ANNEXE N° 3 : LES DÉTERMINANTS THÉORIQUES DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE46 ( * )

I. LES EFFETS DE COURT TERME

A court terme , la conjoncture peut exercer des effets sur le partage de la valeur ajoutée . En cas de récession ou de reprise conjoncturelle de l'activité, l'emploi s'adapte avec retard au cycle de la production. Dans un premier temps, le taux de croissance du PIB et la part des rémunérations dans la valeur ajoutée évoluent en sens contraire, effet qu'on appelle « cycle de productivité » ( cf . graphique et tableau suivants).

Toutefois, au cours des quelques trimestres qui suivent, l'emploi s'adapte à la conjoncture et amoindrit l'effet initialement observé sur le partage de la valeur ajoutée 47 ( * ) . Ainsi, en phase d'accélération de la croissance, la part des salaires dans la valeur ajoutée rejoint progressivement son niveau initial.

Cette fluctuation de l'emploi peut influencer le partage de la valeur ajoutée par d'autres mécanismes. Par exemple, une conjoncture durablement déprimée peut entraîner une hausse durable du taux de chômage et peser structurellement par ce biais sur la formation des salaires, ce qui vient abaisser la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée. Cet argument conjoncturel a souvent été invoqué pour expliquer que le partage de la valeur ajoutée dans les années 1990 ait été plus défavorable aux salariés que celui qui prévalait avant le premier choc pétrolier ( cf . Malinvaud 1998 qui retient cette explication comme « la plus convaincante »).

INFLUENCE DE LA CONJONCTURE SUR LE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE

Les résultats présentés dans le tableau suivant font apparaître que la corrélation la plus importante est celle qui existe entre l'évolution du taux de croissance du PIB et l'évolution contemporaine de la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée. Cette corrélation s'élève à - 0,45 sur l'ensemble de la période (1951-2007) et à - 0,34 sur les sous-périodes antérieures (1951-1973) et postérieures (1976-2007) au premier choc pétrolier. S'agissant du chômage, la corrélation avec l'évolution de la part salariale est plus importante en variation qu'en niveau (ce qui implique que l'augmentation ou la diminution du taux de chômage comptent plus que son niveau) et elle est maximale après une ou deux années.

CORRÉLATION EMPIRIQUE ENTRE L'ÉVOLUTION DU PARTAGE
DE LA VALEUR AJOUTÉE, DU TAUX DE CROISSANCE DU PIB ET DU CHÔMAGE,
EN NIVEAU ET EN VARIATION

II. UNE INFLUENCE DE LA RÉMUNÉRATION DES FACTEURS

La variation de la rémunération relative des facteurs de production pourrait influencer le partage de la valeur ajoutée. Mais le constat d'une relative stabilité du partage de la valeur ajoutée a conduit généralement les économistes à utiliser une fonction de production, de type Cobb-Douglas, pour modéliser la croissance économique à long terme, choix qui écarte cet effet.

En effet, cette fonction de production est caractérisée par une élasticité de substitution unitaire entre le capital et le travail et cette hypothèse implique que le partage de la valeur ajoutée reste inchangé lorsque le prix d'un facteur de production augmente, du fait de mécanismes économiques qui jouent en sens contraire.

Soit, en effet, une hausse du coût du travail se produit :

- dans un sens, un effet direct et immédiat (l'augmentation des salaires) qui tend à accroître la masse salariale ;

- en sens contraire, un effet de substitution du capital au travail (à niveau de production donné) défavorable à l'emploi et à la masse salariale.

En somme, interviendraient dans le fonctionnement de l'économie des mécanismes typiquement « classiques » de variation du volume des facteurs de production en fonction de leurs prix. Quand le prix d'un facteur augmente, sa quantité diminue, laissant inchangée la répartition des revenus entre les facteurs de production mais pas nécessairement la dynamique de la croissance.

Toutefois, le constat d'instabilité du partage de la valeur ajoutée peut logiquement conduire à imaginer que la fonction de production à élasticité unitaire de substitution entre capital et travail, en cas de variation de la rémunération relative du coût de ces facteurs, doit être abandonnée .

Dans des fonctions de production alternatives , l'élasticité n'est plus unitaire si bien que la diminution (hausse) du coût relatif d'un facteur n'entraîne pas une augmentation (réduction) à due proportion de la quantité de ce facteur employée dans le processus de production, compensant ses effets sur la part du revenu attribuée à chaque facteur de production.

Avec de telles modélisations de la croissance économique, l'effet sur ce partage dans la substitution du capital au travail (pour un niveau de production donnée) dépend de la valeur de l'élasticité de substitution :

- soit elle est forte, et alors une augmentation du coût relatif du travail se résout en une baisse importante de la part des salaires dans la valeur ajoutée, d'autant plus importante que le niveau relatif du coût du travail dans les coûts de production est faible ;

- soit elle est faible, et alors une augmentation du coût du travail conduit à court terme comme à long terme, à une hausse de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée tandis qu'une élévation du coût du capital conduit à un phénomène de même ampleur, mais de sens opposé.

Ces conclusions théoriques ont souvent été invoquées pour expliquer les déformations du partage de la valeur ajoutée en France dans les années 1970 et 1980 : les revalorisations salariales de la deuxième moitié des années 1970 et de la première moitié des années 1980, accordées en fonction du rythme de croissance de la productivité qui prévalait durant les Trente Glorieuses ( cf . Malinvaud 1986, Artus et Cohen 1998), n'auraient pas suffisamment réagi au ralentissement de la productivité globale des facteurs (PGF) à partir du premier choc pétrolier. Une appréciation du coût salarial par unité de travail efficace, donc une hausse de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée s'en serait suivie, dans le contexte d'une élasticité de substitution inférieure à l'unité entre le travail et le capital.

Inversement, le rythme de croissance plus modéré des salaires à partir de la première moitié des années 1980, conjugué à la hausse importante des taux d'intérêt réels et du coût du capital, aurait ensuite, par un phénomène inverse, favorisé la baisse de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée tout au long des années 1980 ( cf . Fitoussi et Phelps 1986, Cotis et Rignols 1998, Prigent 1999).

* 46 D'après Pierre-Alain Pionnier : « Le partage de la valeur ajoutée en France : 1949-2007 ». OCDE. Groupe de travail sur la Comptabilité nationale.

* 47 Une modélisation récente du lien entre l'emploi et la conjoncture en France fait apparaître que les trois quarts de l'effet sur l'emploi d'un choc conjoncturel est visible au bout d'un an (cf. Bourquard et al. 2005).

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