B. LA DOTATION BUDGÉTAIRE : UN FINANCEMENT CONTESTÉ ET FRAGILE

1. Une mesure de compensation liée à la suppression de la publicité sur France Télévisions

L'article 28 de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision a supprimé la publicité entre 20 heures et 6 heures du matin sur France Télévisions 76 ( * ) .

Par ailleurs l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986, modifié par l'article 28 précité, prévoit la suppression totale de la publicité sur France Télévisions à l'extinction de la diffusion par voie hertzienne terrestre en mode analogique des services de télévision (sur l'ensemble des chaines, dont RFO).

Le choix d'opérer en deux temps avait pour objet de libérer le plus rapidement possible France Télévisions de la contrainte publicitaire sans déstabiliser le groupe outre mesure.

Deux problèmes se posaient pour une suppression totale en une fois : l'avenir de la régie d'une part, qui compte plus de 200 salariés, et le remplissage d'une grille libérée de plusieurs heures de publicité d'autre part. La commission pour la nouvelle télévision publique avait au demeurant préconisé cette suppression en deux étapes, avec l'insertion d'une clause de rendez-vous et une suppression totale au moment du passage au tout numérique (le 30 novembre 2011).

Sans hausse importante de la contribution à l'audiovisuel public (ou affectation d'une taxe ayant une assiette différente 77 ( * ) ), et sans modification du périmètre de France Télévisions, la seule solution de financement de France Télévisions était l'allocation d'une dotation budgétaire afin de compenser cette perte de ressources.

Le montant de cette dotation ne pouvait pas, aux yeux du législateur et du Gouvernement, être inférieur aux revenus tirés de la publicité. Ainsi, tout en incitant France Télévisions à entreprendre les réformes ayant pour objet de réduire ses coûts, les rapporteurs du texte relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, ont exprimé à plusieurs reprises leur souhait de compenser intégralement cette perte de ressources .

Ainsi, dès la loi de finances pour 2009 (n° 2008-1425 du 27 décembre 2008), une dotation de 450 millions d'euros en faveur de France Télévisions était prévue dans la mission « Médias ».

Cette volonté a en outre trouvé une résonance juridique dans l'adoption au Sénat d'un amendement au projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision prévoyant que « la mise en oeuvre du premier alinéa du présent VI (suppression de la publicité) donne lieu à une compensation financière de l'État. Dans des conditions définies par chaque loi de finances, le montant de cette compensation est affecté à la société mentionnée au I de l'article 44 (France Télévisions) ».

Par ailleurs, dans sa décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 sur ledit projet de loi, le Conseil constitutionnel a considéré que la suppression de la publicité sur France Télévisions qui « a pour effet de priver cette société nationale de programme d'une part significative de ses ressources, doit être regardée comme affectant la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance » 78 ( * ) .

Conscient des difficultés à venir dans les rapports entre le Gouvernement et France Télévisions à l'occasion des procédures budgétaires, le Conseil constitutionnel a en outre émis une réserve d'interprétation aux termes de laquelle « dans le respect de l'indépendance de France Télévisions, il incombera à chaque loi de finances de fixer le montant de la compensation financière par l'État de la perte de recettes publicitaires de cette société afin qu'elle soit à même d'exercer les missions de service public qui lui sont confiées ».

C'est bien évidemment une juste évaluation de cette compensation qui devra être établie et le présent rapport s'efforce d'y contribuer.

L'analyse de la loi faite dans les Cahiers du Conseil constitutionnel insistait à cet égard sur l'importance de l'article 75 de la loi, qui crée un comité de suivi, composé de quatre députés et de quatre sénateurs, chargé notamment de vérifier « l'adéquation des ressources attribuées à la société... avec celles nécessaires à la mise en oeuvre des missions de service public de cette société... Il transmet chaque année au Parlement un rapport sur ses travaux avant la discussion du projet de loi de finances initiale ».

Force est de constater que le Gouvernement s'est refusé à mettre en place ce comité de suivi, puisqu'il n'a pas publié le décret d'application, preuve s'il en était besoin de sa difficulté à communiquer sur la réalité des comptes de France Télévisions.

