N° 108

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la deuxième analyse stratégique de la politique énergétique (E 4140),

Par Mme Bernadette BOURZAI,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

Mesdames, Messieurs,

L'Union européenne connaît une situation paradoxale en matière énergétique . L'énergie a joué un rôle fondateur dans la construction de l'Europe, avec la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) dès 1951 puis avec Euratom en 1957. Pendant très longtemps toutefois, elle n'a pas su se doter d'une politique énergétique commune, la situation des États membres en matière de ressources et de dépendance énergétiques étant extrêmement hétérogène.

À cet égard, le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007 constitue un tournant puisqu'il promeut « une politique intégrée en matière de climat et d'énergie ».

La nécessité de lutter « efficacement et sans attendre » contre le changement climatique a conduit le Conseil européen à considérer qu'il était « primordial d'atteindre l'objectif stratégique consistant à limiter l'augmentation de la température moyenne mondiale à 2° C au maximum par rapport aux niveaux de l'époque préindustrielle ». La production et l'utilisation d'énergie constituant les principales sources d'émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre cet objectif, « il convient d'adopter une approche intégrée de la politique en matière de climat et de la politique énergétique », les deux volets devant être complémentaires.

Les trois objectifs de la politique énergétique pour l'Europe , fixés par le Conseil européen un an plus tôt, seront poursuivis : accroître la sécurité de l'approvisionnement ; assurer la compétitivité des économies européennes et la disponibilité d'une énergie abordable ; promouvoir la viabilité environnementale et lutter contre le changement climatique. Le caractère contradictoire de certains de ces objectifs est flagrant. En effet, la croissance économique nécessite d'augmenter la production d'énergie, alors que la lutte contre le réchauffement climatique exige de réduire les émissions de gaz à effet de serre, largement dues à l'utilisation d'énergies fossiles, non renouvelables et polluantes. La réalisation de ces objectifs requiert des arbitrages délicats .

À cette même occasion, l'Union européenne a pris trois engagements importants, dénommés « initiative 20-20-20 » consistant pour elle, d'ici 2020 :

- à réduire de 20 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, et même de 30 % « pour autant que d'autres pays développés s'engagent à atteindre des réductions d'émissions comparables et que les pays en développement plus avancés sur le plan économique apportent une contribution adaptée à leurs responsabilités et à leurs capacités respectives » ;

- à accroître de 20 % la part des énergies renouvelables dans sa consommation énergétique totale ;

- à accroître l'efficacité énergétique afin d'économiser 20 % de sa consommation énergétique.

Un plan d'action global couvrant les années 2007 à 2009, intitulé Une politique énergétique pour l'Europe , est annexé aux conclusions de ce Conseil européen. Présenté comme « une grande étape » dans la mise en place d'une politique énergétique pour l'Europe, il comporte cinq points : marché intérieur du gaz et de l'électricité ; sécurité de l'approvisionnement ; politique énergétique internationale ; efficacité énergétique et énergies renouvelables ; technologies de l'énergie. Par ailleurs, il comporte l'objectif d'une proportion minimale contraignante de 10 % de biocarburants dans la consommation totale d'essence et de gazole destinés au transport au sein de l'Union européenne en 2020 1 ( * ) . Ce texte prend le soin de préciser que « le caractère contraignant de ce seuil se justifie, sous réserve que la production ait un caractère durable, que des biocarburants de deuxième génération soient mis sur le marché et que la directive sur la qualité des carburants soit modifiée en conséquence, pour prévoir des niveaux de mélange adéquats ». Le recours aux biocarburants, en effet, est controversé, notamment parce qu'il existe un conflit d'usage avec l'utilisation des terres agricoles destinées à la production alimentaire.

Au titre du suivi, le Conseil européen demande à la Commission européenne de présenter « une mise à jour de l'analyse stratégique de la politique énergétique, sur laquelle se fondera le nouveau plan d'action dans le domaine de l'énergie pour 2010 et les années suivantes qui sera adopté par le Conseil européen de printemps en 2010 ».

