation. Les systèmes et les modèles que nous avons mis en place en France dans ces domaines ne sont pas nécessairement les plus appropriés. Dans notre pays, la formation rime avec stage, lequel ne saurait constituer une solution adéquate pour une population en manque de diplôme. Celle-ci aurait plus besoin, pour leur avenir, d'une formation permanente et accessible sur le lieu de travail. Or, à ce jour, j'ignore comment il est possible de faire bénéficier les personnels travaillant en milieu industriel et ayant des niveaux de qualification très faibles du droit individuel à la formation (DIF). Par exemple, les opérateurs de montage ne savent pas forcément lire, écrire et compter.

Les sociétés asiatiques, elles, sont très dures et celles, européennes, très variées. La situation de notre pays n'étant pas forcément la plus reluisante, il convient de regarder quelles sont les pratiques mises en place dans un certain nombre d'Etats tels que l'Allemagne. Observons ce qui se fait ailleurs !

Mon deuxième propos peut sembler contradictoire avec celui que je viens de vous tenir. Mais il n'est pas de la responsabilité première des entreprises d'insérer ou de réinsérer les populations souffrant d'exclusion. C'est pourquoi je parlerai plutôt de rôle social plutôt que de responsabilité sociale des entreprises qu'elles n'ont pas. Il s'agit d'un leurre de croire cela. Cependant, elles jouent un rôle essentiel dans la société. En effet, rien ne peut s'effectuer sans elles, même si elles ne peuvent pas tout faire. L'exclusion se met en place bien avant l'arrivée sur le marché du travail des demandeurs d'emplois. Une grande partie de ses causes est à chercher dans des problèmes familiaux, de formation, de mobilité, etc. Selon les statistiques, 10 % des élèves sortent de l'école primaire sans savoir, lire, écrire et compter. L'entreprise ne peut pas se substituer à l'école. Compter sur elle pour réparer les pots cassés n'est pas forcément la meilleure des solutions, même si elle parvient à réinsérer une partie des personnes en perdition.

Voilà la raison pour laquelle elle est indispensable. Elle permet de combler des retards et de remettre petit à petit au travail des individus ayant suivi des parcours chaotiques. En tout état de cause, plutôt que de juger ces derniers, il faut accepter que certains d'entre eux aient besoin de passer de CDD en CDD pour obtenir des acquis. Chacune de leurs expériences professionnelles leur permet d'aller plus loin et de se familiariser avec l'entreprise. Si nous interdisons les CDD à cette population, nous la lèserons.

M. Jean DESESSARD - La question est-elle posée ?

M. Bruno LACROIX - Des critiques sont souvent formulées au sujet de la multiplication des CDD. Parfois, en France, nous avons tendance à prendre des dispositions qui vont à rebours de ce qui se construit, fut-ce dans la difficulté.

A partir du moment où le recrutement devient ardu, les entreprises ont intérêt à faire en sorte d'attirer des salariés, ce qu'elles n'ont pas encore l'habitude de faire, alors même qu'il devient difficile aujourd'hui d'embaucher dans des zones géographiques et dans des filières de métiers. Dans la Vallée d'Aspe, par exemple, elles ne se sont pas encore mobilisées, en lien avec les acteurs locaux, pour rendre le lieu de travail qu'elles proposent attractif. Il leur faudrait créer de l'habitat et mettre en place des navettes pour transporter leurs personnels. Disposer de salariés implique, en effet, de les déplacer et de les loger. Tant que leur passivité durera, ces établissements n'auront pas la main d'oeuvre dont ils ont besoin.

Cette difficulté de recruter illustre bien les difficultés de notre pays. La France compte près de 2 millions de chômeurs et environ 800 000 offres d'emplois non satisfaites. Le nombre de demandeurs d'emploi pourrait diminuer de moitié si nous réussissons à faire se rencontrer l'offre et la demande de travail. Mais pour l'instant, personne ne sait comment il est possible d'y parvenir.

M. Jean VANOYE - Les connexions entre l'offre et la demande de travail s'effectuent mal.

M. Bruno LACROIX - Il s'agit de l'une des difficultés majeures auxquelles nous nous heurtons aujourd'hui. L'enjeu est de savoir de quelle manière il faut procéder pour que les 2 millions de personnes au chômage bénéficient du besoin de recrutement des entreprises. Le manque d'adéquation entre les compétences du demandeur d'emploi et ce que recherchent les sociétés est réel dans un certain nombre de métiers. Mais les entreprises, si elles en ont besoin, sont tout à fait capables de former leurs salariés. Elles disposent d'outils et d'organisations professionnelles et interprofessionnelles pour agir dans ce domaine. Par ailleurs, de nombreux emplois ne nécessitent pas de qualifications très pointues.