En revanche, il a précisé qu'au vu des aléas, positifs ou négatifs, qui pourront affecter l'activité du groupe, le plan d'affaires fera l'objet d'un suivi précis et régulier entre l'État et France Télévisions, avec notamment une clause de rendez-vous particulière en 2011, compte tenu des enjeux de l'année 2012, plus particulièrement ceux relatifs à l'extinction de la diffusion analogique.

Vos rapporteurs considèrent, quant à eux, que le meilleur moyen de répondre à l'exigence constitutionnelle de l'indépendance de France Télévisions est, au vu de la difficulté à définir les besoins réels du groupe, de confier à un organe indépendant et compétent le soin d'évaluer annuellement non seulement le montant de la compensation, mais aussi celui des besoins globaux de France Télévisions, sur le modèle de la KEF allemande (cf. encadré ci-après) .

Ils estiment que cette mesure permettrait de mettre en grande partie fin au débat sur la pertinence du financement de France Télévisions, dont il est difficile de sortir, en apportant un éclairage indépendant aux parlementaires.

LA KOMMISSION ZUR ÜBERPRÜFUNG UND ERMITTLUNG DES FINANZBEDARFS DER RUNDFUNKANSTALTEN (KEF)

La KEF est composée de seize experts indépendants. Les ministres-présidents des Länder nomment chacun l'un de ces experts, sachant qu'au total, cinq des seize experts composant la KEF doivent être choisis parmi les membres des cours des comptes des Länder.

La KEF statue après communication par les établissements publics de radio-télévision de leurs données comptables et de leurs comptes prévisionnels d'exploitation et d'investissement. Ces établissements font également part à la commission de leurs stratégies et de leurs projets de développement, qui sont pris en compte, dans la mesure où ils lui apparaissent pleinement pertinents, par la commission.

Cette dernière analyse l'ensemble de ces éléments et publie un rapport extrêmement précis qui permet d'apprécier le montant des ressources financières nécessaires au fonctionnement de ces établissements publics. Le dernier rapport de la KEF, publié en 2008, consacrait ainsi 332 pages à l'examen de ces données et à l'établissement des besoins des sociétés audiovisuelles publiques.

Au vu des éléments communiqués et des propositions formulées par la KEF, il revient à la conférence des ministres-présidents des Länder de fixer le montant de la redevance, qui est ensuite approuvé par les Parlements des Länder.

Vos rapporteurs proposent que cette mission soit confiée au Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui dispose des ressources humaines adéquates pour la mener à bien. Elle donnerait lieu à un rapport annuel sur les besoins de financement de France Télévisions , rendu possible via un élargissement des pouvoirs d'enquête du CSA sur les comptes des sociétés nationales de programme. Ce rapport serait transmis au Parlement afin qu'il puisse juger de la pertinence du financement de France Télévisions et voter un budget qui soit en adéquation avec ses missions.

2. Le calcul de la compensation

Dès la loi de finances pour 2009, France Télévisions a reçu, en sus de la dotation issue du compte de concours financiers alimenté par la contribution à l'audiovisuel public, un complément de financement (issu du budget général) de ses missions de service public, à hauteur de 450 millions d'euros, correspondant aux pertes de recettes commerciales occasionnées par la disparition progressive de la publicité sur les chaînes de France Télévisions à partir de janvier 2009.

Comme l'a indiqué la direction générale des médias et des industries culturelles dans ses réponses au questionnaire de vos rapporteurs, le montant de 450 millions d'euros prévu pour France Télévisions en LFI 2009 a été fixé dans le cadre de la préparation du PLF 2009, à l'été 2008. Il reprenait le montant estimé par la Commission pour la nouvelle télévision publique, commission ad hoc , indépendante de France Télévisions et du Gouvernement, dans son rapport remis le 25 juin 2008 au Président de la République.

Cette somme a été obtenue en prenant comme référence un chiffre d'affaires publicitaire et de parrainage de France Télévisions de 800 millions d'euros (il était de 788,5 millions d'euros en 2007 pour France Télévisions, le budget initial 2008 l'estimant à 809,6 millions d'euros).