C'est précisément à cette mise à jour que la Commission a procédé en présentant, le 13 novembre 2008, sous présidence française de l'Union européenne, parmi tout un ensemble de textes de nature diverse, une communication intitulée Deuxième analyse stratégique de la politique énergétique - Plan d'action européen en matière de sécurité et de solidarité énergétiques , dont les grandes initiatives ont été approuvées par le Conseil européen des 19 et 20 mars 2009.

La communication de la Commission est un texte très disparate, comportant des considérations générales, mais aussi plus ponctuelles, qui présente toutefois l'avantage de rassembler dans un seul document les axes d'action de l'Union européenne, avec pour objectif final la sécurité énergétique , qui est « une question d'intérêt commun pour l'UE ». Le coeur de son texte est d'ailleurs constitué d'un Plan d'action européen en matière de sécurité et de solidarité énergétiques .

Ce plan d'action comprend cinq axes, assortis de nombreuses propositions d'actions ou de révisions de la réglementation communautaire :

1°) promouvoir des infrastructures essentielles à la satisfaction des besoins en énergie de l'Union européenne 2 ( * ) ;

2°) mettre davantage l'accent sur l'énergie dans les relations internationales de l'Union européenne ;

3°) améliorer le système de stocks de pétrole et de gaz ainsi que les mécanismes de réaction en cas de crise ;

4°) créer une nouvelle dynamique en matière d'efficacité énergétique ;

5°) faire meilleur usage des réserves énergétiques indigènes de l'Union européenne, en donnant la priorité au développement des énergies renouvelables.

Enfin, la Commission propose, après une vaste consultation, d'élaborer, en 2010, « un agenda politique pour 2030 et une vision pour 2050 », reposant sur l'examen d'objectifs à plus long terme tels que : limiter l'émission de carbone dans la production d'électricité en Europe d'ici à 2050 ; mettre un terme à la dépendance des transports à l'égard du pétrole ; construire des bâtiments à faible consommation énergétique et à énergie positive ; construire un réseau électrique interconnecté intelligent ; promouvoir un système énergétique à haut rendement et à faible émission de carbone dans le monde entier.

Que penser de cette Deuxième analyse stratégique de politique énergétique ?

I. UN CHANGEMENT DE PERSPECTIVE

A. SORTIR DE LA LOGIQUE DU « TOUT MARCHÉ »

La priorité accordée à la sécurité des approvisionnements par la Deuxième analyse stratégique constitue une inflexion sensible de la part de la Commission européenne, jusqu'alors essentiellement préoccupée par l'achèvement du marché intérieur de l'énergie. Ses centres d'intérêt traditionnels sont en effet le droit de la concurrence, la libéralisation du marché de l'énergie et la compétitivité.

De ce point de vue, le texte représente un changement de perspective indéniable. Il traduit en effet la prise de conscience par la Commission que les questions énergétiques ne se limitent pas à la libéralisation des marchés et requièrent des mesures de régulation . La Commission reconnaît ainsi qu'il est nécessaire de sortir de la logique du « tout marché » , celle-ci ne pouvant, à elle seule, permettre d'atteindre les objectifs fixés par le Conseil européen de mars 2007.

Le texte s'inscrit aussi dans les dispositions du Traité de Lisbonne relatives à l'énergie. Son article 194 dispose que « la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres : a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ; b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ; c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; et d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques », étant précisé que les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs « n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ».

* 1 L'article 3, alinéa 4 de la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables dispose que « chaque État membre veille à ce que la part de l'énergie produite à partir de sources renouvelables dans toutes les formes de transport en 2020 soit au moins égale à 10 % de sa consommation finale d'énergie dans le secteur des transports ».

* 2 La Commission propose à ce titre six actions prioritaires en matière d'infrastructures : un plan d'interconnexion pour la région balte concernant le gaz, l'électricité et les questions de stockage ; un corridor gazier sud-européen ; des capacités de stockage de gaz naturel liquéfié (GNL) ; l'anneau méditerranéen de l'énergie ; des interconnexions gazières et électriques traversant l'Europe du Centre et du Sud-Est selon un axe nord-sud ; un schéma directeur pour un réseau énergétique en mer du Nord.

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