II. LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE L'ÉPIDÉMIE ET L'UTILISATION DES FINANCEMENTS PUBLICS : RENFORCER LA PRÉVENTION ET AMÉLIORER LE PILOTAGE DE L'ACTION PUBLIQUE

L'étude présentée par la Cour à la commission contient un panorama complet des politiques mises en oeuvre pour lutter contre le VIH et conduit celle-ci à formuler des recommandations souvent concordantes avec celles d'autres autorités ou groupes de travail ayant récemment travaillé sur ces questions.

Deux axes essentiels se dégagent des conclusions et recommandations de la Cour : intensifier les actions de prévention et de dépistage, d'une part, renforcer le pilotage de la politique conduite contre le VIH/Sida, d'autre part.

A. L'INTENSIFICATION SOUHAITABLE DES ACTIONS DE PRÉVENTION ET DE DÉPISTAGE

L'une des conclusions importantes de l'étude réalisée par la Cour est l'insuffisance des actions de prévention et de dépistage.

L'essentiel des dépenses consacrées à la lutte contre le VIH est actuellement destiné à la prise en charge sanitaire, ce qui ne peut étonner compte tenu du coût très élevé des traitements. Les patients infectés par le VIH sont pris en charge dans le cadre de l'affection de longue durée (ALD) n° 7 « Déficit immunitaire primitif ; infection par le VIH ». Au 31 décembre 2007, le nombre d'assurés inscrits à l'ALD n° 7 atteignait environ 90 000. Le coût de la prise en charge sanitaire s'est élevé à 1,1 milliard d'euros pour le seul régime général au cours de la même année. Compte tenu des nouvelles infections et d'un remboursement annuel moyen élevé (12 800 euros en 2007), le VIH/Sida met, chaque année, entre 80 et 90 millions d'euros de dépenses supplémentaires à la charge de l'assurance maladie.

Comparées au montant de ces dépenses de prise en charge sanitaire, celles consacrées à la prévention et au dépistage présentent un caractère marginal, même si elles demeurent importantes rapportées au nombre de personnes concernées et aux dépenses de prévention consacrées à d'autres pathologies. A ce propos, la Cour relève, dans la synthèse de l'enquête publiée dans son rapport annuel, qu' « en France, de manière générale, la prévention et le dépistage des pathologies sont dotés de moyens très faibles au regard des ressources consacrées à la prise en charge sanitaire » .

Les dépenses de prévention du VIH/Sida en 2008
(en millions d'euros)

Montant total des dépenses de prévention

dont :

54

- dépenses de l'Inpes (1) (campagnes de communication et concours à des associations)

23

- dépenses effectuées par l'Etat

37,2

dont :

. subventions aux associations versées par la direction générale de la santé

6,3

. subventions accordées par les groupements régionaux de santé publique (GRSP)

25

. subventions accordées par les services déconcentrés de l'Etat

non communiqué à la Cour

(1) Institut national de prévoyance et d'éducation en santé.

Face à la combinaison d'une épidémie qui ne recule pas dans certains groupes de population et de sommes consacrées à la prévention et au dépistage qui paraissent insuffisantes au regard des enjeux, la Cour formule plusieurs propositions importantes :

En ce qui concerne la prévention, elle recommande de mieux cibler la prévention sur les groupes à risques et de mettre en oeuvre des messages de prévention en direction des personnes séropositives : « L'adoption de comportements de prévention par les personnes atteintes par le VIH qui connaissent leur séropositivité représente un enjeu déterminant pour la maîtrise de l'épidémie, notamment pour les homosexuels. Cette nécessité est encore renforcée par l'augmentation continue du nombre de personnes vivant avec le VIH, sous l'effet des nouvelles infections et de la diminution de la mortalité permise par l'efficacité des multithérapies. »

Sur cette question de la prévention, la direction générale de la santé (DGS) a chargé en avril 2009 les professeurs France Lert et Gilles Pialoux d'une mission sur les « nouvelles méthodes de prévention » qui pourraient permettre de renforcer l'efficience de la prévention de l'infection par le VIH/Sida et des infections sexuellement transmissibles (IST) vis-à-vis des personnes à haut risque d'acquisition ou de transmission du virus. Le rapport de mission a été remis à la fin de l'année 2009.


