III. AU-DELÀ DE L'URGENCE FINANCIÈRE, PENSER UNE MODERNISATION DURABLE DES RETRAITES

Il est acquis et entendu que le rendez-vous 2010 pour les retraites est une échéance financière, destinée à faire face à des déficits considérables, encore accrus par la crise économique.

Pour autant, la Mecss ne se résout pas à ce qu'elle se limite à opérer la modification des paramètres du système, en s'interdisant toute perspective d'évolutions plus substantielles et pérennes.

Dès 1991, dans sa préface au livre blanc sur les retraites, Michel Rocard, alors Premier ministre, écrivait :

« Une transformation profonde pourrait être également envisagée : adopter un régime de pension uniforme pour tous financé par l'impôt, distinguer plus clairement ce qui relève du contributif et du non contributif, limiter les compensations financières, donc les solidarités entre les régimes, et organiser le régime de base sur le modèle des régimes complémentaires participent de cette approche.

« Ces propositions méritent d'être prises en considération et pourraient avoir l'avantage de clarifier les mécanismes de solidarité et les responsabilités dans la gestion des régimes de retraite. Mais leur mise en oeuvre se heurte cependant pratiquement à des difficultés importantes qui font douter de l'utilité de s'engager dans des voies complexes, qui, au surplus, n'apportent pas comme telles une véritable réponse financière et sociale aux défis démographiques et sociaux des prochaines années ».

Depuis lors, la même objection a toujours été formulée à l'encontre de toute proposition de réforme structurelle du système de retraite : ce type de réforme ne rapporterait rien en termes financiers. Ainsi, Jean-Michel Charpin, lors de son audition devant la Mecss, a relevé qu'« une telle réforme systémique ne résoudrait en rien le problème de l'équilibrage financier des comptes, ce qui est pourtant le principal problème aujourd'hui. En 1999, déjà, il avait été estimé trop difficile de mener de front les deux réformes ; il avait donc été préconisé de commencer par un rééquilibrage des comptes, ce qu'a fait la loi Fillon, puis d'envisager, le cas échéant, une réforme de plus grande envergure, à caractère structurel. La question se pose pratiquement dans les mêmes termes aujourd'hui ».

Face à ce raisonnement tenu depuis vingt ans, deux observations peuvent être faites :

- d'une part, attendre un retour à l'équilibre des comptes pour engager la réflexion sur une réforme plus profonde consiste en fait à écarter cette perspective pour des décennies , sinon pour toujours, car on voit mal quels facteurs pourraient permettre au système de retraite de connaître à un horizon raisonnable une période durable d'équilibre financier ;

- d'autre part et surtout, les déséquilibres financiers ne sont pas aujourd'hui le seul mal dont souffrent les régimes de retraite , caractérisés par des règles complexes, opaques et souvent inéquitables. Cette situation est largement à l'origine de la perte de confiance des jeunes générations dans le système de retraite et de la montée de ressentiments entre les catégories de la population traitées différemment au regard de la retraite sans qu'il soit toujours possible de justifier rationnellement ces écarts.

Devant la mission, Antoine Bozio, chercheur à l' Institute for fiscal studies de Londres, a bien résumé ce sentiment :

« (...) le système français revêt une complexité paradoxale, dès lors que les systèmes publics par répartition ont en principe l'avantage d'être plus simples et moins coûteux en termes de gestion que les systèmes par capitalisation. Les régimes de base et complémentaires sont multiples et morcelés et ils obéissent à des règles de solidarité parfois divergentes. Au total, les Français ont plus l'impression de payer un impôt que d'acquérir des droits pour l'avenir. D'un côté, les gestionnaires du système peinent à évaluer les conséquences d'une modification de paramètres ; de l'autre, tant les personnes proches de l'âge de la retraite que les jeunes appréhendent mal le niveau de leur future pension. Enfin, le système est largement défaillant en termes d'équité : il combine plusieurs formes de redistribution, dont les effets sont souvent mal évalués, ce qui amène en définitive à s'interroger sur son but final. Ainsi, la prise en compte des vingt-cinq dernières années de carrière pour le calcul du salaire de référence a des effets redistributifs importants qui conduisent à pénaliser les personnes connaissant des carrières longues et uniformes ».

La Mecss estime aujourd'hui nécessaire d'ouvrir le débat sur une réforme qui permettrait de moderniser le système, de le rendre plus lisible et plus juste, en bref, de restaurer le pacte intergénérationnel.

A. INÉQUITÉ, OPACITÉ, COMPLEXITÉ : LES AUTRES MAUX A CORRIGER

Les réformes intervenues depuis 2003 ont, certes, permis une convergence progressive des principaux paramètres de calcul des pensions des régimes de base, mais un certain nombre de règles spécifiques perdurent et la multiplicité des régimes de base et complémentaires demeure une source de complexité , en particulier pour les assurés ayant relevé de plusieurs régimes au cours de leur carrière professionnelle.

Le caractère extraordinairement touffu et complexe du cadre juridique de la retraite présente un autre inconvénient majeur : celui de faire émerger des situations peu satisfaisantes sur le plan de l'égalité de traitement entre les assurés .

1. La persistance de règles de calcul des pensions différentes

Les régimes de retraite se distinguent encore par des modalités de calcul de leurs droits différentes :

- les régimes de base sont des régimes en annuités , à l'exception des régimes de base des professions libérales et des non-salariés agricoles qui sont, en totalité ou pour partie, des régimes en points ;

- la ligne de partage entre régime de base et régime(s) complémentaire(s) n'est pas la même pour le secteur privé et pour les régimes spéciaux (dont ceux de la fonction publique) : le secteur privé distingue base et complémentaire , alors que les régimes spéciaux sont des régimes intégrés , complétés par le régime additionnel pour la fonction publique.

