3. Faciliter, au cours de la second phase du jugement, la juste indemnisation des personnes lésées

Tout l'objet de la procédure d'action de groupe est de permettre au justiciable d'obtenir la réparation légitime dont il aurait été privé s'il n'avait eu, comme seul recours, que son action individuelle. Sauf à déséquilibrer le bilan coûts avantages pour la personne lésée, l'indemnisation reçue doit être juste, et intervenir rapidement et à moindre frais. Dans cette perspective, doivent être privilégiées les voies procédurales les plus efficaces, mais aussi celles qui préservent le plus les droits des parties.

a) Favoriser la médiation pour l'indemnisation sans la poser en préalable


• La médiation, instrument complémentaire à l'action de groupe

Il y a tout lieu de se féliciter du développement de la médiation en France, qu'elle soit judiciaire ou organisée, avant toute saisine d'une juridiction, par les professionnels eux-mêmes.

Les représentants du mouvement des entreprises de France ont défendu devant vos rapporteurs les nombreux avantages de la médiation extrajudiciaire pour la résolution des litiges de consommation. Il s'agit, pour le consommateur, d'une procédure en principe gratuite, rapide et facile d'accès. Elle est source de progrès pour l'entreprise, qui est ainsi mieux informée des attentes des consommateurs, et source d'économies, puisqu'elle permet de réduire le nombre de litiges faisant l'objet d'une procédure judiciaire.

Les succès parfois rencontrés par la médiation dans certains domaines, comme les assurances ou le secteur bancaire, tels qu'ils ont été présentés par les représentants de la fédération française des assurances et de la fédération bancaire française sont à cet égard encourageants. Cependant la médiation reste encore trop peu développée dans de nombreux secteurs professionnels.

M. Hervé Novelli s'est fortement engagé en faveur du développement en France de la médiation, en lien avec les exigences communautaires en la matière et notamment la directive européenne sur la médiation en matière civile et commerciale 81 ( * ) . Au cours des assises de la consommation du 26 octobre 2009, il a proposé de définir dans la loi la notion de médiation, ce qui permettra un certain encadrement des pratiques qui se développent, d'instaurer une certification des services de médiation en matière de consommation, d'assurer un suivi transversal de la médiation au sein d'un « comité de la médiation » et de généraliser la médiation à tous les secteurs économiques.

Estimant que la médiation n'était pas un substitut mais un préalable à l'action de groupe, il a jugé nécessaire de conditionner l'introduction en droit français d'une telle procédure au développement de la médiation.

Le groupe de travail est convaincu de l'utilité des modes alternatifs de règlement des litiges et de l'intérêt qui s'attache à leur développement. Cependant si les consommateurs et les entreprises auront tout à gagner à ce que le dossier de la médiation et celui de l'action de groupe progressent de concert, l'avancement de l'un ne doit pas dépendre des progrès enregistrés par l'autre. À cet égard, la création d'une procédure d'action de groupe constituera une puissante incitation pour les entreprises à développer des mécanismes de médiation interne qui leur permettront de répondre efficacement aux réclamations des consommateurs.


• La conduite de l'action de groupe ne peut être conditionnée à l'organisation d'une médiation

Plusieurs des personnes entendues par vos rapporteurs ont jugé nécessaire que l'action de groupe inclue une phase de médiation obligatoire. Ainsi, les représentants de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ont défendu cette option en s'inspirant du mécanisme retenu par le projet de loi en faveur des consommateurs précité 82 ( * ) .

Cependant, comme l'ont souligné les représentants du mouvement des entreprises de France, la médiation ne peut réussir que si les deux parties en acceptent le principe. Une médiation obligatoire préalable à l'exercice d'un recours judiciaire est vouée à l'échec. Mme le professeur Véronique Magnier a à cet égard relevé le paradoxe qu'il y aurait à favoriser l'accès au juge par l'action de groupe, en rendant possible, en conférant un caractère obligatoire à la médiation, son instrumentalisation à des fins dilatoires.

Le groupe de travail n'a en conséquence par retenu cette option. En outre, il a estimé que la décision prononçant le principe de la responsabilité du professionnel sera une incitation puissante pour les parties à s'engager dans une procédure de médiation, puisque le principe de la réparation ne fera plus de doute et qu'il ne s'agira que de solder, le plus rapidement possible, le contentieux en versant l'indemnisation nécessaire.


