VI. LE PAKISTAN A BESOIN DU SOUTIEN DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

Le Pakistan est un État sous perfusion tant militairement qu'économiquement parlant.

De septembre 2001 à la fin de l'année 2008, l'administration Bush a donné 12 milliards de dollars au Pakistan destinés à lutter contre les taliban. Ces fonds étaient destinés à permettre à l'armée pakistanaise, tant au niveau de son équipement que de son entraînement, de mener des opérations intégrées de contre-insurrection. Cette assistance a, en très large partie, manqué son objectif en raison, notamment, de l'affectation de ces fonds à d'autres buts.

En effet, récemment, l'ancien Président pakistanais, le général Musharaf, a révélé que ces fonds avaient été détournés en partie au profit de l'effort de défense contre l'Inde 35 ( * ) .

Il y a quelques mois, le Congrès américain a voté une nouvelle loi promettant de 10 à 12 milliards de dollars au Pakistan. Le projet de loi précisait que cet argent ne devait pas être utilisé contre l'Inde, mais cette disposition ne se retrouve pas dans le texte final. Ce budget devrait être attribué à condition que le Pakistan l'utilise dans la lutte contre les taliban, mais il existe des doutes importants que cela soit réellement le cas. 36 ( * )

Un certain nombre des interlocuteurs de la mission, notamment en Inde, ont regretté que la communauté internationale continue à déverser des sommes considérables sur le Pakistan sans que leur utilisation soit réellement contrôlée alors même qu'elles permettent de renforcer les défenses du Pakistan contre l'Inde et que ce détournement de moyens se fait au détriment de la lutte contre le terrorisme.

Cette aide, qui devait permettre au Pakistan d'être un pôle de stabilité, n'a pas atteint son but et aujourd'hui, ce pays constitue une zone d'instabilité dangereuse pour la région et pour le monde.

Pourtant, depuis l'intervention de l'armée dans la vallée de Swat et au Waziristan, il semble que les autorités militaires et politiques pakistanaises aient pris conscience du danger mortel que représentaient les taliban pakistanais pour les institutions et l'État dont ils entendent prendre le contrôle.

Ce virage politique et militaire doit être accompagné notamment en fournissant à l'armée pakistanaise les moyens et les formations qui lui font défaut pour mener à bien une lutte de contre insurrection. Les demandes faites à la délégation par le Premier ministre pakistanais et son ministre de l'intérieur (hélicoptères, matériels de visée nocturne, drones d'observation et d'attaque et chiens téléguidés par laser) doivent être satisfaites.

L'argument selon lequel l'intervention de l'armée nationale est mieux admise par la population que les attaques de drones de l'armée américaine ou de la coalition sur le territoire pakistanais, avec leurs éventuels dommages collatéraux, paraît évident. Ces équipements supplémentaires ainsi que le fait de laisser l'armée pakistanaise leader de l'action militaire contre les taliban suppose évidemment un renforcement de la coopération à travers en particulier la commission tripartite qui réunit des représentants de la science, de l'armée pakistanaise et de l'Afghanistan.

Ce soutien politique et militaire (équipements, entraînement, partage de renseignements etc.) s'accompagne également d'une « compréhension » de l'armée pakistanaise vis-à-vis de ce qu'elle appelle les « taliban gouvernementaux ».

Comme en Afghanistan, un accent particulier devra être mis sur la formation de la police. Dans son entretien avec la délégation, le général Kayani avait du reste souligné les limites de l'action militaire : «  il y a des opérations dont seule la police doit se charger pour le compte de la justice.

L'armée n'est pas adaptée pour cela » 37 ( * ) . Il conviendra de donner une priorité à l'information des forces de police afin qu'elles disposent des moyens nécessaires pour préserver l'ordre public et la sécurité une fois les opérations militaires terminées. Il en va de même pour la justice.

À cette action doit s'ajouter le soutien économique de la communauté internationale. De ce point de vue, l'Union européenne est le principal partenaire commercial existant et l'un de ses principaux donateurs. Elle doit donc jouer un rôle important pour la stabilisation du pays.

Les ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, réunis en conseil « relations extérieures » le 27 octobre dernier, ont adopté une nouvelle stratégie pour l'Afghanistan et le Pakistan qui vise à accroître les efforts en matière de réformes politiques et démocratiques ainsi qu'à soutenir le développement de l'économie et de la société civile. Le « plan d'action de l'Union européenne pour l'Afghanistan et le Pakistan » a été formellement approuvé par le Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009. Il appelle le gouvernement afghan à se réformer et à assumer progressivement des responsabilités supplémentaires dans la gestion du pays.

Les ministres ont reconnu que, en Afghanistan, les « progrès en matière de réformes politiques, de gouvernance et de renforcement de l'État sont trop lents et, dans certaines parties du pays, sont inexistants ». C'est la raison pour laquelle l'Union européenne doit faire porter davantage ses efforts sur le renforcement des institutions. Le nouveau plan prévoit également une « augmentation substantielle » de l'aide européenne à l'Afghanistan et au Pakistan dans le cadre des prochaines perspectives financières de l'Union européenne, sans que le Conseil ait indiqué de chiffres précis. Actuellement, l'Union européenne et ses Etats membres fournissent une aide civile à hauteur d'environ un milliard d'euros par an, dont 140 millions d'euros pour la seule Commission.

S'agissant du Pakistan, le Conseil a réaffirmé son intention de renforcer la relation stratégique naissante de l'Union européenne avec ce pays, y compris par la tenue d'un second sommet ad hoc au cours du premier semestre 2010. Les interlocuteurs de la mission ont souhaité que ce sommet se fasse sur une base régulière.

