B. DES GUICHETS UNIQUES FRANÇAIS AMBITIEUX

Dans son précédent rapport d'information, votre rapporteur n'avait pas caché ses inquiétudes touchant à la mise en place des guichets uniques en France. Il semble toutefois que des progrès significatifs aient été enregistrés sur ce point au cours de l'année écoulée.

1. Les centres de formalités des entreprises, guichets uniques français

Le V de l'article 8 de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a confié aux centres de formalités des entreprises (CFE) les missions incombant aux guichets uniques . Un décret en Conseil d'État, non encore publié, doit préciser ces dispositions. Cette mesure paraissait relativement logique, compte tenu des compétences acquises par les CFE en matière de prise en charge de formalités administratives et, plus généralement, d'assistance aux créateurs d'entreprises qu'il convient de décharger de « l'impôt papier ».

Les centres de formalités des entreprises

Les centres de formalités des entreprises (CFE) ont été créés en 1981. Ils permettent aux entreprises de souscrire en un même lieu et sur un même document les déclarations relatives à leur création, aux modifications de leur situation ou à la cessation de leur activité auxquelles elles sont tenues par les lois et règlements en vigueur.

L'existence de ces centres évite aux entreprises la multiplication des démarches auprès d'organismes distincts (greffe du tribunal de commerce, chambre de métiers et de l'artisanat, URSSAF et autres organismes sociaux concernés, INSEE, services fiscaux...). Les CFE assurent le contrôle formel et la transmission des déclarations et pièces justificatives aux destinataires des formalités. La confidentialité des informations recueillies est assurée.

Les CFE ont donc un rôle de :

- centralisation des déclarations ;

- contrôle formel des documents présentés ;

- transmission de l'ensemble des pièces aux organismes destinataires qui s'assurent de leur régularité et de leur validité.

Source : http://annuaire-cfe.insee.fr

Dès cette décision prise, les CFE se sont fortement investis dans la mise en place des guichets uniques.

La tâche est toutefois rendue plus complexe par l'existence de sept réseaux de CFE. La compétence catégorielle des CFE dépend en effet de la forme juridique et des activités de l'entreprise. Chaque réseau de CFE relève donc d'une institution spécifique, comme le montre le tableau ci-après :

Vous êtes...

Vous devez vous
adresser à...

- Commerçant

- Société commerciale (SARL, EURL, SA, SAS, SNC, société en commandite) n'exerçant pas une activité artisanale ou agricole

- Autres personnes morales dont l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés est prévue par la loi

Chambre de commerce et d'industrie

- Artisan (entrepreneur individuel)

- Société commerciale (SARL, EURL, SA, SAS, SNC, société en commandite) exerçant une activité artisanale

Chambre de métiers et de l'artisanat

- Société civile (SCI, SCM, SCP,...) à l'exclusion de celles exerçant une activité artisanale ou agricole

- Société d'exercice libéral (SELARL, SELAFA, SELCA)

- Agent commercial

- Établissement public industriel et commercial (EPIC)

- GIE, GEIE quelque soit la nature de son objet

Greffe du tribunal de commerce

- Entrepreneur individuel ou société exerçant une activité agricole

Chambre d'agriculture

- Entrepreneur individuel ou société, immatriculé au registre des entreprises de la batellerie artisanale

Chambre nationale de la batellerie artisanale

- Membre d'une profession libérale (appartenant à un ordre, réglementée ou assimilée) exercée à titre individuel

- Employeur dont l'entreprise ne relève pas des CFE précédents : syndicats, fondations, etc.

URSSAF

- Autres personnes ou sociétés ne relevant pas des CFE précédents : artiste, loueur en meublé non professionnel, loueur de fond de commerce, etc.

Centre des impôts

Source : http://annuaire-cfe.insee.fr

De surcroît, sur le plan géographique, chaque CFE est compétent à l'égard des entreprises dont le siège, le principal établissement ou l'établissement secondaire concerné par la formalité, est situé dans son ressort.

Dans un souci de simplification, conforme aux objectifs de la « directive services », il était indispensable de limiter les inconvénients liés à la coexistence d'autant de réseaux de guichets uniques qu'il y a de réseaux de CFE .

Le 9 décembre 2008, clôturant les États Généraux des chambres de commerce, le Premier ministre, M. François Fillon, a indiqué que les guichets uniques doivent avoir une dimension physique sur l'ensemble du territoire, mais aussi permettre d'effectuer des démarches administratives à distance. Il a insisté sur l'objectif de simplification administrative pour l'entreprise. Enfin, il a annoncé la mise en place d'un portail Internet unique permettant à la fois de dispenser des informations et de traiter des dossiers par la voie électronique. La création de ce portail est confiée à la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, Mme Christine Lagarde, et au secrétaire d'État en charge du commerce, de l'artisanat, des PME, du tourisme et des services, M. Hervé Novelli.

