CHAPITRE I : L'AMÉLIORATION STRUCTURELLE DU SOLDE PUBLIC AU SERVICE DU DÉSENDETTEMENT PUBLIC : QUELLE SOUTENABILITÉ ?

La programmation pluriannuelle des finances publiques à l'horizon 2012 projette une forte réduction du poids de la dette publique dans le PIB, au terme d'une réduction structurelle continue du déficit public.

On peut fonder un tel objectif sur plusieurs sortes de justifications.

Des motivations de prudence financière peuvent intervenir, de même que des objectifs budgétaires ou encore des considérations économiques .

Une très grande circonspection doit être observée quand on analyse la contribution du désendettement public à ces différents objectifs et on doit être attentif à leurs interdépendances.

Les gains d'une réduction de la dette publique doivent être considérés au regard des risques qu'entraîne une stratégie budgétaire tournée vers cet objectif .

Le point de vue sur son bilan coûts-avantages ne peut être entièrement scientifique . Il comporte ainsi une dose non négligeable d'incertitudes, notamment parce que, sous l'angle de leur efficacité économique, les emplois correspondant aux dettes des différents agents économiques ne sont pas facilement mesurables. Il faut ajouter à cette réserve une question qui lui est liée, à laquelle l'actualité confère une grande importance : celle de la soutenabilité des dettes des agents économiques privés.

Ce point de vue ne peut pas non plus être univoque : la dette publique est une composante majeure d'équilibres économiques complexes . Votre délégation a systématiquement posé dans ses rapports le problème de la substituabilité, et de la complémentarité des dettes privées et publiques, estimant que c'était une composante essentielle de l'endettement public que d'être une dette assumée par l'Etat au profit, et en leur lieu et place, des agents privés. Elle a également toujours indiqué que toute réduction du niveau de la dette publique supposait, toutes choses égales par ailleurs, que la sphère privée compense l'impact a priori défavorable de la « réépargne publique » en quoi elle consiste.

Ce dernier processus nécessite que des conditions particulières soient réunies qu'on peut résumer en invoquant la nécessité d'un changement des préférences des agents privés : ceux-ci doivent accepter de diminuer leur épargne ou (et) de réduire, au moins transitoirement, les gains attendus de leurs investissements. Réduire structurellement la dette publique c'est apporter un changement fondamental au régime de croissance et, comme tout changement, celui-ci ouvre des perspectives en partie indéterminées.

Pour certains théoriciens de la réduction de l'endettement public, ces enchaînements se produisent mécaniquement sous l'effet propre de sa diminution. Votre délégation a exposé maintes fois son scepticisme devant une telle approche et ce scepticisme a contribué à ce qui peut être vu comme une sorte de doctrine basée sur l'idée que l'ensemble des dimensions, financière, budgétaire et économique, d'une stratégie de désendettement public doivent être prises en compte simultanément, compte tenu de leurs interdépendances.

Sur le plan financier , la soutenabilité de la dette publique doit évidemment être une préoccupation. Mais, outre que cette notion est en mal d'un indicateur simple, sa portée opératoire est médiocre et peut receler certains dangers si elle conduit à négliger la question de la soutenabilité du désendettement public .

Les marges de manoeuvre budgétaires , que la réduction du niveau de la dette publique programmée à 2012 permettrait de regagner, illustrent certains de ces problèmes. Elles n'apparaissent supérieures aux coûts qu'elle peut impliquer que sous certaines conditions financières ou économiques particulières.

Sur le plan macroéconomique , enfin, la programmation des finances publiques conduit à examiner l' impact de court terme d'une stratégie de désendettement public mais aussi à s'interroger, plus structurellement , sur les enjeux économiques d'un renoncement de l'Etat à l'emprunt.

A ce propos, votre délégation peut rappeler avoir, dans le passé, constamment insisté sur la nécessité d'un accompagnement macroéconomique du désendettement de l'Etat , sauf à courir des risques économiques ou financiers élevés.

Pour être durable, une stratégie de réduction de la dette publique ne saurait être indifférente aux performances économiques qui en constituent à la fois le contexte et l'enjeu .

I. LA CONSOLIDATION BUDGÉTAIRE : QUELLE COHÉRENCE DANS LE COURT TERME ?

La « stratégie » du gouvernement portant sur l'évolution des finances publiques à moyen terme traduit une volonté de consolidation budgétaire structurelle .