Par ailleurs, afin de soutenir le développement économique du Pakistan, l'Union européenne est prête à s'engager dans un dialogue « approfondi » afin de renforcer de manière « importante » la relation commerciale entre les deux parties, y compris dans la conclusion éventuelle, à terme, d'un accord de libre-échange. Selon le plan d'action de l'Union européenne, « le conflit ne peut être résolu sans que l'on s'attaque à la situation complexe au Pakistan. Il faut renforcer l'intégration régionale et la coopération économique et, parallèlement, faire en sorte que les frontières soient mieux gérées, qu'elles ne puissent y être franchies par des insurgés, et que cesse le trafic transfrontière de drogue, d'armes et de marchandises illicites ».

Ces déclarations, ou cette prise de conscience, du Conseil ne manquent pas d'étonner après huit ans d'intervention en Afghanistan.

Pour atteindre ces objectifs et faire en sorte qu'ils ne demeurent pas des voeux pieux, il faut considérablement renforcer la coordination entre les différents intervenants chargés du développement et de la reconstruction de l'Afghanistan, comme du Pakistan. Le rapport de la Chambre des communes intitulé « Global security : Afghanistan and Pakistan » soulignait l'impact très réduit des efforts de la communauté internationale. L'absence de « vision unifiée et de stratégie » de la part de la communauté internationale, ses « erreurs » et ses politiques fragmentées ont rendu la tâche de stabilisation du pays « considérablement plus difficile » qu'elle n'aurait dû l'être. La communauté internationale a délivré « beaucoup moins que promis ». Le rapport regrette notamment la faible coordination des Nations unies et le « potentiel » inexploité de l'Union européenne.

Ces propos sévères demeurent pertinents. Sur le terrain, l'Union européenne a du mal à tenir ses engagements. Cela est particulièrement frappant pour la mission EUPOL de formation de la police afghane pour laquelle l'Union européenne cherche toujours des volontaires. Elle ne compte aujourd'hui que 236 personnes au lieu des 400 promis en mars 2008. Or on sait que le renforcement et la formation de la police afghane sont cruciaux dans l'entreprise de stabilisation du pays.

* 34 Ce sommet du 24 mai avait été précédé d'une rencontre en marge du sommet de l'Organisation de coopération économique, à Téhéran le 10 mars 2009, et d'une réunion des ministres des affaires étrangères des trois pays à Kaboul le 27 avril. Outre l'instauration d'un mécanisme de consultations trilatérales régulier et d'un comité de coordination chargé du suivi de la coopération, la « déclaration de Téhéran » porte également sur le développement et l'interconnexion des infrastructures de transport et d'énergie (accord sur le gazoduc Iran Pakistan) , sur la reconstruction en Afghanistan, sur le renforcement de la coopération pour la lutte contre la drogue et enfin sur la coopération avec le HCR pour le retour des réfugiés.

* 35 Dans une interview télévisée, en septembre 2009, le général Musharaf aurait indiqué que l'aide américaine a été détournée pour renforcer les défenses du Pakistan contre l'Inde parce que « chaque arme doit servir d'où que viennent les menaces ». Bien que démenties ces déclarations ont mobilisé les médias indiens.

* 36 Le Congrès des États-Unis a adopté, le 30 septembre 2009, une proposition de loi «enhanced partnership with Pakistan act of 2009 », dite «paquet Kerry-Lugar», qui prévoit une aide américaine de 7,5 milliards de dollars sur cinq ans. Cette assistance est autorisée au titre de l'aide démocratique, économique et au développement. Elle vise principalement les secteurs de renforcement des institutions (y compris le Parlement) de l'État de droit et de la bonne gouvernance, du développement (énergie, infrastructures, développement rural etc.) de l'éducation, de la santé, et des O.N.G., de l'aide aux personnes déplacées, de la « public diplomacy » américaine, de la formation de la police (150 millions de dollars la première année) etc.

L'attribution de la moitié des montants prévus chaque année (750 millions de dollars) est conditionnée à une certification, par le représentant spécial pour l'Afghanistan et le Pakistan (Richard Holbrooke), que le Pakistan fait des « progrès raisonnables » vers les objectifs fixés en matière de réformes politiques, de lutte contre la corruption, de libertés civiles ou de bonne gouvernance.

Au titre de l'aide à la sécurité, le programme de formation de militaires pakistanais aux États-Unis et de soutien à l'achat de matériel de défense ne fait pas l'objet de montant précis.

Aucune assistance en matière de sécurité ne sera fournie si la secrétaire d'État, Mme Hillary Clinton, n'est pas en mesure de certifier que le Pakistan continue bien à coopérer avec les États-Unis dans leurs efforts de démantèlement de réseaux proliférants, qu'il fournit des « efforts significatifs » dans la lutte contre le terrorisme, et que les forces de sécurité pakistanaises n'agissent pas contre l'État de droit.

Enfin, des mécanismes de supervision sont mis en place qui prévoient la soumission au Parlement d'un certain nombre de rapports et qui s'ajoutent aux processus de certification ..../

Depuis qu'elle a été définitivement adoptée par le Congrès, la loi Kerry-Lugar suscite une très vive controverse au Pakistan. Si l'aide ira en priorité à l'éducation et à la santé, domaines dans lesquels le Pakistan accuse des retards considérables, les conditions auxquelles sera subordonné le décaissement effectif de cette aide constituent pour la presse, pour l'opposition, mais aussi pour l'armée, une ingérence dans les affaires intérieures pakistanaises.

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