• Intégrer le recours potentiel à la médiation à l'action de groupe pour faciliter l'indemnisation des victimes

La médiation est certainement la voie la plus rapide et la plus efficace pour apporter au consommateur lésé la réparation qui lui est due. Il convient donc, sans la rendre obligatoire, de l'intégrer à la procédure d'action de groupe, comme une des options ouvertes aux parties pour régler leur litige, en permettant en particulier que le juge propose aux parties de s'engager dans une médiation.

En principe, elle devrait pouvoir intervenir à tout moment. Cependant, il ne s'agit pas d'une option anodine : l'accord auquel la médiation aboutit permet d'éteindre l'action de groupe. Dans la mesure où les membres du groupe ne sont que représentés à cette médiation, et non parties, il n'est pas certain que tous acceptent la proposition qui leur est faite. Ils peuvent au contraire souhaiter que l'action de groupe poursuive son cours.

C'est pourquoi, afin de préserver les intérêts des personnes lésées, le groupe de travail préconise un encadrement minimal de la médiation qui interviendrait au cours d'une action de groupe.

Il est tout d'abord logique que ce soit l'association agréée qui représente les consommateurs lésés ou, si plusieurs associations se sont jointes à l'action, l'association agréée chef de file, qui conduise la négociation. Ainsi, la médiation engagée conserve un caractère collectif, l'association étant en charge des intérêts de l'ensemble des membres du groupe quel que soit la gravité de leur préjudice matériel.

Ensuite, il est nécessaire de prévoir l'homologation par le juge de l'accord éventuellement conclu. En effet, un désaccord peut survenir entre l'association requérante et certains des membres du groupe dont elle a porté l'action. Par ailleurs la médiation peut ne porter que sur un accord partiel, seule une partie du groupe étant indemnisée de son préjudice. Le juge doit s'assurer que la réparation proposée à l'issue de la médiation est bien conforme aux intérêts de toutes les personnes lésées. En particulier, il est possible que l'appartenance au groupe de certains individus soit contestée par le professionnel, qui refuse de leur verser l'indemnisation prévue : il revient au juge de trancher ce point.

À défaut d'homologation les plaignants pourraient continuer à bénéficier de la procédure d'action de groupe ouverte.

Enfin, les victimes qui le souhaitent pourraient s'exclure de la médiation et engager leur propre action individuelle.

Recommandation n° 19 - Favoriser la médiation dans le cadre de l'action de groupe sans en faire cependant un préalable en prévoyant :

- que le juge puisse désigner un médiateur ou proposer aux parties une médiation ;

- que le groupe soit représenté dans toute médiation par l'association agréée chef de file ;

- lorsqu'une médiation est organisée après que le principe de la responsabilité de l'entreprise a été retenu, que l'accord négocié auquel elle aboutit fasse l'objet d'une homologation par le juge, qui s'assure qu'il préserve les intérêts de l'ensemble des membres du groupe.

b) Assurer l'efficacité de la procédure d'indemnisation

Dans le schéma retenu par le groupe de travail, la phase d'évaluation du montant des réparations à verser est, comme l'a relevé M. Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris, la phase la plus complexe et la plus longue. En effet, l'indemnisation doit se faire sur une base individuelle, ce qui impose au juge de considérer la situation particulière de chaque membre du groupe.

Pour une large part, le succès de l'action de groupe dépendra de l'efficacité de la procédure d'indemnisation qu'elle mettra en place. Conscient de cette difficulté, le groupe de travail a cherché à dessiner une procédure qui allie la souplesse nécessaire avec la préservation des droits des participants à l'action de groupe.


• Les différents types de procédures d'indemnisation

Trois schémas procéduraux différents sont envisageables.

Le premier est celui de la proposition formulée par M. le professeur Jean Calais-Auloy 83 ( * ) . Il consiste en une évaluation judiciaire des préjudices individuels 84 ( * ) . Après avoir prononcé le principe de la responsabilité du professionnel et constitué le groupe, le juge rend une ordonnance établissant la liste des consommateurs victimes et le montant de la réparation qui doit être versée à chacun. Cette ordonnance peut être contestée par chacune des parties intéressées dans un délai d'un mois. À l'expiration de ce délai, l'ordonnance devient exécutoire pour les créances qui n'ont pas fait l'objet d'opposition.