Le projet de loi de finances pour 2009 accentue dans cette direction les options choisies en 2008 . En outre, le projet de loi de programmation des finances publiques présenté conformément à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 va dans ce sens » 53 ( * ) jusqu'à l'horizon 2012 .

La philosophie de la « stratégie nationale de finances publiques » est tout entière dans cette phrase empruntée à son dossier de présentation : « la crise économique mondiale affecte profondément l'évolution de nos finances publiques, en pesant sur les recettes. Mais l'objectif d'assainissement de nos comptes publics n'est pas remis en cause. Pour y parvenir, le Gouvernement exclut l'augmentation des prélèvements obligatoires. C'est sur la dépense que doit porter l'effort : le rythme de progression de l'ensemble de la dépense publique sera divisé dès 2008 par deux ».

Au total, le déficit de 2,7 points de PIB en 2008 et 2009, serait ramené à 0,5 point en 2012 .

PRINCIPAUX AGRÉGATS DE FINANCES PUBLIQUES DANS LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES

(en points de PIB)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Capacité de financement des administrations publiques

- 2,7

- 2,7

- 2,7

- 2,0

- 1,2

- 0,5

État

- 2,1

- 2,4

- 2,4

- 2,0

- 1,6

- 1,2

Organismes d'administration centrale

- 0,1

0,0

0,2

0,2

0,2

0,3

Collectivités locales

- 0,4

- 0,3

- 0,3

- 0,2

- 0,1

0,0

Administrations de sécurité sociale

- 0,1

0,0

- 0,1

0,0

0,2

0,3

Taux de PO

43,3

43,2

43,2

43,2

43,2

43,2

Taux de croissance de la dépense publique (*)

2,5 %

0,9 %

-

1,1 %

-1,2%

-

* Déflaté par l'indice des prix à la consommation hors tabac. Le solde des administrations publiques peut différer de la somme des soldes des sous-secteurs du fait des arrondis (au plus 0,1 point).

Source : PLF 2009 - Les grandes orientations des finances publiques

Or, le choix d'un ajustement structurel continu ne saurait être recommandé que sous la condition que le contexte économique s'y prête et sous la réserve qu'il n'obère pas le projet d'une croissance potentielle structurellement plus élevée.

A. LE CHOIX D'UN AJUSTEMENT STRUCTUREL CONTINU...

L'objectif affiché est de réduire structurellement le déficit public . Le besoin de financement des administrations publiques resterait stable en début de période (- 2,7 points de PIB en 2009 comme en 2008) pour diminuer sensiblement chaque année après 2009, le poids dans le PIB du déficit public étant nominalement réduit de l'ordre de 0,7 point de PIB par an.

Ces objectifs traduisent la perspective d'un « effort structurel » amorcé dès 2008 qui s'amplifierait après pour représenter « plus de ½ point de PIB par an sur le quinquennat et ce dès 2008 » .

La séquence d'évolution des composantes structurelle et conjoncturelle du déficit public prévue par le Gouvernement serait la suivante :

DÉCOMPOSITION DE LA VARIANTE DU SOLDE PUBLIC ENTRE 2008 ET 2012

2008

2009

2010

2011

2012

Solde public nominal

- 2,7

- 2,7

- 2,0

- 1,2

- 0,5

Variation du solde public nominal

0,0

0,0

0,7

0,8

0,7

Variation du solde conjoncturel

- 0,5

- 0,5

0,1

0,2

0,1

Variation du solde structurel

0,5

0,6

0,6

0,6

0,6

Source : Rapport sur la programmation des finances publiques pour la période 2009 à 2012. MINEFE.

La programmation des finances publiques, présentée par le gouvernement pour la période 2008-2012, privilégie une politique budgétaire orientée vers la contraction du déficit public au détriment des choix alternatifs que représente, ou une politique budgétaire neutre, ou une politique budgétaire expansionniste .

L'encadré ci-après vise à rappeler les quelques notions à partir desquelles la politique budgétaire d'un pays est analysée.