A partir de cette référence, la Commission avait considéré :

- d'une part, que les exceptions envisagées à la suppression de la publicité (ressources issues du parrainage, ressources issues de la publicité sur l'outre-mer et sur les antennes régionales de France 3, publicité sur les sites internet de France Télévisions et les nouveaux supports, publicité d'intérêt général) permettaient à France Télévisions de conserver 150 millions d'euros de recettes ;

- et que, d'autre part, le maintien dans un premier temps de la publicité avant 20 heures permettrait à France Télévisions de conserver 200 millions d'euros de recettes, la Commission précisant cependant que l'effet d'une anticipation de l'application de la directive « services de médias audiovisuels » pouvait conduire à modifier ce montant.

Ce chiffrage était cohérent avec celui réalisé par le BIPE, cabinet d'études indépendant, dans ses études en date du 30 avril et du 27 juin 2008 79 ( * ) :

- dans son étude datée du 30 avril 2008, le BIPE a chiffré à 452 millions d'euros l'écart entre le chiffre d'affaires publicitaire réalisé en 2007 et celui attendu en 2009, en cas de suppression de la publicité sur les antennes du groupe après 20 heures et en dehors de toute autre modification réglementaire ou législative ;

- dans une seconde étude en date du 27 juin 2008, le BIPE a pris en compte les effets des assouplissements réglementaires envisagés sur les chaînes privées (augmentation de la durée moyenne quotidienne de 6 à 9 minutes, passage de l'heure glissante à l'heure d'horloge, diffusion d'une seconde coupure dans les émissions de stocks) et estimé que l'écart entre le réalisé 2007 et l'estimé 2009 s'élèverait alors à 512 millions d'euros.

Dans le plan d'affaires de France Télévisions pour 2009-2012, bien que la ressource publique soit indiquée dans sa globalité (partie issue de la contribution à l'audiovisuel public et complément issu du budget général), l'hypothèse sous-jacente en matière de dotation budgétaire est la suivante :

- LFI 2009 : 450 millions d'euros, revus à l'automne 2009 à 415 millions d'euros ;

- 2010 : indexation à +1,75 % soit 457,9 millions d'euros (LFI 2010) ;

- 2011 : indexation à +1,75 % soit 465,9 millions d'euros ;

- 2012 : 650 millions d'euros.

3. Le financement difficile de la dotation

Parallèlement au choix d'allouer une dotation budgétaire, le Parlement a souhaité la compenser par la mise en place de deux taxes dont le produit cumulé est supposé atteindre les 450 millions d'euros.

Les articles 32 et 33 de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision ont ainsi introduit deux articles 302 bis KG et 302 bis KH dans le code général des impôts instituant respectivement une taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision et sur le chiffre d'affaires des opérateurs de télécommunication.

a) La taxe sur la publicité à la télévision

La création de cette taxe a été justifiée économiquement par « l'effet d'aubaine » dont pourraient bénéficier les chaînes privées en raison du report sur leurs écrans de la publicité auparavant diffusée sur les canaux de France Télévisions.

La taxe est due par les éditeurs de loisirs au sens de l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986, établis en France. Il s'agit en pratique de TF1, France Télévisions, Canal +, M6, les chaînes de la télévision numérique terrestre et les chaînes thématiques présentes sur le câble et le satellite dont le siège est en France.

L'assiette de la taxe est constituée par le montant des sommes versées par les annonceurs à ces télévisions ou à leurs régisseurs pour la diffusion de leurs messages publicitaires, en soustrayant le montant de la TVA.

Les recettes publicitaires des sites Internet des chaînes de télévision ne sont pas concernées par cette taxation. Il a été considéré qu'il serait en effet contre-productif d'imposer les activités naissantes liées au média global. En revanche, les sommes versées dans le cadre de parrainages d'émissions sont assujetties à la taxe.

Le taux initial de la taxe a été fixé à 3 % du montant des versements annuels, hors TVA, avec un abattement de 11 millions d'euros opéré sur l'assiette afin de protéger en partie les chaînes émergentes qui ont de faibles chiffres d'affaire et un abattement forfaitaire de 4 % tendant à prendre en compte les frais de régie.