La solution retenue permet un versement rapide de la réparation. Mais elle ne facilite pas le travail judiciaire, puisqu'il appartient au juge d'évaluer chaque préjudice et de répondre à chacune des oppositions formées contre l'ordonnance qu'il a rendue. La durée prévisible de la procédure est donc son principal inconvénient.

Le schéma retenu par le projet de loi en faveur des consommateurs précité 85 ( * ) consiste à articuler la phase judiciaire avec une phase gracieuse. Une fois la décision prononçant le principe de la responsabilité de l'entreprise publiée, tout consommateur qui s'estime lésé peut, sous un certain délai, s'adresser au professionnel condamné pour demander une indemnité correspondant à son préjudice. En cas de refus de la part du professionnel ou si la somme proposée ne le satisfait pas, il peut saisir le juge.

Cette procédure privilégie la simplicité et s'apparente à une médiation forcée. Elle évite au juge d'avoir à examiner la totalité des préjudices individuels. Cependant elle repose sur la bonne volonté de l'entreprise et fait supporter, en cas de refus d'indemnisation, le coût du recours par le consommateur. Or, compte tenu de la faible valeur des sommes éventuellement en jeu, ce dernier peut être amené à renoncer à la réparation à laquelle il a pourtant droit.

Le troisième schéma repose sur une évaluation forfaitaire par le juge du préjudice subi. Il a notamment été présenté à vos rapporteurs par M Jacques Degrandi, président du tribunal de grande instance de Paris. Une telle indemnisation n'est pas adaptée aux préjudices qui ne sont pas tous identiques, dans la mesure où elle risquerait de mettre en cause les principes d'égalité de traitement et de réparation intégrale du préjudice subi. Cependant, il est envisageable de concevoir, comme l'a indiqué Mme Pascale Fombeur, alors directeur des affaires civiles et du sceau, une procédure à l'issue de laquelle le juge définirait un schéma d'indemnisation associant une indemnisation forfaitaire par type de préjudices définis ou une règle de calcul de l'indemnisation en fonction de la gravité du préjudice subi. Un tel schéma d'indemnisation est en effet adapté au contentieux de la consommation car les préjudices qu'il génère sont homogènes ou fonction d'éléments aisément quantifiables (nombre d'heures de communication surtaxées, nombre de produits achetés, surcoût d'achat).

L'intérêt de ce dispositif est de permettre au juge de définir l'indemnisation à verser à partir de chaque type de préjudice et de leur gravité sans avoir nécessairement à procéder à une évaluation individuelle. Le jugement rendu sur ce point peut alors valoir titre exécutoire pour les plaignants qui peuvent s'en prévaloir, sauf contestation de sa part, auprès du professionnel, afin qu'il leur verse l'indemnisation correspondant à leur préjudice.

Contrairement à la précédente, cette solution fait donc reposer la charge de la contestation de l'acte sur le professionnel et non sur le consommateur. En outre elle permet, comme la première procédure, d'obtenir un paiement rapide, en l'absence de recours, de la réparation due. En revanche, elle n'est pas adaptée aux préjudices non aisément quantifiables, qui requièrent un examen individuel.


• La position du groupe de travail

Vos rapporteurs constatent que selon le type de préjudice sur lequel porte l'action de groupe et selon la disposition d'esprit des parties en présence, les procédures présentées s'avèrent plus ou moins efficientes. Celle qui impose au juge d'évaluer individuellement chaque préjudice fonctionne très bien lorsque tous les préjudices sont identiques et permet aux plaignants de bénéficier rapidement de la réparation qui leur est due. La procédure qui articule une phase judiciaire et une phase gracieuse est par définition la plus pertinente lorsque l'entreprise reconnaît sa faute et s'engage à réparer le dommage qu'elle a causé. La technique du schéma d'indemnisation est la plus adaptée pour les préjudices variables mais quantifiables.