Le rapport Lert-Pialoux sur la prévention et la réduction des risques
dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH
et des infections sexuellement transmissibles (IST)

Face au constat que le préservatif est une barrière physique à la transmission du virus particulièrement efficace, mais dont l'efficacité est limitée par la difficulté de son utilisation systématique et insuffisante au niveau collectif pour diminuer le taux d'incidence dans les populations les plus exposées, le rapport formule 96 propositions destinées à mettre en oeuvre des méthodes de réduction des risques permettant d'agir sur un maillon du processus de contamination pour réduire le taux de transmission.

Parmi ces propositions figurent notamment :

- l'élaboration d'un guide des risques de transmission du VIH et des IST en fonction du niveau de risque des différentes pratiques ;

- la prise en compte du traitement antirétroviral comme méthode de réduction du risque de transmission, dès lors que la charge virale est un facteur de risque important pour la transmission du VIH ;

- le réexamen de l'organisation de la prophylaxie post-exposition (traitement immédiatement après une prise de risque), afin d'améliorer l'accès à cette méthode de réduction des risques ;

- une information des gays et des autres personnes LGBT (lesbiennes-gays-bisexuels-trans) par des campagnes de communication ciblées, intégrant prévention, dépistage et suivi, VIH et IST. Ces campagnes s'attacheront à développer des messages spécifiques de prévention en direction des jeunes gays/bis/HSH/trans et des populations les plus âgées sexuellement actives.

La commission des affaires sociales s'associe aux recommandations tendant à renforcer les messages de prévention en direction des groupes à risque. Elle considère cependant que les campagnes de communication à destination de la population générale, et notamment des jeunes , demeure particulièrement utile à un moment où la concentration de l'épidémie sur certains groupes à risque pourrait laisser penser que seuls ceux-ci sont concernés.

La Cour recommande par ailleurs la mise en oeuvre d'une réglementation sanitaire des établissements de rencontres accueillant des activités sexuelles licites entre leurs clients : « ces établissements ne sont pas régis par une réglementation sanitaire qui imposerait à leurs exploitants d'inciter leurs clients à protéger leurs partenaires lors de rapports sexuels se déroulant dans leurs locaux ni, a fortiori, de sanctionner par une exclusion l'absence de respect des consignes de prévention. Seules s'appliquent à leur activité les règles relatives à l'accueil du public, à l'ivresse et au bruit (bars et discothèques) ou encore à l'eau (saunas) » .

Pour pallier cette absence de réglementation, le ministère de la santé à encouragé la mise en place, par le syndicat national des entreprises gaies (Sneg), d'une structure de prévention qui favorise l'adhésion des établissements à une charte de responsabilité pour les engager notamment à afficher des messages de prévention et à mettre à disposition gratuitement les matériels de prévention. La Cour note cependant que tous les établissements n'adhèrent pas à la charte et qu'elle n'est pas appliquée de manière homogène.

Sur ce sujet, le rapport Lert-Pialoux préconise l'élargissement des prérogatives du Sneg en renforçant sa présence sur le terrain : « Le Sneg devra avoir les moyens de veiller de façon plus stricte à l'application de la charte de responsabilité et de communiquer sur l'intérêt de la charte auprès des communautés LGBT. »

Dans son enquête, la Cour rappelle que l'établissement d'une réglementation sanitaire des établissements de rencontre était prévu par le plan national de lutte contre le VIH/Sida 2001-2004, sans que cette préconisation ait été mise en oeuvre.

Les associations participant à la table ronde organisée par la commission ont approuvé la proposition de mise en oeuvre d'une telle réglementation tout en insistant sur sa nécessaire élaboration par la voie de la concertation et en indiquant que la charte actuelle pourrait constituer la base de ce nouveau cadre juridique.

La commission des affaires sociales souhaite en conséquence que la concertation sur cette question puisse être engagée sans tarder.