Une fois les personnes recrutées, la formation en entreprise peut faire son oeuvre. Aujourd'hui, avec la pénurie de cadres qui se profile, les sociétés se tournent vers les universités pour embaucher des personnes, par exemple d'anciens étudiants en lettres, qu'elles n'auraient jamais choisies il y a quelques années. Elles en sont venues à rechercher d'abord des gens dotés d'un certain comportement, obéissant à une certaine méthodologie et à un mode de fonctionnement intellectuel ; des personnes qu'elles forment ensuite aux métiers qui seront les leurs.

En résumé, l'entreprise se plaint du manque de formation des candidats lorsqu'elle peut recruter facilement, mais sait s'adapter à cette difficulté quand le marché de l'emploi devient tendu. Elles peuvent donc jouer un rôle important dans la résolution des problèmes d'exclusion.

M. Jean VANOYE - Par les opérations qu'elle mène, Schneider Electric joue un rôle social. Pour ma part, je préfère parler de responsabilité sociale plutôt que de rôle social des entreprises.

M. Bruno LACROIX - Ce point nous sépare.

M. Jean VANOYE - En parlant de responsabilité, je ne me réfère pas au diptyque « responsable-coupable », mais au fait que la sortie de l'exclusion passe par le travail.

Nous collaborons beaucoup avec le monde associatif. Pourtant, une partie des représentants de la FNARS affirme que les personnes ont bien le droit de vivre sans travailler. Le militant de la lutte contre l'exclusion que je suis ne partage pas du tout ce point de vue.

La responsabilité sociale des acteurs économique n'engage pas uniquement les entreprises privées. Elle concerne aussi la fonction publique. Or je suis au regret de constater que l'intégration, la prise en compte et l'embauche de personnes en situation d'exclusion sont encore plus mal traitées dans le public que dans le privé. En Rhône-Alpes, toute une série d'initiatives a été adoptée, mettant en avant cette responsabilité sociale. Elles portent toutes sur des entreprises. La MRI a, par exemple, réalisé un cédérom présentant les expérimentations menées par une cinquantaine de PME dans l'embauche de personnes en situation d'exclusion. La difficulté rencontrée dans la mise en oeuvre de ce projet a été de faire parler les responsables des entreprises concernées qui ne souhaitent pas forcément communiquer sur leurs démarches. Il s'agit peut-être d'un travers lyonnais. A Grenoble, les entreprises ont tendance à s'exprimer davantage sur ce qu'elles font.

L'institut Montaigne a repris, dans une plaquette, une partie de notre travail auquel j'ai participé à la demande d'ATD Quart-Monde et d'Emmaüs et qui porte sur la manière, devenue déterminante aujourd'hui, de recruter autrement dans les entreprises. Il n'est plus question pour elles de se baser uniquement sur les diplômes des candidats, mais de leur faire pratiquer des entretiens, des mises en situation et des mises au travail. Par le passé, M. Henri Lachmann a animé un groupe de travail sur le sujet. La Mission régionale information-exclusion en Rhône-Alpes et l'Institut Montaigne ont recensé toute une série de bonnes pratiques sur cette nouvelle manière de procéder. Celles-ci montrent qu'un certain nombre d'entreprises parviennent à sortir de la mécanique habituelle du recrutement, laquelle est très excluante.

Des méthodes fonctionnent en matière d'insertion. Je me souviens très bien de la première opération que j'ai effectuée avec ATD Quart-Monde en 1990. Elle nous avait permis de faire embaucher des personnes à la régie de transport de Lyon et dans d'autres entreprises, en particulier une dont le responsable m'avait dit à propos d'un individu presque inemployable mais recruté qu'il n'était pas celui qui lui posait le plus de problèmes.

Notre problème est que nous ne parvenons pas à démultiplier les expériences positives développées sur le terrain et à les traduire dans les politiques publiques et les programmes des partenaires sociaux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Concernant la responsabilité sociale des entreprises, nous pouvons constater le rôle important tenu par les entreprises dans le règlement des problématiques sociales. Le terme de responsabilité est plus engageant pour elles que celui de rôle.