Toutefois, l'Assemblée nationale a choisi lors de la discussion sur la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de télévision, de prévoir un taux progressif pour les chaines de la TNT (1,5 % en 2009, 2 % en 2010, 2,5 % en 2011), et de mettre en place un taux plafonné pour les chaines historiques dont le chiffre d'affaires publicitaire serait inférieur à celui de 2008 (année précédant la réforme). Ce taux a été plafonné à 50 % de l'accroissement de son assiette, avec un plancher à 1,5 %.

Constatant que l'année 2009 était particulièrement difficile pour les chaînes de télévision privées, pour lesquelles on pouvait difficilement prétendre qu'un effet d'aubaine avait eu lieu, le législateur a fixé, pour la seule année 2009, le taux de la taxe à 0, 75 % en cas de baisse de l'assiette de la taxe (constatée pour l'année civile au titre de laquelle la taxe est due par rapport à 2008) pour les chaines diffusées en mode analogique et à 0,5 % pour les chaines diffusées en mode numérique 80 ( * ) .

Si, dans le projet de loi initial, le produit attendu de la taxe était de 94 millions d'euros, il avait baissé après l'adoption du texte par le Parlement et le produit final s'est finalement établi à 27,7 millions d'euros en 2009 , dont une part est payée par France Télévisions...

Le montant des encaissements 2010 est estimé par les services du ministère de l'économie à 36 millions d'euros.

Les rapporteurs du texte au Sénat avaient souligné la fragilité économique de cette taxe 81 ( * ) : « le produit qu'on peut attendre de cette taxe pour 2009 est très aléatoire. Il dépend en effet de plusieurs variables, dont certaines vont évoluer dans un avenir très proche :

- en premier lieu, la crise économique a un impact sur les investissements publicitaires qui semblent avoir chuté fortement depuis le début de l'année 2008. Le chiffre d'affaires de TF1 serait ainsi en forte baisse pour le deuxième semestre 2008 et celui de M6 serait en stagnation. Selon l'étude d'AT Kearney commandée par les chaînes privées historiques, les revenus totaux nets du marché publicitaire de la télévision seraient en baisse de 3,2 % au premier semestre 2009, ce contexte morose devant se prolonger au cours de l'année ;

- en outre, « l'effet d'aubaine » pour les chaînes privées lié au report de la publicité des écrans de soirée de France Télévisions, est difficile à anticiper. En effet, la capacité d'absorption des chaînes historiques n'est pas totale et la concurrence des chaînes de la TNT et d'Internet est de plus en plus intense sur le marché publicitair e ».

Ils avaient ensuite conclu sur « le fait que le rendement de cette taxe est aléatoire et que son produit ne devrait pas être particulièrement dynamique. Il n'est donc pas forcément pertinent d'imaginer que cette ressource pourrait compenser pour l'État de manière pérenne le coût qu'il supportera en raison de la suppression de la publicité sur France Télévisions (dont l'impact est aussi, par nature, très difficile à calculer). »

De fait la recette publicitaire sur laquelle cette taxe est assise a fortement diminué en 2009 :

ÉVOLUTION DES RECETTES PUBLICITAIRES DE TF1 ET M6 ENTRE 2008 ET 2009

1 er trimestre

2 e trimestre

3 e trimestre

Année 2009

TF1

- 27 %

- 19 %

-5,5 %

- 13 %

M6

-11 %

- 16,7 %

- 2,7 %

- 8 %

Source : Association des chaînes privées

b) La taxe sur les opérateurs de télécommunications

L'article 302 bis KH du code général des impôts a institué une taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, qui sont « les personnes physiques ou morales exploitant un réseau de communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public un service de communications électroniques ».

Il s'agit en pratique des opérateurs de téléphonie (SFR, Bouygues Télécom, Orange) et des fournisseurs d'accès à Internet (Free, France Télécom, Neuf Cegetel) qui fournissent en général des offres dites « triple play » (services de téléphonie, accès à Internet et service de télévision).

L'assiette de la taxe est constituée du montant, hors TVA, des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers aux opérateurs en rémunération des services de communications électroniques qu'ils fournissent.

