AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Mayotte est devenue française en 1841. Cinq années plus tard, l'ordonnance royale du 9 décembre 1846 abolit l'esclavage dans cet archipel qui avait naguère connu les razzias malgaches. Ainsi, dès les premières années, l'appartenance à la France est devenue synonyme de liberté pour la très grande majorité des Mahorais. Ce rapport à une France émancipatrice et porteuse de sécurité explique en partie la singularité de Mayotte au sein des terres françaises d'outre-mer. En effet, alors que la plupart des collectivités d'outre-mer aspirent à plus d'autonomie, l'île au lagon aspire à un rapprochement avec le droit métropolitain.

Mayotte est aujourd'hui une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution. Son statut de « collectivité départementale » a été défini par la loi du 11 juillet 2001, dont la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer a repris de nombreux éléments, les adaptant au cadre constitutionnel défini par la révision du 28 mars 2003.

Cette loi organique du 21 février 2007 a, par ailleurs, modifié les modalités selon lesquelles Mayotte peut demander à accéder au statut de département et région d'outre-mer.

En effet, l'article 2 de la loi du 11 juillet 2001, prévoyait qu'à compter de la première réunion suivant son renouvellement en 2010, le conseil général de Mayotte pourrait adopter à la majorité des deux tiers de ses membres une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte.

L'article L.O. 6111-2 du code général des collectivités territoriales a avancé cette date, en permettant au conseil général d'adopter, à compter de la première réunion suivant son renouvellement en 2008, une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte et son accession au régime de département et région d'outre-mer, défini à l'article 73 de la Constitution.

Lors du conseil des ministres du 23 janvier 2008, le Gouvernement a proposé d'avancer vers une départementalisation adaptée et progressive, en fonction du choix fait par les Mahorais lors d'une consultation. Cette départementalisation progressive et adaptée devrait tenir compte des spécificités de la société mahoraise et de l'évolution économique et sociale de l'île, afin d'aboutir à un juste équilibre entre le respect de l'identité de Mayotte, le rythme d'évolution de ce territoire et le choix de la forme départementale.

Au cours de sa séance du 18 avril 2008, le conseil général de Mayotte a adopté, à l'unanimité, une résolution demandant que Mayotte accède au régime de département et région d'outre-mer , défini à l'article 73 de la Constitution 1 ( * ) .

Par cette résolution, le conseil général de Mayotte demande en outre au Président de la République d'organiser, conformément à l'article 72-4 de la Constitution, la consultation des électeurs de la collectivité pour recueillir leur avis sur cette évolution statutaire.

Le Gouvernement s'est engagé à proposer au Président de la République d'organiser cette consultation dans le délai d'un an après l'adoption de la résolution. Lors d'un déplacement à Mayotte, le 27 septembre 2008, M. Yves Jégo, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a annoncé que la consultation sur la question de la départementalisation de Mayotte aurait lieu en mars 2009 2 ( * ) .

Cette question méritant un examen approfondi de la part du Parlement, votre commission a décidé d'effectuer un déplacement à Mayotte. Une délégation conduite par M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des Lois, et composée de Mme Michèle André, alors vice-présidente du Sénat et membre de la commission des Lois, MM. Christian Cointat, rapporteur pour avis des crédits de la mission « Outre-mer » et Yves Détraigne, s'est donc rendue à Mayotte du 1er au 6 septembre 2008.

Cette mission confirme l'attention permanente de la commission des Lois pour cette collectivité, puisqu'il s'agit du troisième déplacement de notre commission à Mayotte en huit ans.

En effet, une mission d'information conduite par notre ancien collègue José Balarello s'est rendue à Mayotte en janvier 2000, avant l'examen du projet de loi tendant à organiser une consultation de la population de Mayotte sur le fondement de l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé le 27 janvier 2000, qui prévoyait la mise en place d'un statut de collectivité départementale permettant un rapprochement progressif avec le droit commun 3 ( * ) .

