N° 481

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 23 juin 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires européennes (1) sur le prix du lait dans les États membres de l' Union européenne ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

INTRODUCTION

L'effondrement du prix du lait depuis quelques mois n'est pas une spécificité française. Dans l'agriculture européenne, que la politique agricole commune (PAC) est parvenue à construire, les crises agricoles sont européennes.

En dépit de la résonance des crises locales, il faut nous habituer à raisonner à l'échelle européenne.

Trois raisons à cela.

Il y a d'abord une cohérence. On ne peut défendre la PAC, croire en la PAC, politique commune, en restant figé sur son cas d'espèce, sur son pays, sa région, son champ, son élevage. La notion même d'organisation commune des marchés, première expression de la PAC, évoque implicitement cette ouverture, cette cohésion, cette solidarité.

Il y a aussi, bien sûr, une évidence. Nous avons toujours à apprendre de nos voisins, de nos partenaires, de nos concurrents aussi. Il nous faut comprendre nos similitudes, connaître nos spécificités, découvrir et analyser les expériences ou les modes d'organisation qui pourraient être utiles, accepter de se comparer pour mieux s'améliorer.

Mais ce regard global s'impose aujourd'hui aussi et surtout par nécessité. Toutes les organisations professionnelles, tous les responsables politiques qui s'intéressent à l'agriculture, doivent avoir en tête la prochaine négociation du prochain cadre financier européen 2014-2020 qui, à bien des égards, déterminera le contenu et l'importance de la future PAC. Ce rendez-vous sera capital pour l'agriculture française. La négociation qui s'ouvrira en 2010 doit être préparée avec rigueur, avec inventivité aussi, car beaucoup d'anciennes procédures devront être révisées, mais surtout, elle doit être conduite dans un esprit de coopération. La posture nationale, quelle que soit sa justification, ne sert à rien si elle ne trouve pas d'écho chez nos partenaires. Il nous faut nous préparer à une stratégie d'alliances.

La crise du lait touche tous les États membres. Elle doit être l'occasion de réfléchir ensemble à la PAC de demain.

I. LES MÉCANISMES DE FORMATION DU PRIX DU LAIT

A. LE CADRE COMMUNAUTAIRE

1. Les prix du lait au temps de la PAC administrée (1984-1999)

a) L'ancienne PAC : le prix du lait administré

Jusqu'à la fin des années 90, le secteur laitier relevait du régime classique de la PAC d'alors, interventionniste et administrée. L'organisation du secteur était tout entière définie par une « organisation commune de marché », une « OCM lait » créée en 1968 et complétée par la création des quotas laitiers en 1984. L'OCM lait reposait sur deux dispositifs :

- un dispositif de gestion du marché, lui-même construit sur deux outils. D'une part, un système de quotas de production, c'est-à-dire un système de régulation de production, (il n'y a pas à proprement parler de limite de production autorisée, mais une pénalité financière en cas de dépassement des « quantités de références »). D'autre part, une batterie d'instruments destinés à assurer l'écoulement des productions en cas de surplus : stockage public des excédents (les stocks appartiennent à l'organisme d'intervention européen) ou privé (les stocks restent la propriété du producteur), aides aux exportations (restitutions), aides à la consommation (distribution du lait...) ;

- un régime de prix administrés. Chaque année, le Conseil avait la responsabilité de déterminer trois prix :

le prix indicatif, qui était une sorte de prix objectif, qui représentait le prix du lait que le Conseil estimait juste et nécessaire versé aux producteurs au cours de la campagne laitière (du 1 er avril au 31 mars de l'année suivante) ;

le prix d'intervention, qui était une sorte de prix de réserve, fixé pour le beurre industriel et la poudre de lait. Les organismes d'intervention avaient l'obligation d'acheter à ce prix les quantités présentées par les producteurs ;

le prix de seuil, qui était une sorte de prix minimum d'importation. Afin de protéger les producteurs européens, lorsque le prix mondial était inférieur au prix de seuil, la Communauté européenne imposait des prélèvements agricoles, c'est-à-dire des droits de douane variables, destinés à relever le prix de produits importés au niveau des prix communautaires. Le niveau du prix de seuil était voisin de celui des prix indicatifs.