MÉTHODES D'ANALYSE DE LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE

L' analyse de la politique budgétaire consiste à distinguer les orientations choisies . A cette fin, différentes notions sont mobilisées :


• celle de la « politique budgétaire discrétionnaire » recouvre le choix d'action des autorités budgétaires ;


• l' évolution conjoncturelle du solde public désigne la variation spontanée du solde en supposant que les dépenses varient parallèlement à la croissance potentielle, les recettes suivant la croissance effective ;


• la notion d 'impulsion budgétaire , attachée à l'évolution du solde public, traduit les effets de celle-ci sur les agents économiques.

Le critère d'appréciation de la composante discrétionnaire de la politique budgétaire est l'évolution de la partie structurelle du solde public dont la méthode d'estimation est explicitée ci-après.

Les méthodes d'estimation du solde structurel et de l'effort structurel qui sont un peu différentes peuvent être résumées comme suit.

I- Détermination du solde structurel

Le solde des administrations publiques est affecté par la position de l'économie dans le cycle. On observe ainsi un déficit de recettes et un surplus de dépenses (notamment celles qui sont liées à l'indemnisation du chômage), qu'on peut juger transitoire, lorsque le PIB est inférieur à son niveau potentiel et, à l'inverse, un surplus de recettes et une diminution des dépenses, qu'on peut aussi qualifier de transitoire, lorsqu'il lui est supérieur.

L'indicateur usuel de solde structurel vise à corriger le solde public effectif de ces fluctuations liées au cycle. La méthode d'évaluation du solde structurel consiste à calculer, en premier lieu, la partie conjoncturelle du solde public, c'est-à-dire celle qui s'explique par les écarts entre la conjoncture observée et les tendances « normales » de la croissance (celles qu'offre la croissance potentielle du pays 54 ( * ) ), selon une méthodologie largement commune aux organisations internationales. En pratique, ce calcul repose notamment sur l'hypothèse que les recettes conjoncturelles évoluent au même rythme que le PIB, et que les dépenses - à l'exception notable des allocations chômage - ne sont pas sensibles à la conjoncture. Le solde structurel est ensuite calculé comme un « résidu », par différence entre le solde effectif et sa partie conjoncturelle. Cet indicateur constitue une référence internationale pour l'appréciation de l'orientation des politiques budgétaires.

Une fois les effets de la conjoncture éliminés, on retrouve dans les évolutions du solde structurel :

- l'effet des variations de la dépense publique, mesuré par l'écart entre la progression de la dépense et la croissance potentielle : lorsque la dépense publique croît moins vite que la croissance potentielle, cela correspond bien, si les prélèvements obligatoires ne sont pas diminués d'autant, à une amélioration structurelle des comptes publics ; à l'inverse, si l'augmentation des dépenses publiques est plus rapide que la croissance potentielle, il y a toutes choses égales par ailleurs du côté des prélèvements obligatoires, une dégradation de la situation structurelle des comptes publics ;

- les mesures nouvelles concernant les prélèvements obligatoires, pour lesquelles les mêmes appréciations peuvent être portées mutatis mutandis .

II- L'effort structurel

Cependant, à côté de ces facteurs effectivement représentatifs de l'orientation de la politique budgétaire, le solde structurel, tel qu'il est défini par les organisations internationales, en recouvre d'autres, sans doute moins pertinents :

- Le solde structurel est affecté par des « effets d'élasticité » des recettes publiques. L'hypothèse, en pratique, d'élasticité unitaire des recettes au PIB 55 ( * ) , retenue dans le calcul du solde conjoncturel, n'est en effet valable qu'à moyen-long terme. À court terme en revanche, on observe des fluctuations importantes de cette élasticité.

Pour l'Etat par exemple, l'amplitude de l'élasticité apparente des recettes fiscales est forte, du fait notamment de la variabilité de l'impôt sur les sociétés : l'élasticité des recettes fiscales nettes peut ainsi varier entre zéro et deux.

Retenir l'hypothèse d'une élasticité unitaire, comme le font les organisations internationales, revient donc à répercuter entièrement en variations du solde structurel les fluctuations de l'élasticité des recettes, alors même que ces fluctuations s'expliquent largement par la position dans le cycle économique. L'interprétation des variations du solde structurel s'en trouve donc sensiblement brouillée.