Malgré les rapprochements de paramètres entre les régimes de la fonction publique et ceux du secteur privé opérés par la réforme de 2003 et le rendez-vous 2008, plusieurs règles spécifiques au calcul des pensions dans les régimes de la fonction publiques demeurent :

- le salaire de référence est le traitement indiciaire (hors primes) du dernier emploi occupé durant au moins six mois dans la fonction publique et la plupart des régimes spéciaux, alors qu'il correspond au salaire ou revenu moyen calculé sur les vingt-cinq meilleures années dans le secteur privé (salariés, artisans et commerçants, agriculteurs), voire sur l'ensemble des revenus pour les professionnels libéraux ;

- les durées de service sont appréciées de date à date dans les régimes de la fonction publique et non pas reconstituées à partir d'un montant de cotisations versées comme dans le secteur privé (où existe la règle des deux cents heures rémunérées au Smic pour valider un trimestre) ;

- l'âge minimal de liquidation est variable selon les catégories de fonctionnaires : cinquante ou cinquante-cinq ans pour les catégories actives, soixante ans pour les catégories sédentaires ;

- la condition de quinze ans de service minimum pour bénéficier d'une pension est propre à la fonction publique.

En outre, la réforme des régimes spéciaux 96 ( * ) de 2007, entrée en vigueur en 2008, a laissé subsister un certain nombre de spécificités et de règles propres à ces régimes. En particulier, l'âge d'ouverture des droits diffère selon l'ancienneté acquise et le métier exercé durant la carrière professionnelle. Par ailleurs, contrairement aux régimes de la fonction publique, la condition de quinze ans de service minimum a été réduite (ramenée à un an à la RATP et à EDF), voire supprimée (dans le régime des clercs et des employés de notaires - CRPCEN - et le régime de la Comédie française).

Régimes spéciaux

Age d'ouverture des droits

CRE BDF - Employés de la Banque de France

- 60 ans

- 55 ans pour les ouvriers papetiers postés et les chauffeurs convoyeurs sous réserve qu'ils aient occupé cet emploi pendant au moins 20 ans

- possibilité de départ anticipé pour carrière longue ou handicap

- possibilité de départ anticipé sous conditions d'arrêt d'activité pendant au moins deux mois à chaque naissance pour les parents d'au moins trois enfants

- pas de condition d'âge en cas d'invalidité

CRP SNCF - Personnel employé par la SNCF

- pension d'ancienneté si 25 ans de services : départ à 50 ans pour les agents de conduite ou pour les agents ayant d'autres emplois qui comptent au moins 15 ans dans l'un de ces emplois ou 55 ans dans tous les autres cas

- pension proportionnelle : 55 ans

- 50 ans, sous réserve d'avoir effectué 15 ans de services pour les agents reconnus atteints d'une maladie professionnelle causée par l'amiante

- sans condition d'âge en cas d'invalidité

CRP RATP - Personnel employé par la RATP

- 50 ans pour les assurés justifiant de 25 ans de services valables dans un emploi de la deuxième catégorie (tableau B)

- 55 ans pour les assurés justifiant de 25 ans de services valables dans un emploi de la deuxième catégorie (tableau A)

- 60 ans dans tous les autres cas

- sans condition d'âge en cas d'invalidité

CNIEG - Personnel statutaire des IEG

- 60 ans

- 55 ans si au moins 15 ans de services dont 15 ans de services effectifs actifs, insalubres et militaires ou 10 ans de services effectifs insalubres

- 50 ans sous réserve d'avoir effectué 15 ans de services, en cas d'inaptitude ou congé longue maladie

CRPCEN -
Clercs et employés de notaires

- 60 ans

CRP ONP - Personnel et artistes de l'Opéra national de Paris

- 40 ans pour les artistes du ballet

- 50 ans pour les artistes du chant et des choeurs

- 55 ans pour les machinistes, électriciens, régisseurs ayant la responsabilité du spectacle ainsi que pour les emplois des autres catégories reconnus comme comportant des fatigues exceptionnelles

- 60 ans dans les autres cas

- sans condition d'âge en cas d'invalidité

CRP CF - Personnel et artistes de la Comédie française

- 60 ans pour les artistes aux appointements et pour les employés à traitement fixe, à l'exclusion de ceux appartenant aux catégories dont l'âge d'ouverture du droit est de 55 ans

- 55 ans pour les machinistes, électriciens, régisseurs ayant la responsabilité du spectacle ainsi que pour les emplois des autres catégories reconnus comme comportant des fatigues exceptionnelles

- sans condition d'âge en cas d'invalidité

CANSSM - Mineurs et travailleurs des entreprises minières

- 55 ans

- 50 ans minimum pour les mineurs de fond (âge de 55 ans abaissé d'un an par tranche de 4 années de service au fond) comportant au moins 30 années d'affiliation

- 50 ans pour les titulaires de l'allocation d'attente

- à tout âge pour les bénéficiaires de l'allocation retraite anticipée

Enim -
Marins

Pension d'ancienneté :

- 50 ans si 25 ans de services

- 55 ans au moins si le marin continue de naviguer après cet âge

Pension proportionnelle :

- 55 ans et 15 ans de services ou 55 ans au moins si le marin continue de naviguer

- 55 ou 60 ans pour les marins ne pouvant bénéficier d'une pension d'ancienneté ou proportionnelle

- à tout âge en cas d'invalidité

* 96 Parmi les régimes spéciaux figurent les régimes des industries électriques et gazières (IEG), de la SNCF, de la RATP, de la Banque de France (BdF), des marins (Enim,) des mineurs, des clercs et employés de notaires (CRPCEN), de l'Opéra national de Paris et de la Comédie française.

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