N° 91

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 novembre 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour la Planification (1) sur les perspectives macroéconomiques et les finances publiques à moyen terme ( 2009 2013 ),

Par M. Joël BOURDIN,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; MM. Bernard Angels, Pierre André, Joseph Kergueris, Mme Evelyne Didier, vice-présidents ; M. Yvon Collin, Mme Sylvie Goy-Chavent, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Gérard Bailly, Mme Bernadette Bourzai, MM. Jean-Luc Fichet, Philippe Leroy, Jean-Jacques Lozach, Jean-François Mayet, Philippe Paul

INTRODUCTION

Dans les circonstances actuelles, tout exercice de projection des finances publiques a un aspect irréel. L'effondrement de nombreux piliers du secteur bancaire et financier, la dévalorisation des actifs monétaires, immobiliers et financiers, la remise en cause probable de l'équilibre des systèmes de protection sociale par capitalisation, les nationalisations en cours, les projets de cantonnement avec appel aux contribuables des créances compromises des acteurs de la finance..., tout cela engagera les finances publiques en Europe et dans le Monde dans des conditions ultimes qu'il est impossible de déterminer. Nulle projection de la dette publique, nulle projection des dépenses publiques, nulle projection des prélèvements obligatoires ne peuvent être soutenues par des certitudes absolues sur l'impact de la crise financière en cours, et de la crise de l'économie réelle qui s'en suivra.

Et, il est évident que les projections réalisées en ce domaine, sans tenir compte des perspectives ouvertes par l'engagement des États pour résoudre la crise, n'ont qu'une faible portée d'autant qu'elles sont entourées de doutes sur l'ampleur de la dépression que cette crise exerce sur l'économie réelle.

Ces incertitudes majeures, et historiques, traduisent une crise dont il serait dangereux de croire qu'elle n'est qu'accidentelle. Il faut élucider pourquoi le monde développé fut, dans les dernières décennies, tant tributaire de l'endettement pour « boucler » une croissance qui semblait ne pas buter sur les capacités d'offre des économies concernées. En tout cas, contrairement à la très classique « loi de Say », « l'offre ne créa pas sa propre demande au cours de cette période ».

Quelques-unes de ces incertitudes sont aussi particulièrement regrettables. Ce sont celles qui montrent que les États, pourtant prêts à exercer leur mission de régulateurs de la crise, en sollicitant les contribuables, n'ont pas réuni toutes les conditions permettant d'identifier les pertes résultant d'un accident - car accident il y eut malgré tout - qui, pour avoir dès l'origine paru représenter un défi important, ne semblait pas, alors, impossible à circonscrire. Peut-être faut-il voir dans cette inertie le prolongement des croyances qui ont donné à l'économie financière son cadre et son influence. A tout le moins, les inconnues quant aux prolongements de la crise en cours témoignent que les pilotes de la crise n'étant pas en mesure (ou n'ayant pas souhaité) fournir les informations et prendre les décisions qui s'imposent, ont aggravé les événements en cours.

Plus fondamentalement, c'est qu'un certain aveuglement quant à la soutenabilité du sentier de croissance se soit produit qu'il faut déplorer.

Dans ces conditions, demandera-t-on, pourquoi présenter au Sénat, malgré tout, une réflexion sur les perspectives macroéconomiques et des finances publiques à moyen terme ?

La réponse est simple : si la crise de l'instant brouille les perspectives, elle conduira, du moins faut-il le souhaiter, à réestimer un certain nombre de paradigmes et elle invite ainsi à deux exercices complémentaires :

- l'élucidation autant que possible de ses impacts ;

- et la définition des politiques qu'il faudrait conduire pour la surmonter, voir pour en éviter les répétitions.

Ajoutons que les difficultés du moment ne signent pas la disparition du futur et que votre délégation a le devoir - sans doute encore plus que jamais - de remplir sa mission d'évaluation et de prospective au service du Sénat.

C'est d'ailleurs tout le rôle d'une délégation parlementaire comme la vôtre de contribuer à résorber la « crise de l'avenir », c'est-à-dire, face à la tyrannie du présent, synonyme d'anomie face au futur, de dessiner les termes d'un projet.