Avant la discussion du projet de loi relatif à Mayotte, reprenant les orientations définies par l'accord du 27 janvier 2000, MM. José Balarello et Simon Sutour ont effectué une nouvelle mission sur place, du 9 au 14 avril 2001 4 ( * ) .

Les membres de la mission de septembre 2008 qui s'étaient déjà rendus à Mayotte, en particulier M. Jean-Jacques Hyest et Mme Michèle André qui y avait effectué un déplacement en 1990, en tant que secrétaire d'Etat chargée des droits des femmes, ont mesuré les progrès accomplis par la collectivité en termes de développement.

Les nombreux échanges de la délégation avec les responsables politiques, les autorités administratives et les acteurs économiques et sociaux lui ont permis d'acquérir une vision très complète de la situation, des défis à relever et des enjeux de la départementalisation, c'est-à-dire de l'accès au statut de département et région d'outre-mer.

A cet égard, vos rapporteurs tiennent à remercier l'ensemble des personnes rencontrées pour leur disponibilité, particulièrement M. Ahamed Attoumani Douchina, président du conseil général, leurs collègues Adrien Giraud et Soibahadine Ibrahim Ramadani, et M. Christophe Peyrel, secrétaire général de la préfecture, préfet par intérim.

Le présent rapport retrace brièvement l'évolution de Mayotte en tant que collectivité française et décrit le cadre institutionnel de la départementalisation. Il analyse ensuite les progrès et les retards observés dans l'intégration des principes républicains par la société mahoraise et les défis auxquels doit faire face la collectivité. Il présente enfin les raisons et conditions d'une départementalisation réussie.

Vos rapporteurs se sont attachés à comprendre les motivations d'une revendication ancienne en faveur du statut départemental. Ils ont expliqué aux autorités mahoraises et à la population les bénéfices et inconvénients d'un changement de statut. En mars 2009, la population de Mayotte aura à se prononcer. Ce rapport établit un diagnostic et énonce des orientations pour assurer l'avenir de Mayotte dans la responsabilité.

*

* *

MAYOTTE EN QUELQUES CHIFFRES

Située entre l'est de l'Afrique et Madagascar dans l'océan indien, à plus de 8.000 km de la métropole, Mayotte fait géographiquement partie de l'archipel des Comores, qui comprend en outre les îles de la Grande-Comore, d'Anjouan et de Mohéli, regroupées depuis 1975 au sein de la République fédérale des Comores.

Mayotte se trouve à 1.700 km de La Réunion, à 300 km de Madagascar et à 70 km d'Anjouan.

Enserrée dans un lagon de 1.000 km 2 , sa superficie totale est de 374 km 2 , les îles principales de Grande-Terre et Petite-Terre faisant respectivement 363 et 11 km².

Population : 186.729 habitants en 2007 (160.506 en 2002)

Taux de croissance démographique annuel moyen : 3,1 % entre 2002 et 2007

Densité : 499 habitants/km 2

Population âgée de moins de 30 ans : 71 %

PIB par habitant en 2001 : 3.960 euros soit 10 fois supérieur à celui de ses voisins immédiats (PIB par habitant en métropole à la même date : 24.253 euros)

Revenu annuel moyen par ménage en 2005 : 9.337 euros (29.696 euros en métropole)

Nombre de demandeurs d'emploi au 31 décembre 2005 : 11.318 (soit un taux de chômage de 25,4 % de la population active)

Selon une étude de l'INSEE publiée en février 2007, entre 1995 et 2005, le niveau de vie annuel moyen de la population mahoraise a augmenté de 87 % en euros constants de 2005.

Les disparités de richesse se sont légèrement estompées, un cinquième de la population vivant sous le seuil de pauvreté, contre presque un quart en 1995. En outre, la hausse générale des niveaux de vie a entraîné une augmentation du seuil de pauvreté - fixé à 50 % de la valeur médiane - de 70 % entre 1995 et 2005. Ce seuil est ainsi passé de 710 euros par unité de consommation à 1.209 euros (euros constants de 2005).