Quelles sont, dans la société, les références en matière d'insertion sociale et professionnelle réussie? Trop de jeunes adolescents appartiennent à des familles éclatées. Par ailleurs, l'école constitue un milieu difficile à vivre, hormis pour quelques-uns qui y réussissent aisément. L'échec scolaire est tel que des Missions locales accueillent des jeunes qui ne veulent plus entendre parler d'enseignement. Enfin, l'armée, autrefois, au travers de la conscription, participait beaucoup de l'insertion. Sa professionnalisation s'est traduite par la disparition d'un lieu de convivialité et d'apprentissage des relations humaine, sociale et professionnelle pour beaucoup de jeunes. Quels sont aujourd'hui les milieux permettant cet apprentissage ?

M. Jean VANOYE - Il ne reste plus que le travail.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il ne reste plus que le travail et l'entreprise. La mise en avant de la responsabilité sociale des entreprises ne consiste pas à imposer une charge de travail supplémentaire aux sociétés, mais à poser un constat. L'entreprise représente le seul endroit où nous pouvons entretenir des relations normales basées sur l'autodiscipline et la discipline collective, et pouvant être conviviales. Je me souviens à ce propos d'une anecdote de Bernard Tapie, datant de l'époque où tout le monde parlait de lui. Il venait de racheter une grande entreprise et disait qu'il avait suffi de cette reprise pour que tous les salariés passent de la honte de travailler dans une firme condamnée au dépôt du bilan à de la fierté d'appartenir au groupe Tapie. Il s'agit juste d'un exemple. Mais il est évident que chacun a besoin d'un milieu humain porteur pour procéder à des efforts.

La prévention de l'exclusion passe par le développement d'un climat de confiance, aussi bien dans la société en général que dans les entreprises, écoles et universités. A partir du moment où nous aimons vivre quelque part, nous apprécions d'y travailler. De ce point de vue, le dialogue entre les syndicats de salariés et patronaux recèle de véritables perspectives. Je crois assez peu que seules des agences de notation suffiront à convaincre des entreprises d'assurer une responsabilité sociale. En revanche, valoriser leur image pourrait être très utile et efficace. Malheureusement, celle-ci est assez négative en France. Mais peut-être pouvez-vous parvenir à la faire évoluer ? Le MEDEF, la CGPME, la CGT, la CFDT et FO, sont bien les acteurs susceptibles d'agir de manière efficace dans ce domaine. Je sais que Mme Laurence Parisot est très sensible à ce sujet. Si un climat de confiance pouvait s'instaurer entre les gens, nous réussirions à leur redonner le goût de travailler et d'apprendre à l'école. Il faudrait revaloriser la relation au travail.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'entreprise a aussi un rôle socialisant. Vous avez aussi abordé la difficulté de recruter dans certains territoires et métiers. Il s'agit d'une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés dans nos départements. Je me demande donc si les politiques peuvent améliorer l'articulation entre l'école et l'entreprise. Cette prise de contact, qui aurait lieu l'entrée des jeunes à l'université, permettrait à ces derniers de découvrir ce qu'est le travail.

Les métiers ayant du mal à recruter sont souvent proposés par des TPE et des PME : restauration, bâtiment, etc . Ils concernent des entreprises qui n'ont pas de temps à consacrer à une démarche d'embauche sophistiquée. Elles recourent généralement à l'ANPE ou passent par leurs connaissances pour recruter. Ne serait-il pas possible pour elles, en se regroupant, d'anticiper leurs difficultés à embaucher ? Il s'agirait également de mettre en place un apprentissage aux habilités sociales et professionnelles. C'est de la sorte que nous pourrions répondre aux besoins en recrutement dans les métiers et territoires concernés. Nous pourrions imaginer que les acteurs économiques reçoivent, pour ce faire, le concours des acteurs politiques locaux.

M. Bruno LACROIX - Agir dans ce domaine n'est pas facile, car l'entreprise fait encore aujourd'hui l'objet d'une vindicte idéologique, notamment dans le cadre du système éducatif dont les rapports avec l'ensemble du monde économique ne sont pas aussi fluides qu'ils devraient l'être. Pourtant, il serait nécessaire qu'ils le deviennent pour préparer les jeunes au monde du travail et leur faire connaître les métiers de leurs choix.

M. Jean DESESSARD - Il y a de plus en plus d'interventions dans ce domaine, prenant la forme, par exemple, de stages découverte en entreprise, réservés aux collégiens de quatrième et de troisième. Ces stages sont très appréciés.

M. Bruno LACROIX - Les métiers ayant du mal à recruter ne concernent pas uniquement les petites entreprises. Ils touchent aussi l'hôtellerie. Or nous ne pouvons pas considérer que le groupe Accor entre dans la catégorie des très petites entreprises.