Sachons gré à notre Assemblée d'avoir dès 1982, c'est-à-dire à peu près au moment où la considération de l'avenir sombrait dans l'obsession du court terme, senti que la nécessité de repères structurels allait devenir de plus en plus impérieuse. Au moment où le Sénat se dote d'un nouveau Président, saluons la clairvoyance de ses prédécesseurs, qui ont constamment, malgré les modes, soutenu votre délégation et souhaitons qu'à l'avenir celle-ci, à la place modeste mais solide qui est la sienne, poursuivra et amplifiera son travail dans la complète liberté d'esprit qui inspire ses travaux et le pluralisme des points de vue qu'elle cultive.

Que dit ce rapport du moyen terme ?

La crise en cours augmente les incertitudes habituelles aux exercices de prévision et de prospective économique. Mais, au-delà de cet effet, elle conduit à réexaminer la viabilité du sentier de croissance économique emprunté depuis des années , ainsi que les principes sur lesquels il reposait.

Quant aux incertitudes, elles concernent l'ampleur et la durée du choc que représente la crise pour l'économie réelle. De l'idée qu'on peut s'en faire dépendent à la fois les perspectives économiques de court et de moyen terme et les recommandations de politique économique à formuler.

Dans ses rapports annuels consacrés aux perspectives à moyen terme de l'économie et des finances publiques, votre délégation vous propose systématiquement une évaluation des conditions économiques nécessaires à la réussite des stratégies présentées par les gouvernements successifs en matière de finances publiques. Il s'agit d'évaluer les perspectives proposées dont on sait que depuis l'entrée dans le projet monétaire européen elles sont liées aux « disciplines budgétaires » censées assurer la pérennité de l'euro.

Moyennant les quelques adaptations du cadre européen, qui sont restées malheureusement de façade, les gouvernements sont astreints à présenter des trajectoires budgétaires, toujours à peu près identiques, dont les incidences économiques et financières ne sont pas suffisamment exposées ou explorées.

L'un des objets du présent rapport, comme chaque année, consiste à élucider les présupposés économiques de la programmation des finances publiques à moyen terme proposée par le gouvernement, désormais dans le cadre d'un projet de loi.

Mais, la crise en cours invite à accentuer l'éclairage porté sur deux interrogations dont elle renforce l'intérêt :


• la première consiste à questionner un futur alternatif par rapport au « scénario central » de reprise très franche de la croissance économique qui fonde la programmation du Gouvernement : quelle est la cohérence du scénario, qu'attendre et que faire si la crise devait être plus ample et durable ?

Aux fins d'explorer ces questions, un « scénario de crise » est présenté, avec des indications sur les moyens de le juguler.


• la seconde porte sur la pertinence même des orientations qu'imprime à la politique budgétaire le cadre doctrinal et juridique européen .

Sur ce dernier point, votre délégation a continûment insisté dans le passé 1 ( * ) sur les graves lacunes de ce cadre et mis en garde contre ses effets pervers.

Elle a, en particulier, relevé les dangers d'une coordination des politiques économiques, doublement de façade parce que, d'une part, aboutissant à la négation des politiques économiques et, d'autre part, conduisant à la confrontation des économies européennes bien plus qu'à leur coordination. Ces dangers, sur lesquels votre délégation avait attiré l'attention, avaient pour noms : la paralysie des politiques économiques , la fuite dans l'endettement privé et la confrontation insoutenable des différents espaces économiques européens .

A l'heure où ces dangers s'incarnent, il semble à votre délégation plus que jamais nécessaire que l'Europe apporte sa contribution à la refondation de l' ordre économique mondial en montrant l'exemple dans son propre espace.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, votre rapporteur souhaite adresser ses remerciements aux équipes de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui ont apporté le concours très précieux de leur expertise aux réflexions exposées dans le présent rapport.

* 1 Notamment dans son rapport au titre, malheureusement, un peu prémonitoire : « La coordination des politiques économiques en Europe : le malaise avant la crise ? ». MM. Joël Bourdin et Yvon Collin. Délégation pour la planification. Rapport Sénat n° 113. 5 décembre 2007.

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