B. LES PERSPECTIVES OUVERTES PAR LA NOUVELLE ÉTAPE DU DÉSARMEMENT AMÉRICANO-RUSSE

La Russie et les Etats-Unis détiennent encore 96 % du stock mondial d'armes nucléaires, soit, ensemble, plus de 22 000 têtes nucléaires. Le désarmement nucléaire est donc tributaire, au premier chef et à titre essentiel, de l'attitude de ces deux Etats.

Leur engagement à conclure un traité succédant au traité START I, arrivé à échéance le 5 décembre 2009, revêt une très grande importance politique.

En l'absence de traité « post-START », seul subsisterait le traité SORT de 2002, qui vient à échéance en 2012. Celui-ci apparaît relativement peu contraignant pour les deux parties, puisqu'il leur laisse toute latitude sur le mode de comptabilisation des armes nucléaires sans tenir compte des armes en réserve, et ne comporte aucun mécanisme de vérification.

Plus fondamentalement, la négociation d'un traité « post-START » marque la relance du dialogue stratégique bilatéral après une longue période de défiance, alimentée par de nombreux contentieux : la guerre d'Irak, l'activisme de la précédente administration américaine en faveur des candidatures de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, le différend sur l'installation en Europe centrale d'éléments du système antimissile américain 30 ( * ) , le retrait russe du traité sur les forces conventionnelles en Europe en 2007, l'intervention militaire de la Russie en Géorgie en 2008.

La diminution des arsenaux nucléaires russe et américain s'est poursuivie en dépit de ces tensions. Mais la conclusion d'un nouveau traité, dans un contexte de relations plus positives entre les deux Etats, pourrait ouvrir la perspective de réductions plus significatives lors d'étapes ultérieures, à condition de dépasser différents facteurs internes qui, en Russie comme aux Etats-Unis, freinent toute évolution drastique en ce sens.

A ce stade, l'effort prioritaire de désarmement nucléaire doit donc porter sur les Etats-Unis et la Russie.

La situation des autres puissances nucléaires n'est en rien comparable, quantitativement et stratégiquement, puisqu'il s'agit pour elles de disposer d'une dissuasion minimale, ou strictement suffisante. Il faut néanmoins distinguer la France et le Royaume-Uni, qui ont nettement réduit le volume de leurs forces nucléaires, de la Chine, de l'Inde et du Pakistan, qui semblent vouloir l'augmenter, Israël constituant un cas à part puisque n'ayant jamais déclaré ses capacités nucléaires.

Enfin, au-delà des aspects quantitatifs des processus de désarmement, les questions de doctrine seront à l'ordre du jour de la prochaine conférence d'examen du TNP, que ce soit au travers du rôle des armes nucléaires dans les doctrines de défense des Etats dotés ou des assurances de sécurité données par ces derniers aux Etats non dotés.

1. Le traité « post-START » : la pérennisation du cadre bilatéral de désarmement assorti de réductions mesurées

La Russie s'est montrée particulièrement attachée à la conclusion d'un nouvel instrument juridiquement contraignant appelé à succéder au traité START I. Elle est en partie insatisfaite du traité SORT qu'elle avait pourtant accepté en 2002 et qui, de son point de vue, laisse, par sa réversibilité, une trop grande latitude aux Etats-Unis pour conserver en réserve des têtes nucléaires susceptibles d'être remises en service. En effet, START I impose la destruction des vecteurs en excès, mais SORT ne statue pas sur le devenir des têtes nucléaires en surplus du plafond.

Les paramètres du futur traité « post-START » START Follow-on Treaty ») ont été fixés par un arrangement conjoint signé le 6 juillet 2009 à Moscou par les présidents Medvedev et Obama.

Les plafonds prévus par cet arrangement sont compris :

- entre 1 500 et 1 675 pour le nombre de têtes opérationnellement déployées ;

- entre 500 et 1 100 pour le nombre de vecteurs (missiles balistiques et bombardiers stratégiques).

Le traité START I prévoyait à échéance 2009 un plafond de 1 600 vecteurs, auquel était associé, par convention, un nombre forfaitaire de 6 000 têtes nucléaires. Le traité SORT ne mentionne pas les vecteurs et prévoit quant à lui, à échéance 2012, de 1 700 à 2 200 têtes nucléaires, en laissant chaque Etat adopter son propre mode de comptabilisation.

Le traité « post-START » sera conclu pour une durée de dix ans, mais les nouvelles réductions prévues devront intervenir dans les sept ans suivant son entrée en vigueur , l'échéance se situant donc, au plus tôt, en 2017 .

