2. ...dans des conditions permettant simplement de réaliser le potentiel de croissance

Depuis la fin des années quatre-vingt, l'inflation 26 ( * ) est résorbée en France et, depuis la monnaie unique, dans la zone euro 27 ( * ) . De ce fait, on déduit que la croissance économique effective n'y excède guère, à moyen terme, la croissance potentielle .

CROISSANCE POTENTIELLE ET INFLATION

La croissance du PIB donne lieu à une déclinaison théorique dénommée « croissance potentielle », définie comme la croissance maximale à moyen terme d'une économie sans tension inflationniste.

En amont du calcul de la croissance potentielle, la production potentielle désigne le niveau de PIB maximal « soutenable » à moyen terme, c'est à dire sans susciter de tensions inflationnistes , compte tenu du taux d'utilisation des facteurs de production (capital ou travail) et des progrès technologiques ou organisationnels réalisés par ailleurs.

L'écart de production (« output gap ») est la différence entre la production effective et le niveau de la production potentielle. Au-dessus de sa production potentielle (« output gap » positif), une économie atteint ses limites en termes d'utilisation des facteurs de production. Dès lors, la rémunération d'un des facteurs augmente au-delà des revenus qu'il engendre, entraînant une hausse de la demande et donc des tensions inflationnistes. Si la situation perdure, une telle économie est alors réputée souffrir d'un problème d'« offre ». Inversement, une économie dont la production est inférieure à sa production potentielle (« output gap » négatif) suggère volontiers un problème de « demande ». Ainsi, le diagnostic global résultant de la comparaison entre croissance potentielle et croissance effective (problème d'offre ou de demande) n'appelle pas les mêmes profils d'interventions macroéconomiques (par exemple, renforcer le soutien à l'investissement des entreprises ou au pouvoir d'achat des ménages).

Le taux de croissance potentielle est le taux de croissance de la production potentielle. A un horizon de moyen terme, la croissance effective tend normalement à rejoindre la croissance potentielle, sauf si la politique économique pèse durablement sur la croissance (par exemple, pour respecter une contrainte d'assainissement budgétaire).

Sur la base de l'identité comptable [PIB = productivité du travail x emploi], la croissance potentielle à moyen terme de l'économie française, correspondant à l'évolution tendancielle de la productivité et de l'emploi, avoisinait, ces dernières années , 2 % , dont 1,7 % résulte des gains de productivité et 0,3 % de l' augmentation de la main d'oeuvre disponible 28 ( * ) .

Par ailleurs, aux États-Unis, une étude récente montre que la croissance moyenne du PIB de 2002 à 2007 (2,7 %) n'y aurait guère excédé celle de la croissance potentielle moyenne (2,6 % sur la période) 29 ( * ) , malgré un endettement en forte croissance qui a nourri la demande ( infra ).

Ainsi, sans le recours accru à l'endettement constaté au cours des dix dernières années, la croissance, aurait suivi un chemin moins favorable, situé en dessous de son potentiel .

Le graphe suivant montre qu'en France, la croissance déséquilibrée du milieu des années soixante-dix au début des années quatre-vingt, caractérisée par un partage de la valeur ajoutée se déformant au profit des salariés et nettement inflationniste, a depuis laissé la place à un régime de croissance non inflationniste.

En premier lieu, le constat d'une croissance non inflationniste alimentée par un endettement accru pose la question du caractère soutenable, à long terme, des termes actuels du partage de la valeur ajoutée .

Si un endettement croissant des ménages conditionne la poursuite de la croissance économique à un rythme proche de son potentiel, il ne peut, à terme, que s'ensuivre des difficultés liées à la solvabilité des ménages, dont la crise des subprimes américaine a fourni une parfaite illustration :

A contrario , une décrue de l'endettement déboucherait sur une croissance sous-optimale, c'est-à-dire inférieure à la croissance potentielle.