A propos du dépistage , la Cour recommande de généraliser la proposition d'un dépistage sur une base volontaire . Cette proposition est conforme aux récentes recommandations formulées par la Haute Autorité de santé (HAS) en octobre 2009 :

« Devant la persistance d'un retard au dépistage affectant de façon plus particulière certains groupes de population ne se considérant pas comme « à risque », et parce que l'épidémie d'infection par le VIH continue d'atteindre plus particulièrement certains groupes de la population et certaines régions, il apparaît opportun de développer une stratégie visant à une meilleure connaissance du statut sérologique de la population générale. Cette stratégie de dépistage pourrait faire l'objet d'une déclinaison en deux volets :

« - la proposition de tests de dépistage à la population générale hors notion d'exposition à un risque de contamination par le VIH, qui devra faire l'objet d'une évaluation à cinq ans afin d'évaluer quantitativement l'élargissement du dépistage et ses conséquences sur la diminution du retard au dépistage ;

« - en parallèle, le maintien et le renforcement d'un dépistage ciblé et régulier pour les populations à risque. »

Dès 2006, le conseil national du sida (CNS) avait recommandé en ces termes d'élargir le dépistage : « Généraliser la proposition de tests de dépistage, soumis à l'accord du patient, dans les régions à forte prévalence, lors des recours aux soins, pour la population sexuellement active, tout en rappelant que les dépistages à l'insu des patients sont formellement proscrits. »

Compte tenu de cette convergence de propositions tendant à élargir le dépistage pour limiter le nombre de patients qui découvrent leur séropositivité à un stade avancé de l'immunodépression ou lors des premiers symptômes cliniques du sida, la commission des affaires sociales estime nécessaire de définir rapidement les modalités selon lesquelles cette proposition de dépistage à l'ensemble de la population sexuellement active pourrait être organisée.

Présentant les orientations du futur plan de lutte contre le VIH et les IST pour 2010-2013, le ministère de la santé a précisé, à propos du dépistage, que ce plan « s'intéressera aux populations à risque et à la population générale, afin de détecter les 39 000 personnes atteintes par le VIH qui ne connaissent pas leur statut sérologique, pour leur permettre à un niveau individuel de bénéficier de l'instauration précoce des traitements antirétroviraux et de réduire le risque de transmission à leurs partenaires » .

La Cour a par ailleurs proposé de fusionner les dispositifs des centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) et des centres d'information, de dépistage et de diagnostic des IST (Ciddist) . Les 352 CDAG couvrent la totalité du territoire et jouent un rôle essentiel en matière de dépistage, puisqu'ils ont effectué 8 % des dépistages en 2007, mais découvert 12 % des sérologies positives. Depuis 1999, les missions des CDAG ont été étendues au dépistage des hépatites virales B et C.

En revanche, les IST sont dépistées au sein des Ciddist depuis la réattribution à l'Etat, en 2004, de la responsabilité de la lutte contre les IST, auparavant confiée aux conseils généraux.

La dualité des structures est, de fait, aujourd'hui anachronique et source d'incohérences. Tous les CDAG ne dépistent pas les IST, tandis que certains Ciddist ne dépistent pas le VIH. Les financements de ces centres sont également distincts, puisque les CDAG sont financés par l'assurance maladie et les Ciddist par le budget de l'Etat, certains conseils généraux maintenant des contributions volontaires.

La proposition de fusion émise par la Cour est conforme à celle de plusieurs groupes de travail et institutions sur ce sujet.

Le rapport 2008 du groupe d'experts dirigé par le professeur Patrick Yeni sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH recommande de faire évoluer les CDAG/Ciddist vers une organisation intégrée en une seule structure, ayant un seul mode de financement, un seul bilan d'activité, avec une mission large de prévention et de dépistage du VIH, des hépatites et des IST, de traitement post exposition, comme c'est déjà le cas pour les IST, et en organisant des actions de dépistage dites hors les murs.

Dans ses recommandations d'octobre 2009 sur le dépistage de l'infection par le VIH en France, la HAS a également recommandé la fusion des CDAG et des Ciddist.

Enfin, le rapport Lert-Pialoux sur la prévention de la réduction des risques dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH et des IST précise que « l'intégration des dispositifs CDAG et Ciddist dans la perspective d'une offre de services proposant conjointement prévention et soins est souhaitée afin de proposer une palette de services répondant à des besoins variables selon les populations desservies et l'offre locale compétente » .

A l'occasion de la présentation des nouvelles orientations de la politique de lutte contre le VIH/Sida, le ministère de la santé a précisé que le futur plan national « s'appuiera notamment sur l'optimisation et la rénovation du dispositif de dépistage existant VIH et IST avec la fusion du dispositif CDAG/Ciddist avec une évaluation de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de l'existant et des modalités de déploiement et de champ de compétences à inscrire dans la configuration des agences régionales de santé (ARS) » .

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