Ainsi, même si, en théorie, le prix du lait était fixé par le marché, l'importance du prix communautaire était déterminante. De fait, le secteur laitier relevait d'un prix unique et administré, sous réserve d'ajustements locaux liés à la qualité du lait.

En 1995, le prix du lait était de 31 écus la tonne (soit, au prix actuel, 42 euros).

Ce système, appliqué pendant trente ans, n'a pas résisté aux critiques.

b) Les critiques du système

Les critiques de l'ancienne PAC sont bien connues. Le système mis en place conduisait à un emballement économique et budgétaire : les éleveurs, assurés du prix et de débouchés, étaient incités à produire, au-delà de la capacité d'absorption du seul marché européen, générant des stocks parfois considérables (jusqu'à près d'un million de tonnes de beurre en 1983-1985) et des dépenses très importantes - 5 milliards d'écus par an. La situation du secteur laitier, par l'image qu'il a donnée, a été le détonateur de la réforme de la PAC en 1992. On retiendra aussi que les États, qui avaient en leurs mains tous les moyens de maîtriser le secteur (en contrôlant à la fois les volumes par les quotas et les prix par le prix indicatif) ont été incapables de le faire. La réforme de la PAC, imposée par les faits, est surtout le résultat du manque de courage politique des États membres.

Pour rester sur le seul aspect des prix, le système présentait quelques défauts majeurs :

- le système était manifestement favorable aux producteurs. Il est nécessaire de rappeler les termes du traité de Rome, inchangés depuis 1957. L'article 33 (CE) prévoit que la PAC a pour but « ...b) d'assurer un niveau de vie équitable à la population agricole (...) d) d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs » . Il y a donc deux « cibles » : les producteurs et les consommateurs.

Le système des prix administrés était clairement favorable aux producteurs, avec des prix rémunérateurs, certes justifiés par les rigueurs du métier - l'élevage, en particulier l'élevage laitier est l'activité la plus exigeante de l'activité agricole. Le consommateur payant sa sécurité d'approvisionnement et la stabilité des prix (deux autres objectifs de la PAC) au prix fort.

Tant l'analyse économique mettant en relief les rentes des quotas laitiers et les surcoûts payés par les consommateurs, que les comparaisons internationales, révélant que le prix du lait en Europe était deux fois plus élevé que « le prix mondial », accusaient le système européen. Que pesait l'effort des éleveurs face aux partisans du libre marché et, plus encore, à l'ironie mordante d'un Premier ministre britannique accusant l'Europe de payer 2 € par vache, « qui permettait d'offrir à chacune d'elle deux tours du monde en avion... ».

- le système était également aveugle, insensible aux mutations du monde. La première réforme de la PAC en 1992, la première ayant imposé une baisse des prix compensée par ce qu'on appelait alors des « aides directes » (aux revenus), n'avait pas concerné le secteur laitier. Tandis que les prix de la viande et des céréales baissaient respectivement de 10 % et 40 % en cinq ans, le prix du lait restait à son niveau antérieur, autour de 30-32 centimes le litre. Un niveau stable qui occultait deux faits très importants : l'apparition de nouveaux producteurs mondiaux et les gains différenciés de productivité des différents États membres. C'est au début de l'année 1990 que les producteurs et les transformateurs d'autres pays de la communauté européenne ont acquis un avantage comparatif de 5 % à 10 % sur leurs homologues français. Un avantage peu perceptible puisque le prix administré avait l'effet d'un verre opaque.

Ainsi, d'une part, l'écart entre le prix communautaire et ce qu'il est convenu d'appeler « le prix mondial » s'est accru, et, d'autre part, de plus en plus d'États avaient intérêt à faire évoluer le système, afin de bénéficier d'avantages comparatifs par rapport aux pays producteurs traditionnels.

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