I. LA DÉPARTEMENTALISATION : UNE REVENDICATION HISTORIQUE

Mayotte exprime depuis plus de 160 ans un attachement indéfectible à la France. Depuis 1958, la départementalisation est revendiquée comme le moyen d'ancrer le plus solidement possible Mayotte au sein de la République française.

A. MAYOTTE, COLLECTIVITÉ D'OUTRE-MER DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

1. L'appartenance de Mayotte à la France

Situé entre le Vème et le VIIIème siècle, le peuplement originel de Mayotte serait d'origine bantoue. Jusqu'au XIIIème siècle, le commerce se développe avec les autres îles du Canal du Mozambique, Madagascar et l'Afrique. Les invasions arabes se succèdent en apportant la culture swahilie et la religion musulmane. Des sultanats rivaux se créent dans l'archipel des Comores, qui n'a donc jamais constitué une entité politique. Les rivalités entre les îles entraînent de fréquentes expéditions militaires, si bien que les Comores sont parfois appelées « l'archipel des sultans batailleurs ».

Les premiers Européens, Portugais et Français, débarquent à Mayotte vers le XVème siècle, et utilisent l'archipel comme point de ravitaillement sur la route des Indes.

A la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle, Mayotte affronte des troubles violents (razzias d'esclaves par les Malgaches, pillages, guerres de succession, etc.,) réduisant sa population à 3 000 personnes.

Le 25 avril 1841, pour écarter le danger des attaques extérieures, notamment comoriennes, le sultan d'origine malgache Andriantsouli cède l'île de Mayotte à la France, représentée par le commandant Passot. Mayotte, qui apparaît au sein des Comores comme l'île la plus malgache et la moins marquée par la civilisation musulmane, devient dès lors protectorat français. Elle devient donc française avant Nice et la Savoie, rattachées en 1860.

Une ordonnance royale abolit l'esclavage à Mayotte dès 1846 . Les grandes familles féodales partent alors s'établir à Anjouan et à la Grande-Comore. L'intérêt limité des compagnies coloniales pour Mayotte conduit l'administration à transformer une partie des terres libérées par les familles féodales en réserves foncières , confiées aux villages. Aussi la France apparaît-elle comme une puissance porteuse de paix et de liberté.

A partir de Mayotte, la France établit son protectorat sur les trois autres îles des Comores, de 1886 (à Mohéli) à 1892 (à Anjouan et à la Grande-Comore). La colonie de « Mayotte et Dépendances » est placée sous l'autorité du gouverneur de Mayotte, résidant à Dzaoudzi (Petite Terre). La loi du 25 juillet 1912 rattache la colonie de « Mayotte et Dépendances » à la colonie française de Madagascar.

La présence française apporte aux Mahorais des garanties liées à la création d'une juridiction d'appel des décisions des juges coutumiers, les cadis, et à un plus grand respect des règles coutumières issues des cultures malgaches et est-africaines. Ces règles assurent notamment la transmission matrilinéaire des biens immeubles, tandis que les grandes familles nobles originaires d'Anjouan et de la Grande-Comore retenaient plutôt le droit coranique, favorisant les hommes.

En 1946, l'archipel des Comores obtient le statut de Territoire d'Outre-mer, avec pour chef-lieu Dzaoudzi. Un conseil général, doté de compétences plus larges que celles des conseils généraux métropolitains, est institué auprès de l'administrateur supérieur du territoire. Ce conseil général, au sein duquel chaque île est représentée en fonction de son poids démographique 5 ( * ) , impose aux Mahorais des restrictions de crédits, un sous-équipement et le transfert du chef-lieu à Moroni (Grande-Comore).

A compter de cette époque, la crainte d'une hégémonie des îles plus peuplées structure l'action des autorités politiques de Mayotte.