Les propos du Premier ministre sont importants, car ils démontrent le caractère ambitieux des guichets uniques français , qui :

- auront une dimension à la fois électronique et physique, la « directive services » ne prévoyant que la première, mais pas la seconde ;

- permettront d'obtenir des informations et d'effectuer des formalités administratives.

Dans d'autres États membres, les guichets uniques auront une dimension exclusivement électronique, dans les pays baltes notamment, ou se limiteront à fournir des informations, au Royaume-Uni par exemple.

Le 26 février 2009, M. Hervé Novelli a présenté les grandes orientations du développement des guichets uniques, ainsi que des éléments de calendrier, lors d'une réunion avec les sept réseaux de CFE, l'Agence pour la création d'entreprise (APCE), dont le site Internet est d'ores et déjà très consulté (5 ( * )) , et des représentants des préfectures.

À cette occasion, le secrétaire d'État a annoncé la conduite d' expérimentations en ce qui concerne les points de contact physiques des guichets uniques à compter de mai 2009, qui seront gérés par les CFE. Ces expérimentations portent sur les procédures administratives les plus courantes que certaines professions ont à effectuer : les agents immobiliers, la restauration, les commerçants ambulants et les marchands de biens, au titre du commerce, les architectes, les vétérinaires et les experts comptables, au titre des professions libérales, les bouchers au titre des artisans... Ces expérimentations sont réalisées dans quelques départements tels que Paris, la Dordogne, le Bas-Rhin, les Yvelines...

Cette réunion avait également pour but de définir les modalités de fonctionnement du portail Internet - le guichet unique électronique, complémentaire du guichet unique physique -, évoqué par le Premier ministre deux mois auparavant.

Ce portail unique doit fournir trois types de services :

1°) permettre la création d'entreprises de façon totalement dématérialisée : il s'agit d'accomplir en ligne l'ensemble des formalités administratives nécessaires à la création d'une entreprise, telles que les déclarations fiscales et sociales, qui permettent l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS) et l'obtention d'un numéro SIRET.

Comme il a été déjà vu, l'existence de sept réseaux de CFE ne facilite pas la tâche et comporte le risque de dispersion de l'information, mais aussi de tentation pour l'un de ces réseaux de faire éventuellement « cavalier seul », c'est-à-dire de développer ses propres applications informatiques sans se soucier de l'état d'avancement des autres réseaux ni de la cohérence de l'ensemble.

C'est pourquoi M. Hervé Novelli a également annoncé la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) , chargé de la mise en place concrète du portail unique, c'est-à-dire du développement d'une application informatique unique. Ce GIP sera dirigé par M. Éric Hayat, qui a créé en 2000 le site www.net-entreprises.fr , partie prenante au GIP « Modernisation des déclarations sociales ». Il s'agit d'un service proposé aux entreprises et à leurs mandataires (experts-comptables, centres et associations de gestion agréés...) par l'ensemble des organismes de protection sociale pour effectuer et régler, par Internet, de manière sécurisée, simple et gratuite, leurs déclarations sociales. Le GIP devrait être opérationnel en mai 2009, et le portail proprement-dit au mois de décembre suivant, pour l'échéance fixée par la directive ;

2°) délivrer des informations : le portail Internet doit pouvoir fournir des informations, sous formes de fiches, destinées aux professions concernées, ainsi que les différentes pièces constitutives du dossier grâce à des formulaires disponibles en ligne. Cette fonctionnalité du guichet unique devrait être opérationnelle à la fin de l'année 2009. Le guichet unique électronique français utilisera aussi la langue anglaise, mais pas forcément dès le 28 décembre 2009, d'autant plus que certains portails administratifs, notamment www.legifrance.gouv.fr ou www.service-public.fr , donnent d'ores et déjà accès à des informations dans plusieurs langues étrangères (l'allemand et l'espagnol en plus de l'anglais) ;

3°) effectuer des procédures administratives : il s'agit de la dématérialisation des procédures proprement-dite, qui doit permettre de renseigner par voie électronique les déclarations ou les demandes d'autorisations requises pour l'exercice d'une profession entrant dans le champ de la « directive services ».

Ce chantier est considérable. Il est en effet techniquement impossible de dématérialiser l'ensemble des procédures administratives entrant dans le champ de la directive d'ici la fin décembre 2009. La dématérialisation ne devrait donc concerner, dans un premier temps, que les procédures les plus simples et les plus courantes ; les autres seront progressivement dématérialisées dans le courant de l'année 2010. Ainsi les guichets uniques constituent-ils une bonne illustration du caractère graduel de la transposition de la « directive services ».