Sont néanmoins exclues de cette assiette :

- les sommes acquittées au titre des prestations d'interconnexion et d'accès faisant l'objet des conventions définies au I de l'article L. 34-8 du code des postes et communications électroniques ;

- et les sommes acquittées au titre des prestations de diffusion ou de transport des services de communication audiovisuelle. Il s'agit ici de bien préciser que ne sont pas concernées, par exemple, les sommes versées pour la partie des offres ADSL liée à la télévision, qui ne relèvent pas d'un service de communications électroniques, mais d'un service de communication audiovisuelle.

Deux abattements sont en outre prévus :

- l'un de 5 millions d'euros est appliqué de manière systématique sur l'assiette afin, notamment, de ne pas taxer des opérateurs émergents ou disposant de chiffres d'affaires très faibles (fournisseurs d'accès à Internet locaux...) ;

- l'autre, correspond au montant des dotations aux amortissements comptabilisés au cours de l'exercice clos au titre de l'année au cours de laquelle la taxe est devenue exigible, lorsqu'ils sont afférents aux matériels et équipements acquis par les opérateurs pour les besoins des infrastructures et réseaux de communications électroniques établis sur le territoire national et dont la durée d'amortissement est au moins égale à dix ans. Il s'agit donc d'éviter de trop taxer les investissements nouveaux en infrastructure.

Le taux applicable est de 0,9 % des encaissements concernés.

Selon les services du ministère de l'économie, le montant des sommes encaissées en 2009 au titre de cette taxe est de 185,9 millions d'euros 82 ( * ) .

Le montant des encaissements est estimé à 330 millions d'euros pour 2010.

Ainsi en 2009, les taxes ont rapporté au budget de l'Etat 214,7 millions d'euros, loin des 450 millions (415 millions après révision) de la dotation budgétaire.

En 2010, les prévisions s'établissent à 366 millions d'euros, ce qui est encore éloigné des 457,8 millions d'euros de la dotation votée pour 2010.

Toutefois, les recettes publicitaires de France Télévisions en journée sont supérieures à celles envisagées initialement et ces 366 millions pourraient compenser de manière pertinente les pertes réelles de France Télévisions liées à la suppression de la publicité en soirée (voir infra ).

Toutefois, force est de reconnaître que rien n'a encore été prévu pour compenser au bénéfice du budget de l'État l'augmentation de la dotation prévue au moment où la réforme prendra pleinement effet (suppression totale de la publicité sur France Télévisions).

Outre que leur produit est insuffisant, le fondement juridique de ces taxes est fortement contesté.

4. Les fragilités juridiques de ce mode de financement
a) La contestation de la taxe dite « télécoms »

La Commission européenne estime que l'article 302 bis KH du CGI, qui instaure une taxe sur les prestations fournies par les opérateurs de communications électroniques, établit un lien direct entre le fait d'être assujetti à la taxe et le fait de posséder l'autorisation générale prévue par la directive « autorisation » 2002/20 qui harmonise les conditions administratives de l'accès au marché des opérateurs fournissant des services ou des réseaux de communications électroniques.

La Commission considère qu'étant donné ce lien, la taxe doit être considérée comme une taxe administrative établie au titre de l'autorisation générale. Elle tombe dès lors dans le champ de l'article 12 de la directive « autorisation », mais ne le respecte pas en ce qu'elle couvre d'autres coûts que les frais de gestion, de contrôle et d'application de l'autorisation, les droits d'utilisation, les obligations spécifiques visées à l'article 6, paragraphe 2 de la directive « autorisation » et les frais afférents aux travaux de réglementation.

Selon les informations fournies par le ministère de l'économie, les autorités françaises considèrent « que l'objectif de la directive « autorisation » 2002/20/CE est de limiter les contraintes, tant administratives que techniques, qui pourraient entraver l'installation de nouveaux opérateurs sur les marchés nationaux et qui freineraient par conséquent le développement du marché intérieur communautaire du secteur des communications électroniques. Elle fixe à ce titre les conditions de délivrance de l'autorisation que les États membres peuvent exiger des opérateurs de communications électroniques qui souhaitent s'installer en France, et notamment, à son article 12, les conditions à respecter par toute taxe imposée par les États membres aux opérateurs titulaires de cette autorisation, du seul fait de cette qualité.