Je me demande, par ailleurs, si une partie de la population a réellement envie de travailler. Je possède deux établissements à Vénissieux où, à la demande du maire de cette commune, nous avons participé à une grande exposition destinée à présenter l'activité industrielle des entreprises installées sur ce territoire. L'objectif, avec cette manifestation, était de rapprocher les jeunes des acteurs économiques locaux. Ils n'auraient eu aucune difficulté à se déplacer pour venir travailler s'ils avaient été recrutés. Or l'opération ne nous a permis d'en embaucher aucun, alors que le taux de chômage des jeunes sur ce territoire est compris entre 30 % et 40 %. Dans ce contexte, nous nous posons un certain nombre de questions.

Par ailleurs, une partie de la population est prisonnière de phénomènes communautaires, de blocs familiaux dont elle n'arrive pas à se défaire. Je ne suis pas sociologue, mais il me semble nécessaire de réfléchir à ce problème pour y remédier. Nous peinons à attirer un certain nombre de jeunes dans nos entreprises. Ils se présentent rarement à nous et ceux qui nous sollicitent ne restent pas toujours longtemps parmi nous. Ils viennent pour une journée d'essai, puis nous quittent, épuisés par les huit heures de travail qu'ils ont effectuées, préférant s'investir dans des activités souterraines, faire du business . Les phénomènes d'exclusion sont complexes à comprendre et ils le sont encore plus dans certaines banlieues. Une partie de la population qui y vit sait très bien se défendre. Elle sauvegarde son business . Cet état de fait complique l'analyse.

L'entreprise représente bien le lieu de l'insertion idéal. Mais l'emploi industriel se réduit et les sociétés, contrairement à auparavant, ne réussissent plus à absorber les populations agricoles déracinées et immigrées, rendant l'insertion des personnes à faibles niveaux de connaissance encore plus compliquée, celles-ci ayant surtout recours aux emplois industriels à faible qualification. Il existe donc un risque, celui de voir les emplois vers lesquels nous nous tournons dans le cadre des politiques d'insertion se raréfier.

La région Rhône-Alpes est très riche en matière de dispositifs de lutte contre l'exclusion et il serait intéressant d'en explorer et d'en faire découvrir toute la diversité. En plus du programme « Mode d'emploi », qui a pour objectif de réinsérer des adultes, nous bénéficions d'un système d'accompagnement exceptionnel incarné notamment par le Groupe pour l'emploi des probationnaires (GREP). Beaucoup d'initiatives ont aussi été mises en place dans nos territoires dans le domaine de l'insertion.

Je conclus mon intervention en abordant un sujet qui me tient à coeur et sur lequel je me suis beaucoup investi. Il s'agit de notre système éducatif, lequel apporte toujours aussi peu de réponses aux attentes des jeunes. Nous avons proposé de nombreux outils prêts à l'emploi aux établissements de l'éducation nationale pour leur permettre de faire face aux besoins d'orientation des élèves. Mais aucun n'a été accepté. Le système éducatif n'a toujours pas compris combien il est nécessaire d'aider les jeunes à construire leur projet personnel. Travailler avec eux dans ce sens est fondamental. Rien n'existe pourtant à ce jour pour le faire, alors que les adolescents scolarisés demandent avec insistance de l'aide. Nous avons créé l'offre. La demande existe. Il faudrait juste que le milieu scolaire se sente assez concerné par le sujet de l'insertion professionnelle pour permettre à cette offre et cette demande de se rencontrer.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il faudrait proposer des stages aux instituteurs.

M. Jean VANOYE - Ce type d'actions existe déjà. Mais nous peinons à les généraliser. Une partie du système éducatif est encore très hermétique au monde de l'entreprise.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - L'année dernière, nous avons commis un rapport sur la formation professionnelle, dans lequel nous avons proposé aux personnes en charge de l'orientation de prendre le nom de conseillers professionnels psychologues au lieu de conseillers psychologues, de manière à mettre en évidence que leur connaissance des professions doit primer avant tout. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Tout à l'heure, une responsable de Manpower nous a indiqué que les travailleurs sociaux représentent les interlocuteurs vers lesquels les personnes en situation d'exclusion sont automatiquement dirigées. Or celles-ci ne souffrent pas nécessairement de problèmes sociaux. Leur besoin peut très bien se résumer à trouver un travail. Les psychologues ne doivent pas être systématiquement mobilisés dans les politiques d'insertion.

M. Jean VANOYE - Nous ne pouvons pas méconnaître les conséquences de 35 années de gestion sociale du chômage. Je me souviens d'une période lointaine où il était considéré que la France exploserait si elle comptait plus d'un million de chômeurs. Le pays a résisté mais il est devenu angoissé. Ce à quoi nous sommes confrontés avec les jeunes générations est le fruit d'une longue histoire. Entre 1973 et 1974, j'ai travaillé avec Bertrand Schwartz lors du lancement de ses premières opérations dans les quartiers. A cette époque, la situation actuelle n'existait pas les choses étaient différentes.