Votre rapporteur souhaiterait appeler l'attention sur un écueil que les pouvoirs publics devraient éviter à l'occasion de la transposition. Il conviendrait en effet de veiller à simplifier les formalités administratives avant de les dématérialiser, afin de ne pas « dématérialiser la complexité » existante .

Or, il n'est pas certain que la logique de la simplification s'impose dans tous les cas.

D'une part, comme on l'a vu, l'existence de sept réseaux de CFE risque de compliquer la mise en place des guichets uniques, d'autant plus que certaines professions relèvent simultanément de plusieurs réseaux. On estime ainsi qu'un tiers des affiliés le sont à la fois auprès des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et d'artisanat. Si la fusion de ces différentes structures a pu, un temps, être envisagée au titre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), elle a finalement été abandonnée, au profit de la régionalisation du réseau consulaire, devant l'hostilité que cette perspective n'a pas manqué de susciter, notamment de la part des chambres de métiers.

D'autre part, la complexité peut se retrouver au niveau des formalités administratives elles-mêmes. L'exemple suivant est éclairant. Pour pouvoir exercer une activité ambulante, les commerçants doivent détenir une carte de commerçant non sédentaire, délivrée par la préfecture, alors même que l'activité ambulante est déjà mentionnée sur l'extrait K bis du RCS. Que va devenir cette carte de commerçant non sédentaire dans le guichet unique ? Il est à craindre qu'elle ne fasse l'objet d'une dématérialisation électronique plutôt que d'être purement et simplement supprimée. Or, environ 60 000 de ces cartes sont délivrées chaque année. Alors que le réseau des chambres de commerce et d'industrie est favorable à la suppression de cette formalité, les organisations professionnelles du secteur ont clairement souhaité son maintien.

La Suède a d'ores et déjà indiqué qu'elle serait très attentive, pendant sa présidence de l'Union européenne, au second semestre 2009, au bon fonctionnement des guichets uniques. Par ailleurs, un projet pilote réunissant quelques États membres - l'Allemagne, l'Autriche, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas, la Pologne et le Royaume-Uni - est déjà prévu à partir de 2012 afin de vérifier l'interopérabilité des guichets uniques de ces États membres.

2. La dynamique du statut de l'auto-entrepreneur

Le succès du statut de l' entrepreneur individuel , communément appelé auto-entrepreneur, institué par la loi de modernisation de l'économie, peut profiter aux futurs guichets uniques électroniques.

L'auto-entrepreneur

Ce statut, applicable depuis le 1 er janvier 2009, s'adresse en particulier aux personnes qui ne veulent pas nécessairement créer une société commerciale pour exercer leur nouvelle activité et souhaitent pouvoir débuter ou arrêter facilement leur activité indépendante, qu'il s'agisse d'un étudiant, d'un salarié, d'un fonctionnaire, d'un demandeur d'emploi ou d'un retraité.

Les charges sociales et fiscales sont payées par un prélèvement libératoire mensuellement ou trimestriellement calculé sur le chiffre d'affaires.

Ce statut n'est accessible qu'aux entrepreneurs individuels ayant un chiffre d'affaires annuel maximum de :

- 80 000 euros HT pour une activité de vente de marchandises, d'objets, de fournitures, de denrées à emporter ou à consommer sur place ou une activité de fourniture de logement ;

- 32 000 euros HT pour les prestations de services relevant de la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ou des bénéfices non commerciaux (BNC).

Le statut d'auto-entrepreneur comporte un certain nombre d'avantages tels que la simplicité de création, une imposition sociale et fiscale réduite, l'absence de cotisation sociale minimale, l'absence de décalage de trésorerie entre les recettes et l'imposition ou encore la franchise de TVA.

Durant les trois premiers mois de l'année 2009, 80 % des 135 000 auto-entrepreneurs se sont enregistrés par Internet. Ce pourcentage est très supérieur aux prévisions. Le gouvernement, qui escomptait 200 000 auto-entrepreneurs pour l'ensemble de l'année, en prévoit désormais 300 000.

Ces chiffres traduisent à la fois les attentes en matière de formalités administratives simplifiées et une certaine familiarité des nouvelles technologies. Surtout, ils laissent présager le succès des guichets uniques électroniques.

* (5) Le site Internet de l'APCE a été consulté par six millions de visiteurs en 2008 et par 1,5 million au cours des deux premiers mois de 2009.

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