« Dans ces conditions, et dans la mesure où l'objectif de la taxe prévue à l'article 302 bis KH du CGI est de taxer les activités réalisées en France par les opérateurs de communications électroniques et non la détention d'une autorisation, les autorités françaises considèrent que la référence à l'autorisation (le dépôt d'une déclaration préalable auprès de l'ARCEP) prévue à l'article 302 bis KH du CGI est sans incidence sur l'économie générale du dispositif, que le fait générateur de la taxe française n'est en rien lié à la procédure d'autorisation prévue par la directive « autorisation » mais est constitué par la réalisation d'une prestation auprès d'usagers finals, en conséquence que la taxe prévue à l'article 302 bis KH du CGI n'entre pas dans le champ d'application de la directive « autorisation » 2002/20/CE et n'a donc pas à remplir les conditions posées par son article 12. »

Sans entrer dans le débat juridique, vos rapporteurs observent cependant que la contestation de la Commission est sérieuse et fait peser un risque réel sur la viabilité de la taxe instituée sur les opérateurs de télécommunication à l'article 302 bis KH du CGI.

b) La contestation de la dotation budgétaire

Selon les informations fournies par le ministère de l'économie, deux procédures sont en cours s'agissant de la subvention budgétaire allouée à France Télévisions : l'une devant le Tribunal de l'Union européenne, l'autre devant la Commission européenne.

Le contentieux devant le Tribunal de l'Union européenne (TUE) porte sur la décision d'autoriser la subvention budgétaire pour 2009. TF1, M6 et Canal+ ont introduit le 24 décembre 2009 un recours en annulation de la décision de la Commission européenne du 1 er septembre 2009 autorisant le versement de la subvention budgétaire pour 2009 (Aff. T-520/09).

Au soutien de leur demande, les requérants invoquent un moyen unique, fondé sur l'existence supposée de difficultés sérieuses d'appréciation de cette subvention pour 2009 qui auraient dû conduire la Commission européenne à ouvrir une procédure formelle d'examen et non à statuer à l'issue d'une phase préliminaire d'examen. L'existence d'indices de difficultés sérieuses relèverait, selon les requérants, des circonstances de la procédure préliminaire d'examen (en raison de la durée excessive de la procédure préliminaire et de l'importance de la dotation) et du contenu de la décision attaquée (niveau d'information insuffisant, voire informations inexactes, dont la Commission aurait disposé au moment de la décision et impossibilité pour la Commission de conclure à la compatibilité de l'aide sans une analyse approfondie, compte tenu des risques structurels de surcompensation en l'espèce).

Selon les informations communiquées à vos rapporteurs, les autorités françaises et France Télévisions ont demandé à intervenir dans cette procédure en soutien de la Commission européenne, afin de démontrer que cette dernière avait tous les éléments lui permettant de considérer, à l'issue d'un examen préliminaire, que la subvention envisagée était compatible avec les règles communautaires sur les aides d'état. Le calendrier de l'intervention des autorités françaises n'est pas encore déterminé.

Le ministre de l'économie a tenu à observer que de tels arguments ont déjà été soulevés par les mêmes entreprises dans le cadre des recours en annulation qu'elles ont introduits à l'encontre de la décision de la Commission européenne du 16 juillet 2008 relative à la dotation en capital accordée à France Télévisions en 2008, rendue elle aussi à l'issue d'une procédure préliminaire d'examen (aff. T-573/08 et T-568/08). Dans leurs mémoires en soutien de la Commission européenne, les autorités françaises avaient alors indiqué que la Commission européenne n'avait aucune raison de considérer comme insuffisantes les informations dont elle disposait au sujet de la hausse du coût net du service public induit en 2008 par la perte de recettes publicitaires de France Télévisions, qui justifiait le complément de financement public versé via la dotation. La France avait également estimé que la Commission n'était notamment pas tenue de prendre en compte les performances de gestion de France Télévisions pour apprécier la compatibilité des compensations de service public octroyées au groupe avec l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Vos rapporteurs remarquent qu'elle ne portera que sur la dotation de 2009 et tiennent en outre à souligner que le fond du problème réside encore une fois dans la difficulté de connaître avec exactitude les besoins de financement de France Télévisions, et notamment ceux liés à ses missions de service public.