L'autonomie du territoire est progressivement renforcée par la loi-cadre Defferre de 1956, et par les lois du 22 décembre 1961 et du 3 janvier 1968.

Le Gouvernement dépose le 3 octobre 1974 un projet de loi tendant à organiser la consultation des Comoriens, en vue de leur autodétermination.

Ainsi, la loi du 23 novembre 1974 organise une consultation d'autodétermination des populations des Comores , un amendement adopté à l'initiative du Sénat ayant prévu la consultation « des populations » et non « de la population », afin de permettre un décompte des suffrages île par île. Le scrutin d'autodétermination du 22 décembre 1974 , aboutit à une quasi-unanimité en faveur de l'indépendance dans les îles de la Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli (94,56 %), tandis que la population de Mayotte se prononce à une majorité de 63,82 % en faveur du maintien dans la République française .

A l'issue de cette consultation, la loi du 3 juillet 1975 organise l'accession des Comores à l'indépendance, en prévoyant l'adoption d'une Constitution par voie référendaire, le décompte des suffrages devant être effectué île par île.

Toutefois, le 6 juillet 1975, le président du Gouvernement des Comores déclare unilatéralement l'indépendance, sans consulter les élus de Mayotte, en désaccord avec cette option.

Prenant acte de cette proclamation d'indépendance, la loi du 31 décembre 1975 relative aux conséquences de l'autodétermination des îles des Comores met fin à l'appartenance à la République française des îles de Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli et organise deux consultations à Mayotte , la première pour demander à ses habitants s'ils entendent rester Français et la seconde pour les inviter à déterminer leur statut au sein de la République :

- la première consultation, le 8 février 1976, aboutit par un vote quasi-unanime (99,4 % des suffrages exprimés) au maintien de Mayotte dans la République ;

- lors de la seconde consultation, le 11 avril 1976, sur le statut de Mayotte, le Gouvernement, souhaitant éviter un vote massif en faveur de la départementalisation, pose une question très ambiguë : « désirez-vous que Mayotte conserve ou abandonne le statut de territoire d'outre-mer ? ». La population de Mayotte rejette le statut de territoire d'outre-mer par 97,47 % des suffrages exprimés, tandis que 79,59 % des votants déposent dans l'urne un bulletin « sauvage », donc nul, exprimant le souhait de voir Mayotte dotée du statut de département d'outre-mer.

A la suite de ces consultations, un projet de loi prévoyant la départementalisation de Mayotte est déposé à l'Assemblée nationale le 12 mai 1976, puis retiré avant d'avoir été discuté.

La loi du 24 décembre 1976 relative à l'organisation de Mayotte crée finalement une collectivité territoriale au statut sui generis provisoire, sur le fondement de l'article 72 de la Constitution.

La loi du 22 décembre 1979 réaffirme l'ancrage de Mayotte dans la République française en précisant que « l'île de Mayotte fait partie de la République française et ne peut cesser d'y appartenir sans le consentement de sa population ».

* 1 Voir l'annexe n° 2 au présent rapport. Cette résolution a été publiée au Journal officiel du 29 août 2008, conformément aux prescriptions de la loi organique.

* 2 Dépêche AFP du 27 septembre 2008, 23 heures 30.

* 3 Voir le rapport fait au nom de la commission des Lois par M. José Balarello sur le projet de loi organisant une consultation de la population de Mayotte, n° 270, 1999-2000. La mission de janvier 2000 comprenait, outre M. José Balarello, MM. Luc Dejoie, Michel Duffour, Jean-Jacques Hyest, Georges Othily et Simon Sutour.

* 4 Voir le rapport fait au nom de la commission des Lois par M. José Balarello, sur le projet de loi relatif à Mayotte, n° 361, 2000-2001.

* 5 Dix conseillers pour la Grande-Comore, cinq pour Anjouan, trois pour Mayotte et deux pour Mohéli.

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