En second lieu, il se peut qu'au sein même de la part de la valeur ajoutée consacrée à la rémunération du travail, des inégalités salariales croissantes se soient accompagnées (pour partie en la suscitant, pour partie en y étant conditionnée) d'une accélération de l'endettement des ménages les moins aisés . Ce constat peut, sans conteste possible, être dressé aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, la hausse des revenus réels s'est interrompue pour 95 % d'américains malgré une part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée peu évolutive

« Historiquement, le partage de la valeur ajoutée aux Etats-Unis oscillant autour d'une ligne horizontale, on ne peut mettre en évidence une dérive tendancielle au détriment de la part des salaires. Celle-ci, de 64 % au milieu des années 1990, a atteint 66,2 % en 2001, avant de revenir à 65 % l'an dernier. Les gains de productivité ont été très substantiels, près de 3 % l'an en moyenne depuis cinq ans. Le marché du travail a renoué avec le plein emploi. Pour autant, l'Américain moyen n'a pas vu sa rémunération réelle vraiment s'améliorer.

« Le «Current Population Report» publié par le Census Bureau le mois dernier a fait état d'une hausse du revenu du ménage médian de 1,1 % en volume en 2005, la première depuis 1999. Pour reprendre la question posée par I. Dew-Becker et R. Gordon : «Où sont passés les gains de productivité ?» Pour reconstituer ce puzzle, il faut se pencher sur l'évolution des disparités de revenus. Le creusement des inégalités de rémunération n'est pas un phénomène récent. La part du revenu national qui échoit au quintile supérieur de la distribution des rémunérations est passée de 43,6 % en 1975 à 48,7 % en 2000, et à 50,4 % en 2005. Le ratio du 90 ème centile au 10 ème , de 8,5 il y a trente ans, atteignait 10,1 en 1995 et 11,1 l'an dernier. Ce constat ne donne, toutefois, qu'une vue très partielle de la dynamique des disparités de revenus.

« Pour la majorité, la hausse des revenus réels, autrefois observée pour l'ensemble des catégories de revenus, est quasi interrompue. Il faut aller vers le milieu du décile supérieur pour trouver une hausse des revenus réels dans les cinq dernières années (+ 0,2 % l'an au niveau du 95 ème centile, mais des baisses de respectivement 0,15 %, pour le 90 ème , de 0,5 % pour le revenu médian et de 1,1 % pour le 20 ème centile) ».

Source : BNP Paribas, Etudes économiques, Conjoncture, mars 2007, lien : http://economic-research.bnpparibas.com/applis/www/RechEco.nsf/ConjonctureByDateFR/38E8C591F8EAE420C12572A3004357F9/$File/C0703_F1.pdf?OpenElement

La nécessité d'un endettement accru des ménages ne doit pas ici davantage étonner : la propension moyenne à consommer des ménages diminuant avec le revenu, un accroissement des inégalités se solde logiquement, pour une masse salariale globale inchangée et sans recours supplémentaire à l'emprunt, par une diminution relative de la consommation. Un recours croissant à l'emprunt autorise ainsi la préservation du rythme de croissance dans un contexte d'accroissement des inégalités de revenus .

Il est remarquable que les pays dans lesquels les dépenses publiques soutiennent le moins les revenus (ou ceux dans lesquels ce soutien a été, un moment, drastiquement diminué) sont aussi les pays dans lesquels l'endettement privé est le plus élevé et va jusqu'à concerner les personnes les moins favorisées.

En résumé, le régime de croissance mondiale de ces dix dernières années a reposé sur un endettement croissant des ménages ( voir graphe ci-après ), que leur part dans la valeur ajoutée se soit globalement rétractée ou que les inégalités salariales se soient accentuées, afin de permettre une progression continue de la consommation de masse.

* 26 Il s'agit de l'inflation au sens de la variation des prix à la consommation et non de l'inflation des prix d'actifs immobiliers ou financiers. L'inflation des prix à la consommation traduit l'existence de déséquilibres entre la demande et l'offre dans l'ensemble de l'économie.

* 27 A l'exception notable de l'Espagne.

* 28 Cf. p 53 et s. du rapport d'information du Sénat n° 81 (2007-2008) intitulé « Perspectives économiques 2008-2012 » de M. Joël BOURDIN, au nom de la Délégation du Sénat pour la Planification. Il est possible que les gains de productivité aient un peu ralenti ces dernières années (ils pourraient tendre vers 1,4 %), mais cela demande confirmation.

* 29 NATIXIS, Flash économie, 28 octobre 2008 - n° 486.

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