On peut observer qu'au regard des plafonds SORT, les réductions envisagées pour le nombre d'armes nucléaires demeurent relativement modestes .

La Russie conserve sur ce point une attitude prudente. Elle ne souhaite pas voir sa capacité de dissuasion amoindrie par des diminutions plus importantes dans l'hypothèse où les Etats-Unis développeraient leur système de défense antimissiles. Elle prend également en compte la modernisation en cours de l'arsenal chinois.

Aucune référence n'est faite aux armes nucléaires non déployées , notamment les armes en réserve, qui semblent donc exclues du champ du traité. De même, les armes nucléaires tactiques , dont on pense qu'elles seraient au nombre de plusieurs milliers dans l'arsenal russe, ne sont pas concernées.

La fourchette très large retenue en juillet 2009 pour le nombre de vecteurs reflète les différences entre les structures de forces. Préoccupée par le coût du maintien en condition opérationnelle de ses forces nucléaires, la Russie souhaite pouvoir réduire le nombre de vecteurs sans diminuer dans les mêmes proportions le nombre de têtes, en conservant la possibilité d'armer les vecteurs de têtes multiples. Les missiles à têtes multiples sont, en outre, plus difficiles à contrer par un dispositif de défense antimissile. Il semble cependant que dans les dernières étapes de la négociation , on se soit rapproché d'un objectif de 700 à 800 vecteurs .

Les Etats-Unis souhaitent reconvertir des missiles balistiques Trident en les équipant de charges conventionnelles, afin de pouvoir procéder à des frappes de précision à très longue distance, avec de faibles délais d'arrivée sur cible ( Prompt Global Strike ). Cette question a constitué un point de friction avec Moscou, qui fait valoir le risque de confusion des systèmes de riposte, mais pourrait également craindre que ces missiles officiellement « conventionnalisés » puissent être ultérieurement équipés de têtes nucléaires conservées en réserve. Les Etats-Unis ont proposé des mesures de confiance sous la forme de désignation et de visite des sites de lancement ou de déclaration préalable des tirs.

Il faut noter que cette reconversion de moyens nucléaires en moyens conventionnels est peu conforme à l'esprit du TNP, une mesure de désarmement nucléaire étant assortie d'un renforcement des armements conventionnels.

Le traité « post-START » devrait prévoir des mesures de vérification effectives, quoique moins complexes que celles prévues par le traité START I. Il devrait en revanche permettre un meilleur contrôle des vecteurs, afin de vérifier le nombre réel d'armes qui leur sont associées, alors que START I retient une évaluation forfaitaire qui ne permet pas de mesurer la réalité du déploiement opérationnel.

Le régime de vérification reste toutefois un facteur de divergence entre les deux Etats. La Russie souhaiterait notamment revenir sur les aspects les plus intrusifs des mesures de vérification prévues par START I en matière de notification de données sur les essais de missiles balistiques. Elle considère que ce type d'informations fournirait aux Etats-Unis des indications trop précises qui pourraient être utilisées pour rehausser l'efficacité des systèmes antimissiles vis-à-vis des missiles russes.

On voit bien que la question de la défense antimissile est déterminante pour les positions russes, que ce soit au sujet du nombre des vecteurs ou du régime de vérification. Si la nouvelle Administration américaine a décidé, au mois de septembre, de réorienter les projets antérieurs, avec l'abandon du « 3 ème site » en Pologne et en Tchéquie, elle n'a en rien renoncé, sur le principe, aux développements de la défense antimissile. Des déploiements sont prévus plus au Sud, en Roumanie et en Bulgarie. Il s'agit pour la Russie, comme d'ailleurs pour la Chine, d'un motif de préoccupation.

* 30 Les Etats-Unis assuraient que les 10 intercepteurs prévus en Pologne et le radar envisagé en République tchèque seraient exclusivement dédiés à contrer des tirs limités de missiles balistiques en provenance d'Iran et ne pourraient en rien remettre en cause la capacité de frappe considérable de la Russie. Celle-ci semblait craindre un renforcement ultérieur des infrastructures américaines et le développement des capacités de surveillance de son territoire, tout en voyant dans la réalisation de ce projet un lien politique et militaire supplémentaire entre les Etats-Unis et d'anciens Etats du pacte de Varsovie. L'abandon par les Etats-Unis des sites tchèque et polonais n'a pas suffi à calmer les appréhensions russes qui se cristallisent maintenant sur les projets d'installation de sites de détection et d'interception en Roumanie et en Bulgarie.

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