Vos rapporteurs viennent d'apprendre que le tribunal de l'Union européenne a rendu sa décision le 30 juin 2010 et qu'il a donné son blanc-seing à la dotation accordée à France Télévisions en 2009, considérant que la dotation financière était « explicitement et exclusivement » destinée à couvrir les coûts du service public de la radiodiffusion assuré par France Télévisions et non à subventionner l'activité commerciale du groupe

La procédure formelle d'examen en cours devant la Commission européenne au titre des aides d'État sur le régime de subvention budgétaire à partir de 2010, fait suite à une décision du 1 er septembre 2009, par laquelle la Commission européenne a autorisé, au terme d'un examen préliminaire, le versement à France Télévisions pour 2009 d'une subvention d'un montant maximum de 450 millions d'euros. Dans le cadre de la procédure formelle d'examen, prévue à l'article 108, paragraphe 2, du TFUE, les autorités françaises ainsi que les tiers intéressés sont invités à présenter leurs observations sur les doutes soulevés par le mécanisme pérenne de subventions prévu à compter de 2010.

L'ouverture de cette dernière procédure était justifiée par deux interrogations principales, portant sur un éventuel risque de surcompensation du coût net du service public à l'horizon 2011-2012 et sur l'existence supposée d'un lien d'affectation entre les taxes créées par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 précitée (taxe sur la publicité diffusée par les chaînes de télévision et taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques) et la subvention budgétaire accordée à France Télévisions .

Sur ces deux points, les autorités françaises ont :

- démontré l'existence de contrôles ex ante et ex post de l'adéquation de la compensation avec le coût net des missions de service public confiées à France Télévisions,

- et rappelé que les taxes créées par la loi de 2009 sont des impositions de toutes natures perçues au profit du budget général de l'État dont le produit, en application du principe constitutionnel d'universalité budgétaire, ne peut être affecté à une dépense spécifique. Elles ont, en outre, apporté des réponses aux observations déposées par des tiers intéressés dans le cadre de la procédure formelle.

Selon les réponses au questionnaire envoyé par vos rapporteurs à François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, les derniers échanges des autorités françaises avec la Commission européenne ont essentiellement porté sur des éléments de clarification ou de mise à jour d'informations. La décision de la Commission européenne devrait intervenir avant l'automne.

Vos rapporteurs estiment qu'en cas de mise en cause de la conventionnalité de la dotation budgétaire, l'une des solutions serait de financer l'Institut national de l'audiovisuel et l'Audiovisuel extérieur de la France par la voie budgétaire et ainsi de réattribuer plus de 200 millions d'euros de contribution à l'audiovisuel public à France Télévisions. Ainsi une partie du problème serait résolue, l'assiette de la CAP pouvant en outre être largement améliorée (voir infra ).


* 76 Applicable de facto dès le 5 janvier 2009 sur décision du conseil d'administration de France Télévisions.

* 77 La commission pour la nouvelle télévision publique avait préconisé l'affectation à France Télévisions de la redevance « freìquences radioeìlectriques » pour un montant envisagé de 100 millions d'euros en 2009 et 300 millions d'euros en 2010.

* 78 Le Conseil d'État a quant à lui également jugé, dans une décision du 11 février 2010 (CE, 11 février 2010, Mme B. et autres), que la suppression de la publicité pendant une part substantielle du temps d'antenne était une mesure « ayant pour effet de priver France Télévisions d'une part significative de ses recettes et d'affecter la garantie de ses ressources, qui constitue un élément de son indépendance ».

* 79 La méthodologie retenue par le BIPE a consisté à faire dans un premier temps une estimation des recettes publicitaires des médias au cours de l'année 2008, servant de base aux prévisions ultérieures, puis à dresser dans un second temps une évolution tendancielle des recettes publicitaires des médias, en l'absence de toute modification réglementaire : à partir de cette situation, en dynamique, l'impact spécifique de plusieurs scénarii de diminution de la publicité à partir de 2009 sur les chaînes de France Télévisions a été testé.

* 80 Loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

* 81 Rapport n° 150 (2008-2009) de Catherine Morin-Desailly et Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 6 janvier 2009.

* 82 La taxe s'est appliquée à partir du 5 mars 2009.

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