M. Guy FISCHER - Vous avez souligné la baisse de l'emploi industriel, le manque de formation des jeunes et l'inadaptation de l'éducation nationale face aux enjeux contemporains. Autant de réalités qui amèneront, selon le rapport de la MRI, à une explosion du travail précaire. Une partie de notre population sera confinée à ce type d'emplois.

M. Bruno LACROIX - Votre raisonnement ne tient pas compte de la démographie. Aujourd'hui, beaucoup de personnes partent à la retraite et les entreprises ont besoin de les remplacer. De fait, il existe, depuis quelques années, un énorme besoin d'embauches, lequel se traduit aujourd'hui par des difficultés de recrutement. L'emploi précaire n'est donc pas appelé à croître. Cependant, nous aurons de plus en plus de peine à trouver des postes permettant à des personnes à faibles qualifications d'effectuer leurs premiers emplois. Ainsi, certaines d'entre elles risquent d'être condamnées à l'exclusion.

Les emplois nécessitant de faibles qualifications sont comparables aux premières marches d'un escalier. Or ils sont menacés de disparition, ce qui pourrait empêcher les jeunes entrant vers 18 ans dans la vie professionnelle par les emplois précaires à s'insérer et à obtenir des emplois stables par la suite.

La démographie favorisera la réinsertion des personnes en poussant les entreprises à embaucher, à se mettre en quête de leurs salariés et à les former. Toutefois, il ne faut pas que leurs démarches en matière de recrutement excèdent leurs moyens et leurs compétences.

M. Jean VANOYE - Un des freins à la lutte contre l'exclusion est la faible culture territoriale qui existe en France. Notre région initie des politiques territoriales. Mais ce faisant, elle s'inscrit dans des approches « top-down » ne permettant pas toujours aux acteurs des territoires de disposer des marges de manoeuvre nécessaires pour agir efficacement. La démarche consistant à créer des activités à partir des territoires et de leurs acteurs n'est pas assez développée. Pourtant, il est possible d'utiliser les spécificités régionales qui peuvent exister pour susciter une vie économique, créer des emplois et réindustrialiser des zones géographiques. Le projet de réindustrialiser la région Rhône-Alpes fait l'unanimité et même fait l'objet d'un accord. La diversification des activités envisagées sur ce territoire pourrait, en effet, servir ce dernier. Dans la moyenne vallée du Rhône, entre soixante et soixante-dix-huit emplois ont été créés en deux ou trois ans dans un espace limité. Cette réalisation a été rendue possible par l'impulsion territoriale donnée par les acteurs locaux. De véritables accords sont intervenus entre entreprises et territoires. Cette dynamique est trop rare à mon sens, y compris dans le cadre de la lutte contre l'exclusion. L'une des raisons pour lesquelles les choses ne fonctionnent pas bien se trouve ici. Les PME et les TPE sont trop souvent isolées dans leurs démarches.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les analyses concernant la pauvreté et l'exclusion sont souvent le fruit de sociologues, d'intellectuels et de professeurs. Il faudrait que la parole des entreprises soit entendue également.

M. Jean VANOYE - Le Grenelle de l'insertion comprend énormément de spécialistes de l'insertion. D'autres acteurs doivent y participer.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Faut-il que les partenaires sociaux débattent de manière organisée sur le sujet ou devons-nous les laisser en parler librement, au gré d'initiatives individuelles ?

M. Bruno LACROIX - Je vous invite, si vous rencontrez Mme Laurence Parisot, à lui poser la question. Elle pourrait faire en sorte que la voix des entreprises soit davantage entendue.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nombre d'entreprises comme Accor ou Veolia agissent pour permettre à des personnes en situation d'exclusion de s'insérer.

M. Jean VANOYE - Un accord national a été signé entre ALERTE et certains partenaires sociaux comme le MEDEF, la CGPME, l'UPA, la CGT et la CFDT. Le vrai défi qui se pose à nous est de décliner localement ce type d'accord pour créer des passerelles permettant à des personnes exclues d'accéder à un emploi. Si ce qui est ressorti de l'accord n'est pas totalement novateur, le fait que l'ensemble des partenaires ait accepté de s'y engager est remarquable et n'a pas été assez souligné à mon avis. L'accord prévoit tout un ensemble de solutions.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous vous remercions à nouveau d'avoir répondu à notre invitation et à nos questions.

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