C'est pourquoi, dans un souci de pragmatisme, le groupe de travail recommande de laisser au juge un large pouvoir d'appréciation pour décider la méthode d'indemnisation qu'il utilisera.

Trois options s'offriraient à lui :

- privilégier la voie gracieuse en proposant une médiation dont il homologuera, comme on l'a vu, l'accord si elle réussit ;

- présenter dans sa décision un schéma d'indemnisation suffisamment précis pour que les parties puissent connaître à partir d'éléments concrets la valeur de l'indemnisation à laquelle ils ont droit en fonction de leur préjudice. Le cas échéant, le juge pourrait prévoir, si cela se justifie, une indemnisation forfaitaire ;

- procéder à une évaluation individuelle des préjudices.

S'il n'est pas contesté, le jugement fixant l'indemnisation due par le professionnel au groupe des plaignants, acquerrait force exécutoire et leur permettrait d'obtenir le paiement des sommes dues, le cas échéant dans les conditions que le juge aura fixées.

Ainsi il pourrait indiquer quelles pièces (contrat d'adhésion, facture mensuelle) le consommateur lésé devra présenter au professionnel pour que celui-ci détermine le montant de sa créance.

Dans sa contestation du jugement, le professionnel pourrait notamment faire valoir la non-appartenance de l'intéressé au groupe des victimes, les causes exonératoires de responsabilité qui lui seraient propres ou la mauvaise évaluation du préjudice qu'il a subi.

Recommandation n° 20 - Permettre au juge de définir, lorsque la nature du préjudice s'y prête, dans sa décision relative à l'indemnisation, les critères permettant de la liquider à partir d'un schéma d'indemnisation.

Recommandation n° 21 - Prévoir que le jugement d'indemnisation vaille titre exécutoire pour chacun des membres du groupe, sauf lorsque l'entreprise conteste au cas par cas l'intégration de la personne concernée au groupe ou la liquidation retenue à son profit, en lui opposant par exemple sa propre faute.

Recommandation n° 22 - Autoriser le juge à fixer dans sa décision les conditions dans lesquelles la personne lésée pourra obtenir le paiement par le professionnel des sommes qui lui sont dues.


• La nature de la réparation versée

Les règles générales de la responsabilité civile ont vocation à s'appliquer.

Cependant afin de dissiper des inquiétudes plusieurs fois exprimées au cours des auditions, le groupe de travail souhaite réaffirmer son opposition au principe des dommages-intérêts punitifs qui alourdissent considérablement le coût de l'action de groupe pour l'entreprise et sont contraires au principe de la réparation intégrale du préjudice.

De la même manière, il convient de réaffirmer la possibilité d'une réparation en nature, qui peut, selon le cas, s'avérer plus adaptée.

Ainsi une surfacturation de communication téléphonique peut être compensée par l'octroi de minutes supplémentaires sur le forfait des consommateurs lésés. Un tel type de réparation peut d'ailleurs s'avérer plus profitable qu'une réparation pécuniaire pour le consommateur, comme pour le professionnel.

Le juge devrait donc pouvoir décider une réparation en nature, lorsque l'entreprise le lui proposera.

Recommandation n° 23 - Permettre explicitement au juge d'accepter la proposition faite par le professionnel d'une réparation en nature, lorsque celle-ci s'avère la plus adaptée ou la plus efficiente.

Recommandation n° 24 - Maintenir l'interdiction de prononcer des dommages-intérêts punitifs.

* 81 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Cette directive est limitée aux litiges transfrontaliers.

* 82 Projet de loi en faveur des consommateurs, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature), préc.

* 83 Proposition pour un code de la consommation, préc.

* 84 Les propositions de loi précitées n° 322 (2005-2006) et n° 277 (2009-2010) de nos collègues Mme Nicole Bricq et M. Richard Yung, sur le recours collectif, s'appuient sur la même logique, en distinguant cependant une première phase d'évaluation des dommages-intérêts dus aux premiers membres, et une seconde phase d'évaluation des dommages-intérêts dus à ceux qui se sont joints au groupe après la publication du jugement déclaratoire de responsabilité. L'association est chargée d'assurer la distribution des sommes versées.

* 85 Projet de loi en faveur des consommateurs, (n° 3430 - Assemblée nationale, XII e législature), préc.

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