- D'autres facteurs peuvent également intervenir comme les variations des recettes hors prélèvements obligatoires (les recettes non fiscales de l'Etat, par exemple). Par construction, ces évolutions n'étant pas tenues pour conjoncturelles viennent affecter le solde structurel, ce qui n'est pas toujours fidèle à l'esprit qui préside à la distinction entre situations conjoncturelle et structurelle des comptes publics.

Afin de s'en tenir aux facteurs dont la nature structurelle est le mieux établie, on peut donc retirer du solde structurel les effets d'élasticité et, par souci de simplicité, la variation des recettes hors prélèvements obligatoires.

L'indicateur qui en résulte, que l'on peut qualifier d'« effort structurel » ou de « variation discrétionnaire du solde structurel » retrace les seuls effets combinés des variations des dépenses publiques et des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires décidées par les pouvoirs publics.

L'écart entre l'indicateur de variation du solde structurel et celui de l'effort structurel peut être important.

Si l'évolution de la partie structurelle du solde public révèle les orientations de la politique budgétaire choisie par les autorités en charge de la politique budgétaire, l'évolution du solde total , qui peut en différer puisqu'elle est également tributaire de réactions spontanées des masses budgétaires, est déterminante pour identifier le sens de l'impulsion budgétaire sur la croissance économique. Elle peut être divisée en deux composantes :


• une composante conjoncturelle qui, ainsi qu'on l'a mentionné, traduit l'impact de l'écart entre la croissance effective (ou prévue) et la croissance potentielle ;


• une composante structurelle , qui se déduit de la comparaison entre l'évolution de cette composante conjoncturelle et celle du solde nominal, et reflète l'incidence sur la situation financière du secteur public des mesures de politique budgétaire sur les prélèvements obligatoires et/ou les dépenses publiques.

Ces deux composantes correspondent à deux canaux différents de transmission budgétaire :


• la composante conjoncturelle correspond au jeu des stabilisateurs automatiques . Quand la croissance économique ralentit (ou accélère), les recettes publiques diminuent (ou augmentent) et ces inflexions modifient le solde public 56 ( * ) dans un sens qui contribue à contrecarrer les évolutions conjoncturelles.

Les stabilisateurs automatiques sont, par nature, contracycliques .

Par exemple, en cas de ralentissement économique, l'augmentation du déficit public, qui traduit un équilibre des relations entre l'Etat et les agents privés plus favorable à ceux-ci, leur apporte un revenu supplémentaire qui favorise théoriquement la constitution d'une demande plus forte de nature à compenser le ralentissement initial.


• la composante discrétionnaire de la politique budgétaire correspond à la variation du solde public inexpliquée par les effets des stabilisateurs automatiques. Elle est l' indicateur du sens donné à la politique budgétaire discrétionnaire qui peut être neutre, procyclique si elle accentue les tendances spontanées de la croissance économique, ou contracyclique si elle les compense.

Pour apprécier l'impulsion budgétaire , qui représente l'effet sur les agents économiques des évolutions du solde public, il faut additionner ces deux composantes.

Il existe alors trois configurations théoriquement possibles :


• une « impulsion budgétaire neutre » si le solde est inchangé ;


• une « impulsion budgétaire expansionniste » si le déficit public augmente ;


• une « impulsion budgétaire restrictive » si le besoin de financement public diminue.

On observe que le sens de l'impulsion budgétaire peut différer de celui de la politique budgétaire discrétionnaire, comme le montre la programmation des finances publiques à l'horizon 2012 présentée par le gouvernement en septembre 2008.

* 53 Il s'agit de définir « les orientations pluriannuelles des finances publiques ». Le projet de loi reprend le précédent exercice consistant à inscrire le projet de loi de finances de l'année dans la perspective pluriannuelle telle que la LOLF l'avait prévu mais en le solennisant puisque le Parlement sera appelé à se prononcer par un vote sur son adoption.

* 54 Voir infra.

* 55 Cela signifie qu'une hausse nominale de 1 % de l'activité se traduit par une hausse de 1 % des recettes publiques.

* 56 Quand on veut estimer le niveau de la variation conjoncturelle du solde public correspondant à des stabilisateurs automatiques purement conjoncturels, il faut poser l'hypothèse que les dépenses publiques évoluent au rythme de la croissance potentielle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page